Contrat à durée déterminée d’usage : 29 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01740

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Contrat à durée déterminée d’usage : 29 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01740
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRET DU 29 JUIN 2022

(n°2022/ , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01740 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBQWJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Janvier 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F17/04627

APPELANTE

SNC EUROPE NEWS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0021

INTIMÉE

Madame [K] [R]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Philippe GUMERY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1529

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Nadège BOSSARD, Conseillère, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

La société Europe News a engagé Mme [K] [R] dans le cadre d’un premier contrat de travail à durée déterminée d’usage (CDDU) le 9 juillet 2012, en qualité de « Rédactrice-Reporter 2ème échelon », coefficient 165, statut journaliste, pour la durée de la saison radiophonique 2012/2013 soit du 27 août 2012 au 30 juin 2013 afin de ‘préparer et de présenter une chronique quotidienne d’une durée de 8 minutes intitulée provisoirement ‘ la revue de presse de [K] [R]’ dans l’émission ‘la matinale’ présentée par [X] [E] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 7 heures et 9 heures’. Le contrat stipule que le temps de travail est de 75 heures par mois et une rémunération de 6600 euros par mois.

Un second contrat de travail à durée déterminée d’usage a été conclu entre les parties pour la saison 2013/2014, du 26 août 2013 au 6 juillet 2014, aux mêmes fonctions, classification, durée de travail et avec une rémunération de 13 000 euros bruts mensuels aux fins de ‘préparer et de présenter une chronique intitulée ‘la revue de presse’ à compter du 9 septembre 2013, du lundi au vendredi, entre 8 heures et 9 heures, dans l’émission intitulée ‘Europe 1 Matin’ dite ‘ la matinale’, présentée par [N] [I] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 6 heures et 9 heures’.

Un troisième contrat de travail à durée déterminée d’usage a été signé le 3 juillet 2014, aux mêmes fonctions et classification, pour la période du 7 au 13 juillet 2014 pour préparer et présenter une chronique quotidienne intitulée ‘la revue de presse’, dans l’émission intitulée ‘Europe Matin’, présentée par [N] [I] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 6 heures et 9 heures’, à raison de 108 heures de travail par mois réparties en 25 heures sur 4 semaines et avec une rémunération de 13 000 euros.

Mme [R] a été engagée dans le cadre d’un quatrième contrat de travail à durée déterminée d’usage conclu le 3 juillet 2014 pour la saison radiophonique 2014/2015 du 25 août 2014 au 12 juillet 2015, en qualité d’éditorialiste, coefficient 343, statut journaliste, afin de préparer et présenter une chronique quotidienne intitulée ‘la revue de presse’, entre 8 heures 30 et 8 heures 45, dans l’émission intitulée ‘Europe Matin’, présentée par [N] [I] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 6 heures et 9 heures’à raison de 108 heures de travail par mois réparties en 25 heures sur 4 semaines et avec une rémunération de 15 000 euros outre une rémunération variable de 10% de sa rémunération brute variable en cas.

Un cinquième contrat de travail à durée déterminée d’usage a été conclu le 10 juillet 2015 entre les parties, pour la saison radiophonique 2015/2016 du 24 août 2015 au 10 juillet 2016, aux fonctions d’éditorialiste d’une part afin de préparer et présenter une chronique quotidienne intitulée ‘la revue de presse’, entre 8 heures 30 et 8 heures 45, dans l’émission intitulée ‘Europe Matin’, présentée par [N] [I] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 6 heures et 9 heures, d’autre part, pour préparer et co-présenter avec [V] [U] une émission intitulée Mediapolis diffusée sur l’antenne d’Europe 1 le samedi entre 10 heures et 11 heures’, à raison de 130 heures par mois réparties en quatre semaines de 30 heures et avec une rémunération de 20 000 euros bruts mensuels et une rémunération variable de 10% de sa rémunération brute globale en cas de dépassement de l’audience de la saison précédente.

