Contrat d’agent commercial : 29 juin 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 22/01213

·

·

Contrat d’agent commercial : 29 juin 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 22/01213

29 juin 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
22/01213

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2e chambre sociale

ARRET DU 29 JUIN 2022

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/01213 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PKVN

ARRET N°

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 04 FEVRIER 2022

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS N° RG F 21/00125

APPELANT :

Monsieur [M] [Y]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représenté par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représenté par Me Patrick DAHAN, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMES :

Maître [W] [H] ès qualité de liquidateur de la S.A.S. A&F CONSTRUCTION

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Gladys GOUTORBE, avocat au barreau de MONTPELLIER de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat au barreau de MONTPELLIER

Association AGS CGEA DE TOULOUSE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me CHATEL avocat pour Me Delphine CLAMENS-BIANCO, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 MAI 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Jean-Pierre MASIA, Président

Monsieur Richard BOUGON, Conseiller

Madame Leïla REMILI, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Jean-Pierre MASIA, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

**

FAITS ET PROCEDURE

En tant qu’administrateur et représentant de la société commerciale de droit espagnol Tremplin SL, Monsieur [M] [Y] a signé, le 11 mai 2012, avec la société commerciale de droit espagnol Forcimsa Empresa Constructora un ‘accord d’assistance et d’intermédiation’, prévoyant que le premier en tant qu’intermédiaire réalise pour l’entreprise des opérations de recherche et de captation de clients des activités de cette dernière dans le secteur de l’ingénierie, de la construction et du bâtiment.

Le 15 janvier 2014, Monsieur [M] [Y], en qualité d’administrateur et représentant de la société Tremplin SL, a conclu le même type d’accord avec la Sarl Forbat, société de droit français, spécialisée dans le bâtiment.

Le 1er janvier 2017, la Société Forbat, représentée par son président Monsieur [K] [A] et la société Tremplin SL, représentée par Monsieur [M] [Y] en sa qualité de gérant, ont conclu un ‘mandat commercial’ prévoyant notamment que la seconde s’engage à ‘réaliser les objectifs suivants : fidéliser la clientèle déjà existante et prospecter de nouveaux clients potentiels afin de conquérir de nouvelles parts de marché pour favoriser l’augmentation du chiffres d’affaire de l’entreprise en diversifiant de plus en plus une nouvelle clientèle’.

Le 1er janvier 2020, la société Forbat a fusionné avec la société A&F Construction, spécialisée dans les structures en béton armé.

Le 24 mars 2021, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de cette nouvelle société qui a ensuite fait l’objet d’un plan de cession totale le 28 juillet 2021 puis d’une liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Béziers du 15 septembre 2021.

Le 26 mars 2021, Monsieur [M] [Y] a adressé à la société A&F Construction une lettre recommandée, indiquant prendre acte de la rupture du contrat de travail.

Le 15 avril 2021, Monsieur [M] [Y] a formé une demande de convocation de Maître [W] [H] et de l’Unedic Ags Cgea de Toulouse devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes afin d’obtenir diverses indemnités en conséquence d’un licenciement sans cause réelle sérieuse par la Sas A&F Construction.

Par jugement du 4 février 2022, le conseil de prud’hommes de Béziers :

-constate que Monsieur [M] [Y] a signé un contrat d’agent commercial

-dit que Monsieur [M] [Y] n’apporte pas la preuve d’un lien de subordination pouvant déboucher sur un contrat de travail de droit commun

-déboute Monsieur [M] [Y] de l’intégralité de ses demandes

-renvoie cette affaire devant le tribunal de commerce de Montpellier

-dit que l’équité en l’état du dossier ne permet pas de faire droit aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

-dit que les dépens s’il en est exposé seront supportés par chaque partie en ce qui les concernent.

C’est le jugement dont Monsieur [M] [Y] a régulièrement interjeté appel.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 13 mai 2022, Monsieur [M] [Y] demande à la cour de :

-Réformer le jugement du conseil de prud’hommes de Béziers en date du 4 février 2022,

-Juger que Monsieur [Y] était bien titulaire d’un contrat de travail et que le conseil de prud’hommes de Béziers était bien compétent pour connaître du litige,

-Débouter Maître [H] de sa demande visant à déclarer nulle la requête introductive d’instance,

-Juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est fondée et doit s’analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-Fixer la créance du salarié au passif de la procédure collective à hauteur de :

-48 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-18 000 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis

-1800 € au titre des congés payés sur le préavis

-14 333,33 € à titre de rappel de salaire outre 3553,83 € au titre des congés payés y afférents

-36 000 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

-52 000 € à titre de rappel de prime biannuelle, outre 5200 € au titre des congés payés y afférents

-Enjoindre à Maître [H] à remettre au salarié les documents de rupture ainsi que le bulletin de salaire rectifiés

