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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 64B
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 OCTOBRE 2017
R.G. N° 15/02706
AFFAIRE :
[B] [T] dit [U] [P]
C/
SAS SONY MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Février 2007 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 01
N° RG : 06/12506
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Bertrand ROL de l’AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS
Me Claire RICARD
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX NEUF OCTOBRE DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDEUR devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (2ème chambre civile) du 20 novembre 2014 cassant et annulant partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de VERSAILLES (3ème chambre) le 16 mai 2013
Monsieur [B] [T] dit [U] [P]
né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 1] (ALGERIE)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Bertrand ROL de l’AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20150256
Représentant : Me Pierre Emmanuel FROGE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS et Me DUPOND-MORETTI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
****************
DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
SAS SONY MUSIC ENTERTAINMENT FRANCE
N° SIRET : 542 055 603
[Adresse 2]
[Localité 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2015344
Représentant : Me Michel MAGNIEN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1020
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 06 Juillet 2017 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOISSELET, Président chargé du rapport, et Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Véronique BOISSELET, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Maguelone PELLETERET,
[B] [T], dont le nom d’artiste est [U] [P], a créé une comédie musicale intitulée ‘L’Ombre d’un Géant’. Par contrat du 21 mai 2001, il a cédé l’ensemble de ses droits patrimoniaux d’auteur à la société Rubi Prod, spécialement constituée pour la production de cette comédie musicale et dont il était le gérant majoritaire. La société Rubi Prod a conclu le 25 juin 2011 avec la société Sony Music Entertainment France (ci-après Sony) un contrat d’exploitation des droits phonographiques sous forme notamment de disques compacts, avec un droit d’option pour la société Sony portant sur l’enregistrement ‘live’ de la comédie musicale et un DVD. Dans le cadre de ce contrat, la société Sony a versé à la société Rubi Prod une avance de 1 000 000 euros. L’album ainsi qu’un single ont été réalisés et commercialisés.
Par avenant du 4 janvier 2002, Sony s’est engagée à financer la campagne publicitaire à l’occasion de la sortie du spectacle au théâtre [Établissement 1] à [Localité 3] en février 2002, en contrepartie du versement par la société Rubi Prod d’une redevance. La comédie musicale a été représentée du 12 février au 24 mars 2002 mais les recettes n’ont pas permis de couvrir les dépenses engagées et la société Rubi Prod a été placée en liquidation judiciaire par suite du désengagement de sa banque, par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 10 avril 2002.
Le 11 avril 2002, Sony a demandé à la société Rubi Prod le règlement de sa créance au titre de l’avenant du 4 janvier 2002. Il lui a alors été répondu que le contrat avait été résilié par un fax du 26 mars 2002 émanant du représentant légal de la société Sony. Contestant avoir expédié ce fax, Sony a déposé plainte pour faux, et M. [T] a été mis en examen de ce chef. Dans ce contexte, la société Sport Elec, à qui le juge commissaire avait autorisé la cession des éléments d’actif de la société Rubi Prod, s’est désengagée de la reprise du spectacle.
Le 17 mars 2006, l’information concernant la plainte pour faux a été close par un non lieu, le magistrat instructeur ayant retenu que le fax était effectivement un faux mais que son auteur n’avait pu être identifié.
Par acte du 3 novembre 2006, [B] [T] a assigné Sony devant le tribunal de grande instance de Nanterre en réparation de son préjudice professionnel et personnel résultant de l’arrêt définitif de la comédie musicale et de son préjudice économique lié à la plainte déposée par Sony et à la publicité qu’elle lui a donnée dans le milieu artistique.
Débouté par les premiers juges, [B] [T] a interjeté appel et, par arrêt du 20 mars 2008 devenu définitif à la suite de la non-admission du pourvoi formé, la cour d’appel de Versailles a :
– infirmé le jugement,
– retenu contre Sony une faute tenant à la témérité de son dépôt de plainte,
– condamné Sony à indemniser [B] [T],
– précisé que le préjudice de [B] [T] s’analysait en une perte de chance de poursuivre l’exploitation de la comédie musicale par la société Sport Elec, qui devait être évaluée à 50 % des préjudices subis,
– avant dire droit sur l’évaluation du préjudice financier et de carrière de [B] [T], ordonné une expertise.
Le rapport final d’expertise a été déposé le 30 août 2011. Plusieurs provisions ont été accordées à [B] [T], pour un montant total de 285 000 euros.
Par arrêt du 16 mai 2013, la cour a :
– dit n’y avoir lieu d’annuler le rapport d’expertise,
– fixé à la somme de 657 718,25 euros l’indemnisation de [B] [T],
– déduction faite des provisions déjà versées de 285 000 euros, condamné Sony à verser à [B] [T] la somme principale de 372 718,25 euros avec intérêts au taux légal à compte du dépôt du rapport d’expertise le 30 août 2011,
– dit que les intérêts échus seront capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du code civil,
– avant dire droit sur les préjudices liés à la perte de droits, invité les parties à conclure en tenant compte des éléments contenus dans l’arrêt sur les préjudices invoqués :
– au titre du merchandising/produits dérivés (tee shirts…),
– au titre de l’assurance chômage,
– au titre de la retraite (auteur dramatique (IRCEC) et artistes du spectacle (AUDIENS),
– au titre des congés du spectacle,
– au titre des recettes d’adaptation audiovisuelle,
– au titre des droits voisins (rémunération équitable et copie privée audiovisuelle et sonore),
– renvoyé la procédure à la mise en état pour conclusions :
– de [B] [T], le 19 septembre 2013,
– de Sony, le 16 janvier 2014,
– dit n’y avoir lieu à publication judiciaire de l’arrêt,
– sursis à statuer sur les demandes relatives à l’article 700 du code de procédure civile,
– réservé les dépens.
S’agissant des préjudices liés à la perte de droits, la cour a jugé que, les bases de calcul du sapiteur n’ayant pas été retenues, il convenait de rouvrir les débats pour permettre aux parties de conclure sur ces préjudices.
Par arrêt du 3 juillet 2014, la cour a, vu l’arrêt partiellement avant-dire-droit du 16 mai 2013,
– dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer sur la partie du préjudice excédant la perte de chance fixée,
– condamné la société Sony Music Entertainment France à payer à [B] [T] dit [U] [P] les sommes de 12 117,96 euros en réparation du préjudice causé par la perte de ses droits à retraite, et de 900 euros en réparation de celui né de la perte de ses droits à congés,
– dit que ces sommes porteront intérêts à compter de l’arrêt, avec capitalisation dans les conditions fixées par l’article 1154 du code civil,
– rejeté le surplus des demandes au fond,
– condamné Sony Music Entertainment France à payer à [B] [T] dit [U] [P] la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Sony de ses demandes au même titre,
– condamné Sony aux dépens de l’instance d’appel qui s’est poursuivie postérieurement à l’arrêt du 20 mars 2008, avec recouvrement direct.
Par arrêt du 20 novembre 2014, la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 16 mai 2013, mais seulement en ce qu’il a fixé à la somme de 657 718,25 euros l’indemnisation devant revenir à M. [T], déduction faite des provisions déjà versées pour un montant de 285 000 euros, et condamné Sony à lui payer la somme principale de 372 718,25 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 août 2011. Elle a renvoyé l’affaire devant la cour de Versailles autrement composée.
La Cour de cassation a reproché à la cour de Versailles d’avoir ainsi statué sans rechercher, comme l’y invitait Sony, si M. [T] rapportait la preuve de ce que le catalogue discographique lui appartenait, partant s’il justifiait d’un préjudice causé par l’atteinte à la valeur de ce catalogue.
La cour de Versailles a été à nouveau saisie le 10 avril 2015.
Par dernières écritures du 14 avril 2017, M. [T] demande à la cour de :
– juger que le coefficient de perte de chance de 50 % n’a pas lieu d’être appliqué à l’indemnité de rétablissement de carrière et au préjudice moral,
– condamner Sony à lui payer les sommes de :
arrêt de la comédie musicale, après application des 50 %1 108 000 euros
préjudice de carrière arrêté à la date de l’arrêt à intervenir, après application des 50 %6 492 235 euros
atteinte à la valeur du catalogue phonographique,
après application des 50 %3 939 525 euros
créance à l’égard de la société Chance Record546 897 euros
indemnité de rétablissement de carrière6 540 000 euros
subsidiairement, si le pourcentage de perte de chance n’était pas écarté pour l’indemnité de rétablissement de carrière, 5 072 420 euros
pour la période postérieure au prononcé de l’arrêt, après application des 50 %
préjudice moral (sans application des 50 %)2 000 000 euros
indemnité de procédure 20 000 euros
– condamner Sony aux dépens, avec recouvrement direct.
Par dernières écritures du 8 juin 2017, Sony demande à la cour de :
juger que la cassation ne porte que sur l’évaluation de la perte de valeur du catalogue discographique fixée par l’arrêt partiellement cassé du 16 mai 2013, lequel est revêtu de l’autorité de la chose jugée sur tous les autres points, et juger que l’arrêt du 3 juillet 2014 est revêtu de l’autorité de chose jugée,
déclarer irrecevables les demandes de M. [T] des chefs de l’arrêt de la comédie musicale, du préjudice de carrière, de la créance sur Chance Record, de l’indemnité de rétablissement de carrière et du préjudice moral,
débouter M. [T] de sa demande au titre de l’atteinte à la valeur du catalogue discographique et fixer à 457 718,25 euros l’indemnisation globale à lui revenir, et condamner Sony Music, déduction faite des provisions, à lui payer la somme de 172 718,25 euros,
subsidiairement, dans le cas où la cour estimerait être tenue de statuer sur le tout,
débouter M. [T] de toutes ses demandes, et ordonner la restitution des provisions versées,
subsidiairement, dans le cas où la cour ferait siens les motifs de l’arrêt du 16 mai 2013, tout en considérant qu’il n’est pas propriétaire du catalogue phonographique,
fixer à la somme de 44 678,50 euros l’indemnisation au titre des préjudices professionnels, et à celle de 382 150 euros l’indemnisation du préjudice de carrière, et condamner en conséquence Sony, déduction faite des provisions, à payer la somme de 141 828,50 euros,
condamner M. [T] à lui payer la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, avec recouvrement direct.
