Contrat à durée déterminée d’usage : 30 juin 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 19/02447

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Contrat à durée déterminée d’usage : 30 juin 2022 Cour d’appel de Rouen RG n° 19/02447
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N° RG 19/02447 – 19/002672

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 30 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 31 Mai 2019

APPELANT :

Monsieur [S] [T]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représenté par Me Nathalie DEVILLERS-LANGLOIS, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Estelle HERVIEUX-DUVAL, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007368 du 29/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)

INTIMES :

S.A.S. SOMAP

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Josselin PESCHIUTTA, avocat au barreau de ROUEN

Me [L] [G] (SELARL AJ Associés) – Administrateur judiciaire de la S.A.S. SOMAP

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Josselin PESCHIUTTA, avocat au barreau de ROUEN

Me [P] [F] – Mandataire judiciaire de la S.A.S. SOMAP

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Josselin PESCHIUTTA, avocat au barreau de ROUEN

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 6]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

n’ayant pas constitué avocat

régulièrement assignée le 17/12/2021

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 01 Juin 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 01 Juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Juin 2022

ARRET :

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé le 30 Juin 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Du 5 novembre 2008 et au 20 septembre 2016, M. [S] [T] a été engagé par l’entreprise de travail temporaire Les Compagnons – CRIT et mis à la disposition de la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire (ci-après la société SOMAP) par le biais de 578 contrats de mission, principalement comme ouvrier d’exécution.

Par requête du 14 avril 2017, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen en requalification de sa relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, ainsi qu’en paiement de rappels de salaire et d’indemnités.

Par jugement du 31 mai 2019, le conseil de prud’hommes, en sa formation de départage, a débouté M. [T] de l’intégralité de ses demandes, dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement, dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, condamné M. [S] [T] aux entiers dépens de l’instance, rejeté toute demande plus ample ou contraire.

M. [T] a interjeté appel de cette décision les 21 et 25 juin 2019, les deux actes ayant été respectivement enrôlés sur les numéros RG 19/2447 et 19/2672.

Par jugement du 11 février 2020, le tribunal de commerce de Rouen a ouvert à l’encontre de la SAS SOMAP une procédure de redressement judiciaire, en désignant la SELARL AJ Associés, en la personne de M. [G] [L], en qualité d’administrateur judiciaire, et M. [F] [P] en qualité de mandataire judiciaire.

Par acte du 29 juillet 2020, M. [L], ès qualités, a accepté d’intervenir volontairement à la procédure.

Par exploits d’huissier du 14 décembre 2021, M. [T] a assigné en intervention forcée, M. [P], ès qualités, et l’Unedic Délégation AGS CGEA de [Localité 6].

Par jugement du 16 novembre 2021, le tribunal de commerce de Rouen a adopté un plan de redressement de la société d’une durée de dix ans en désignant en qualité de commissaire à l’exécution du plan M. [L].

Par conclusions remises le 16 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [T] demande à la cour, à titre principal, d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de l’intégralité de ses demandes, requalifier les contrats de travail à durée déterminée à partir du 4 novembre 2008 en contrat à durée indéterminée et à temps complet avec rétroactivement les avantages qu’aurait procuré le contrat à durée indéterminée, en conséquence, à titre principal condamner la société SOMAP à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaires du 4 novembre 2008 au 20 septembre 2016 sur la base d’un salaire mensuel brut de 2 949,98 euros bruts : 213 745,94 euros,

congés payés : 21 374,59 euros,

remise d’un bulletin de salaire et des documents sociaux sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

-à titre subsidiaire, en cas de requalification simple des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée sans requalification du temps de travail à temps complet, condamner la société SOMAP à lui verser les sommes suivantes :

rappel de salaires sur la base réelle : 45 637,45 euros

rappel congés payés : 4 563,74 euros bruts,

rappel de salaires périodes interstitielles : 135 069,12 euros,

congés payés : 13 506,91 euros,

ordonner la remise des bulletins de salaires et documents sociaux sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

-en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de l’intégralité de ses demandes, dire que la rupture du contrat s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence, condamner la SOMAP à lui verser, sur la base du salaire réel dû par la requalification :

indemnité de licenciement : 5 900 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 5 900 euros,

congés payés sur préavis : 590 euros,

dommages et intérêts pour licenciement abusif : 70 800 euros (24 x 2 949,98 euros),

dommages et intérêts pour non-respect de la procédure : 2 949,98 euros,

-en tous les cas condamner la société SOMAP à lui verser 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ordonner l’exécution provisoire de la décision, dire que les condamnations porteront intérêts à compter de l’enregistrement de la requête, condamner la société SOMAP en tous les dépens.

Par conclusions remises le 11 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS SOMAP et M. [L], ès qualités, demandent à la cour d’ordonner la jonction des instances inscrites sous les n°19/02447 et 19/02672, rejeter comme étant irrecevables les demandes de M. [T], sur le fond, à titre principal, confirmer le jugement rendu, débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions, le condamner à verser aux parties défenderesses, unis d’intérêts, la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, à titre subsidiaire, dire que M. [S] [T] ne peut se voir allouer une somme supérieure à 6 mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en cas de condamnation, dire qu’elles seront garanties par l’AGS.

L’Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6] n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 12 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient, conformément à l’application des dispositions de l’article 367 du code de procédure civile, de prononcer la jonction des instances enrôlées sous les RG n°19/2447 et 19/2672, l’instance se poursuivant sous l’unique numéro RG 19/2447.

Sur les demandes de requalification de la relation contractuelle

– Sur la requalification des contrats de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée

M. [T] expose que 578 missions d’intérim lui ont été confiées du 5 novembre 2008 au 20 septembre 2016, 2017. Il soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le conseil de prud’hommes, la loi du 8 décembre 2015, qui prime la convention collective, n’entérine pas le principe du recours à une main-d’oeuvre d’appoint avec statut de docker occasionnel mais pose le principe d’une manutention effectuée par des ouvriers dockers professionnels mensualisés, ou à défaut par des dockers professionnels intermittents sur le port et enfin seulement dans un troisième temps, par des ouvriers dockers occasionnels. Or, il affirme que la société SOMAP ne rapporte pas la preuve de l’impossibilité d’employer des dockers intermittents, de sorte qu’elle ne pouvait recourir à la conclusion de contrats à durée déterminée comme elle l’a fait. En tout état de cause, quand bien même l’usage serait valable, il invoque le fait que la société a recouru dans son cas aux contrats d’intérim pour pourvoir un emploi permanent.

Pour s’opposer à la requalification, la société SOMAP fait valoir que la possibilité de recourir au contrat à durée déterminée d’usage de l’article L. 1251-6 3º du code du travail était prévue par la convention collective nationale des ports et manutentions en son article 6 B, la loi du 8 décembre 2015 n’étant entrée en vigueur qu’à compter du 12 juillet 2016, date du décret d’application et qu’en tout état de cause, ainsi que M. [T] l’indique lui-même il n’existe plus de dockers intermittents sur le port de [Localité 6]. En outre, elle conteste le caractère permanent de l’emploi pourvu par M. [T] au motif qu’il n’a jamais été employé un mois complet, qu’il est resté, sur certaines périodes, des jours, voire des semaines sans travailler pour elle et qu’il ne peut soutenir qu’il se tenait à sa disposition permanente.

Selon l’article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.

L’article L.1251-6 du même code, dans sa version applicable à l’espèce, précise que sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée “mission” et seulement dans les cas suivants :

1º Remplacement d’un salarié […]

2º Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

3º Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.[…]

L’article L.5343-6 du code des transports, dans sa version antérieure à la loi nº2015-1592 du 8 décembre 2015 tendant à la consolidation et la clarification de l’organisation de la manutention dans les ports maritimes, pour partie applicable au litige, dispose notamment que les ouvriers dockers occasionnels constituent une main-d”oeuvre d’appoint à laquelle il n’est fait appel qu’en cas d’insuffisance du nombre des dockers professionnels intermittents.

Cet article, modifié par la loi précitée dispose désormais que ‘les ouvriers dockers occasionnels sont les ouvriers dockers qui, afin d’exercer les travaux de manutention portuaire mentionnés à l’article L. 5343-7 du présent code, concluent avec une entreprise ou avec un groupement d’entreprises un contrat de travail à durée déterminée en application du 3 de l’article L. 1242-2 du code du travail et régi par la convention collective nationale unifiée applicable aux entreprises de manutention portuaire.

