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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
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ARRÊT DU : 29 NOVEMBRE 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 21/00248 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L4ID
S.A.R.L. SOCIETE BORDELAISE DE PRODUCTION CULINAIRE
S.A.R.L. NOUVELLE LACOSTE TRAITEUR
c/
Madame [S] [V]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 décembre 2020 (R.G. n°F 18/00433) par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 14 janvier 2021,
APPELANTES :
SARL Société Bordelaise de Production Culinaire, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]
N° SIRET : 538 801 853
SARL Nouvelle Lacoste Traiteur, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]
N° SIRET : 538 812 843
représentées par Me Mathieu GIBAUD de la SAS DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [S] [V]
née le 08 Avril 1984 à [Localité 3] de nationalité française, demeurant [Adresse 2]
assistée de Me Annick ALLAIN de la SELARL ACT’IN PART, avocat au barreau de BORDEAUX,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 octobre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie HYLAIRE, présidente chargée d’instruire l’affaire, et Madame Sylvie Tronche, conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [S] [V], née en 1984, a été engagée en qualité de pâtissière ‘extra’ par contrat de travail à durée déterminée le 14 mars 2016 puis, de manière discontinue, par contrats à la journée jusqu’au 29 août 2017 par la SARL société Bordelaise de Production Culinaire ci-après dénommée SBPC, qui exerce une activité de traiteur.
Des contrats de travail à durée déterminée ont également été signés mais dans une proportion moindre avec la SARL Nouvelle Lacoste Traiteur, domiciliée à la même adresse que la société SBPC.
Les sociétés n’ont plus eu recours à Mme [V] après le 29 août 2017.
Le 21 mars 2018, Mme [V] a sollicité la convocation des deux sociétés devant le conseil de prud’hommes de Bordeaux pour demander la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ainsi que le paiement de rappels de salaires pour heures supplémentaires et temps plein outre des dommages et intérêts pour exécution déloyale, pour rupture sans cause réelle et sérieuse et brutale, au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement et pour absence de visite médicale.
Par jugement rendu en formation de départage le 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes a :
– relevé l’absence de prétentions de Mme [V] à l’égard de la société Nouvelle Lacoste Traiteur,
– réputé à durée indéterminée les contrats à durée déterminée conclus entre Mme [V] et la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire sur la période du 14 mars 2016 au 29 août 2017,
– condamné la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire à régler à Mme [V] les sommes suivantes :
* 1.535,84 euros d’indemnité de requalification,
* 1.535,84 euros bruts d’indemnité compensatrice de préavis et 153,58 euros bruts pour les congés payés afférents,
* 555,20 euros d’indemnité de licenciement,
* 1.500 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 300 euros pour licenciement irrégulier,
* 671,57 euros bruts au titre de rappel de majoration salariale pour heures supplémentaires,
* 150 euros de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale d’embauche,
– rejeté pour le surplus les autres demandes de Mme [V],
– rappelé les règles relatives à l’exécution provisoire de plein droit découlant des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [V] à la somme de 1.430,70 euros bruts,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire autre que celle de droit,
– condamné la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire à régler à Mme [V] la somme de 1.500 euros d’indemnité pour frais irrépétibles d’instance,
– condamné la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire et Mme [V] à supporter chacune la moitié des dépens.
Par déclaration du 14 janvier 2021, la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire et la SARL Nouvelle Lacoste Traiteur ont relevé appel de cette décision.
