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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 27 OCTOBRE 2022
N° RG 20/01817 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UAOY
AFFAIRE :
[I] [V]
C/
S.A.S. ARPEGE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Juillet 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : C
N° RG : 17/02280
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
la SELARL NOVEIR & BENSASSON
Me Anne PETER JAY
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [I] [V]
né le 06 Septembre 1984 au [Localité 5] ([Localité 5])
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 20/01819 (Chambre Sociale)
Représentant : Me Reihaneh NOVEIR de la SELARL NOVEIR & BENSASSON, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d’ESSONNE
APPELANT
****************
S.A.S. ARPEGE
N° SIRET : 312 147 770
[Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 20/01819 (Chambre Sociale)
Représentant : Me Anne PETER JAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 0875
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Septembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Mohamed EL GOUZI,
FAITS ET PROCÉDURE
Après avoir travaillé au sein du groupe Elior, auquel appartient la société Arpège, par le biais d’un contrat d’apprentissage, puis de divers contrats d’extra entre le 1er septembre 2005 et le 26 novembre 2016, M. [V] a été engagé à compter du 3 décembre 2016 en qualité de cuisinier, par la société Arpège, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel stipulant une période d’essai de 2 mois.
L’entreprise, qui est une société de restauration collective d’entreprise, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective de la restauration de collectivités.
Après avoir vainement invité la société à mettre fin à la période d’essai, par lettre du 5 février 2017, M. [V] a pris l’initiative de la rupture du contrat de travail, suivant une correspondance datée du 21 février 2017 visant la période d’essai.
Aux termes d’une requête introductive d’instance en date du 23 août 2017, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre pour solliciter la requalification de sa démission en une prise d’acte de rupture, produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle, ni sérieuse, et la condamnation de l’entreprise au paiement outre des indemnités de rupture, de rappels de salaire et de prime ainsi que des dommages-intérêts pour usage abusif des contrats d’extra et exécution déloyale du contrat de travail.
Par conclusions ampliatives en date du 30 avril 2019, le salarié a sollicité du conseil qu’il requalifie les contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, le paiement d’une indemnité de requalification et qu’il juge que cette relation de travail ainsi requalifiée avait été rompue abusivement par l’employeur le 26 novembre 2016.
La société a soulevé l’irrecevabilité des demandes additionnelles tendant à la requalification des relations à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et en paiement d’une indemnité de requalification déposées et s’est opposée, pour le surplus, aux demandes du requérant.
Par jugement rendu le 17 juillet 2020, notifié le 24 juillet 2020, le conseil a statué comme suit :
Fixe la moyenne de salaire de référence de M. [V] à 2 190,18 euros,
Dit que la nouvelle demande du 30 avril 2019 est recevable,
Dit que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de M. [V] est une démission (fin de période d’essai à l’initiative du salarié),
Condamne la société à verser à M. [V] les sommes suivantes :
– 140 euros à titre de prime de remplacement,
– 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute M. [V] du surplus de ses demandes,
Déboute la société de ses demandes ;
Condamne la société aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d’exécution du jugement.
Le 18 août 2020, M. [V] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 22 juin 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 13 septembre 2022.
‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 20 juin 2022, M. [V] demande à la cour de :
Confirmer le jugement en ce qu’il a :
– fixé la moyenne de salaire de référence à 2 190,18 euros,
– dit que la nouvelle demande du 30 avril 2019 est recevable,
– condamné la société à lui verser la somme de 140 euros à titre de prime de remplacement,
– condamné la société à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d’exécution du jugement,
– débouté la société de ses demandes ;
Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– dit que la rupture du contrat de travail à durée indéterminée à temps à temps partiel est une démission (fin de période d’essai à l’initiative du salarié),
– l’a débouté du surplus de ses demandes,
En conséquence, juger ses demandes recevables,
A titre principal :
Juger qu’il était lié à la société par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 24 septembre 2015,
Juger que la rupture de son contrat le 27 novembre 2016 s’analyse en un licenciement abusif,
Condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 2 190,18 euros au titre de l’indemnité de requalification.