***
M. [T] expose à titre liminaire que :
– la cassation prononcée sur le montant de son préjudice ne laisse rien subsister de la motivation de l’arrêt cassé sur ce point, en sorte que l’entier préjudice doit être à nouveau évalué, en réactualisant ce dernier entre la date du rapport d’expertise et celle à laquelle la cour statuera,
– la cassation de l’arrêt du 16 mai 2013 doit être étendue à l’arrêt du 3 juillet 2014, ce dernier ayant statué sur les préjudices accessoires, en sorte qu’il devra être à nouveau statué sur les pertes au titre du merchandising, de l’assurance chômage, de la retraite, des congés du spectacle, des recettes d’adaptation audiovisuelle et des droits voisins.
Sur les préjudices il fait les observations suivantes :
A) Préjudices professionnels :
– Préjudice lié à l’arrêt des représentations :
A [Localité 3], sur la base d’une recette tirée de la vente des billets de 1 086 751 euros, la perte des droits d’auteurs est de
(1 086 751 x 12 %) – 11, 80 % / 69, 44 % = 79 871 euros
la perte des cachets est de 30 spectacles x 1 500 euros = 45 000 euros
En province, sur la base d’une recette de 8 781 900 euros pour 50 représentations au taux de remplissage de 80,20 %, la perte de droits d’auteurs doit être fixée à 563 754 euros
et la perte des cachets à 50 x 2 500 euros =125 000 euros
– Préjudice lié aux gains manqués sur les ventes de CD de la comédie musicale :
droits d’auteur sur les ventes de CD supplémentaires générées par l’exploitation de la comédie musicale : 248 593 CD x 11,90 euros (prix unitaire) / 50 % (part de l’éditeur) = 128 775 euros dont à déduire les frais de gestion SACEM de 20 %, soit 103 000 euros, dont 40 % devait lui revenir à titre de droits d’auteur,
soit41 200 euros
perte des redevances dues par Sony à Ruby Prod :
248 593 CD x 11,90 euros x 10 % = 285 881 euros, dont à déduire le solde débiteur de l’avance de 125 873,86 euros consentie par Sony, soit160 007,14 euros
– Préjudice lié aux gains manqués sur les ventes de CD et de DVD live :
Sony a renoncé à son option sur les enregistrements live, dès lors Sport Elec aurait, en sa qualité de producteur, conclu un contrat d’enregistrement avec [U] [P], en sorte que les redevances sur les ventes de CD live auraient été de 143 673 euros
et celles sur le DVD live de 181 750 euros
Ainsi, après application au total de ces postes du coefficient de perte de chance de 50 %, le préjudice doit être fixé au titre de ces trois postes cumulés à 670 127,50 euros
– Préjudice lié à la perte de droits (merchandising, produits dérivés (tee shirts…), au titre de l’assurance chômage, de la retraite, des congés du spectacle, des recettes d’adaptation audiovisuelle et des droits voisins),
après application du taux de perte de chance de 50 % 438 000 euros
B) Préjudice de carrière lié au discrédit porté à [U] [P] :
perte de droits d’auteur : sur la base de l’écart entre les revenus perçus avant 2002 et ceux perçus après,
soit 38 915 euros pendant 13 ans (jusqu’en 2015)505 900 euros
perte de droits d’édition : selon montant fixé par l’expert, soit 16 967 euros, pendant 13 ans, soit la somme de 220 571 euros
perte de cachets d’artiste interprète sur une période de 13 ans, sur les bases de 80 dates annuelles et entre 8 et 10 000 euros de cachet, déduction faite des cachets effectivement perçus pendant cette date8 160 000 euros
perte des tournées ‘âge tendre et tête de bois’ : [U] [P], qui a accepté de participer à la 8ème tournée, aurait pu participer aux 6 premières,
soit un préjudice de 400 000 x 6 = 2 400 000 euros
perte des redevances de production : des sociétés de production ont été créées par M. [T] et ont pour objet de produire directement ses oeuvres : sur les bases de 6 albums perdus (1 tous les deux ans), d’un taux de redevance de 30 %, d’un nombre d’exemplaires de CD de 840 000 depuis 2002,
ce préjudice doit être fixé à 1 698 000 euros
Soit la somme totale de 12 984 471 euros, à laquelle doit s’appliquer le taux de perte de chance de 50 %, en sorte que la somme due est de 6 492 235 euros
C) Atteinte au catalogue discographique :
La société Chance Records, chargée en 2002 de l’exploitation de ce catalogue et liquidée à la suite de la plainte de Sony, doit à M. [T] une avance en compte courant, à titre chirographaire,
somme qui doit être intégrée au préjudice pour le montant de 546 897 euros
M. [T] considère également subir un préjudice lié à l’atteinte portée à ce catalogue, dans la mesure où il s’agit d’un actif qui lui revient, et qui n’a pas vocation à disparaître avec la société qui l’exploite, ainsi qu’en témoigne le fait que ce catalogue ait été cédé à plusieurs reprises depuis la liquidation de la société [V] [B] qui l’exploitait jusqu’au 18 janvier 2001, date de sa liquidation. Il précise que, si la gestion du catalogue de ses titres a en effet été confiée à diverses sociétés, dont il était le gérant, ceci n’empêchait pas qu’il tirât des revenus de ce catalogue, sous forme de redevances ou de dividendes, qu’il n’a en outre pas cédé les droits sur les disques qu’il aurait pu créer après 2002 sans la faute de Sony, alors surtout que le contrat de licence conclu en 1996 avec la société Une Musique (filiale de TF1 et non détenue par M. [T]) prenait fin en 2001.