Dans leurs dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 octobre 2021, la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire et la SARL Nouvelle Lacoste Traiteur demandent à la cour de les dire recevables et bien fondées en leur appel et de :
– dire que les conditions de recours au contrat de travail à durée déterminée d’usage dit d’extra étaient remplies,
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux du 15 décembre 2020 en ce qu’il a fait droit à la demande de requalification des contrats en contrat de travail à durée indéterminée et aux demandes subséquentes (licenciement et préavis) ainsi qu’aux demandes de paiement d’heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale, et, statuant à nouveau sur ces points, débouter Mme [V] de ces demandes,
– confirmer le jugement pour le surplus en ce qu’il a débouté Mme [V] de ses autres demandes,
– débouter Mme [V] de son appel incident et de toutes ses prétentions,
– débouter Mme [V] de l’intégralité de ses prétentions,
– condamner Mme [V] au paiement d’une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 juillet 2021, Mme [V] demande à la cour de la dire recevable et bien fondée en ses demandes et de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
* jugé la requalification de ses contrats à durée déterminée successifs conclus entre le 14 mars 2016 et le 29 août 2017 en un contrat de travail à durée indéterminée,
* condamné la société Bordelaise de Production Culinaire à lui régler des sommes au titre de l’indemnité de requalification, de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de l’indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité pour l’irrégularité du licenciement, de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale,
– réformer le jugement en ce qu’il n’a pas retenu l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein,
– réformer le jugement sur le quantum des sommes allouées,
Statuant à nouveau sur les points réformés,
– condamner la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire à lui payer les sommes suivantes :
* 1.789,70 euros de dommages et intérêts au titre de l’indemnité de requalification de contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
* 6.489,74 euros au titre des rappels de salaires temps plein (5.806,78 euros) et heures supplémentaires (683,04 euros),
* 1.789,70 euros de dommages et intérêts au titre de l’indemnité pour irrégularité de la procédure,
* 596,56 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 1.789,70 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* 178,97 euros au titre des congés payés sur préavis,
* 3.580 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1.789,70 euros de dommages et intérêts au titre de l’absence de visite médicale,
* 4.000 euros de dommages et intérêts au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,
* 1.500 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation de travail,
– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles et aux dépens,
– débouter la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire et la société Nouvelle Lacoste Traiteur de leurs demandes,
– condamner la SARL Société Bordelaise de Production Culinaire au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 17 octobre 2023 au cours de laquelle la cour a invité les parties à adresser une note en délibéré sur la non-conformité éventuelle des contrats conclus au regard de l’exigence d’un motif précis résultant de l’article L. 1242-12 du code du travail.
Par note reçue le 20 octobre 2023, les appelantes invoquent d’une part la prescription de l’irrégularité éventuelle tenant à l’imprécision du motif de recours au contrat de travail à durée déterminée, le premier contrat datant du 14 mars 2016 alors que la juridiction prud’homale a été saisie le 21 mars 2018, d’autre part, qu’il s’agirait d’une demande nouvelle, enfin que la mention ‘extra’ est un motif suffisamment précis.
L’intimée estime que les demandes des appelantes ne sont pas recevables et qu’en tout état de cause, le motif ‘extra’ n’est pas suffisamment précis.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il sera relevé que, comme en première instance, aucune demande n’est présentée par Mme [V] à l’encontre de la société Lacoste Traiteur qui sera déclarée hors de cause.
Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée conclus entre Mme [V] et la société SBPC en contrat de travail à durée indéterminée
Pour voir infirmer la décision de ce chef, les sociétés appelantes font valoir que les contrats conclus avec Mme [V] s’inscrivent dans le cadre légal de l’article L. 1242-12 du code du travail, le recours au contrat de travail à durée déterminée dit ‘d’usage’ étant prévu par l’article D. 1242-1 et par l’article 14-1 de la convention collective des hôtels, cafés restaurants.
Elles exposent que la seule limite qui est imposée aux traiteurs est le respect d’une durée d’embauche inférieure à 60 jours par trimestre civil, limite imposée par l’article 14 de la convention collective qui a été respectée en l’espèce.
Elles font ensuite valoir qu’au regard du caractère cyclique de l’activité de traiteur et, contrairement à ce que soutient Mme [V] :
– le nombre de jours travaillés pouvait varier du simple au triple, passant de 7 à 23 jours entre le mois de janvier 2017 et juin 2017,
– le nombre d’heures travaillés par mois différait également fortement, s’élevant à 85 heures en juin 2016 à 171 heures en août 2017,
– 8 mois sur les 18 mois travaillés ont donné lieu à moins de 130 heures travaillées
– durant 5 mois, Mme [V] a travaillé moins des 15 jours de travail qu’elle revendique.