A titre subsidiaire :
Juger que la démission avec réserves produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Si la cour estime qu’il s’agit d’une rupture de période d’essai, juger que la rupture est imputable à l’employeur, du fait de l’inexécution de ses obligations contractuelles,
Condamner en conséquence la société à lui verser la somme de 13 141,08 euros (6 mois), au titre de dommages et intérêts pour usage abusif des CDD durant 6 ans.
En tout état de cause, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
– 214,58 euros au titre de rappel de salaire pour la journée du 1er janvier 2017, outre 21,45 euros au titre des congés payés afférents,
– 547,54 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 4 380,36 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 438,03 euros au titre des congés payés afférents,
– 21 901,80 euros (10 mois) au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 17 521,44 (8 mois) de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal en vigueur, à compter de la demande introductive de l’instance,
Condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 8 juin 2022, la société Arpège demande à la cour de :
Faire droit à son appel incident,
Dire irrecevable la nouvelle demande formée le 30 avril 2019 de requalification des relations à durée déterminée en un contrat à durée déterminée à compter du 24 septembre 2015 et en paiement de l’indemnité de requalification,
– du fait de l’absence de cette demande dans le cadre de la saisine du conseil de prud’hommes intervenue le 23 août 2017, soit postérieurement au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 ayant abrogé le principe de l’unicité de l’instance prud’homale,
– du fait de l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ayant réduit à 2 ans le délai de prescription des actions en justice relatives à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail,
Subsidiairement,
Dire que la demande de requalification ne peut pas de toutes façons prendre effet à compter du 24 septembre 2015, mais tout au plus à compter du 30 avril 2017, ce qui la rend sans objet,
Dire en tout état de cause prescrite la contestation des contrats d’extra de mars 2010 au 29 avril 2017 par application de l’article L. 1471-1 du code du travail,
Dire mal fondé l’appel principal formé par M. [V],
Constater que M. [V] a incontestablement pris l’initiative de la rupture du contrat de travail et que celle-ci lui est imputable,
Le débouter de ses demandes d’indemnités de préavis et de licenciement, ainsi que de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle, ni sérieuse,
Dire mal fondée la demande de requalification des contrats à durée déterminée,
Débouter M. [V] des demandes en découlant et de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
Le condamner aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
I – Sur les fins de non recevoir :
La société intimée considère que les demandes formées par M. [V] aux termes de ses conclusions déposées le 30 avril 2019, soit 18 mois après la saisine du conseil de prud’hommes, qui tendent à la requalification des relations à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée et au paiement d’une indemnité de requalification, sont irrecevables à un double titre, à savoir :
– du fait que ces demandes ne figuraient pas dans la saisine initiale du conseil de prud’hommes intervenue le 23 août 2017, postérieure à l’entrée en vigueur du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 ayant abrogé le principe de l’unicité de l’instance prud’homale,
– du fait de l’article L. 1471-1 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, ayant réduit à 2 ans le délai de prescription des actions en justice relatives à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail, qui s’applique également à l’action en requalification du contrat à durée déterminée (Soc. 31-1-2018 n° 16-23.602 F-D, C. c/ Sté Siderba Europe), dans la mesure où cette demande nouvelle qui n’a été formée que le 30 avril 2019 ne pouvait en tout état de cause que viser les contrats à durée déterminée à compter du 30 avril 2017.
M. [V] s’oppose aux fins de non recevoir qui lui sont opposées. Il estime que les demandes formées aux termes de ses conclusions ampliatives se rattachent par un lien suffisant à sa demande initiale en indemnisation du recours abusif des CDD, la demande litigieuse en requalification venant en quelque sorte compléter sa première réclamation. Il considère par ailleurs que conformément à la jurisprudence traditionnelle de la chambre sociale de la Cour de cassation en la matière, la saisine du 23 août 2017 a interrompu le délai de prescription.
Sur la recevabilité de la demande additionnelle au regard des dispositions de l’article 70 du code de procédure civile :
Les règles spécifiques à la matière prud’homale de l’unicité de l’instance prévue à l’article R.1452- 6 du contrat de travail ont été abrogées par le décret n°2016-660 du 20 mai 2016, soit antérieurement à la saisine de la juridiction prud’homale, le 23 août 2017.
Conformément à l’article 70 du code de procédure civile, les demandes additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant, l’appréciation du lien suffisant relevant du pouvoir souverain du juge du fond.
En l’espèce, M. [V] a saisi initialement le conseil de prud’hommes des demandes suivantes :
– juger que sa démission produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner l’employeur au paiement des indemnités de rupture, à savoir une indemnité compensatrice de préavis de 4380,36 euros outre 438,03 euros au titre des congés payés afférents, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , ainsi que 17 521,44 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et 13 141,08 euros de dommages-intérêts ‘pour utilisation abusive du contrat de travail à durée déterminée’.
Selon le jugement, M. [V] a déposé des conclusions en date du 30 avril 2019 aux termes desquelles il a sollicité en outre du conseil qu’il juge que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 24 septembre 2015 et que la rupture de son contrat ainsi requalifié le 27 novembre 2016 devait s’analyser en un licenciement abusif.
La demande initiale visant à indemniser le salarié au titre du recours abusif aux CDD et la demande en requalification de ces contrats de travail à durée déterminée, laquelle est notamment fondée sur le moyen selon lequel il aurait occupé durablement un emploi participant de l’activité normale et permanente de l’entreprise, ont un lien suffisant entre elles, de sorte que c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes les a déclarées recevables.
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes additionnelles :
Selon l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Il en résulte que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification, court à compter de la conclusion de ce contrat.
En revanche, en application de l’article L. 1245-1 du même code, par l’effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier.
Il en résulte que le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.
En l’espèce, M. [V] invoque au soutien de son action deux moyens, à savoir l’absence de signature de divers contrats et le fait qu’il occupait durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, lesquels sont fondés sur le motif du recours, de sorte que le point de départ de la prescription de son action était le terme du dernier contrat, soit en l’espèce le 25 novembre 2016.
En raison de la suppression du principe de l’unicité d’instance aux aux instances introduites devant le conseil de prud’hommes postérieurement au 1er août 2016, M. [V] n’est pas fondé à invoquer le principe selon lequel dès lors que ses demandes initiales et additionnelles se rapportent au même contrat de travail, la saisine initiale du 24 août 2017 a interrompu le délai de prescription applicable.
Conformément aux règles de procédure de droit commun, l’effet interruptif de la saisine du conseil de prud’hommes ne bénéficie plus qu’aux demandes formées à la date de cette saisine ainsi qu’aux demandes qui, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte qu’elles sont virtuellement comprises dans ces demandes initiales.
En l’espèce, il sera jugé que les demandes en requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, en paiement d’une indemnité de requalification et en constat de la rupture de la relation contractuelle ainsi requalifiée au lendemain du terme du dernier CDD, ne tendent pas au même but que la demande en paiement de dommages-intérêts pour recours abusif des CDD, de sorte que la saisine du 23 août 2017 n’a pas interrompu le délai de prescription.
Plus de deux ans s’étant écoulés entre le terme du dernier contrat à durée déterminée ayant lié les parties, en date du 25 novembre 2016, et les demandes additionnelles, formées le 30 avril 2019, celles-ci sont prescrites.
II – Sur la demande d’indemnisation du recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée d’usage :
Il est constant que M. [V] a été régulièrement employé par la société Arpège de juin 2010 à novembre 2016 à raison de 51 mois d’activité sur les 78 mois que compte cette période, pour des durées mensuelles très variables de 7 à 152 heures et que sur les 14 mois précédant la conclusion du contrat de travail à durée indéterminée, 23 CDD ont été conclus, la plupart d’une durée de deux jours, correspondant aux week-end et ce sur divers postes du restaurant administratif du journal ‘L’Equipe’, essentiellement en cuisine, à savoir ‘cuisinier’, ‘chef de partie’ ou encore ‘second de cuisine’.
Au regard du nombre de contrats conclus et de la durée de la période considérée, le recours abusif aux CDD est caractérisé.
Le fait que le salarié ait pu durant cette période cumuler son travail au sein de la société Arpège avec d’autres emplois et qu’il a été indemnisé parallèlement par Pôle-emploi n’est pas de nature à indemniser la situation de précarité qui en a découlé.
Il convient néanmoins de tenir compte du fait que deux mois seulement après avoir conclu un contrat de travail à durée indéterminée qui venait régulariser cette situation, le salarié a indiqué à son employeur, ainsi que ce dernier le souligne à juste titre, qu’il souhaitait ‘récupérer son statut d’intermittent à Pôle-emploi’.
En l’état de l’ensemble de ces éléments, le préjudice subi par le salarié à ce titre sera indemnisé à hauteur de 3 000 euros.
III – Sur la rupture du contrat de travail :
Au soutien de sa demande de requalification de sa démission en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [V] invoque les griefs suivants :
– un recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée d’usage,
– l’exécution déloyale par l’employeur du contrat de travail caractérisée, d’une part, en premier lieu, par la violation de l’amplitude journalière au visa de l’article L. 3131-1 du code du travail relatif au repos quotidien, en deuxième lieu, par la violation du seuil minimal du temps partiel, au regard des dispositions de l’article L. 3123-14-2 du code du travail, en troisième lieu, par le non paiement de certaines obligations contractuelles, en quatrième lieu, par le fait que l’employeur l’a soumis dans le cadre du contrat de travail à durée indéterminée à une période d’essai sans tenir compte de ses CDD précédents, au titre desquels il avait pu occuper des postes de cuisinier et, enfin en dernier lieu, par un manquement à son obligation de sécurité en ne prenant pas en compte ses alertes sur le conflit l’opposant au ‘plongeur’.
La société Arpège objecte qu’aucun des griefs reprochés n’est caractérisé ou ne présente un degré de gravité justifiant la rupture du contrat de travail.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d’une démission. Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
Ainsi, même si la lettre de démission ne comporte aucun grief, le salarié peut néanmoins rapporter la preuve qu’à la date de la rupture, il existait des griefs à l’encontre de l’employeur et que la démission résultait, en conséquence, d’une volonté équivoque du salarié. Pour analyser les griefs, le juge doit au préalable s’assurer qu’il existait un différend antérieur ou contemporain à la rupture et que les griefs évoqués avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte auprès de lui.
En l’espèce, il est constant que M. [V], après avoir invité son employeur à rompre la période d’essai, par lettre du 5 février 2017 (pièce n° 3 de l’appelant), ce qui lui permettrait de ‘récupérer son statut d’intermittent au Pôle-emploi à l’approche de sa prochaine paternité’, et de solutionner la situation conflictuelle qu’il vivait avec le ‘plongeur’ qui travaillait de week-end avec lui dont il précisait ‘qu’il ne lui répondait pas, qu’il n’exécutait pas ses missions et qu’il l’insultait’, situation qu’il affirmait avoir vainement soumise au directeur du site, a pris l’initiative de la rupture par lettre du 21 février 2017, dont les termes ne fixent pas le litige, dans les termes suivants :
En application de mon contrat de travail, je vous fait part de ma décision de mettre fin à ma période d’essai du poste de cuisinier que j’occupe depuis le 3 décembre 2016 sur le site de l’Angle.
Conformément à l’article 3 de mon contrat de travail la fin de ma période d’essai qui aurait dû prendre fin le 4 février 2017 est reconduite jusqu’au 4 Mars 2017 en raison des mes congés mariage pour le 28 et 29 Janvier 2016 et de mes arrêts de travail pour maladie pour les dates du 04/05, 11/12 et 28/29 Février 2017. Et toujours conformément à l’article 3 de mon contrat de travail la prise d’effet de ma fin de période d’essai est immédiate et sans préavis.
Je souhaiterais par la même occasion, que lors de l’édition de mon solde de tout
compte, soit régularisé la différence entre les heures déduites pour mon congé mariage pour un montant six cent trente trois euros et onze centimes et les heures payées pour ce même congé à savoir quatre cent vingt neuf euros et quinze centimes soit une différence de deux cent trois euros et quatre vingt seize centimes.
De plus je demande la régularisation de ma prime de remplacement que j’ai effectué sur le mois de décembre 2016 pour les dates du 23/27/28/29/30. En effet j’ai été payé cinq cent soixante euros brut au lieu de sept cent euros brut. (5*14O euros brut)
Pour terminer je demande également la régularisation de mes congés payés, soit 2,5 jours par mois de travail conformément à la législation en vigueur.
Dans l’attente de la réception de l’intégralité des documents liés à ma fin de contrat ( Le bulletin de paie, le chèque correspondant, mon certificat de travail, le reçu pour solde de tout compte et l’attestation destinée au pôle emploi) […]’
Il ressort de la lettre du 5 février 2017 l’existence d’un différend entre le salarié et son employeur, antérieur à l’initiative qu’il a prise de rompre le contrat de travail, relatif à l’abstention fautive de l’employeur aux alertes que M. [V] indique avoir formulées relativement au comportement que le ‘plongeur’ adoptait à son égard, ce qui la rend équivoque et doit s’analyser en une prise d’acte de la rupture du contrat.
Alors que la situation avait été régularisée par la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée, M. [V] n’est pas fondé à invoquer le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée au soutien de sa prise d’acte.
Rappel fait que la lettre de prise d’acte ne fixe pas les limites du litige et qu’il appartient au juge d’apprécier les griefs formés par le salarié au soutien de son action, il ressort des éléments communiqués par le salarié :
– la violation de l’amplitude journalière :
Au visa de l’article L. 3131-1 du code du travail, qui est relatif à la durée minimale de repos journalier, le salarié se plaint d’une violation de ‘l’amplitude journalière’ . Le salarié vise divers relevés horaires expose qu’il avait des amplitudes journalières jusqu’au 1er janvier 2017 de 14h45 puis de 13h45 à compter de cette date.
À juste titre, la société objecte que l’amplitude journalière doit être distinguée du temps de travail effectif. Si elle fait état d’interruption de l’amplitude par la prise de pause elle ne fournit aucun élément justificatif en ce sens alors que la preuve lui incombe. Elle considère qu’au vu des éléments communiqués, le seul manquement objectivé concernerait le temps de repos entre le 14 et le 15 janvier et entre le 21 et le 22 janvier.
Il sera relevé que l’employeur à qui incombe la charge de la preuve du respect de la durée maximale de travail et de la durée minimale de repos journaliers ne fournit aucun élément probant pour discuter les relevés horaires produits aux débats par le salarié.
– sur la violation du seuil minimal du temps partiel :
A juste titre, le salarié fait valoir que la durée de travail du contrat de travail à durée indéterminée conclu ne respecte pas la durée minimale de 24 heures hebdomadaires ainsi qu’exigé par l’article
l’article L. 3123-14-2 du code du travail.
Il n’est pas justifié par l’employeur que le salarié ait formulée une demande en ce sens écrite et motivée. L’argumentation opposée par l’employeur sur le fait que le salarié, dont le contrat était à temps partiel, pouvait parallèlement travailler pour d’autres employeurs est inopérante. Ce manquement est caractérisé.
– Sur la rémunération :
Si le salarié soutient avoir travaillé le 1er janvier 2017, ainsi qu’en attestent deux de ses collègues, MM. [E] et [G], la société Arpège rapporte la preuve du paiement de cette journée sur la paie de février. Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de ce chef.
Par ailleurs, alors que le salarié a effectué 5 remplacements les 23, 27, 28, 29 et 30 décembre 2016, il n’a reçu que quatre indemnités de 140 euros, et non 5. Faute pour l’employeur de rapporter la preuve de ses allégations selon lesquelles le paiement de son obligation avait été mis en régularisation sur la prime de remplacement, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement de la somme de 140 euros à ce titre.
– Sur la période d’essai imposée nonobstant les CDD, précédemment conclus entre les parties :
Nonobstant les objections élevées par l’employeur selon lesquelles elle n’avait pas pu apprécier les compétences professionnelles du salarié pour lui confier un poste de ‘cuisinier niveau IV’, M. [V] établit, sans même faire référence aux nombreux contrats conclus antérieurement à la période de requalification des CDD, qu’au cours des 14 mois ayant précédé la signature du contrat de travail à durée indéterminée, il avait effectivement travaillé sur différents postes en cuisine dont certain au niveau IV auquel il a été recruté.
En lui imposant, nonobstant, une période d’essai, l’employeur a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail.
– sur le manquement à l’obligation de sécurité :
Enfin, le salarié justifie par la communication de plusieurs témoignages dont celui circonstancié de M. [Y], que M. [V] a rencontré effectivement, ainsi qu’il s’en est plaint dans sa lettre du 5 février 2017, une situation conflictuelle avec le ‘plongeur’. Selon ce témoin, le ‘plongeur’ a adopté vis-à-vis de M. [V], après que ce dernier soit intervenu à la demande du témoin pour qu’il exécute ses tâches, un comportement malveillant, ne lui adressant plus la parole, jetant des déchets à côté de la poubelle une fois que M. [V] avait nettoyé le sol, […] ou encore l’insultant de ‘connard’, ‘enculé’, ‘fils de pute’. Ce témoin atteste qu’à trois reprises sur une période de deux mois, M. [V] s’est trouvé dans l’obligation de contacter le gérant du site devant le plongeur (car pas de responsable sur site lors des prestations de fin de semaine) afin de signaler les problèmes car son comportement nuisait au bon déroulement de la prestation.
L’employeur qui ne réfute pas que la hiérarchie a été avisée de cette situation et qui n’a, en toute hypothèse, nullement réagi à l’alerte dont il a été à tout le moins saisi par cette lettre du 5 février 2017, ne justifie pas avoir pris une quelconque mesure afin de recevoir les protagonistes, investiguer le cas échéant et mettre un terme à cette situation conflictuelle susceptible de dégénérer. L’employeur a manqué à ce titre à son obligation de sécurité.
En l’état de ces éléments, le préjudice moral résultant de ces manquements itératifs sera réparé par l’allocation de la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts.
Les manquements ci-avant identifiés comme établis, présentent un caractère de gravité suffisant de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
IV – sur l’indemnisation de la rupture :
Au jour de la rupture, M. [V] âgé de 32 ans bénéficiait d’une ancienneté, laquelle remonte au 3 décembre 2016, de 16 mois. Son salaire mensuel brut s’élevait à 2 190,18 euros.
Le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, correspondant, conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail, à la rémunération brute qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période du délai-congé.
Au vu de la durée du préavis, fixée à un mois tenant son ancienneté et du montant de son salaire, il sera alloué à M. [V] une indemnité compensatrice de préavis de 2 190,18 euros bruts, outre 2019,01 euros bruts au titre des congés payés afférents.
Compte tenu de son ancienneté, M. [V] n’est pas fondé à solliciter le paiement d’une indemnité de licenciement.
Le salarié, qui avait exprimé le souhait de reprendre son statut d’intermittent à Pôle-emploi, est fondé en sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte injustifiée de son licenciement. Il communique les bulletins de salaire de divers emplois occupés dans le cadre de contrats courts (sociétés Fusion traiteur, Mango, Accor hôtels) ou contrats de missions (Adecco) .
En l’état de l’ensemble de ces éléments, la perte injustifiée de son emploi sera indemnisée à hauteur de 2 500 euros.
Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil prévoyant que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal, à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, les créances à caractère indemnitaire produisant intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement en ce qu’il a d’une part, débouté M. [V] de sa demande en paiement de la somme de 214,58 euros à titre de rappel de salaire outre congés payés afférents et d’autre part, condamné la société Arpège à lui verser la somme de 140 euros à titre de rappel de prime de remplacement et de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare M. [V] irrecevable en sa demande de requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée, de sa demande en paiement d’une indemnité de requalification et de sa demande en constat d’un licenciement injustifié au lendemain du terme du dernier contrat de travail à durée déterminée,
Condamne la société Arpège à verser à M. [V] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts pour recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée et de 1 500 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Dit que la démission avec réserves s’analyse en une prise d’acte de rupture du contrat aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 21 février 2017,
Condamne la société Arpège à verser à M. [V] les sommes suivantes :
– 2 190,18 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 219,01 euros bruts au titre des congés payés afférents,
– 2 500 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [V] de sa demande en paiement d’une indemnité de licenciement,
Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,
Condamne la société Arpège à verser à M. [V] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur Mohamed EL GOUZI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,