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N° Y 15-87.688 FS-P+B
N° 58
SL
21 FÉVRIER 2017
CASSATION SANS RENVOI
M. GUÉRIN président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. [Q] [U], Mme [O] [I], la société M6 web, la société Paris première, la société Métropole télévision, contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 4-11, en date du 20 novembre 2015, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs de publicité illicite en faveur du tabac, violation de l’interdiction de fumer dans un lieu à usage collectif, aide ou incitation volontaire à la violation de l’interdiction de fumer dans un lieu à usage collectif, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 4 janvier 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, Farrenq-Nési, MM. Bellenger, Lavielle, conseillers de la chambre, Mme Guého, conseiller référendaire ;
Avocat général : M. [D] ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de la société civile professionnelle YVES et BLAISE CAPRON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général [D] ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 3511-3 du code de la santé publique, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :
“en ce que l’arrêt attaqué a condamné solidairement la société Paris première représentée par M. [N], Mme [O] [I] prise en sa qualité de présidente de la société Paris première, la société M6 web prise en la personne de son représentant légal, la société Métropole télévision représentée par M. [Q] [U], à verser à l’association “les droits des non-fumeurs” la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
“aux motifs qu’il résulte de l’article L. 3511-3 du code de la santé publique que sont prohibées toutes formes de communication commerciale, quel qu’en soit le support et toute diffusion d’objets ayant pour but ou pour effet de promouvoir le tabac ou un produit du tabac ; que l’émission que la société Paris première inscrit dans sa grille de divertissement culturel, a mis en scène un dîner, c’est-à-dire un moment de convivialité et d’échanges entre les participants provenant d’horizons différents ; que ce repas réunissait un chroniqueur, une comédienne animatrice de télévision, un auteur-compositeur interprète, des journalistes et des écrivains ; qu’un grand chef les servait à table et que la soirée se terminait en musique avec la participation d’un artiste ; que le format de cette émission enregistrée qui n’est ni un journal télévisé, ni un documentaire ou une émission d’information donnait la possibilité lors du montage d’opérer des choix de plans excluant la présentation de trois personnes en train de fumer sans que cela ne nuise à l’intelligibilité des débats ou n’impose une suppression des propos de nature à porter atteinte à la liberté d’expression ; que dans le contexte particulièrement festif de ce dîner, la séquence donnant lieu à la visualisation de trois personnes d’une certaine notoriété consommant du tabac en cours de repas et dont l’action de fumer s’inscrivait dans un moment de plaisir a été de nature à constituer la diffusion d’images participant à la promotion du tabac et de propagande illicite, et ce même en l’absence de tout propos ou expression complémentaire valorisant cet instant ;
“1°) alors que la seule diffusion d’images animées d’une situation de la vie courante, en l’occurrence d’un dîner, lors duquel certains des convives, fussent-ils d’une certaine notoriété, fument, sans qu’il soit fait référence au tabac ou à l’usage du tabac et en l’absence de toute indication directe ou indirecte de nature à attirer l’attention du spectateur sur ces personnes fumant ou à valoriser le comportement de fumer, dans une émission diffusée à 11 heures du soir et destinée à un public adulte, ne constitue pas un acte de publicité ou de propagande en faveur du tabac ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;
“2°) alors que toute personne a droit à la liberté d’expression ; que l’article L. 3511-3 du code de la santé publique ne peut être interprété comme interdisant à une chaîne de télévision de donner à voir une scène de la vie courante, en l’occurrence un dîner en ville, en l’empêchant de diffuser des images de convives en train de fumer, en dehors de toute intention de promouvoir le tabac ; qu’en décidant que le format de l’émission donnait la possibilité lors du montage d’opérer des choix de plans excluant la présentation des trois personnes en train de fumer sans que cela ne nuise à l’intelligibilité des débats ou n’impose une suppression des propos de nature à porter atteinte à la liberté d’expression, la cour d’appel a encore méconnu les textes susvisés ;
“3°) alors que la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut être soumise à des restrictions, notamment en vue de protéger la santé publique qu’autant que celles-ci sont strictement nécessaires au but poursuivi ; qu’une décision de condamnation fut-elle sur les seuls intérêts civils émanant du juge répressif qui, au prétexte de lutter contre le tabagisme, a pour résultat de censurer une émission de télévision se proposant de donner à voir une scène de la vie courante, en l’occurrence, un dîner en ville, constitue une mesure disproportionnée au but qu’elle prétend poursuivre ;
“4°) alors que la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut être soumise à des restrictions, notamment en vue de protéger la santé publique qu’autant que celles-ci sont strictement nécessaires au but poursuivi ; qu’en retenant, pour entrer en voie de condamnation, que la visualisation de trois personnes d’une certaine notoriété fumant au cours d’un repas a été de nature à constituer la diffusion d’images participant à la promotion du tabac et de propagande illicite, sans tenir aucun compte de la teneur de l’émission, de son but, du public visé et de son heure de diffusion, la cour d’appel a privé sa décision de base légale” ;
Vu l’article L. 3511-3 du code de la santé publique, devenu l’article L. 3512-4 dudit code ;
Attendu qu’il résulte de ce texte que ne peut être considérée comme une publicité en faveur du tabac la diffusion d’une émission ne comportant aucune image ou aucun propos ayant pour but ou pour effet de promouvoir directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que l’association Les droits des non-fumeurs, partie civile, a fait directement citer devant le tribunal correctionnel la société Paris première, société éditrice de la chaîne Paris première, Mme [O] [I], présidente de la société Paris première, la société M6 web, société éditrice du site internet www.paris-première.fr, la société Métropole télévision, représentante de la société M6 web, M. [Q] [U], président de la société Métropole télévision, directeur de la publication du site internet www.paris-première.fr, pour les voir déclarer coupables du délit de publicité illicite en faveur du tabac commis à l’occasion de la diffusion sur la chaîne Paris première, puis en replay sur le site internet accessible à l’adresse “www.paris-première.fr”, d’une émission intitulée “Rive droite” ayant pour concept un dîner réunissant plusieurs invités autour d’un animateur et au cours de laquelle trois convives ont été filmés alors qu’ils fumaient ; que le tribunal a relaxé les prévenus et débouté la partie civile de ses demandes ; que seule cette dernière a interjeté appel ;
Attendu que, pour infirmer le jugement sur l’action civile et accorder des dommages-intérêts à la partie civile, l’arrêt retient que dans le contexte particulièrement festif du dîner mis en scène par une émission inscrite dans la grille de divertissement culturel de la chaîne, la séquence donnant lieu à la visualisation de trois personnes d’une certaine notoriété consommant du tabac et dont l’action de fumer s’inscrivait dans un moment de plaisir a été de nature à constituer la diffusion d’images participant à la promotion du tabac et de propagande illicite, et ce même en l’absence de tout propos ou expression complémentaire valorisant cet instant ; que les juges ajoutent que le format de cette émission enregistrée qui n’est ni un journal télévisé, ni un documentaire ou une émission d’information donnait la possibilité lors du montage d’opérer des choix de plans excluant la présentation des trois personnes en train de fumer sans que cela ne nuise à l’intelligibilité des débats ou n’impose une suppression des propos de nature à porter atteinte à la liberté d’expression ;
Mais attendu qu’en prononçant ainsi, alors que le seul fait de montrer des personnes dans une émission en train de fumer ne constitue pas une publicité prohibée en faveur du tabac, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D’où il suit que la cassation est encourue ; que, n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Par ces motifs, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 20 novembre 2015 ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un février deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.