Il considère que, sur la base de l’évaluation faite par une société Wagram et de l’avance sur redevance consentie par la société Une Musique en 1996, ce catalogue générait un montant de redevances d’au moins 152 000 euros par an. Or, sur la période postérieure à 2002, soit entre 2004 et 2015, la moyenne annuelle effectivement perçue n’a été que de 18 919 euros, en sorte que son préjudice doit être fixé à 133 581 euros par an, soit, sur 50 ans, date de l’expiration des droits, à6 679 050 euros
Compte tenu de la plus-value qu’auraient pu apporter les 6 albums qui auraient dû être faits, évaluée à 200 000 euros par album, soit 1 200 000 euros, le préjudice constitué par l’atteinte à la valeur du catalogue discographique doit donc être fixé à :
1 200 000 + 6 679 050 = 7 879 050 euros, dont 50 % au titre de la perte de chance,
soit la somme totale de3 939 525 euros
D) Préjudice de rétablissement de carrière :
M. [T] réclame sous cette rubrique les moyens nécessaires au rétablissement de sa carrière, soit un budget prévisionnel de publicité télévisuelle (3 950 000 euros), une campagne publicitaire à la radio (790 000 euros) et une tournée de concerts de 30 dates (1 800 000 euros), soit la somme totale de 6 540 000 euros
à laquelle le coefficient de perte de chance n’a pas vocation à s’appliquer.
Subsidiairement, il réclame au titre d’un préjudice de carrière futur, après application du coefficient de perte de chance, la somme de 5 072 420 euros
E) Préjudice moral :
Il est particulièrement caractérisé pendant les 9 années qui ont suivi la reconnaissance de la responsabilité de Sony par l’arrêt du 20 mars 2008, et ne saurait être soumis au taux de perte de chance.
Sony fait valoir que :
– Sur l’étendue de la cassation :
Tous les moyens de M. [T] ayant été rejetés, et seul le pourvoi incident de Sony accueilli, la cassation ne porte que sur la question de l’indemnisation au titre de la perte de valeur du catalogue discographique.
Les préjudices complémentaires fixés par l’arrêt du 3 juillet 2014 n’entrent pas dans le champ de la cassation prononcée.
– Sur la recevabilité de la demande au titre d’un préjudice moral :
La cour, saisie de cette demande antérieurement à l’arrêt rendu le 20 mars 2008, ne l’a pas retenue, et cette demande, réitérée ultérieurement, est donc irrecevable.
– subsidiairement sur les préjudices allégués :
– à titre liminaire :
La jauge moyenne (taux de remplissage en places payantes) du spectacle au théâtre [Établissement 1] était de 20,05 % et décroissante, en sorte que le spectacle, qui était un fiasco, n’avait aucune chance d’être repris.
Le taux de perte de chance doit être appliqué à tous les postes de préjudice sans exception, puisque la cour doit apprécier les conséquences du dépôt de plainte sur les gains manqués faute de reprise du spectacle par Sport Elec, et sur le préjudice de carrière lié à ce défaut de reprise.
– Sur les préjudices liés à l’absence de reprise du spectacle, aux gains manqués sur les ventes de CD et sur celle des CD et DVD live, les calculs proposés par M. [T] sont contestés (il est expressément renvoyé aux écritures sur le détail de l’argumentation sur ces points).
– Sur le préjudice de carrière, il est rappelé que le dernier grand succès de [U] [P] remontait à 1989 (Aimons nous vivants) et ce dernier déclarait lui-même à la presse, au moment du démarrage de la comédie musicale, qu’ ‘on le croyait mort’. Sony rappelle qu’elle n’a aucune responsabilité dans l’échec initial du spectacle, ni en ce qui concerne les gains manqués sur les ventes de CD. Elle conteste l’incidence sur les droits d’auteurs et les revenus de [U] [P] de l’absence de reprise du spectacle. Elle rappelle également l’incidence mécanique de la baisse de plus de 50 % du marché du disque sur les revenus des auteurs.
En ce qui concerne la perte de cachets d’artiste interprète, elle observe que le petit nombre de concerts de [U] [P] est imputable à la propre volonté de ce dernier, selon ses déclarations publiques, et qu’il existe par ailleurs un changement dans la mode et les désirs des organisateurs de concerts auxquels elle est étrangère. Elle ajoute que la comparaison entre le nombre de galas avant et après 2002 montre qu’il a été constant, et qu’ainsi aucun préjudice de carrière n’est démontré.
Elle conteste toute perte au titre des redevances de production, les sociétés de production créées par M. [T] s’étant trouvées en cessation des paiements bien avant le dépôt de la plainte incriminé.
– Sur l’indemnité de rétablissement de carrière :
Se consacrant à l’activité de compositeur dès avant la comédie musicale, [U] [P] est mal fondé dans sa demande de rétablissement de carrière en tant qu’interprète, et la demande de prise en charge de concerts dans un cadre indemnitaire n’est pas sérieuse.
– Sur l’atteinte au catalogue discographique :
Sony rappelle que M. [T] n’a jamais été propriétaire du catalogue phonographique ou discographique, lequel se définit comme l’ensemble de droits qu’un producteur de phonogrammes, au sens de l’article L213-1 du code de la propriété intellectuelle, peut détenir sur des enregistrements, pour avoir eu l’initiative et la responsabilité de leur première fixation, et se distingue ainsi de ceux d’un éditeur de musique qui acquiert des auteurs et compositeurs les droits patrimoniaux d’exploitation sur l’oeuvre. Elle précise que ces droits ont appartenu aux sociétés commerciales Franceval, [V] [B] ou Chance Records, en sorte que M. [T] est irrecevable en ses demandes au titre d’une perte de valeur du catalogue discographique, puisqu’il ne s’agit pas d’un préjudice qui lui est personnel.
Subsidiairement , elle fait valoir que l’estimation par la société Wagram de la valeur de ce catalogue ne peut être retenue eu égard à la faiblesse des revenus éditoriaux de [V] [B] qui s’établissaient sur les années considérées (1999 à 2001) à 18 041,20 euros, et que l’on comprend mal que M. [T], dirigeant de [V] [B], ait laissé partir ce catalogue pour 1 500 euros si sa valeur était, comme il le soutient, de plusieurs millions d’euros, ou de 915 000 euros comme l’indique l’expert. Elle ajoute que le contrat avec Une Musique, dont se prévaut M. [T], n’a pas été mené jusqu’à son terme, puisque [V] [B] était en cessation de paiements dès mai 2000.
En ce qui concerne les albums non réalisés, Sony souligne que c’est [U] [P] lui-même qui a indiqué mettre entre parenthèse sa carrière d’artiste interprète, au profit de celle de compositeur, qu’il a été souffrant par la suite, et qu’en outre ses deux productions, soit l’album ‘qu’est-ce qu’on est con’ et le single ‘[X]’ n’ont pas eu de succès. Elle relève que son tout dernier album, sorti en 2014, ‘je suis venu te dire’ a été passé sous silence.
***
Il est par ailleurs expressément fait référence aux dernières écritures des parties ci-dessus visées pour l’exposé complet de leurs moyens et argumentation.
***
L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2017.
SUR QUOI, LA COUR :
– Sur l’étendue de la saisine de la cour :
– En ce qui concerne le préjudice moral :
La cour, dans son arrêt du 20 mars 2008, a estimé qu’il convenait d’ordonner une expertise sur les préjudices de M. [T], qu’elle avait préalablement définis comme constitués par la perte d’une chance de poursuivre l’exploitation de la comédie musicale l’Ombre d’un Géant à l’affiche au théâtre [Établissement 1] du 12 février au 24 mars 2002, et par un préjudice de carrière. En ce qui concerne le préjudice moral, que l’appelant lui demandait de soumettre aux investigations de l’expert, la cour a expressément indiqué que le préjudice moral invoqué ne pouvait être rattaché directement à la plainte du 18 juin 2002, qui était postérieure au malaise cardiaque du 21 mai 2002, alors que l’artiste venait de terminer les 42 représentations au théâtre [Établissement 1], ce qui induisait nécessairement un état de fatigue, et qu’il était en proie à des difficultés financières, engendrant un état de stress. Elle a très précisément rappelé que la mission de l’expert était limitée aux préjudices financier et de carrière de M. [T] et rejeté le surplus des demandes.
Il sera donc retenu que la demande au titre d’un préjudice moral subi antérieurement à la date de cet arrêt a été définitivement rejetée. En revanche, la demande formée au titre d’un préjudice moral postérieur est recevable.
– En ce qui concerne la portée de la cassation :
Ainsi que justement rappelé par Sony elle-même, l’article 624 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce. Elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
La cassation d’une disposition met à néant la motivation qui en constituait le soutien.
Dès lors que sont cassées les dispositions intéressant le montant de l’indemnisation de M. [T] et celui des sommes qui doivent lui être versées déduction faite des provisions, la motivation qui les soutient est également mise à néant, et M. [T] est donc recevable à demander à la cour de reconsidérer tous les éléments de son préjudice, à l’exception toutefois :
– du préjudice moral subi avant l’arrêt du 20 mars 2008, ce dernier ayant été définitivement écarté,
– et des préjudices ayant fait l’objet d’une réouverture des débats ordonnée par l’arrêt du 16 mai 2013, sur lesquels il a été statué par arrêt du 3 juillet 2014, cet arrêt n’étant pas atteint par la cassation partielle prononcée précédemment, puisque les dispositions ordonnant la réouverture des débats ne l’ont pas été, et que son objet est en outre distinct de celui de l’arrêt partiellement cassé.