-Condamner l’employeur aux frais d’instance, de notification et d’exécution s’il y a lieu ainsi qu’au paiement de la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 6 mai 2022, Maître [W] [H], en qualité de mandataire liquidateur de la Sas A&F Construction, demande à la cour de :

In limine litis,

– ECARTER des débats les pièces non traduites en langue française : pièces adverses n° 1, 6, 7, 11, 1s1 bis, 11 ter, 11 quater, 11 quinquies, 11 sexies, 11 septies, 19, 20, 21, 22 ;

– CONSTATER que Monsieur [Y] a signé un contrat de mandat commercial le 1er janvier 2017 et qu’il existe une présomption de non-salariat ;

– JUGER que Monsieur [Y] ne rapporte pas la preuve d’une subordination permanente et d’une autorité de la société A&F CONSTRUCTION ;

– CONFIRMER le jugement d’incompétence rendu le 4 février 2022 par le Conseil de prud’hommes de BEZIERS ;

En conséquence,

– SE DECLARER matériellement incompétente pour connaître du présent litige au profit du Tribunal de Commerce de MONTPELLIER tel qu’il est prévu dans le contrat de mandat commercial ;

– INVITER Monsieur [Y] à mieux se pourvoir;

– CONDAMNER Monsieur [Y] au paiement de la somme de 3950 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile entre les mains de Maître [W] [H], es qualité de Mandataire Liquidateur de la société A&F CONSTRUCTION ;

– LE CONDAMNER aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées et déposées au RPVA le 2 mai 2022, l’Unedic Délégation Ags Cgea de Toulouse demande à la cour de :

CONFIRMER le jugement attaqué,

En ce sens :

CONSTATER qu’il n’y a pas de véritable contrat de travail,

DIRE ET JUGER la Juridiction de céans incompétente, au profit du Tribunal de commerce,

DEBOUTER Monsieur [Y] de l’ensemble de ses demandes,

METTRE hors de cause l’UNEDIC CGEA de TOULOUSE.

En tout état de cause,

CONSTATER que la garantie de l’AGS est plafonnée toutes créances avancées pour le compte du salarié à l’un des trois plafonds définis par l’article D. 3253-5 du Code du travail,

EXCLURE de la garantie AGS les sommes éventuellement fixées au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, dépens et astreinte,

DIRE que toute créance sera fixée en brut et sous réserve de cotisations sociales et contributions éventuellement applicables, conformément aux dispositions de l’article L. 3253-8 in fine du Code du travail,

DONNER ACTE au CGEA de ce qu’il revendique le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan des conditions de la mise en ‘uvre du régime d’assurance de créances des salariés que de l’étendue de ladite garantie.

Pour l’exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.

A l’audience du 17 mai 2022, le conseil de Maître [W] [H] a indiqué ne plus soutenir la demande de retrait des pièces.

MOTIFS

En application de l’article L. 1411-1 du code du travail, la compétence du conseil de prud’hommes est subordonnée à l’existence d’un contrat de travail.

Il résulte des articles L.1221-1 et L.1221-2 du même code que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

En l’absence d’un contrat de travail écrit, c’est à celui qui allègue l’existence d’un tel contrat d’en rapporter la preuve. Le contrat de travail se caractérise par un lien de subordination juridique qui consiste pour l’employeur à donner des ordres, à en surveiller l’exécution et, le cas échéant, à en sanctionner les manquements.

Monsieur [M] [Y] fait valoir que, malgré la dénomination des contrats intervenus successivement avec les différentes sociétés et, en dernier lieu, avec la société A&F Construction, il a toujours été soumis à un lien de subordination, le statut d’indépendant n’étant que fictif.

Il convient de rappeler en effet que l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

Toutefois, l’article L. 8221-6 du code du travail prévoit que sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription (…) 3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés.

Or, précisément en l’espèce, le mandat commercial a été conclu entre la société Tremplin SL, dont l’objet social est l’intermédiation commerciale, représentée par son dirigeant Monsieur [M] [Y], la société étant immatriculée auprès du registre des sociétés de Barcelone depuis le 22 mars 2012. Il existe donc en l’espèce une présomption de non-salariat et il appartient à Monsieur [M] [Y] de démontrer qu’il a fourni des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui le plaçait dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Pour démontrer l’existence d’un lien de subordination, Monsieur [M] [Y] fait valoir :

-qu’il a perçu pendant des années et de la part de la seule société Forbat puis de A&F Construction les mêmes sommes qui constituaient en réalité des salaires en contrepartie non pas de prestations de service mais du fait de sa fonction de directeur commercial présent à temps complet dans les locaux de l’entreprise, intégré au sein de l’effectif et traité comme le reste du personnel,

-qu’elle s’évince de la réalité des conditions d’exercice de la relation de travail et des centaines de courriels qu’il verse aux débats qui permettent de constater qu’il recevait constamment des directives de la direction.