Il est également invoqué le fait que les ventes réalisées par la pâtisserie fluctuent fortement d’un mois sur l’autre, que 30% de ces ventes sont réalisées au cours des deux seuls mois de décembre et janvier, le chiffre d’affaires de février étant 3 fois inférieur à celui du mois de janvier, celui des mois d’août et octobre 2016 et 2017 ayant également varié de 45% en 2016 et de 30% en 2017.
Il est ajouté que l’activité de pâtisserie est extrêmement minoritaire au vu du tableau des ventes des caisses de boulangerie, que toute la production de pâtisserie est faite au laboratoire, la boutique du Haillan n’ayant pas de pâtissier et que la part de la
production alimentaire, tous produits confondus) du restaurant du Carré du Lac représente moins de 60.000 euros annuels.
Ainsi, selon les appelantes, il n’y avait pas besoin d’un poste permanent supplémentaire de pâtissier et l’activité de Mme [V] n’était pas liée à l’activité normale et permanente de l’entreprise mais dépendait des fluctuations saisonnières.
*
Sollicitant la confirmation de la décision déférée, Mme [V] fait principalement valoir que la société SBPC ne rapporte pas la preuve d’éléments objectifs établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi qu’elle a occupé.
Elle souligne notamment que le listing des journées travaillées fait apparaître un nombre de jours variant entre 15 et 18 jours par mois, que le nombre d’heures effectuées a varié entre 130 et 170 heures à l’exception de deux mois où elle a pris des congés, qu’elle a été engagée toute l’année et non seulement durant les mois de décembre à février, correspondant au pic d’activité, qu’il n’y avait sur la période concernée, qu’un emploi en contrat de travail à durée déterminée puis contrat de travail à durée indéterminée de chef de partie pâtisserie et qu’aucun élément ne permet de retenir qu’elle a été employée sur des tâches spécifiques liées à une variation du volume d’activité ni de distinguer celles affectées au personnel permanent de celles ponctuelles générées par des variations du volume de commandes.
***
En vertu des dispositions des articles L. 1242-2, 3° et D. 1242-1, 4° du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu pour des emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe (…) ou pour des emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité dont celui de l’hôtellerie et de la restauration (…), il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
L’article 14 de la convention collective applicable à la relation contractuelle stipule que l’emploi d’extra qui, par nature, est temporaire, est régi par les dispositions légales en vigueur, qu’un extra est engagé pour la durée nécessaire à la réalisation de la mission, qu’il peut être appelé à être occupé dans un établissement quelques heures, 1 journée entière ou plusieurs journées consécutives ; le texte fixe à 60 jours dans un trimestre civil la durée maximale des missions.
Comme tout contrat de travail à durée déterminée, le contrat de travail à durée déterminée dit d’usage doit, en vertu des dispositions de l’article L. 1242-12 du code du travail, être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif étant, à défaut, réputé conclu pour une durée déterminée.
*
Au vu des pièces produites par Mme [V], celle-ci a été employée de mars 2016 à août 2017 par la SBPC dans les conditions suivantes :
Année 2016 :
– mars 2016 : les 14, 15, 16, 21, 22, 23, 29 et 30 mars ;
– avril 2016 : trois des contrats ne comportent pas de date ; ceux comportant une date mentionnent les 14, 15, 18, 19, 20, 26, 27 et 29 avril ;
– mai 2016 : les 2, 3, 4, 9, 10, 11, 19, 20, 23, 24, 25, 26, 29, 30 et 31 mai ;
– juin 2016 : les 1er, 2, 3, 5, 6, 9, 10, 15, 16, 20, 21, 22 et 23 juin ;
– juillet 2016 : 5, 6, 7, 8, 9, 11, 13, 15, 19, 20, 21, 22, 26, 28 et 29 juillet ;
– août 2016 : 9, 10, 11, 12, 16, 17, 18, 24, 26, 27, 29, 30 et 31 août ;
– septembre 2016 : 1er, 2, 3 ou 5 (illisible), 6, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 20, 21, 22, 23, 26, 28 et 29 septembre ;
– octobre 2016 : 3, 6, 7, 10, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26 et 31 octobre ;
– novembre 2016 : 2, 7, 9, 10, 14, 15, 16, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29 et 30 novembre ;
– décembre 2016 : 1er, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 16, 19,20, 21, 22, 23 et 24 décembre ;
Année 2017 :
– janvier 2017 : 20, 21, 23, 24, 25, 30 et 31 janvier ; un contrat n’est pas daté ;
– février 2017 : 1er, 6, 7, 8, 13, 14, 15, 16, 17, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, et 28 février ;
– mars 2017 : 1er, 6, 7, 8, 9, 13, 14, 15, 17, 20, 21, 22, 23, 24, 27, 28, 29, 30 et 31 mars ;
– avril 2017 : 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12, 13, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26 et 27 avril ;
– mai 2017 : 2, 3, 4, 6, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 22, 23, 24, 25 et 30 mai ;
– juin 2017 : 1er, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 12, 13, 14, 19, 20, 21, 22, 24, 26, 27, 28, 29 et 30 juin ;
– juillet 2017 : 1er, 3, 4, 10, 11, 17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26, 27 et 31 juillet ;
– août 2017 : 1er, 2, 10, 21, 22, 28 et 29 août.
