Contrat à durée déterminée d’usage : 5 juillet 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/00550

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Contrat à durée déterminée d’usage : 5 juillet 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/00550
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ARRET

N° 523

S.A.S. ADVENTURE LINE PRODUCTIONS (ALP)

C/

[I]

[I]

[I]

Caisse CPAM DE L’AISNE

COUR D’APPEL D’AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 05 JUILLET 2022

*************************************************************

N° RG 21/00550 – N° Portalis DBV4-V-B7F-H7K6

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LAON (Pôle Social) EN DATE DU 07 janvier 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

La S.A.S. ADVENTURE LINE PRODUCTIONS (ALP) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

23 rue Linois

75015 PARIS

Représentée par Me Aurélie GUYOT, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 80, postulant et plaidant par Me Cédric FISCHER du cabinet FTMS Avocats, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

Madame [V] [I] agissant en son nom et en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [W] [I] décédé le 09 Mars 2015

Les Culleries

02400 BRASLES

Monsieur [D] [I] agissant en son nom et en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [W] [I] décédé le 09 Mars 2015

Les Culleries

02400 BRASLES

Monsieur [W] [I] agissant en son nom et en sa qualité d’ayant droit de Monsieur [W] [I] décédé le 09 Mars 2015

Les Culleries

02400 BRASLES

Assistés et plaidant par Me BUSY substituant Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

La CPAM DE L’AISNE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

29 Boulevard Roosevelt

02323 SAINT QUENTIN CEDEX

Représentée et plaidant par Mme Fozia MAVOUNGOU dûment mandatée

DEBATS :

A l’audience publique du 08 Mars 2022 devant Mme Chantal MANTION, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 14 Juin 2022.

Le délibéré de la décision initialement prévu au 14 Juin 2022 a été prorogé au 05 Juillet 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme [B] [U]

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme [C] [M] en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Madame Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 05 Juillet 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, Madame Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

[W] [I] a été embauché par la société Adventure Line Production (ALP) suivant contrat à durée déterminée d’usage en qualité de chef OPS/ingénieur du son, du 28 février au 13 mars 2015, dans le cadre de la réalisation de l’émission ‘ Dropped 2015″ prévue à Ushuaïa et La Rioja en Argentine.

Le 9 mars 2015, [W] [I] est décédé dans la collision de deux hélicoptères en cours de tournage avec 9 autres victimes.

La caisse primaire d’assurance maladie de l’Aisne a pris en charge le décès au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 12 mai 2015, Mme [V] [I], veuve de [W] [I], se voyait attribuer par la caisse une rente mensuelle de 2634,57 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 mars 2017, Mme [V] [I], MM [D] et [W] [I], agissant tant en leur nom propre qu’en qualité d’ayants droits de leur conjoint et père, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Laon aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, la société ALP.

Le dossier a été transmis au tribunal de grande instance devenu tribunal judiciaire de Laon (Pôle social) qui par jugement du 7 janvier 2021 a :

– constaté la recevabilité de l’action de Mme [V] [I], MM [D] et [W] [I];

– dit que l’accident mortel survenu le 9 mars 2015 à [W] [I] est imputable à la faute inexcusable de l’employeur;

– dit que la rente attribuée à Mme [V] [I], sera majorée au maximum prévu par la loi;

– condamné la société Adventure Line Productions à payer à titre de dommages intérêts à Mme [V] [I] la somme de 30 000 euros et à MM. [D] et [W] [I], chacun la somme de 25 000 euros;

– condamné la société Adventure Line Production à payer aux ayants droits de [W] [I] pour son préjudice moral la somme de 6000 euros;

– dit que la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aisne assurera le paiement des indemnisations et pourra recouvrer les sommes versées à ce titre ainsi qu’au titre des majorations de rente auprès de l’employeur la société Adventure Line Production ;

– rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires;

– déclaré le jugement commun à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aisne;

– condamné la société Adventure Line Production à payer aux ayants droit de M. [W] [I] la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que les dépens seront supportés par la société Adventure Line Production ;

– ordonné l’exécution provisoire.

Le jugement lui ayant été notifié le 7 janvier 2021, la société Adventure Line Production a formé appel par déclaration reçue le 26 janvier 2021 au greffe de la cour.