Les demandes de M. [T] au titre des préjudices professionnels et de carrière, ainsi que d’un préjudice moral subi postérieurement à l’arrêt du 20 mars 2008 sont donc recevables.
– Sur les préjudices subis :
Si la motivation de l’arrêt partiellement cassé du 16 mai 2013 relative à l’évaluation des préjudices subis est ainsi, par la cassation prononcée, privée de toute autorité par elle-même, la cour en sa présente formation, demeure libre de la faire sienne.
La cour, dans son arrêt du 16 mai 2013, a rappelé que le pourcentage de perte de chance devait être appliqué à tous les postes de préjudice, et retenu, en des motifs précis dont rien ne justifie qu’ils soient modifiés, et qui sont donc repris par la cour en sa présente formation, que la société Sport Elec était en mesure de reprendre le spectacle, et décidée à le faire, en sorte qu’il y avait lieu d’examiner les préjudices engendrés par l’impact du dépôt de la plainte sur l’ensemble de la situation de M. [T], lequel faisait état de trois sortes de préjudices, soit des préjudices professionnels, de carrière, et d’atteinte à la valeur de son catalogue discographique, prétentions maintenues inchangées dans leur substance par M. [T] dans ses écritures du 14 avril 2017.
– Au plan professionnel :
La cour, en son arrêt du 16 mai 2013, avait fixé le montant de ces préjudices comme suit :
– Perte des droits d’auteur et des cachets :
– perte des droits d’auteur : 20 077,50 euros, et perte des cachets : 15 000 euros, avant application du taux de perte de chance. A été retenue en conséquence au titre de ce poste, après application du taux de perte de chance, la somme de 13 788,75 euros. La cour a pour l’essentiel retenu la jauge du théâtre [Établissement 1] de 20,05 % doublée en raison de la participation personnelle au spectacle de [U] [P], et également tenu compte de l’accueil mitigé par le public des représentations au théâtre [Établissement 1]. Elle a considéré que le préjudice lié à la perte de tournées en province n’était pas démontré, en raison du peu d’éléments sur la faisabilité effective de ces tournées.
– Pertes sur l’exploitation des supports phonographiques de la comédie musicale :
– Au titre des CD et DVD studio :
La cour a retenu en 2013 l’évaluation proposée par l’expert, soit 82 373 euros, et ce en considération du volume global des ventes de supports phonographiques de la comédie musicale, rapporté à celui des 10 comédies musicales de grande et moyenne audience vendues au 31 janvier 2009, pondéré par l’accueil parisien à l’égard de la comédie musicale.
En revanche, elle a considéré que, compte tenu de la nécessité de rembourser les avances de Sony, aucun préjudice n’était établi en ce qui concerne les redevances.
– Au titre des CD et DVD live :
A été retenue, compte tenu des différentes variables en jeu, (notamment potentiel de spectateurs, échec relatif de la comédie musicale à [Localité 3], nombre de phonogrammes vendus) une perte de droits d’auteurs de 41 186 euros, et aucune perte de redevances, à raison de l’existence d’un contrat de co-édition entre la société Chance Records et la société Sony ATV, laquelle lui avait avancé une somme de 228 673 euros, récupérable par cession de créance, et de la mise en liquidation judiciaire de Chance Records en 2003.
La cour en sa présente composition ne trouve dans les écritures et pièces, notamment produites par M. [T], aucun élément permettant de remettre en cause ces évaluations, étant observé que le seul écoulement du temps ne suffit pas à démontrer l’aggravation alléguée des préjudices et le bien-fondé de demandes d’un montant supérieur. Ainsi, faisant siens les motifs retenus et exposés par l’arrêt du 16 mai 2013, auxquels il est expressément renvoyé, la cour considère que le préjudice professionnel subi par M. [T], hors préjudices complémentaires indemnisés par l’arrêt du 3 juillet 2014, sera intégralement réparé en toutes ses composantes et après application du taux de perte de chance comme suit :
pertes de droits d’auteur sur le spectacle vivant 13 788,75 euros
pertes de droits d’auteur sur les CD et DVD studio
(82 373 x 50 %)41 186,50 euros
droits d’auteur sur les CD et DVD live20 593,00 euros
– Au titre de la carrière et du rétablissement de carrière :
La cour, en son arrêt du 16 mai 2013, a retenu que [U] [P] est un auteur compositeur interprète qui a débuté sa carrière en 1974 et a connu un grand succès à compter des années 80, en tant qu’interprète de ses propres oeuvres, et également comme compositeur pour d’autres artistes de renom, tels que [P] [D], [N], et pour des films ou la télévision. Il est devenu à compter de 1984 producteur de ses propres oeuvres, par le biais des sociétés de production Franceval, [V] [B] et Chance Records. Après une période de moindre faveur à partir des années 1990, de nombreux artistes contemporains, tels que [U] [P], ont connu de la part du public un regain d’intérêt lié à la nostalgie de l’époque de leurs grands succès, et ce dernier était à tout le moins en mesure de participer à des spectacles tels que la tournée ‘Age tendre et tête de bois’ depuis leur début, et à des émissions de télévision rétrospectives. C’est précisément à ce moment-là que [U] [P] a entrepris la composition de sa comédie musicale, tout en conservant une activité d’interprète. La cour a ainsi relevé que, si les observations de Sony relatives à sa baisse d’activité et de succès devaient être partiellement accueillies, [U] [P] n’en restait pas moins, aux yeux de Sony elle-même, une valeur intéressante, puisqu’elle a signé avec lui en 2001 un contrat en vue des enregistrements de la comédie musicale, et lui a consenti des avances pécuniaires importantes, notamment pour une démarche publicitaire.
Ainsi le différend avec Sony, qui constituait un rouage important du monde artistique a, de manière certaine perturbé la reprise de carrière de M. [T] postérieurement à la comédie musicale et aux difficultés y afférentes, ainsi que l’illustre tout particulièrement la lettre de M. [L], lui proposant une participation à la tournée ‘Age tendre et tête de bois’.
La cour a en conséquence fixé les préjudices subis comme suit, avant application du taux de perte de chance :
– perte de cachets200 000 euros
– pertes de droits d’auteurs64 300 euros
– pertes de droits éditoriaux (redevances)rejet
(la société de production de M. [T] [V] [B] étant en liquidation judiciaire depuis le 18 janvier 2001)
– pertes d’avances sur redevancesrejet
(au même motif tiré de la liquidation des sociétés Franceval, Chance Records, en cessation de paiements depuis début 2002, et [V] [B])
– indemnité de rétablissement de carrière (investissement publicitaire)500 000 euros
En ce qui concerne la perte de droits éditoriaux et de redevances, il doit être rappelé que M. [T] a toujours indiqué que ces droits étaient perçus par ses sociétés de production. Or, pas plus que devant l’expert [G] ou la cour en 2013, il ne justifie des revenus qui lui auraient été procurés par l’intermédiaire de ces sociétés, qui ont toutes été placées en liquidation judiciaire soit avant soit après le dépôt de plainte de Sony, sans que cette proximité dans le temps puisse être rattachée avec une certitude suffisante à un lien de causalité. Les demandes au titre des pertes de droits d’édition et des pertes des redevances de production seront donc écartées faute de certitude sur la réalité de ce préjudice.
En ce qui concerne les pertes de cachets, la cour observe que sont réclamées simultanément tant une perte au titre des cachets générés par la tournée ‘Âge tendre et tête de bois’, qu’une perte générale au titre des cachets qui auraient pu être perçus par l’artiste dans le cadre du déroulement normal de sa carrière. Or seule est objectivée, par la lettre précitée de M. [L], la possibilité de tournées ‘Âge tendre et tête de bois’, étant observé que [U] [P] admet par ailleurs avoir continué à percevoir des cachets entre 2003 et 2016, pour un montant moyen de 4 000 euros la prestation.
Au regard de la tendance générale du public à n’accorder à des chanteurs ayant eu le sommet de leur réussite dans les années 80 qu’une audience liée à la nostalgie de cette époque éprouvée par le public, le préjudice lié à la perte de cachets, qu’il s’agisse de la tournée ‘Age tendre et tête de bois’ ou d’autres manifestations, sera intégralement réparé par la somme de 200 000 euros.
Enfin, en ce qui concerne la perte des droits d’auteurs, la comparaison des revenus perçus avant 2002 et après montre une baisse annuelle de 12 945,97 euros (rapport d’expertise p. 22), et ce poste sera donc intégralement réparé par la somme de 64 300 euros.
Il est enfin constant que le retour à une dimension scénique de plus grande envergure ou télévisuelle de [U] [P], rendu nécessaire par l’atteinte portée à sa réputation et son image d’artiste par la plainte et l’information menée pendant 4 ans, et permettant le rétablissement de l’image de l’artiste telle qu’elle aurait été sans la faute de Sony, exige un investissement publicitaire qui sera évalué à 500 000 euros.
Après application du taux de perte de chance de 50 %, dont rien ne justifie qu’il soit écarté en ce qui concerne le préjudice de rétablissement, les préjudices de carrière et de rétablissement seront intégralement réparés comme suit :
perte de droits d’auteur32 150 euros
perte de cachets d’artiste interprète et pertes des premières tournées ‘âge tendre et tête de bois’100 000 euros
perte des redevances de production et de droits d’éditionrejet
indemnité de rétablissement 250 000 euros
– Au titre de l’atteinte à la valeur du catalogue discographique :
Le catalogue discographique d’un artiste se définit comme l’ensemble de droits qu’un producteur de phonogrammes, au sens de l’article L213-1 du code de la propriété intellectuelle, peut détenir sur des enregistrements pour avoir eu l’initiative et la responsabilité de leur première fixation, et se distingue ainsi de ceux d’un éditeur de musique qui acquiert des auteurs et compositeurs les droits patrimoniaux d’exploitation sur l’oeuvre, ou des droits d’auteurs proprement dits.
Or il n’a jamais été contesté par M. [T] qu’il n’a jamais été lui-même producteur de ses enregistrements, ayant créé à cet effet successivement les sociétés [V] [B] et Chance Records qui étaient détentrices de ces droits. M. [T] ne peut donc à titre personnel revendiquer aucun préjudice afférent à une atteinte à la valeur patrimoniale de son catalogue discographique, dont il précise d’ailleurs lui-même qu’il est toujours exploité, par d’autres entités (qui lui seraient proches, selon les observations non contestées de Sony sur ce point) et lui procure des revenus (ses conclusions p. 33).
Si l’on peut par ailleurs admettre, sur un plan théorique, que l’absence de développement de ce catalogue, liée aux effets négatifs de la plainte de Sony, puisse être à l’origine d’une perte de revenus pour M. [T], force est de constater que fait défaut en l’espèce tout élément de preuve démontrant l’effectivité du lien de causalité entre le discrédit causé par la plainte de Sony en 2002 et le fait que M. [T], gravement souffrant en 2005, n’ait pas sorti de nouvel album avant celui de 2014 ‘je suis venu te dire’, la cour observant au demeurant que l’acte de création artistique que représente la sortie d’un album de chansons ne saurait avoir de cadence standardisée comme celle d’un produit industriel, et que M. [T] a bénéficié d’un non lieu en 2006.
M. [T] sera donc débouté de sa demande au titre de l’atteinte à la valeur de son catalogue discographique.
M. [T] ne saurait non plus faire supporter à Sony les conséquences de la perte de son apport en compte courant de 546 897 euros au profit de la société Chance Records, en l’absence de tout élément de preuve d’un lien de causalité entre la déconfiture de Chance Records et la faute caractérisée contre Sony, puisque Chance Records a été considérée comme en cessation de paiement dès février 2002, soit plusieurs mois avant le dépôt de plainte de Sony et la mise en examen de M. [T].
– Au titre du préjudice moral lié à la longueur de la procédure :
Mérite d’être rappelée la conclusion de l’expert selon laquelle il ne peut souscrire à l’ensemble des montants de préjudices tels qu’estimés par [U] [P], basés principalement sur des coefficients multiplicateurs qui lui paraissent très excessifs et sur des hypothèses de réussite largement supérieures aux données présentes, et même antérieures, de la profession artistique et des résultats et perspectives actuels de l’industrie phonographique.
La cour ne peut que souscrire à cette appréciation, et la démesure des demandes formées par [U] [P] a de manière certaine joué un rôle non négligeable, bien que non exclusif, sur l’allongement de la procédure, étant rappelé que c’est lui qui a sollicité une expertise en 2008 et pris l’initiative du pourvoi contre l’arrêt du 16 mai 2013, pourvoi qui a été intégralement rejeté au motif qu’il tendait exclusivement à remettre en cause les évaluations opérées par la cour en son arrêt du 16 mai 2013.
Aucun préjudice moral postérieur à l’arrêt du 20 mars 2008 n’est ainsi démontré.
– Sur les autres demandes :
Les provisions versées, pour le montant non contesté de 285 000 euros, devront être déduites des sommes allouées.
Le principe de l’obligation d’indemniser pesant sur Sony n’étant pas remis en question, Sony supportera les dépens de la présente instance, étant observé que la cassation partielle prononcée par l’arrêt du 20 novembre 2014 n’a pas atteint les dispositions relatives aux dépens de l’arrêt partiellement cassé.
La présente instance ayant pour origine la cassation partielle prononcée sur le pourvoi incident de Sony, il n’y a pas lieu d’accueillir les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Vu les arrêts de la cour de Versailles du 20 mars 2008, du 16 mai 2013 partiellement cassé, et du 3 juillet 2014,
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2014 portant cassation partielle de l’arrêt de la cour de Versailles du 16 mai 2013,
Fixe ainsi qu’il suit les préjudices causés à M. [B] [T] dit [U] [P] par le dépôt de plainte fautif de la société Sony BMG Music Entertainment France le 18 juin 2002, après application du taux de perte de chance de 50 % :
* Préjudices professionnels :
pertes de droits d’auteur sur le spectacle vivant13 788,75 euros
pertes de droits d’auteur sur les CD et DVD studio de la comédie musicale41 186,50 euros
droits d’auteur sur les CD et DVD live de la comédie
musicale20 593,00 euros
* Préjudices de carrière et de rétablissement de carrière :
perte de droits d’auteur32 150,00 euros
perte de cachets d’artiste interprète et pertes des premières tournées ‘âge tendre et tête de bois’100 000,00 euros
perte des redevances de production et de droits d’éditionrejet
indemnité de rétablissement250 000,00 euros
Condamne la société Sony BMG Music Entertainment France à payer lesdites sommes, en deniers ou quittance, déduction faite des provisions versées pour 285 000 euros,
Déboute M. [B] [T] dit [U] [P] du surplus de ses demandes indemnitaires,
Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Sony BMG Music Entertainment France aux dépens de la présente instance, avec recouvrement direct.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Véronique BOISSELET, Président et par Madame Lise BESSON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,