Aucun des contrats souscrits au visa de l’article L. 122.1.1. 3ème alinéa du code du travail, abrogé par ordonnance du 12 mars 2007, ne vise un motif précis de recours au contrat de travail à durée déterminée ; l’unique exemplaire des ‘conditions générales’ dactylographiées produit par l’intimée, qui n’est ni daté ni signé, mentionne seulement qu’il s’agit d’un contrat d’extra vacataire.
En réponse aux notes en délibéré sollicitées par la cour, il sera relevé qu’effectivement, la requalification des contrats de travail à durée déterminée à raison de l’imprécision du motif de recours n’est pas recevable comme prescrite pour les contrats conclus avant le 22 mars 2016, compte tenu de la date de la saisine du conseil de prud’hommes.
En revanche, il ne s’agit pas d’une ‘demande nouvelle’, mais d’un moyen de droit d’ordre public soulevé par la cour.
Or, la seule mention ‘extra’ ne constitue pas un motif suffisamment précis au sens du texte susvisé.
La requalification est donc encourue à ce titre pour les contrats conclus à compter du 22 mars 2016.
*
Par ailleurs, le juge prud’homal doit vérifier que le recours à l’utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi pourvu dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée d’usage.
Seuls les contrats établis en mars 2016 mentionnent l’emploi de pâtissière ; les contrats suivants font état de l’emploi de ‘1er cuisinier labo’, mention confortée par les bulletins de paie qui portent l’indication d’un emploi d’extra cuisine.
La ‘liste des entrées/sorties du personnel du 1er mars 2016 au 31 août 2017″, versée aux débats par la société SBPC, fait apparaître Mme [V] en qualité d’extra cuisine mais aussi que l’emploi d’extra en pâtisserie a été occupé dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée de mars 2016 à février 2017 par un autre salarié.
Mme [V] soutient cependant qu’elle a toujours été affectée au même poste de pâtissière.