Les parties régulièrement convoquées ont comparu à l’audience de la cour du 8 mars 2022 lors de laquelle elles ont développé leurs conclusions prélablement communiquées.

La société Adventure Line Production, appelante, demande à la cour de :

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Laon (Pôle social) en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant à voir ordonner le sursis à statuer et déclaré que l’accident du travail mortel survenu le 9 mars 2015 à [W] [I] à Villa Castelli dans la province de La Rioja est imputable à la faute inexcusable de la société de Adventure Line Production ;

Statuant à nouveau,

-surseoir à statuer jusqu’à l’issue de la procédure d’instruction ouverte du chef d’homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence;

Subsidiairement,

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Laon (Pôle social) le 7 janvier 2021 en ce qu’il a jugé que l’accident du travail mortel dont [W] [I] a été victime est imputable à la faute inexcusable de la société Adventure Line Production , ordonné la majoration de la rente du conjoint survivant, condamné la société Adventure Line Production à rembourser à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aisne l’ensemble des sommes dont elle sera amenée à faire l’avance en vertu du jugement ;

– juger que l’accident dont [W] [I] a été victime à La Rioja ( Argentine) le 9 mars 2015 n’a pas été causé par la faute inexcusable de la société Adventure Line Production ;

En toutes hypothèses

– débouter les consorts [I] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

– débouter la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aisne de ses demandes de remboursement contre la société Adventure Line Production.

Mme [V] [I], MM [D] et [W] [I], appelants incidents, demandent à la cour de :

– confirmer le jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable de la société Adventure Line Production ayant causé le décès de [W] [I] ;

– infirmer le jugement sur le quantum des dommages intérêts octroyés aux ayants droit de [W] [I] ;

Statuant à nouveau,

– juger que l’accident survenu le 9 mars 2015 est dû à la faute inexcusable de la société de Adventure Line Production ayant causé le décès de [W] [I] ;

En conséquence,

– ordonner la majoration au maximum des rentes accordées à Mme [V] [I], conjoint survivant de [W] [I] et à leurs enfants par la CPAM de l’Aisne au titre de l’accident dont a été victime [W] [I] ;

En outre,

– condamner la société Adventure Line Production à verser à titre de réparation du préjudice moral résultant du décès de [W] [I] les sommes de :

500 000 euros à Mme [V] [I],

250 000 euros à chacun de ses fils, [D] et [W] [I] ;

– fixer la réparation du préjudice moral de [W] [I] à la somme de 80 000 euros ;

– condamner la société Adventure Line Production à verser à Mme [V] [I], MM [D] et [W] [I] ensemble, la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Adventure Line Production aux entiers dépens.

La caisse primaire d’assurance maladie demande à la cour de :

A titre liminaire, sur la demande de sursis statuer,

– juger ce que de droit ;

A titre principal, sur la faute inexcusable de l’employeur,

– juger ce que de droit ;

En cas de confirmation de la faute inexcusable de l’employeur, sur la réparation des préjudices subis,

– juger ce que de droit concernant la réparation du préjudice moral de [W] [I] et de ses ayants droit ;

– confirmer le jugement rendu par le Pôle social du tribunal judiciaire de Laon en ce qu’il a :

– dit que la caisse fera l’avance de l’ensemble des réparations qui seront allouées à l’assuré et à ses ayants droit ;

– dit que la rente attribuée à Mme [V] [I] sera majorée au taux maximum prévu par la loi;

– condamné la société de Adventure Line Production au remboursement des sommes que la caisse devra verser aux ayants droit de [W] [I] en application des article L.452-2 du code de la sécurité sociale et de la jurisprudence de la cour de cassation.

Conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

Motifs:

1°) Sur la demande de sursis à statuer :

La société Adventure Line Production rappelle qu’à la suite de l’accident ayant entraîné le décès de [W] [I], pris en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels, ont été ouvertes:

– une enquête par le juge fédéral argentin,

– une enquête par le parquet de Paris,

– une enquête administrative menée par la Junta des Investigacion de Accidentes de Aviacion Civile (JIAAC) avec l’assistance du Bureau d’Enquêtes Accidents (BEA) français.