Les ouvriers dockers occasionnels constituent pour les entreprises ou les groupements d’entreprises mentionnés au premier alinéa de l’article L. 5343-3 du présent code une main-d’oeuvre d’appoint à laquelle il n’est fait appel qu’en cas d’insuffisance du nombre d’ouvriers dockers professionnels.

Cette main-d”oeuvre d’appoint est employée dans le respect de l’article L. 1242-1 du code du travail et du principe de mensualisation posé à l’article L. 5343-3 du présent code (…)’.

Ainsi, cette loi a notamment pour objet de redéfinir la notion d’ouvrier docker occasionnel mais ne comprend aucune disposition excluant le recours à l’intérim pour les travaux de manutention portuaire dans les ports maritimes de commerce.

En outre, les dispositions conventionnelles successives applicables, à savoir l’article 9 de la convention collective de la manutention portuaire le 31 décembre 1993 étendue par arrêté du 29 septembre 1994, remplacé par l’article 6 B de la convention collective nationale unifiée des ports et manutention du 15 avril 2011 étendue par arrêté du 6 août 2012, prévoient que l’activité de manutention portuaire et celle de débarquement des produits de la pêche au sein des ports de pêche constituent un secteur d’activité où il est d’usage constant de recourir au contrat de travail à durée déterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de certains emplois. Les emplois concernés sont ceux correspondant aux ouvriers dockers occasionnels tels que définis au point 2 du champ d’application et au point 1 des bénéficiaires de la présente convention collective.

Ce qui vaut pour les contrats à durée déterminée d’usage vaut pour les contrats de mission d’usage conclus dans le cadre du travail temporaire puisque les articles L.1251-5 et L.1251-6 du code du travail applicables aux contrats de travail temporaire sont rédigés dans les mêmes termes que les articles relatifs aux contrats à durée déterminée d’usage.

Néanmoins, le recours à un contrat d’usage prévu par des dispositions légales ou conventionnelles ne suffit pas en soi à justifier les recours successifs au contrat d’usage.

En effet, s’il résulte de la combinaison des articles du code du travail susvisés que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

Ainsi, en cas de litige, le juge se doit de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné, étant précisé qu’il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter cette preuve.

En l’espèce, il ressort de l’examen des contrats produits aux débats qu’au cours de la période allant du 5 novembre 2008 au 20 septembre 2016, M. [T] a été mis à disposition de la société SOMAP par le biais de 578 contrats de missions d’intérim, d’une durée de 1 à 4 jours, spécifiant comme motif de recours au travail temporaire ’emplois temporaires d’usage constant’ pour l’année 2008, puis, à compter de 2009, «accroissement temporaire d’activité ‘, avec selon les missions, les précisions suivantes : «dû à arrivage de navires supplémentaires», «renfort de personnel pour déchargement des navires», «lié à l’arrivée d’un navire à traiter dans les délais», «dû à fluctuation des activités portuaires» ou encore «renforcement d’équipe suite à la période estivale».

Or, si la société SOMAP évoque, en des termes très généraux les caractères de son activité, tels le caractère fluctuant du trafic maritime conditionné notamment par les incertitudes météorologiques et les horaires des marées, la variation subséquente et continue de la charge d’activité de chargement et déchargement des navires, elle n’apporte, néanmoins, à la cour aucun élément lui permettant de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié, telle que la justification de l’arrivage de navires supplémentaires constitutif d’un accroissement temporaire d’activité étranger à l’activité normale du port ou des éléments chiffrés caractérisant la nécessité d’un renfort de personnel pour le déchargement urgent des navires.

En outre, contrairement à ce qu’elle soutient et à ce qui a été retenu par les premiers juges, la nature des contrats de mission confiés à M. [T] n’établit aucunement le caractère temporaire et ponctuel des besoins de main d’oeuvre. En effet, s’il est exact que la très grande majorité des missions étaient conclues à la journée et que l’examen des bulletins de salaires montre qu’il pouvait travailler uniquement 3 ou 4 heures par mission alors que la durée contractuellement prévue était de 7 heures, il n’en demeure pas moins non seulement que pour chaque mission quotidienne, M. [T] devait se tenir à la disposition de son employeur pendant 7 heures conformément au contrat conclu, mais surtout que la multiplication de ces contrats ponctuels à la journée l’a occupé mensuellement (à l’exception du mois de juin 2012, seul mois sans aucune mission) de manière interrompue, environ 5 jours par mois au début de la relation contractuelle, puis à partir du 1er avril 2009, en moyenne une dizaine de jours par mois, voire jusqu’à en moyenne une quinzaine de jours par mois au cours des années 2013-2014.

Au vu de ces éléments qui établissent, d’une part, qu’entre le 5 novembre 2008 et le 20 septembre 2016, M. [T] a été occupé, de manière quasiment ininterrompue, tous les mois de l’année par son activité professionnelle auprès de la SOMAP, et d’autre part, que l’employeur est défaillant à rapporter la preuve d’éléments permettant de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié, même si le caractère variable au quotidien résulte de la nature intrinsèque de son activité, il y a lieu de considérer que M. [T] a occupé un emploi permanent liée à l’activité normale et habituelle de l’entreprise.

Aussi, la cour infirmant le jugement entrepris, requalifie la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée dès le 5 novembre 2008.

– Sur la requalification du contrat de travail à temps plein

Sur la prescription

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail, aux termes duquel l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

L’action en requalification d’un contrat à temps partiel à temps complet n’étant qu’un moyen au soutien de la demande de rappel de salaire et non une demande à part entière, il convient de considérer, conformément à l’application des dispositions de l’article L. 3242-1 et L. 3141-22 du code du travail, que le point de départ de cette demande de rappels de salaires fondée sur la requalification à temps complet court à compter de chaque date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, soit pour les salariés payés au mois comme M. [T], ainsi que cela ressort de l’examen de ses bulletins de salaires, à compter à la date habituelle du paiement des salaires mensuels, en l’espèce le 11 de chaque mois.

Il s’en suit que toutes les demandes correspondant à un rappel de salaires antérieur au 14 avril 2014, soit trois ans avant la date de saisine du conseil des prud’hommes, et donc antérieur au salaire du mois d’avril 2014, sont prescrites.

Sur le bien fondé de la demande

La requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée du travail et laisse inchangée les autres stipulations relatives au terme du contrat. Réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée ou temporaire en contrat de travail à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.

Aussi, en présence d’une demande de rappel de salaire à temps plein consécutive à la requalification d’une relation de travail temporaire en contrat à durée indéterminée, il convient de distinguer les périodes travaillées des périodes non-travaillées séparant chacun des engagements. Ainsi, la présomption simple de temps plein prévue à l’article L.3123-14 du code du travail ne portant que sur les périodes travaillées, le salarié ne peut prétendre au paiement des salaires correspondant aux périodes intercalaires que s’il démontre être resté à la disposition de l’employeur.

En l’espèce, eu égard aux motifs adoptés ci-dessus, tant à l’égard de la recevabilité des demandes présentées par M. [T] qu’au bien fondé de ses demandes de rappels de salaires qui induisent de distinguer les périodes de travail exécutées conformément aux contrats de mission des périodes intercalaires, la demande principale présentée par le salarié portant sur l’intégralité de la période de relation contractuelle de 2008 à 2016 et fondée sur un calcul théorique du salaire minimum d’un docker mensualisé ne peut prospérer.

Il convient, en revanche, sur la période non prescrite, d’examiner le bien fondé de la demande subsidiaire portant sur une revalorisation de son taux horaire pour les périodes travaillées et sur la demande de paiement d’un salaire sur les périodes interstitielles.

Sur les périodes travaillées, M. [T] ne critique pas le nombre d’heures réalisées mais soutient qu’alors qu’il a été payé à un taux horaire de 11,37 euros, il aurait dû être payé au taux horaire de 19,44 euros (2 949,98 euros par mois).

Il ressort de l’examen des contrats de mission et des bulletins de salaires que sur les périodes travaillées, M. [T] a effectivement été payé à un taux horaire de 11,37 euros correspondant au poste d’ouvrier d’exécution niveau 1 échelon 1 coefficient 0150. Toutefois, contrairement à ce que soutient le salarié, cette rémunération est conforme aux dispositions conventionnelles relatifs au salaire minimum en ce qu’elle est même supérieure au montant conventionnellement fixé pour les années 2014 à 2016, avec prise en compte d’une ancienneté de six années, étant précisé que M. [T] ne justifie aucunement le montant du salaire qu’il revendique qui correspond à un salaire de cadre avec ancienneté. En conséquence, sa demande à ce titre est rejetée.

Sur les périodes intercalaires, au vu de la nature quotidienne des missions exécutées par M. [T] qui lui imposait une disponibilité immédiate, sans aucune possibilité de prévoir d’autres engagements, puisqu’il n’y avait aucun délai de prévenance, M. [T] étant informé le jour même de l’exécution ou non d’une mission au profit de la société SOMAP, de la fréquence de ses missions, en moyenne une dizaine de jours par mois, y compris sur des heures de nuit, des jours fériés et des dimanches, il y a lieu de considérer que le salarié rapporte la preuve suffisante qu’il s’est tenu à disposition de la société SOMAP durant les périodes non travaillées.

En conséquence, en application d’un taux horaire de 11,37 euros brut appliqué par les parties sur les périodes travaillées et supérieur au minimum garanti par les dispositions conventionnelles successives, sur la base d’un emploi à temps plein de 151,67 heures par mois et déduction faite des sommes perçues par M. [T], il lui revient au titre de sa demande de rappels de salaires les sommes suivantes :

– sur la période d’avril à décembre 2014 : (151, 67 h x 11,37 euros x 9 mois) – 10 639,49 euros au titre des salaires brut perçus = 4 880,90 euros, outre la somme de 488,09 euros au titre des congés payés y afférents,

– sur l’année 2015 : (151,67 h x 11,37 euros x 12 mois) – 9 814,68 euros au titre des salaires brut perçus = 10 879,17 euros, outre la somme de 1 087,92 euros au titre des congés payés y afférents,

– sur la période de janvier à septembre 2016 : (151,67 h x 11,37 euros x 9 mois) – 4 878,09 euros au titre des salaires brut perçus = 10 642,30 euros, outre la somme de 1 064,23 euros au titre des congés payés y afférents.

Sur les conséquences financières de la requalification

– Sur l’indemnité de requalification

Sur le fondement de l’article L. 1251-41 du code du travail, le salarié est en droit de réclamer une indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Ce plancher s’apprécie au regard de la dernière moyenne de salaire mensuel perçu par le salarié avant la saisine de la juridiction, incluant dans son assiette les accessoires de salaire et les heures supplémentaires mais excluant l’indemnité de fin de mission.

Aussi, compte tenu de ce qui précède, la cour alloue à M. [T] une somme de 151,67 heures x 11,37 euros = 1 724,49 euros.

– Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée

Compte tenu de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse permettant au salarié de prétendre aux indemnités de rupture lui revenant à ce titre.

M. [T] est donc en droit de réclamer une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents, une indemnité légale de licenciement et des dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable à la cause, compte tenu de son ancienneté et des effectifs de l’entreprise supérieurs à onze salariés.

Eu égard à son ancienneté, il convient de lui allouer les sommes suivantes :

– indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire et congés payés y afférents, en application de l’article L.1234-1 du code du travail : 3 448,96 euros et 344,90 euros au titre des congés payés y afférents,

– indemnité légale de licenciement prévue par les articles L.1234-9 et R.1234-1 à R.1234-4 du code du travail dans leur version applicable au litige, en l’absence de dispositions conventionnelle plus favorable : 2 759,18 euros,

– 10 500 euros à titre de dommages et intérêts, en l’absence de tout élément établissant la situation professionnelle et financière de M. [T] postérieurement à la rupture du contrat de travail, étant précisé que l’indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement prévue par l’article L. 1235-2 du code du travail ne se cumulant pas avec les dommages et intérêts alloués sur le fondement de l’article L. 1235-3 du même code, il convient de rejeter la demande présentée à ce titre.

Sur la fixation de créance et la garantie des AGS

Il convient de rappeler qu’il résulte de l’application combinée des articles L.622-21, I, L. 625-1 et L. 625-3 du code de commerce que les sommes dues par l’employeur en exécution d’un contrat de travail, nées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, restent soumises, même après l’adoption d’un plan de redressement par continuation, au régime de la procédure collective et le juge prud’homal doit, pour ces créances, se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l’état des créances.

En outre, l”article 12 du code de procédure civile dispose que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

En l’espèce, il n’est ni contesté, ni contestable que les créances de M. [T] sont nées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.

En conséquence, les demandes de condamnation en paiement présentée par ce dernier doivent implicitement mais nécessairement être requalifiée en une demande de fixation des créances au passif de la société employeur.

En outre, conformément à l’application des dispositions de l’article L. 3253-8, l’AGS doit garantir les créances de M. [T] s’agissant de créances nées antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, étant néanmoins précisé que cette garantie n’est due, toutes créances avancées pour le compte du salarié que dans la limite des plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D. 3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l’étendue de sa garantie à savoir les articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à L.3253-24 du code du travail.

Sur les autres demandes

Les conditions de l’article L. 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement par l’employeur des allocations de chômage versées au salarié dans les limites de trois mois d’indemnités à compter de la date du licenciement.

Conformément à la demande présentée par M. [T], il convient d’ordonner la remise des documents sociaux de fin de contrat conformes à la présente décision, sans qu’il ne soit, en revanche, justifié, d’assortir cette obligation d’une astreinte.

Les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt, étant cependant précisé que le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard ou majoration a été interrompu pendant la durée de la procédure collective ouverte le 11 février 2020.

La présente décision est exécutoire, le pourvoi en cassation n’ayant pas d’effet suspensif, de sorte que la demande tendant à ce que soit prononcée l’exécution provisoire est sans objet.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société SOMAP aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés tant en première instance qu’en cause d’appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt réputé contradictoire,

Ordonne la jonction des instances enrôlées sous les RG n°19/2447 et 19/2672, l’instance se poursuivant sous l’unique numéro RG 19/2447 ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Ordonne la requalification des contrats de travail temporaire exécutés du 5 novembre 2008 au 20 septembre 2016 par M. [S] [T] au profit de la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire en un contrat de travail à durée indéterminée ;

Déclare irrecevables les demandes de rappels de salaires présentées par M. [S] [T] au titre de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet antérieurement au mois d’avril 2014, comme étant prescrites ;

Déboute M. [S] [T] de sa demande de rappels de salaires sur les périodes travaillées entre avril 2014 et septembre 2016 ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;

Fixe les créances de M. [S] [T] au passif de la procédure collective de la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire aux sommes suivantes qui seront inscrites sur l’état des créances déposé au greffe du tribunal de commerce :

4 880,90 euros à titre de rappels de salaires sur les périodes intercalaires d’avril à décembre 2014, outre la somme de 488,09 euros au titre des congés payés y afférents,

10 879,17 euros à titre de rappels de salaires sur les périodes intercalaires de l’année 2015, outre la somme de 1 087,92 euros au titre des congés payés y afférents,

10 642,30 euros à titre de rappels de salaires sur les périodes intercalaires de janvier à septembre 2016, outre la somme de 1 064,23 euros au titre des congés payés y afférents,

1 724,49 euros au titre de l’indemnité de requalification,

3 448,96 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 344,90 euros au titre des congés payés y afférents,

2 759,18 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

10 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Ordonne à la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire de remettre à M. [S] [T] les documents sociaux de fin de contrat conformes à la présente décision ;

Dit n’y avoir lieu à assortir cette obligation d’une astreinte ;

Y ajoutant,

Dit que l’Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 6] sera tenue à garantie, toutes créances avancées pour le compte du salarié, dans la limite des plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D. 3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l’étendue de sa garantie à savoir les articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à L.3253-24 du code du travail, à défaut de fonds disponibles ;

Dit que le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard ou majoration a été interrompu le 11 février 2020 ;

Ordonne le remboursement par la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à M. [S] [T] dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;

Dit sans objet la demande d’exécution provisoire de la présente décision ;

Condamne la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire à payer à M. [S] [T] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société d’Organisation de Manutention et d’Activités Portuaire aux entiers dépens.

La greffièreLa présidente

 


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