Un sixième contrat de travail à durée déterminée d’usage a été conclu le 13 juin 2016 pour la période du 22 août 2016 au 9 juillet 2017 aux fonctions d’éditorialiste d’une part afin de préparer et présenter une chronique quotidienne intitulée ‘la revue de presse’, entre 8 heures 30 et 8 heures 45, dans l’émission intitulée ‘La Matinale’, présentée par [N] [I] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 6 heures et 9 heures, d’autre part, pour ‘préparer et co-présenter avec [V] [U] une émission intitulée Mediapolis diffusée sur l’antenne d’Europe 1 le samedi entre 10 heures et 11 heures’, à raison de 130 heures par mois réparties en quatre semaines de 30 heures et une rémunération de 20 000 euros bruts mensuels outre une rémunération variable de 10% de sa rémunération brute globale en cas de dépassement de l’audience de la saison précédente.

Un nouveau contrat de travail à durée déterminée d’usage a été conclu le 20 juillet 2016 aux lieu et place de celui du 13 juin 2016 et a prévu que Mme [R] était engagée en qualité d’éditorialiste pour la période du 22 août 2016 au 9 juillet 2017 d’une part afin de préparer et présenter une chronique quotidienne intitulée ‘la revue de presse’, entre 8 heures 30 et 8 heures 45, dans l’émission intitulée ‘la Matinale d’Europe 1’, présentée par [N] [I] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au vendredi entre 6 heures et 9 heures, d’autre part, préparer et présenter une chronique intitulée provisoirement ou définitivement ‘l’édito politique’ entre 18 heures 30 et 19 heures dans l’émission intitulée ‘Europe Soir’ présentée par [G] [F] et diffusée sur l’antenne d’Europe 1, du lundi au jeudi entre 18 heures et 20 heures, en outre pour préparer et co-présenter avec [V] [U] une émission intitulée Mediapolis diffusée sur l’antenne d’Europe 1 le samedi entre 10 heures et 11 heures’, à raison de 150 heures par mois réparties en quatre semaines de 35 heures et avec une rémunération de 20 000 euros bruts mensuels outre une rémunération variable de 10% de sa rémunération brute globale en cas de dépassement de l’audience de la saison précédente et une rémunération de 3500 euros pour la prestation de travail dénommée l’Edito politique dans l’émission ‘Europe Soir’.

Le salaire mensuel moyen de Mme [R] au cours des douze derniers mois s’élevait à 27.400 euros bruts.

Par courrier en date du 9 juin 2017, la société Europe News a indiqué à Mme [R] qu’elle ne lui proposerait pas de nouveau contrat après l’arrivée à son terme de son contrat de travail à durée déterminée d’usage en cours.

Mme [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 19 juin 2017 afin de voir requalifier ses contrats de travail à durée déterminée d’usage en un contrat de travail à durée indéterminée et obtenir des indemnités.

Par jugement en date du 17 janvier 2020, le conseil de prud’hommes présidé par le juge départiteur statuant seul après avis des conseillers présents a :

– requalifié les contrats de travail à durée déterminée d’usage en un contrat de travail à durée indéterminée,

– dit que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– condamné la SNC Europe News à payer à Mme [K] [R] les sommes de :

– 27 400 euros au titre de l’indemnité de requalification,

– 54 800 euros au titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 5 480 euros au titre d’indemnité compensatrice de congés payés

– 137 000 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 164 400 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté Mme [K] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et d’image,

– débouté Mme [K] [R] de sa demande de rappel de salaire pour les périodes interstitielles,

– ordonné la remise d’une attestation Pôle Emploi des bulletins de paie et d’un certificat de travail conformes à la présente décision,

– dit n’y avoir lieu à prononcer une astreinte,

– ordonné l’exécution provisoire,

– condamné la SNC Europe News à payer à Mme [K] [R] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la SNC Europe News aux entiers dépens.

La SNC Europe News a interjeté appel le 27 février 2020.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 8 avril 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Europe News demande de:

Infirmer le jugement rendu le 17 janvier 2020 en ce qu’il a :

– requalifié les CDDU conclus en un contrat de travail à durée indéterminée,

– dit que la rupture des relations contractuelles s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné l’appelante au paiement d’indemnités de requalification, compensatrice de préavis,compensatrice de congés payés, légale de licenciement

– condamné l’appelante au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Et statuant de nouveau :

Constater le caractère temporaire de l’emploi exercé par Mme [R] ;

En conséquence,

– Dire et juger que Mme [R] a été valablement engagée par plusieurs contrats à durée déterminée d’usage ;

– Débouter Mme [R] de sa demande en requalification ;

– Débouter Mme [R] de l’ensemble de ses autres demandes ;

A titre subsidiaire,

Si la Cour devait requalifier la relation d’emploi en un contrat de travail à durée indéterminée, elle :

– jugera que Mme [R] ne peut bénéficier de l’article L.7112-3 du code du travail, Europe News étant une agence de presse

– jugera que l’indemnité légale de licenciement de l’intimée s’élève à 27.400€

– ordonnera la compensation entre l’indemnité légale de licenciement de Mme [R] et la somme perçue à titre d’indemnité de fin de collaboration ;

– révisera à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts réclamé au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– déboutera Mme [R] de ses demandes de dommages et intérêts en raison de la prétendue violation de la procédure de licenciement et de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’image,

En tout état de cause, il est demandé à la Cour de confirmer le jugement rendu le 17 janvier 2020 en ce qu’il a :

– débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et d’image

– débouté Mme [R] de sa demande de rappel de salaire pour les périodes interstitielles

A titre reconventionnel,

– Condamner Mme [R] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 30 mars 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [R] demande de :

Confirmer 1e jugement du 17 janvier 2020 en ce qu’il a requalifié les contrats de travail à durée déterminée d’usage en un contrat de travail à durée indéterminée, et dit que la rupture des relations contractuelles s’analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Confirmer la condamnation de la société Europe News au titre de1’indemnité de requalification, de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité compensatrice de congés payés, de l’indemnité légale de licenciement, et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ceux-ci devant être augmentés comme indiqué ci-dessous ;

Infirmer le jugement de première instance et condamner la société Europe News à payer à Mme [K] [R], avec intérêts au taux légal depuis la convocation devant le Bureau de jugement :

– une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 328.800€ et non de 164.000€ ;

– des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’image d’un montant de 82.200 € ;

– un rappel de salaires pour les périodes intermédiaires (du 30 juin 2013 au 26 août 2013,du 13 juillet 2014 au 25 août 2014, du 12 juillet 2015 au 24 août 2015, du 10 juillet 2016 au 22 août 2016) d’un montant de 164.400 € ;

– une indemnité compensatrice de conges payés sur ce rappel de salaires pour les périodes intermédiaires d’un montant de 16.440 € ;

– ordonner la capitalisation

– condamner la société aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’aux frais d’exécution de 7714,51 euros,

– Condamner la société Europe News à la somme de 5.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

– Condamner la société Europe News aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 12 avril 2022.

MOTIFS :

Sur la demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée d’usage à raison du caractère pérenne et non temporaire de l’emploi :

Selon l’article L. 1242-2, 3° du code du travail, « Un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :

1°Remplacement d’un salarié [‘] ;

2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;

3° Emploi à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».

L’article D1242-1 prévoit qu’en application du 3° de l’article L. 1242-2, les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont les suivants :

(…)

6° Les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique ;

7° L’enseignement ;

8° L’information, les activités d’enquête et de sondage ; (…).

Pour considérer que son emploi n’était pas éligible à un contrat de travail à durée déterminée d’usage, Mme [R] soutient que la convention collective de la Radiodiffusion et l’accord collectif national du 29 novembre 2007 relatif aux salariés employés sous contrat à durée déterminée d’usage sont applicables à la relation au motif que selon l’article 1.1.1 de l’accord collectif national du 29 novembre 2007 l’accord ‘s’applique aux entreprises éditant et/ou produisant des services de radiodiffusion, ainsi qu’aux entreprises fournissant des programmes à ces services’ et que tel est le cas de la société Europe News qui fournit des programmes à Europe 1 télécompagnie, et relève que l’annexe à la convention collective de la radiodiffusion ne mentionne ni le journaliste ni l’éditorialiste dans la liste des CDDU mais mentionne uniquement le «collaborateur spécialisé d’émission » qui ne correspond pas selon elle à son emploi.