Les deux instructions ouvertes depuis en Argentine et en France sont toujours en cours et les consorts [I], comme les autres familles de victimes, se sont constitués parties civiles.

L’appelante estime qu’en se fondant sur les éléments partiels de l’instruction communiqués par les consorts [I], le tribunal a commis une erreur d’appréciation en retenant pour établie une faute de pilotage alors que depuis le jugement frappé d’appel, les juges d’instruction co-saisis ont poursuivi leurs investigations et qu’ils ont admis que les missions confiées à la société Expeditionary Solutions Sweden AB constituaient des mesures destinées à préserver les salariés et les participants des risques éventuellement encourus du fait du transport en hélicoptères, ayant renoncé à mettre en examen la société ALP.

L’appelant cite plusieurs arrêts de cours d’appel concernant l’accident dont certaines ont sursis à statuer, la société Adventure Line Production invoquant le risque de contradiction de décision dans le cas ou notre cour déciderait de passer outre.

Or, le risque de contradiction de décisions n’a pas lieu d’être retenu, la société Adventure Line Production citant plusieurs décisions rendues par des juridiction du fond relativement au même accident sans pour autant distinguer suivant que la victime avait ou non la qualité de salarié comme c’est le cas de [W] [I].

En effet, la situation juridique est différente s’agissant d’une part des personnes invitées à participer à l’émission ‘Dropped’ choisies en fonction notamment de leur notoriété de sportifs de haut niveau et s’agissant d’autre part des salariés de la société Adventure Line Production, comme c’est le cas de [W] [I], qui bénéficient de la protection offerte par les articles L452- 1 et suivants du code de la sécurité sociale.

Par ailleurs, les consorts [I] rappellent justement que la faute non intentionnelle au sens des dispositions de l’article 123-1 du code pénal est dissociée de la faute inexcusable au sens de l’article L452-1 du code de la sécurité sociale.

L’article 4-1 du code de procédure pénale dispose: ‘L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1241 du code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie.’

Ainsi, le fait accidentel n’étant pas contesté, le seul fait qu’une instruction pénale soit en cours ayant pour objet d’établir l’existence d’éventuelles responsabilités pénales est sans incidence quant au litige dont la cour est saisie.

Enfin, contrairement à ce qui est allégué par la société Adventure Line Production aucune atteinte n’est établie relativement au droit de la partie à un procès équitable, s’agissant de la production par les parties des pièces du dossier pénal dont l’appelante n’a pas demandé expressément le rejet, ayant elle même communiqué certaines pièces du dossier d’instruction.

2°) Sur la faute inexcusable:

L’article L452- 1 du code de la sécurité sociale dispose que : ‘ lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire’.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, en ce qui concerne les accidents du travail, étant tenu en application de l’article L4121-1 du code du travail de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ce texte précise que: ‘Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.’

Par ailleurs, l’article L4121-2 dans sa version applicable aux faits de l’espèce précise :

‘L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.’

La preuve de la faute inexcusable incombe au salarié sauf à retenir comme le soutiennent les intimés que [W] [I] étant titulaire d’un contrat de travail à durée déterminée, ils sont fondés à invoquer la présomption de l’article L4154-3 du code du travail qui dispose: ‘La faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n’auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l’article L. 4154-2″.

Sur ce point, la société Adventure Line Production réplique que [W] [I] n’a pas été affecté à un poste de travail relevant du texte précité, ce qui est contredit par les éléments du dossier.

En effet, [W] [I] était employé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée en qualité d’ingénieur du son et il n’est nullement démontré, ni même prétendu, qu’il aurait bénéficié d’une formation particulière relativement à sa mission dans les conditions de l’émission ‘Dropped’ dont la société Adventure Line Production a acquis les droits de la société de droit anglais Zodiak Rights Limited pour la France et certains territoires francophones, le jeu mis en scène mettant en présence deux équipes de quatre sportifs ou anciens sportifs, déposés dans un milieu sauvage et inhabité, sans aide à la navigation, le départ ce faisant en plusieurs rotations d’hélicoptères pour amener les équipes techniques et les concurrents sur les lieux de tournage.