Il est produit tout d’abord des factures établies par la société Tremplin SL gérée par Monsieur [M] [Y] pour des honoraires de 6000 € par mois à partir de janvier 2017. Cependant, en soi la perception de sommes fixes mensuelles pendant plusieurs années, ne caractérise par le versement d’un salaire.

Par ailleurs, le fait que Monsieur [M] [Y] ait eu la qualité de ‘directeur commercial’, qu’il ait été intégré à l’équipe de la société mandante, ou encore qu’il ait bénéficié des moyens mis à disposition par celle-ci (adresse mail, bureau, ordinateur notamment) est insuffisant, dès lors qu’il ne ressort en rien des éléments produits que l’appelant était soumis à une quelconque contrainte d’horaires, de temps, d’organisation de son travail.

Si quelques courriels ont été adressés à Monsieur [M] [Y] concernant les demandes de congés du personnel et des questions de ressources humaines dans la société, il n’est pas démontré que ces messages l’auraient concerné directement dans sa propre activité puisque l’appelant ne produit absolument aucune demande de congé, ni aucun échange quel qu’il soit avec la direction des ressources humaines pendant toutes ces années.

Par ailleurs, la cour ne voit pas en quoi le fait que Monsieur [M] [Y] ait eu en charge, outre des missions commerciales et de prospection immobilière, des activités concernant la communication visuelle de l’entreprise, les cadeaux aux clients, les cartes de voeux annuelles etc., en ferait un salarié et non un mandataire commercial, dès lors que le contrat de mandat prévoyait comme objectif principal de fidéliser la clientèle.

De plus, les très nombreux courriels produits ne démontrent pas que Monsieur [M] [Y] aurait été sous la subordination hiérarchique de Monsieur [A], gérant puis président de la société Forbat puis dirigeant de la société A&F Construction, ni de celle de Monsieur [P] puis Monsieur [L], directeurs techniques de Forbat ou encore de Monsieur [V], président de la Sas A&F Construction.

Le fait que Monsieur [M] [Y] ait dû obtenir l’aval du responsable l’opération concernant les prix et les appels d’offres pour les chantiers, qu’il lui ait été demandé d’accomplir diverses diligences (prendre contact, télécharger un dossier) ou de participer à des réunions, ou encore qu’il lui ait été rappelé des dates à tenir, sont parfaitement en cohérence avec l’exécution du mandat et ne permettent pas de caractériser l’existence d’un lien de subordination, dès lors qu’il ne ressort des nombreux échanges aucun rapport d’autorité, de contrôle de l’exécution de son activité ainsi que d’un quelconque pouvoir de sanction des manquements d’un subordonné.

L’appelant pointe par exemple un courriel du 17 mars 2020 adressé par Monsieur [E] [L] commençant ainsi ‘[M], tu trouveras ci-dessous le programme prévu pour la période de confinement’ mais aucun des éléments y figurant ensuite ne concerne le travail personnel de Monsieur [M] [Y].

Le courriel du 3 juillet 2020 ne contient aucun ordre, directive ou organisation d’un travail imposée à Monsieur [M] [Y] mais constitue une ‘vision’ des chantiers à venir.

Dans un courriel du 30 septembre 2020, Monsieur [L] félicite ‘l’équipe service étude’ d’avoir atteint les objectifs 2020 mais ce message n’est pas adressé directement à Monsieur [M] [Y], qui ne le lit qu’en copie.

De même, par courriel du 17 novembre 2020, Monsieur [I] [V], président de la nouvelle société A&F Construction, ne fait qu’adresser à Monsieur [M] [Y] les références d’une consultation sur la commune de [Localité 5], pour étude.

Ainsi, les nombreux courriels produits desquels ne ressort que l’existence d’une relation d’intermédiation commerciale mais également le témoignage de Monsieur [C] [O] qui a pu croire que Monsieur [M] [Y] était salarié de l’entreprise ou encore l’attestation de déplacement délivrée pour les besoins de circulation pendant la période de crise sanitaire ne permettent pas de démontrer que l’appelant était, dans le cadre de l’exercice de son activité avec la société Forbat puis la société A&F Construction, dans un lien de subordination juridique.

Il convient donc de confirmer la décision du conseil de prud’hommes de Béziers qui a justement considéré que la preuve de l’existence d’un contrat de travail avec la société A&F Construction n’était pas rapportée et qui s’est déclaré incompétent.

Monsieur [M] [Y] sera condamné aux dépens mais l’équité ne commande pas d’allouer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 4 février 2022 par le conseil de prud’hommes de Béziers,

Ordonne le renvoi de l’affaire et la transmission du dossier au tribunal de commerce de Montpellier,

Dit n’y avoir lieu à appliquer l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [M] [Y] aux dépens de l’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x