Pour justifier le recours à des contrats de travail à durée déterminée d’usage, la société Europe News invoque sa qualité d’agence de presse soumise à la convention collective nationale des employés, techniciens et cadre des agences de presse laquelle prévoit que « les journalistes employés par les agences de presse relèvent de la convention collective nationale des journalistes (IDCC 1480)». L’employeur soutient que la convention collective nationale des journalistes et le Protocole d’accord de l’UES EUROPE 1 concernant les salariés employés sous CDDU du 6 avril 2011 s’appliquent et autorisent le recours aux contrats de travail à durée déterminée d’usage pour les journalistes.

La qualité d’agence de presse de la société Europe News est établie par son inscription sur la liste des agences de presse établie par la commission paritaire des publications et agences de presse.

Les relations entre les agences de presse et les journalistes qu’elles emploient sont régies par la convention collective des journalistes.

Dans ce cadre, l’UES d’Europe 1, composée de la société Europe 1 Télécompagnie et de la société Europe News, a conclu avec les organisations syndicales des salariés un accord concernant les salariés employés sous contrat de travail à durée déterminée d’usage lequel en son chapitre 2 relatif aux journalistes engagés dans le cadre de la convention collective des journalistes prévoit que ‘un journaliste ne peut être embauché avec un contrat de travail à durée déterminée que pour une mission temporaire dont la nature et la durée doivent être définies lors de l’embauche, conformément à l’article L1242-2 du code du travail. Il est d’usage constant dans le secteur de la radiodiffusion et de l’information de recourir au contrat de travail à durée déterminée dans le cadre des dispositions de l’article L1242-2 3ème alinéa du code du travail’.

Le recours au contrat de travail à durée déterminée d’usage est ainsi prévu par l’accord collectif.

Pour autant, s’il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2, L.1245-1 et D. 1242-1 du code du travail que, dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en ‘uvre par la directive n°1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

Il est constant que la programmation de la radio Europe 1, en vertu de laquelle intervenait Mme [R], était annuelle au titre de la saison radiophonique et susceptible chaque année de modification au regard notamment de la ligne éditoriale de la station.

Le fait qu’une revue de presse ait préexisté à la prise de fonction de Mme [R] et ait perduré après son éviction ne suffit pas à caractériser le caractère pérenne de l’emploi dès lors que celui-ci a connu des évolutions dans son contenu et sa forme ainsi que sa durée et son horaire.

Si un prédécesseur de Mme [R] a bénéficié d’un contrat de travail à durée indéterminée, il est admis par la convention collective qu’un emploi pourvu en contrat de

travail à durée déterminée d’usage puisse également l’être en contrat de travail à durée indéterminée ou en contrat de travail à durée déterminée de droit commun.

Au surplus, il n’est pas contesté que la personnalité de Mme [R] et le ton donné à sa revue de presse répondaient à une demande spécifique de l’employeur dans le cadre d’un choix éditorial. Dès lors, il contribue au caractère temporaire de l’emploi.

Par ailleurs, l’emploi occupé par Mme [R] au cours des six années de relations contractuelles a évolué, celle-ci ayant d’abord été engagée en qualité de rédactrice-reporter puis d’éditorialiste et le nombre de missions confiées étant passé d’une à trois au gré des contrats lesquels ont chacun précisément décrit le cadre temporaire de son intervention dans le cadre d’une émission dénommée, présentée par un journaliste dénommé et à un horaire défini.

Si les présentateurs de ces émissions bénéficiaient de contrat de travail à durée indéterminée, comme établi par les pièces versées aux débats, leur emploi était distinct de celui occupé par Mme [R] en ce qu’il consistait à présenter une tranche horaire de la station en l’espèce, la matinale. Mme [R] quant à elle effectuait plusieurs interventions dans trois émissions distinctes et ses interventions étaient dépendantes de la programmation laquelle était revue chaque saison.

Si Mme [J] a, quant à elle, été engagée par contrat de travail à durée indéterminée en qualité d’éditorialiste, afin d’ ‘attirer ce talent’ selon l’employeur qui soutient qu’elle aurait pu être engagée en contrat de travail à durée déterminée d’usage, ses missions étaient définies dans le contrat de manière moins précise à savoir ‘la présentation quotidienne de l’édito politique au sein de l’émission ‘Europe 1 matin’ et l’interview politique dans l’émission ‘Europe 1 soir’, sans précision des horaires ni du nom du présentateur de l’émission, et étaient donc soumises au régime de droit commun de la modification des conditions de travail.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le recours aux contrats de travail à durée déterminée d’usage pour réaliser une prestation de travail journalistique éditorialisée ou d’éditorialiste est justifié par des raisons objectives consistant dans la spécificité de la prestation de travail dans sa nature et sa durée établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par Mme [R].

Sur la demande de requalification pour non respect du délai de transmission des contrats au salarié :

L’article L.1242-13 du code du travail dispose que le contrat de travail est transmis au salarié, au plus tard, dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche.

La transmission tardive équivaut à une absence d’écrit.

S’agissant d’un vice de forme, le délai de prescription court à compter de la date de conclusion de chacun des contrats.

L’article L1471-1 du code du travail dispose, dans sa version en vigueur au 16 juin 2013 applicable au litige, que toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Mme [R] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 19 juin 2017, elle est prescrite en sa contestation du délai de transmission des contrats signés les 9 juillet 2012, 2013, 3 juillet 2014.

Elle est en revanche recevable à contester les contrats du 10 juillet 2015 et de 2016.

Au sens de l’article L1242-13 du code du travail, le contrat écrit doit être transmis au salarié par l’employeur dans les deux jours de l’embauche, date de début d’exécution du contrat.

Il s’agit de deux jours ouvrables complets et le délai court à compter du lendemain de la date d’embauche au sens de date d’effet du contrat.

En l’espèce, le contrat daté du 10 juillet 2015 a été transmis à Mme [R] le 20 juillet 2015 pour un début d’exécution le 24 août 2015 de sorte qu’elle en a disposé avant la date d’effet de l’embauche.

Concernant le contrat signé le 20 juillet 2016, il a été remis à Mme [R] pour signature le 25 juillet 2016, l’avocat de celle-ci l’a adressé à Europe News signé par Mme [R] le 23 août 2016 et l’employeur le lui a réadressé signé par M. [M], représentant Europe News, le 30 août 2016. Or, le contrat avait pris effet le vendredi 22 août 2016, le délai commençant à courir à compter du lendemain de l’embauche et l’employeur devant bénéficier de deux jours ouvrables complets, il expirait le mercredi 26 août à minuit. Le contrat signé des deux parties ayant été transmis à Mme [R] le 30 août, elle a travaillé sans contrat écrit signé soit sans écrit ce qui à la date des faits est sanctionné par la requalification du contrat en contrat de travail à durée indéterminée.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a requalifié l’ensemble de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée.

La relation de travail est requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée avec effet à la date du 22 août 2016.

Sur l’indemnité de requalification :

En vertu de l’article L1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.

L’indemnité de requalification ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction.

Son dernier salaire brut étant de 27100 euros, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 27 400 euros à titre d’indemnité de requalification, le conseil de prud’hommes ayant fait une juste appréciation du préjudice subi.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis :

En vertu de l’article L7112-2 du code du travail, dans les entreprises de journaux et périodiques, en cas de rupture par l’une ou l’autre des parties du contrat de travail à durée indéterminée d’un journaliste professionnel, la durée du préavis, sous réserve du 3° de l’article L. 7112-5, est fixée à :

1° Un mois pour une ancienneté inférieure ou égale à trois ans ;

2° Deux mois pour une ancienneté supérieure à trois ans.

Toutefois, lorsque la rupture est à l’initiative de l’employeur et que le salarié a une ancienneté de plus de deux ans et de moins de trois ans, celui-ci bénéficie du préavis prévu au 3° de l’article L. 1234-1.

Mme [R] ayant moins de trois ans d’ancienneté en contrat de travail à durée indéterminée, le préavis qui lui est applicable est d’un mois.

La société Europe News est en conséquence condamnée à payer à Mme [R] la somme de 27 400 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2740 euros de congés payés y afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé en son quantum.

Sur l’indemnité de licenciement

L’article L7112-3 du code du travail dispose que si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze.

Il n’y pas lieu de distinguer la ou la loi ne distingue pas de sorte que les articles L 7112-3 et L 7112-4 du code du travail sont applicables à tous les journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse, quelle qu’elle soit.

La collaboration sous le régime du contrat de travail à durée indéterminée entre les parties ayant duré neuf mois, la société Europe News est condamnée à lui payer la somme de 20 550 euros à titre d’indemnité de licenciement.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

S’agissant de créances réciproques, il y a lieu de prononcer la compensation entre l’indemnité légale de licenciement et l’indemnité conventionnelle de 23 262 euros déjà versée. Il sera ajouté au jugement de ce chef.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

L’ancienneté de Mme [R] dans le cadre du contrat de travail à durée indéterminée est de neuf mois.

En vertu de l’article L1235-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au jour du licenciement, elle a droit à la réparation du préjudice subi.

Mme [R] a retrouvé des emplois de chroniqueuse à temps partiel en septembre 2017 lesquels cumulées lui ont procuré un revenu de 25 500 euros.

Son préjudice économique et moral du fait de la perte injustifiée de son emploi sera réparé par l’allocation de la somme de 50 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en son quantum.

Sur l’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement :

L’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement se cumule avec l’indemnité pour licenciement abusif consécutif à une requalification.

Selon l’article L1235-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable du 1er mai 2008 au 1er janvier 2018, si le licenciement d’un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Il convient dès lors de condamner la société Europe News à payer à Mme [R] la somme de 10 000 euros à ce titre.

S’agissant d’une demande nouvelle accessoire en appel, il sera ajouté au jugement de ce chef.

Sur la demande de paiement des périodes interstitelles

Le salarié qui sollicite le paiement de salaire pendant les périodes interstitielles doit rapporter la preuve de ce qu’il était resté à la disposition de son employeur pendant ces périodes.

Mme [R] sollicite le versement d’un rappel de salaire au titre de périodes interstitielles, sur les périodes suivantes :

– Du 30 juin au 26 août 2013 ;

– Du 13 juillet au 25 août 2014 ;

– Du 12 juillet au 24 août 2015 ;

– Du 10 juillet au 22 août 2016.

La requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée ayant été prononcée à la date du 22 août 2016, aucune période interstitielle n’est caractérisée jusqu’à la rupture du contrat le 9 juin 2017.

La demande formulée de ce chef est en conséquence rejetée.

Sur les dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’image

Il est établi que la presse s’est fait l’écho de l’éviction de Mme [R] dès le 15 juin 2017 soit avant la fin de son contrat de travail à durée déterminée puis de sa saisine du conseil de prud’hommes.

Toutefois, il n’est pas démontré que la communication de ces informations à la presse soit imputable à l’employeur.

La demande de dommages-intérêts est en conséquence rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La société Europe News est condamnée aux dépens d’appel et au paiement de la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris sur l’indemnité de requalification, le rejet des dommages-intérêts pour préjudice moral et d’image et le rejet du rappel de salaire de période interstitielle, les dépens et l’article 700 du code de procédure civile,

L’INFIRME en ses autres dispositions,

statuant à nouveau et y ajoutant,

REQUALIFIE la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée avec effet au 22 août 2016,

CONDAMNE la société Europe News à payer à Mme [K] [R] les sommes de :

– 27 400 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 2740 euros de congés payés y afférents,

– 20 550 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

– 10 000 euros à titre d’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement,

PRONONCE la compensation entre l’indemnité de licenciement et l’indemnité conventionnelle de rupture de 23 262 euros versée,

CONDAMNE la société Europe News à payer à Mme [K] [R] la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Europe News aux dépens d’appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


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