La société Adventure Line Production indique qu’elle a eu recours pour le tournage à des techniciens aguerris, expérimentés et spécialement formés avec lesquels elle avait l’habitude de travailler sur des programmes similaires et que c’est à ce titre qu’elle a engagé [W] [I] en qualité de chef OPS/ ingénieur du son, niveau IIIA, N-Son ,statut cadre.

Toutefois, à le supposer établi, le fait d’avoir fait appel antérieurement à [W] [I], ne dispensait pas la société Adventure Line Production de le former à la prise de son dans des conditions de vol qui seront examinées ci-après.

Par ailleurs, la société Adventure Line Production indique qu’elle a veillé à s’entourer de professionnels réputés et compétents s’agissant de la société Sax Logistica, producteur exécutif argentin, de Expeditionary Solutions Sweden AB, spécialiste de la sécurité et la gestion des risques inhérents aux jeux d’aventure et Associated Emergency Medical Centers, spécialiste mondial de l’assitance médicale.

Or, les consorts [I] font valoir à juste titre que la société Adventure Line Production ne saurait s’exonérer de sa responsabilité d’employeur en se prévalant des contrats conclus avec des tiers alors que ces contrats ne peuvent avoir pour effet de déléguer la responsabilité de l’employeur telle qu’elle résulte du contrat de travail le liant à son salarié.

Pour échaper à sa reponsabilité d’employeur, la société Adventure Line Production entend démontrer qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver ses salariés.

Or, il ressort du rapport établi par la JIAAC assistée du BEA que: ‘Le 9 mars 2015, l’hélicoptère LQ-CGK devait réaliser des vols de transport de passagers et d’équipe de tournage depuis la localité de Villa Castelli à Quebrada del Yeso(…). La veille, la coopération de la direction de l’aéronautique de Santiago del Estero a été sollicitée avec son hélicoptère LQ-FJQ pour compléter l’activité.

Le jour de l’accident, chaque aéronef a réalisé trois vols, le pilote de LQ-CGQ responsable de la coordination de l’exercice, a informé le pilote de LQ-FJQ qu’ils allaient réaliser un vol supplémentaire au cours duquel, à bord de LQ-CGQ, des passagers allaient être transportés, et à bord de LQ-FJQ une équipe de caméramans et d’ingénieurs du son allaient être transportés pour filmer le vol.

Les pilotes des hélicoptères et le personnel de production ont fait le point sur l’exercice à réaliser: filmer pendant le vol de l’hélicoptère qui transportait des personnes participant au concours. Lors du briefing, il a été prévu d’effectuer après le décollage, un virage à 360°, un passage sur le lieu de décollage pour filmer depuis le sol, et le vol suivant vers le lieu prévu.

Le LQ-FJQ a décollé à 20h00 environ, pour réaliser l’exercice de tournage avec quatre passagers à bord ( un caméraman, un ingénieur du son et deux coordinateurs). Le LQ-FJQ a décollé 45 secondes après, avec quatre passagers à bord ( un caméraman et trois participants au concours).

Après le décollage, les deux aéronefs ont réalisé un vol à basse altitude au-dessus de la zone de décollage. Au bout de 2 minutes environ, et à l’ouest du point de départ, les aéronefs se sont heurtés en vol avant de chuter et de percuter le sol, entraînant un incendie et le décès de tous les occupants’.

Le travail d’investigation ainsi réalisé, notamment à partir de deux enregistrements vidéos de l’accident depuis le sol, a permis à la JIAAC de considérer comme établi le fait qu’au moment de l’impact au sol, les moteurs des deux hélicoptères étaient à pleine puissance et qu’il n’existe pas de preuve de problème technique dans aucun des deux hélicoptères pouvant avoir contribué à l’accident.

Les pilotes étaient titulaires de licences aéronautiques et possédaient les certificats médicaux aéronautiques pour réaliser les vols.

Néanmoins, aucun dossier de formation des pilotes pour des vols en formation comme celui qui a provoqué l’accident n’a été trouvé.

Les conditions météorologiques n’ont pas eu d’incidence sur la performance des aéronefs ni sur l’accident, même si la possibilité d’un éblouissement du pilote par le soleil est évoquée dans le rapport.

Le vol a été réalisé à basse altitude, avec une proximité entre les aéronefs pour le tournage.

Au moment de l’abordage, le LQ-CGQ se trouvait dans un angle mort du pilote LQ-FJQ.

De ces éléments, la JIAAC conclut que la localisation de l’hélicoptère (LQ-FJQ) du côté extérieur dans le parcours de deux aéronefs a limité de manière significative le contact visuel du pilote qui devait évoluer pour pouvoir filmer l’objectif (LQ-CGQ), un manque d’exercice formel d’évaluation des risques étant relevé eu égard au caractère inhabituel de l’opération de tournage en vol rapproché, ce qui n’a pas permis l’identification et l’analyse des dangers inhérents à une telle opération et l’adoption d’actions d’atténuation.

Pour contester sa responsabilité, la société Adventure Line Production a entendu se prévaloir du plan de sûreté et de sécurité qu’elle a fait établir par la société Expeditionary Solutions Sweden AB.

Or, ce plan de sûreté s’agissant des transports en hélicoptères/avions légers, précise uniquement que chaque aéronef utilisé a ses propres procédure d’urgence et que des intructions seront données pour embarquer et débarquer des avions étant précisé que les avions à hélice et les appareils à rotor de queue présentent le plus grand danger.

Ainsi, aucune indication, ni procédure n’a été envisagée et évaluée relativement à l’utillisation de deux hélicoptères en vol groupé avec l’impératif pour le caméraman embarqué dans l’un des appareils de permettre le tournage d’une séquence rapprochée avec l’appareil cible.

Par ailleurs, l’instruction en France a permis l’audition de M. [N] [K] officier de gendarmerie relativement à son expérience des appareils ‘Ecureuils’ utilisés sur le tournage et qui a pu visionner les vidéos de l’accident. Il confirme d’une part la nécessité d’avoir un briefing qui vise à organiser la patrouille et souligne que les manoeuvres successives des deux appareils laissent penser que l’appareil leader n’a pas été clairement identifié de telle sorte que dans les 5 secondes qui précèdent le crash, l’hélicoptère des candidats conserve sa trajectoire alors que l’ailier entame un virage à gauche et vient se mettre devant le leader, alors qu’il revenait à ce dernier d’initier l’évolution.

Dans cette configuration, M. [K] précise que le pilote ailier doit voir l’hélicoptère des candidats à sa gauche alors qu’il les a perdu de vue, car dans le cas contraire, il aurait stoppé sa manoeuvre.

Ainsi, l’audition de M. [K] confirme les conclusions de la JIAAC qui a relevé des lacunes dans la planification de l’opération qui a conduit à l’accident y compris le fait de ne pas avoir assuré l’utilisation du concept ‘ voir et éviter’ ou ‘voir et être vu’ destiné à permettre aux pilotes en formation groupée d’éviter les collisions, les observations à partir des vidéos et les analyses réalisées confirmant l’absence de manoeuvre d’évitement de la part des pilotes, les caractéristiques de la collision suggérant qu’ils n’ont pas eu le temps suffisant pour tenter une manoeuvre.

Par ailleurs, il ressort des éléments colligés par la JIAAC et corroborés par l’avis de M. [K] que la présence d’un caméraman dans l’hélicoptère LQ-CGQ situé à l’avant gauche assis de travers (sur le côté) prêt à enregistrer les passagers sur le siège arrière, tandis que dans l’hélicoptère LQ-FJQ la porte gauche était ouverte pour que le caméraman situé à l’arrière gauche puisse filmer le vol de l’autre aéronef et son environnement sans dévaloriser la qualité de l’image, ont contribué d’une part à réduire la visibilité du pilote et d’autre part à empêcher une bonne concentration des pilotes dans le cadre d’une manoeuvre en formation groupée à basse altitude destinée à permettre la prise d’images à distance rapprochée.

Dans ces conditions, la société Adventure Line Production qui ne pouvait pas ne pas avoir conscience du danger, n’a pas pris les mesures nécessaires pour évaluer le risque et sensibiliser ses équipes notamment les caméramans sur les précautions à respecter lors du vol, le recours à un second appareil commandé la veille du tournage confirmant l’impréparation de l’opération, les pièces produites par l’appelante relativement à la sécurité concernant exclusivement le transport de personnes et ne comportant aucune indication quant au mesures à prendre pour permettre de filmer les déplacements, le briefing des équipes le jour de l’accident ne faisant pas plus état des risques liés à l’utilisation de deux hélicoptères se déplaçant en formation groupée alors que ce type de vol est selon M. [K] particulièrement accidentogène.

En outre, le tribunal relève à juste titre que la société Adventure Line Production ne justifie pas d’une cause étrangère qui serait seule à l’origine de l’accident alors qu’il ressort du planning de la journée du 9 mars 2015 que les pilotes se sont vus demander des rotations aériennes au nombre de onze s’agissant du premier pilote et de dix s’agissant du second pilote, ces rotations ayant débuté à 7h le matin pour s’enchaîner de manière ininterrompue jusqu’à la rotation fatale à 20h.

Ainsi, le tribunal a justement écarté la cause étrangére alors qu’il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié et qu’il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concouru au dommage, s’agissant notamment d’une éventuelle faute de pilotage ou du non respect de la réglementation applicable en matière de vol groupé, invoqués par la société Adventure Line Production.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a retenu la faute inexcusable de la société Adventure Line Production avec toutes conséquences y attachées s’agissant notamment de la majoration de la rente du conjoint .

3°) Sur l’évaluation des préjudices complémentaires:

En vertu de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut demander à ce dernier la réparation de ses préjudices à la condition qu’ils ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

En outre, l’article L452-3 alinéa 2 du code de la sécurité sociale dispose qu’en cas d’accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L.434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente en vertu desdits articles peuvent demander à l’employeur réparation de leur préjudice moral.

Mme [V] [I] fait valoir qu’à la suite du décès de son conjoint depuis 30 ans, elle a présenté un syndrome dépressif réactionnel sèvère et des pathologies psychosomatiques associées, ayant dû revoir ses projets tant professionnels que personnels.

Elle produit une attestation de son médecin traitant en date du 1er février 2018 qui la suit depuis le 9 mars 2015 pour un syndrome dépressif réactionnel sévère justifiant un traitement médicamenteux très important et qui confirme les pathologies associées ( insomnie, eczéma).

M. [O] [T], psychologue, atteste la recevoir en consultation depuis le 7 décembre 2016.

Enfin, les proches attestent du désaroi de Mme [V] [I], aggravé par une situation matérielle devenue précaire, étant précisé que les sommes allouées ne peuvent compenser un préjudice économique mais seulement le préjudice moral du conjoint.

Ainsi, il y a lieu compte tenu de ce qui précède d’allouer à Mme [V] [I] la somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts.

S’agissant de MM [D] et [W] [I], les enfants respectivement âgés de 25 et 23 ans au jour du décès, le tribunal a tenu compte des éléments qui sont les mêmes que ceux soumis à notre cour et qui justifient de confirmer les dommages intérêts alloués soit 25 000 euros pour chacun des enfants.

Enfin, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué la somme de 6000 euros au titre du préjudice moral de [W] [I] lors du crash.

4°) Sur l’avance par la caisse et la récupération des sommes avancées:

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que la caisse assurera le paiement des indemnités allouées aux ayants droit et au titre de la majoration de la rente et qu’elle pourra récupérer ces sommes contre la société Adventure Line Production.

5°) Sur les frais et dépens:

Il paraît inéquitable de laisser à la charge des consorts [I] les sommes qu’ils ont dû exposer en appel non comprises dans les dépens. Il y a donc lieu de condamner la société Adventure Line Production à leur payer ensemble la somme de 5000 euros à titre de dommages intérêts.

Enfin, la société Adventure Line Production qui succombe sera condamnée aux entiers dépens postérieurs au 31 décembre 2018.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par décision rendue contradictoirement en dernier ressort par mise à disposition au greffe de la cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a évalué le préjudice moral de Mme [V] [I] à la somme de 30 000 euros;

Statuant à nouveau de ce chef,

Fixe le préjudice moral de Mme [V] [I] à la somme de 40 000 euros,

Y ajoutant,

Condamne la société Adventure Line Production à payer à Mme [V] [I] et MM. [D] et [W] [I], ensemble la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Adventure Line Production aux entiers dépens postérieurs au 31 décembre 2018.

Le Greffier,Le Président,

 


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