Si la société prétend que l’activité de la pâtisserie est par nature variable et cyclique et ne représente qu’une partie minoritaire de son chiffre d’affaires, les pièces et explications fournies par les parties permettent de relever les éléments suivants :
– le document versé à ce sujet par la société SBPC (pièce 5) mentionne la présence de 4 personnes affectées à la pâtisserie en contrat de travail à durée indéterminée avant le 1er mars 2016, effectif réduit à un seul poste fixe de chef de pâtisserie après cette date : même si le document produit est d’une fiabilité relative car il ne s’agit pas d’un extrait du registre du personnel, la société ne fournit aucune explication objective permettant de retenir qu’à chiffre d’affaires quasiment identique, voire en augmentation, 55.588 euros en 2016 et 58.564 euros en 2017, l’activité ne nécessitait plus qu’un seul emploi en contrat de travail à durée indéterminée, ce qui conforte l’affirmation de Mme [V] qui indique qu’elle travaillait aux côtés de 5 autres employés en pâtisserie ;
– la ‘liste des entrées/sorties du personnel du 1er mars 2016 au 31 août 2017″ produite par la société fait apparaître que sur la période correspondante à l’emploi de Mme [V], la société a engagé de manière durable, en 2016, 18 ‘extra cuisine’ et en 2017, 21, soit un total représentant près de 2/3 de ses effectifs ;
– les journées travaillées par Mme [V] ne coïncident pas avec les pics ou chutes d’activité invoqués par la société : au cours du mois de décembre 2016 (pic d’activité), Mme [V] a travaillé 18 jours soit le même nombre de jours qu’en novembre et qu’en février (mois prétendument ‘creux’) , en janvier (pic d’activité), elle n’a travaillé que 7 jours, soit le plus faible nombre sur la durée de la relation contractuelle ;
– s’il y a eu une variation du nombre de jours et heures travaillées sur la période, la cour relève une moyenne de plus de 15 jours, avec des mois où Mme [V] a travaillé 23 jours et selon des horaires proches d’un temps plein, voire supérieur à au moins deux reprises.
Le caractère temporaire de l’emploi occupé n’est ainsi pas établi.
C’est dès lors à juste titre que le jugement déféré a requalifié la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 mars 2016.
Sur la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à temps plein
Pour voir infirmer la décision déférée qui l’a déboutée de sa demande de ce chef, Mme [V] fait valoir qu’elle se tenait à disposition constante de son employeur puisqu’elle avait des contrats établis à la journée et n’était jamais prévenue dans un délai suffisant des jours et horaires de travail qu’elle allait effectuer et sollicite de ce chef le paiement de la somme de 6.489,74 euros à la fois au titre du rappel de salaires temps plein mais aussi des heures supplémentaires effectuées (683,04 euros);
Les sociétés appelantes font valoir que Mme [V] n’explicite en rien sa demande à ce titre.
***
La requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail.
Le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il établit qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.
Etant relevé que dans ses écritures (page 2), Mme [V] déclare que ‘ses horaires d’embauche étaient constants’ et qu’elle bénéficiait ‘d’un planning d’une semaine sur l’autre conformément à l’organisation mise en place pour tous les employés en cuisine’, la preuve qui lui incombe n’est pas rapportée et Mme [V] sera déboutée de sa demande de rappel de salaire de ce chef.
Sur la demande en paiement au titre des heures supplémentaires effectuées
Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er et L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié ne relevant pas d’un horaire collectif de travail de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées
Au soutien de sa demande, Mme [V] produit, outre ses contrats de travail, un décompte des heures réalisées par jour et par semaine sur toute la durée de la relation contractuelle.
Après vérification, ce décompte reprend très exactement le nombre d’heures portées sur les contrats et est suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
Celui-ci indique que ‘toutes les heures’ ont été réglées.
Les mentions portées aux bulletins de salaire ne font état que d’un paiement au taux normal des heures effectuées mais non aux taux majorés applicables s’agissant d’heures supplémentaires réalisées au-delà de 35 heures par semaine.
Le décompte établi par Mme [V] démontre que les heures effectuées n’ont pas toutes été réglées y compris au taux normal mais certaines des heures comptabilisées à ce titre ont été réalisées pour le compte de la société Lacoste Traiteu le différentiel représentant 397,07 euros) mais il n’en est pas demandé le paiement..
La société SBPC sera en conséquence condamnée à payer à Mme [V] la somme de 683,04 euros au titre des majorations des heures supplémentaires ainsi que celle de 68,30 euros pour les congés payés afférents.
Sur la demande en paiement au titre de l’indemnité de requalification
Au vu des bulletins de paie de Mme [V] et du rappel de salaires ci-dessous alloués, le salaire de référence sera fixé à la somme de 1.571,11 euros bruts.
En application des dispositions de l’article L. 1245-2 du code du travail, la société SBPC sera condamnée à payer à Mme [V] la somme de 1.571,11 euros au titre de l’indemnité de requalification.
Sur la rupture du contrat
La rupture de la relation contractuelle par la seule survenance du terme du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
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Compte tenu de son ancienneté au terme du dernier contrat daté du 29 août 2017, soit un an et 5 mois, Mme [V] peut prétendre au paiement du préavis d’une durée d’un mois et d’une indemnité légale de licenciement calculée selon les dispositions de l’article R. 1234-2 dans sa version applicable à la date de la rupture.
La société SBPC sera en conséquence condamnée à lui payer les sommes de 1.571,11 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 157,11 euros bruts pour les congés payés afférents et 471,33 euros au titre de l’indemnité de licenciement.
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Mme [V] sollicite le paiement de la somme de 3.580 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, soulignant notamment les circonstances brutales de la rupture après près d’un an et demi de relation contractuelle.
*
Mme [V] ne justifie ni ne précise sa situation que partiellement suite à la rupture de la relation contractuelle, indiquant n’avoir trouvé un emploi en contrat de travail à durée indéterminée qu’en novembre 2019.
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences de la rupture, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, le préjudice subi a été évalué à juste titre par les premiers juges.
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La rupture du contrat étant intervenue sans que l’employeur ne mette en oeuvre une procédure de licenciement, Mme [V] n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits auprès de l’employeur notamment en étant assistée d’un conseiller du salarié et cest à juste titre que les premiers juges ont évalué à 300 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice en résultant.
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La demande au titre des circonstances brutales de la rupture déjà invoquées et prises en compte au titre de l’indemnisation de la perte d’emploi sera rejetée.
Sur les autres demandes indemnitaires
Sur la demande au titre de l’absence de visite médicale d’embauche
L’article R. 4624-10 du code du travail dans sa version applicable à la date de l’engagement de Mme [V] imposait à l’employeur d’organiser une visite médicale d’embauche au plus tard à l’expiration de la période d’essai.
Il n’est pas contesté que Mme [V] n’a bénéficié d’aucune visite bien que travaillant dans un secteur d’activité où les conditions de travail générent des risques non négligeables pour la santé des salariés.
La société SBPC sera condamnée à payer à Mme [V] la somme de 150 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre, le jugement dont appel étant confirmé de ce chef.
Sur la demande au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.
Il sera alloué à Mme [V] la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de la société SBPC à son obligation d’exécution loyale du contrat, l’employeur n’ayant pas procédé au paiement de l’intégralité des salaires dus et ayant imposé à la salariée une situation de précarité pendant près d’un an et demi pour rompre ensuite la relation contractuelle sans aucun motif.
Sur les autres demandes
La société SBPC sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à Mme [V] la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare la société Lacoste Traiteur hors de cause,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– requalifié la relation contractuelle entre Mme [V] et la société Bordelaise de Production Culinaire en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 mars 2016,
– débouté Mme [V] de sa demande de requalification du contrat en temps plein,
– fait droit dans leur principe aux demandes de Mme [V] au titre des heures supplémentaires, de l’indemnité de requalification et des indemnités de rupture (préavis et indemnité légale de licenciement),
– condamné la société Bordelaise de Production Culinaire à payer à Mme [V] les sommes de 1.500 euros à titre d’indemnité pour licenciement abusif, 300 euros en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de procédure de licenciement et 150 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale d’embauche,
– débouté Mme [V] de sa demande indemnitaire au titre des circonstances brutales de son licenciement,
– condamné la société Bordelaise de Production Culinaire à payer à Mme [V] la sommes de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la rupture du contrat de travail à la date du 29 août 2017 s’analyse en un licenciement irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Fixe le salaire mensuel de référence de Mme [V] à la somme de 1.571,11 euros bruts,
Condamne la société Bordelaise de Production Culinaire à payer à Mme [V] les sommes de :
– 683,04 euros à titre de rappel de salaire dû pour les heures supplémentaires réalisées outre 68,30 euros pour les congés payés afférents,
– 1.571,11 euros au titre de l’indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
– 1.571,11 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 157,11 euros bruts pour les congés payés afférents,
– 471,33 euros au titre de l’indemnité de licenciement
– 1.000 euros en réparation du préjudice résultant du manquement de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat,
– 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
Condamne la société Bordelaise de Production Culinaire aux dépens de première instance et d’appel.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire