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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRÊT DU 08 Mars 2023
(n° 2023/ , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/05984 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF4YN
Décision déférée à la Cour :
– Jugement du 14 décembre 2015 rendu par le conseil de prud’hommes de Paris – RG n° F13/07489
– Arrêt du 10 novembre 2016 rendu par la cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 8 – RG n°S 16/01372
– Arrêt du 27 Juin 2018 rendu par la Cour de Cassation – Pourvoi n° V 17-10.275 et X 17-10.392
APPELANT
M. [U] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Joyce KTORZA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0053
INTIMÉE
Société FRANCE TELEVISIONS
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R271
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 24 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. [U] [L] a été engagé par la société France télévisions, qui vient aux droits de la société France 3, en qualité de chef opérateur prise de vue (également dénommé cadreur cameraman), dans le cadre de contrats à durée déterminée d’usage successifs à compter du 29 avril 1991 et jusqu’au 10 janvier 2016, la société France télévisions ayant cessé de faire appel au salarié.
Le 28 mai 2013, le salarié et le syndicat SNRT-CGT France télévisions (le syndicat) ont saisi la juridiction prud’homale pour demander la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, la résiliation judiciaire du contrat de travail, la fixation du salaire de base et la condamnation de la société à payer diverses sommes au salarié à titre d’indemnité de requalification, de rappel de salaires et congés payés afférents, de prime d’ancienneté et congés payés afférents, de prime de fin d’année, de mesures France télévisions (FTV), indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement conventionnelle, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des dommages-intérêts pour le syndicat, un article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Par jugement du 14 décembre 2015, le conseil de prud’hommes de Paris a :
– requalifié les CDD successifs en CDI à temps partiel ayant pris effet dès l’origine pour un temps de travail de 31%,
– fixé le salaire à la somme de 863 euros,
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail,
– condamné l’employeur à payer diverses sommes au salarié à titre d’indemnité de requalification (1 726 €), rappel de prime d’ancienneté (8 966,44 €) et congés payés afférents (896,64 €), prime de fin d’année (2 962,36 €), mesures FTV (337,28 €), indemnité compensatrice de préavis (2 589 €) et congés payés afférents (258,90 €), indemnité de licenciement (17 260 €), indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12 945 €),
– condamné l’employeur à payer au syndicat des dommages et intérêts.
Par arrêt du 10 novembre 2016, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement sur la requalification de la relation de travail en CDI dès l’origine, et sur la condamnation de la société au paiement des dépens et dommages-intérêts au profit du syndicat.
L’infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, la cour d’appel a :
– requalifié la relation de travail en CDI à temps complet à compter du 29 avril 1991,
– fixé le salaire de base à la somme de 2 522 €,
– condamné l’employeur à payer au salarié les sommes de 11 366 € à titre de rappel de salaires, 1 136 € de congés payés afférents, 15 000 € au titre de l’indemnité de requalification, 28 924 € à titre de rappel de prime d’ancienneté mais rejeté la demande de congés payés afférents, 2 892 € de congés payés afférents, 9 556 € au titre du rappel de prime de fin d’année et 1 088 € au titre des « mesures FTV »,
– débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et des demandes subséquentes,
– condamné l’employeur aux dépens d’appel et à payer des sommes par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
M. [L] et le syndicat ont formé un pourvoi en cassation le 9 janvier 2017.
Par arrêt du 27 juin 2018, la Cour de cassation a rendu la décision suivante :
« CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société France télévisions à payer à M. [L] les sommes de 11 366 euros à titre de rappel de salaire, 1 136 euros de congés payés afférents, 28 924 euros à titre de prime d’ancienneté, 2 892 euros de congés payés afférents et 9 556 euros à titre de prime de fin d’année, l’arrêt rendu le 10 novembre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ; »
Les motifs de l’arrêt sont les suivants :
« Vu les articles L. 1245-1 et L. 3123-14 en sa rédaction alors applicable du code du travail, ensemble les articles 1134 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 1315 devenu 1353 du code civil ;
Attendu que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; que réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ;
Attendu que pour fixer le salaire de base à la somme de 2 522 euros correspondant à un temps complet et condamner l’employeur à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaires et congés payés afférents, indemnité de requalification, prime d’ancienneté et congés payés afférents, prime de fin d’année et mesures France télévisions, l’arrêt retient que les contrats à durée déterminée ne satisfaisaient pas aux conditions de l’article L. 3123-14, qu’ainsi, il y a lieu de vérifier si l’employeur mettait le salarié en mesure de prévoir ses conditions de travail, sans que celui-ci ait besoin de se tenir en permanence à sa disposition, mais que le salarié expose et justifie qu’il n’était jamais prévenu utilement à l’avance par l’employeur, de ses jours comme de ses horaires de travail, qu’aucun planning ne lui était, de même, communiqué à l’avance de sorte qu’il lui était impossible de connaître son rythme de travail et ses périodes de repos, les périodes de travail étant susceptibles d’être prolongées au dernier moment, qu’enfin, ses jours et heures de travail étaient dépourvus de toute régularité, ce qui ajoutait à l’imprévisibilité voire l’incertitude de ses conditions de travail, que la circonstance selon laquelle le salarié aurait disposé d’emplois auprès d’autres sociétés de production ne démontre nullement qu’il ne se tenait pas à la disposition de l’employeur, qu’en effet, si les déclarations fiscales mentionnent, il est vrai, quelques rémunérations perçues auprès d’autres employeurs, la faible importance de celles-ci n’est pas de nature à remettre en cause la disponibilité que le salarié devait conserver prioritairement en faveur de l’employeur de qui il tirait la plus grande partie de ses salaires ;
Qu’en se déterminant ainsi, alors que le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée à temps complet, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles séparant chaque contrat que s’il prouve s’être tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail, la cour d’appel qui n’a pas caractérisé, comme elle y était invitée, si le salarié établissait s’être effectivement tenu à la disposition de l’employeur durant les périodes pendant lesquelles il avait travaillé auprès d’autres sociétés de production, a privé sa décision de base légale ;
Et attendu que la cassation sur le moyen unique du pourvoi de l’employeur entraîne, en application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositifs critiqués par le premier moyen du pourvoi du salarié ; » ;
M. [L] a saisi la cour d’appel de Paris en date du 3 août 2018.
Par arrêt du 21 octobre 2020, l’affaire a fait l’objet d’un retrait du rôle.
L’affaire a été rétablie le 16 juin 2022 et appelée à l’audience collégiale du 24 janvier 2022.
Lors de l’audience et par conclusions régulièrement déposées le 2 octobre 2018, M. [L] demande à la cour :
« – Dire et juger que Monsieur [U] [L] s’est tenu à la disposition de la Société France Télévisions pendant les périodes interstitielles,
– Condamner la Société France Télévisions à verser à Monsieur [U] [L] les sommes suivantes :
. à titre de rappel de salaire : 11 366 €
. à titre de congés payés afférents : 1 136 €
. à titre de rappel sur prime d’ancienneté : 28 924 €
. à titre de rappel sur prime de fin d’année : 9 556 €
– Condamner la Société France Télévisions à verser à Monsieur [U] [L] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, pour la présente procédure d’appel : 7 000 €
– Condamner la Société France Télévisions aux dépens. »
Lors de l’audience et par conclusions régulièrement déposées le 18 août 2022, la société France télévisions demande à la cour :
« CONSTATER que Monsieur [L] échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de ce qu’il se serait tenu à la disposition de la société FRANCE TELEVISIONS au cours des périodes interstitielles ;
DECLARER ET JUGER Monsieur [L] irrecevable en tous cas mal fondé en son appel et le débouté de l’ensemble de ses demandes ;
En conséquence,
CONFIRMER le jugement entrepris, en ce qu’il a débouté Monsieur [L] de ses demandes de rappel de salaire,
CONDAMNER Monsieur [L] à régler à la société FRANCE TELEVISIONS la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER Monsieur [L] aux entiers dépens. »
Lors de l’audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s’en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l’affaire a alors été mise en délibéré à la date du 15 septembre 2020 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)
MOTIFS
Vu le jugement du conseil de prud’hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l’audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur le maintien à disposition du salarié pendant les périodes interstitielles
Il incombe au salarié de rapporter la preuve de son maintien à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles.
Les déclarations de revenus versées aux débats (pièce salarié n° 5) montrent que M. [L] percevait des rémunérations auprès de différents employeurs et pour la société France Télévisions à hauteur de 22% de son revenu salarial total perçu en 2008, 74% en 2009, 70% en 2010, 75% en 2011, 0% en 2012 et 45% de celui perçu en 2013.
Si l’examen des bulletins de salaires de M. [L] (pièce salarié n° 1) sur toute sa collaboration en contrat de travail à durée déterminée démontre qu’il ne travaillait jamais les mêmes jours d’une semaine sur l’autre ni les mêmes semaines d’un mois sur l’autre, cela ne permet ni d’établir qu’il était informé au dernier moment, ni qu’il se tenait à disposition de la société France Télévisions notamment pendant les périodes au cours desquelles il a travaillé pour d’autre employeurs.
Il en est de même des courriers électroniques d’envoi des plannings (pièce salarié n° 11) et le courrier électronique de la responsable des relations humaines (pièce salarié n° 12) et du calendrier des jours travaillés (pièce salarié n° 13) que M. [L] produit et qui ne démontrent aucunement qu’il était informé au dernier moment, ni qu’il se tenait à disposition de la société France Télévisions notamment pendant les périodes au cours desquelles il a travaillé pour d’autre employeurs.
Contrairement à ce qu’il allègue, M. [L] ne démontre pas qu’il était contacté par téléphone, que ses dates lui étaient données oralement et qu’elles étaient modifiées en permanence par l’employeur ni que ses contrats lui étaient remis après l’échéance du contrat à durée déterminée ou le jour-même du début du contrat.
Sa demande de rappels de salaires pour les périodes interstitielles est en conséquence rejetée.
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur le rappel de prime d’ancienneté
Selon l’article V4-4 de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles, une prime d’ancienneté, proportionnelle au salaire de référence du groupe de qualification du salariée, d’une part, au nombre d’années d’ancienneté, d’autre, part s’ajoute à l’élément de rémunération déterminé par le niveau indiciaire. Le taux de cette prime d’ancienneté est fixé à :
– 0,8% jusqu’à vingt ans
– 0,5% de 21 à 30 ans
sans pouvoir excéder 21% du salaire de référence.
M. [L] sollicite un rappel de prime d’ancienneté sur la période du 1er juin 2011 allant jusqu’au 30 juin 2016.
Il bénéficie d’une ancienneté depuis le 5 octobre 1988, date d’effet de la requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.
Il invoque le taux de prime applicable à la qualification B21-1 et produit le décompte suivant sur lequel la société France Télévisions ne formule aucune observation, l’employeur ne concluant pas sur la prime d’ancienneté :
– du 01/06/2008 au 30/04/2009 = 293,328 € x Il mois = 3 226 €
– du 01105/2009 au 30/04/2010 = 253,406 € x 12 mois = 3 040 €
– du 01/ 512010 au 30/04/2011 = 267,484 x 12 mois = 3 209 €
– du 01/05/2011 au 30/09/2012 = 281,562 x 12mois = 3 378 €
– du 01/05/2012 au 31/12/2012 = 290,361 x 8 mois = 2 322 €
– du 01101/2013 au 30/04/2013 = (20,6 x 20 ans x 4 mois) + (12,875 € x 4 mois) = 1 699 €
– du 01/05/2013 au 30/04/2014 = (20,6 x 20 ans x 12 mois) + (12,875 x 2 an x 12 mois) =5 253 €
– du 01/05/2014 au 30/04/2015 = (20,6 € x 20 ans x 12 mois) + (12,875 x 3 ans x 12 mois) = 5 407 €
– du 01/05/2015 au 30/07/2015 = (20,6 € x 20 ans x 3 mois) + (12,875 € x 4 ans x 3 mois) = 1 390 €
soit un total de : 28 924 €
Il convient de soustraire à ce total la somme qu’il a perçue par lui aux termes du jugement du conseil de prud’hommes de Paris soit : 28 924 € – 8 966,44 € = 19 957,56 €.
En conséquence, il sera fait droit à la demande et il sera alloué à M. [L] la somme de 19 957,56 € en sus de celle 8 966,44 € allouée par le conseil de prud’hommes, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société France Télévisions de la convocation devant le bureau de jugement adressée par le greffe du conseil de prud’hommes de Paris.
Il sera ajouté au jugement de ce chef.
La demande de congés payés afférents est en revanche rejetée au motif que la prime d’ancienneté est déconnectée du temps de travail effectif et elle est d’ailleurs versée chaque mois tout au long de l’année aux salariés, y compris donc pendant les périodes de congés payés, et elle n’est par voie de conséquence pas incluse dans l’assiette des congés payés.
Sur la prime de fin d’année
M. [L] sollicite la somme de 9 956 € euros de prime de fin d’année sans préciser la période concernée ni préciser le mode de calcul appliqué.
Il invoque certes un protocole d’accord du 24 juin 2003 mais ne décline pas sa demande sur une période définie de sorte que la cour n’est pas en mesure d’en apprécier le bien-fondé.
La demande est en conséquence rejetée. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société France télévisions est condamnée aux dépens de renvoi sur cassation et au paiement de la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant sur renvoi de cassation,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société France Télévisions à payer à M. [L] la somme de 2 962,36 euros de rappel de prime de fin d’année,
Statuant sur le chef infirmé,
DÉBOUTE M. [L] de sa demande de rappel de prime de fin d’année,
CONFIRME le jugement sur les autres chefs qui lui sont soumis,
Y ajoutant
CONDAMNE la société France Télévisions à payer à M. [L] la somme complémentaire de 19 957,56 € euros à titre de rappel de prime d’ancienneté, avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société France Télévisions de la convocation devant le bureau de jugement adressée par le greffe du conseil de prud’hommes de Paris.
DÉBOUTE M. [L] de sa demande formée au titre des congés payés afférents à la prime d’ancienneté ;
CONDAMNE la société France Télévisions à payer à M. [L] la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société France Télévisions aux dépens d’appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT