Contrat à durée déterminée d’usage : 26 mars 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/01033

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Contrat à durée déterminée d’usage : 26 mars 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/01033
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

11e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 MARS 2020

N° RG 18/01033 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SFRF

AFFAIRE :

[O] [V]

C/

SA TELEVISION FRANCAISE 1

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Janvier 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : F 17/00980

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL ROUMIER SPIRE

la AARPI DE PARDIEU BROCAS MAFFEI

Expédition numérique délivrée à : Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX MARS DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [O] [V]

née le [Date naissance 1] 1983 à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Sylvain ROUMIER de la SELARL ROUMIER SPIRE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2081

APPELANTE

****************

SA TELEVISION FRANCAISE 1

N° SIRET : 326 300 159

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Philippe ROZEC de l’AARPI DE PARDIEU BROCAS MAFFEI, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R045 – N° du dossier 22410 substitué par Me Katia CHEBBAH, avocate au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 Février 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

A partir du 5 octobre 2009, Mme [O] [V] était embauchée par la SA TF1 en qualité de lectrice de textes par 96 contrats à durée déterminée d’usage. Le dernier contrat était conclu entre les parties le 18 septembre 2017.

Le 4 août 2017, Mme [O] [V] saisissait le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt d’une demande de requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée à temps plein.

Vu le jugement du 9 janvier 2018 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt qui a :

– débouté Mme [O] [V] de l’intégralité de ses demandes ;

– débouté la SA TF1 de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– laissé les dépens éventuels à la charge de Mme [O] [V]

Vu la notification de ce jugement le 16 janvier 2018.

Vu l’appel régulièrement interjeté par Mme [O] [V] le 14 février 2018.

Vu les conclusions de l’appelant, Mme [O] [V], notifiées le 13 février 2020, soutenues à l’audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :

– infirmer dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 9 janvier 2018, RG n°17/00980 ;

Statuant à nouveau,

– juger que la société TF1 a gravement manqué aux obligations de forme inhérentes au recours aux contrats à durée déterminée (contrats inexistants, tardifs ou non motivés sur la précarité) ;

– juger que Mme [O] [V] occupe un emploi normal et permanent dans l’entreprise ;

En conséquence,

– requalifier la relation de travail entre Mme [O] [V] et la SA TF1 en CDI à compter du 5 octobre 2009, sur le fondement des articles L. 1242-1, L.1242-1, L.1242-12 et L. 1242-13 du code du travail et de l’accord-cadre européen du 18 mars 1999, repris par la directive communautaire du 28 juin 1999, de l’accord collectif d’entreprise de TF1 ;

– condamner la société TF1 à verser à Mme [V] une indemnité de requalification des CDD illicites en CDI de 42 475,40 euros sur le fondement de l’article L.1245-2 du code du travail ;

– juger que Mme [O] [V] est à l’entière disposition de la SA TF1 et travaille concrètement à temps complet, et que la société TF1 échoue à rapporter la preuve de la répartition de la durée du temps de travail à la semaine ou au mois ;

– juger que la présomption de contrat de travail à temps plein de l’article L. 3123-6 s’applique ;

En conséquence,

– requalifier le CDI de Mme [O] [V] en contrat à temps plein, soit 151,67 heures par mois ;

– fixer le salaire mensuel de référence à 4.537,97 euros (temps plein) ;

– condamner la SA TF1 à verser à Mme [O] [V] :

– à titre principal la somme de 315 848,25 euros à titre de rappel de salaires en CDI à temps plein d’octobre 2009 à octobre 2017 ainsi que 31 584,83 euros à titre de congés payés afférant ;

– à titre subsidiaire la somme de 210 898,17 euros à titre de rappel de salaires en CDI à temps plein de août 2012 à octobre 2017 (5 ans) ainsi que 21 089,82 euros à titre de congés payés afférant ;

A titre principal, sur la rupture du contrat de travail,

– juger l’absence de rupture du contrat de travail ;

– ordonner la poursuite du contrat de travail de « lecteur de texte » à durée indéterminée de Mme [O] [V] pour un salaire mensuel de 4.537,97 euros, à temps plein et sous astreinte de 2000 euros, par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, dont la cour se réservera la liquidation ;

A titre subsidiaire, si la cour devait juger l’existence d’une rupture du contrat de travail de Mme [O] [V],

– juger que la rupture du contrat de travail de Mme [O] [V] est nulle et de nul effet ;

– ordonner la poursuite du contrat de travail « lecteur de texte » à durée indéterminée de Mme [O] [V] pour un salaire mensuel de 4.537,97 euros à temps plein et sous astreinte de 2000 euros, par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, dont le conseil se réservera la liquidation ;

A titre infiniment subsidiaire,

– juger que la rupture du contrat de travail de Mme [O] [V] est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence de l’absence de cause réelle et sérieuse

– condamner la SA TF1 à payer à Mme [O] [V] les sommes suivantes :

– Au titre du préavis, la somme de 9 075,94 euros (2 mois) ainsi que les congés payés afférents (907,59 euros) ;

– Au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 35.396,16 euros ;

– Au titre des dommages et intérêts liés à la rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat de travail soit 81 683,46 euros ;

En tout état de cause

– condamner la SA TF1 à verser à Mme [O] [V] la somme de 5.520,86 euros au titre des rappels d’heures supplémentaires effectuées d’août 2012 à octobre 2017 (5 ans) et de 19 806.93 euros au titre des heures effectuées le dimanche et les jours fériés, soit un total de 25 359,85 euros ;

– condamner la SA TF1 à verser à Mme [O] [V] un rappel de prime d’atelier s’élevant à 13.613,91 euros, au titre de la non application des dispositions relatives aux TAD par tf1 (L.7421-1 ; R.7421-1 et R.7421-2 du code du travail) ;

– condamner la SA TF1, vu l’accord d’entreprise du 31 janvier 1991, à verser à Mme [O] [V] la somme de 6.958,48 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté non payée entre de 2012 à 2017, ainsi qu’une indemnité compensatrice pour les congés payés afférents de 695,84 euros ;

– condamner la SA TF1 à payer à Mme [O] [V] à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé sur rappel de travail à temps plein et heures supplémentaires sur le fondement des articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail, la somme de 27 227,82 euros correspondant à 6 mois de salaires ;

– juger que la SA TF1 a manqué à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail ;

En conséquence,

– condamner la SA TF1 à verser à Mme [O] [V] la somme de 54 455,64 euros (12 mois), sur le fondement des articles L. 1222-1 du code du travail et 1104 du code civil ;

– juger que Mme [O] [V] a subi un grave préjudice de retraite du fait de son statut précaire ;

En conséquence,

– condamner la SA TF1 à verser à Mme [O] [V] la somme de 99 082,66 euros à titre de préjudice de cotisation retraite et d’indemnisation retraite sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

En tout état de cause

– condamner la SA TF1 à régulariser la situation de Mme [O] [V] auprès des organismes sociaux tant en ce qui concerne l’URSAAF, la CNAV, que la retraite complémentaire ainsi que le régime de prévoyance, depuis l’origine de son contrat, en application du jugement à intervenir, et ce sous astreintes de 1000 euros par jour de retard et par organisme ;

– condamner la SA TF1 à fournir à Mme [O] [V] des bulletins de paie mois par mois conformes à l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard et par document à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement à intervenir ;

-se réserver le contentieux de la liquidation des astreintes ;

– condamner la SA TF1 à payer à Mme [O] [V] les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) conformément à l’article 1343-2 du code civil, et à titre subsidiaire en tant que de besoin sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile ;

– condamner la SA TF1 à payer à Mme [O] [V] la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la SA TF1 aux entiers dépens et aux éventuels frais d’exécution.

Vu les écritures de l’intimée, la SA TF1, notifiées le 12 février 2020, développées à l’audience par son avocat, auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :

A titre principal,

– dire et juger que le recours aux contrats à durée déterminée d’usage est justifié ;

– dire et juger que Mme [O] [V] n’était pas à la disposition permanente TF1 SA ;

En conséquence,

– confirmer en intégralité le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt ;

– débouter Mme [O] [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– recevoir la SA TF1 SA en sa demande reconventionnelle et condamner Madame [O] [V] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [O] [V] aux entiers dépens.

Vu l’ordonnance de clôture du 17 février 2020.

SUR CE,

– Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à temps plein

A – Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Mme [V] se prévaut de l’irrégularité formelle des contrats de travail à durée déterminée, précisant :

– qu’ils comportent des dates fictives d’exécution de la prestation de travail,

– qu’ils lui ont été communiqués plus de 48 heures après la date fictive d’embauche mentionnée par la SA TF1,

– qu’ils ne comportent aucun motif.

L’employeur répond que dans l’intérêt de Mme [V], les jours de travail déclarés ont été soumis à son approbation. Il soutient que le non-respect du délai de remise du contrat dans les 48 heures suivant l’embauche n’est pas de nature, à lui-seul, à entraîner la requalification sollicitée. Il souligne que cette règle est incompatible avec le mode d’organisation du travail d’un lecteur de texte, qui exécute un travail à la tâche, dans le cadre d’une liberté totale d’organisation.

L’article L 1242-2 du code du travail dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°).

Aux termes de l’article L 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte ; à défaut, il est réputé être conclu pour une durée indéterminée.

En vertu de l’article L 1242-13 du code du travail, ce contrat est remis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche.

Selon l’article L 1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L 1242-1 à L 1242-4, L 1242-6 à L 1242-8, L 1242-12 alinéa 1, L 1243-11 alinéa 1, L 1243-13, L 1244-3 et L 1244-4 du même code.

En l’espèce, il ressort de l’examen des contrats produits que nombre d’entre eux ont été signés au-delà du délai de deux jours visé à l’article L 1242-13 précité :

– le contrat de travail conclu pour le 5 octobre 2009 n’a été signé par les parties que le 9 octobre 2009, soit avec 2 jours de retard,

– le contrat de travail conclu pour la période du 2 au 6 novembre n’a été signé par les parties que le 6 novembre 2009, soit avec 2 jours de retard,

– le contrat de travail conclu pour la période du 1er au 7 décembre 2009 n’a été signé par les parties que le 4 décembre 2009, soit avec 1 jour de retard,

– le contrat de travail conclu pour la période du 4 au 14 janvier 2010 n’a été signé par les parties que le 7 janvier 2010, soit avec 1 jour de retard.

Il en va de même de nombreux contrats conclus pendant la relation de travail, notamment ceux des 5 février, 8 mars, 8 avril, 7 mai, 4 juin, 9 juillet, 8 septembre, 7 octobre, 6 décembre 2010, 10 janvier, 4 février, 4 mars, 7 avril, 5 mai, 6 juin, 6 octobre, 7 novembre, 5 décembre 2011,9 janvier, 6 février, 5 mars 2012, 6 février, 6 mars 2013, 4 avril, 9 mai et 13 juin 2014 qui ont tous été signés par les parties plus de deux jours après le début de la mission impartie. 

Or, la transmission tardive du contrat à durée déterminée équivaut à une absence de contrat écrit.

En outre, Mme [V] et la SA TF1 produisent des échanges de courriels intervenus entre la salariée et l’employeur pendant toute la relation de travail, qui démontrent que les lectures du mois étaient déclarées le mois suivant et que les périodes de travail mentionnées aux contrats de travail ne correspondent pas aux jours effectivement travaillés.

Ainsi, le 19 mars 2015, Mme [V] a écrit à Mme [U], assistante à la direction fiction : « Concernant les dates, je ne peux pas être déclarée les 9 et 10 avril. Je propose donc les 1-2-3-7-8-13-14-15-16-17&20. »

Mme [U] lui a répondu : « Bonjour [O],

Voici la nouvelle version de votre relevé de lecture, cela vous convient, J’ai bien noté les dates que vous souhaitiez que je déclare le mois prochain. »

De même, le 16 avril 2015, Mme [V] a indiqué à Mme [U] : « Concernant les dates, je préfère être déclarée à la fin du mois (22-25-26-27-28&29/05) ».

Ou encore, le 21 juillet 2016, Mme [Z], assistante d’une conseillère artistique, a écrit à Mme [V] : « [O], Voici le relevé mis à jour » et la salariée a répondu : « Merci [M] ! Concernant les dates, j’ai oublié de vous préciser que je préférerais être déclarée à la fin du mois (donc du 22 au 31/8)… ».

Aux termes de ses écritures, la SA TF1 explique : « Concrètement :

– les lecteurs de textes sont sollicités par les conseillers artistiques qui leur adressent des demandes de lectures. Celles-ci sont par nature variable d’un mois à l’autre et leur recours n’est aucunement déterminable à l’avance ;

– s’ils sont disponibles (et la société prend toujours le soin de vérifier cette disponibilité), ils acceptent la tâche et réalisent la fiche de lecture, qu’ils renvoient à TF1 SA ;

– en fin de mois, l’assistante des conseillers artistiques adressent un relevé des lectures, qui est systématiquement validé par le lecteur ;

– en fonction du nombre de tâches réalisés, une demande de règlement de cachet et un CDD d’usage est établi, et ce après que Mme [V] ait validé les jours de travail déclarés : cette validation est indispensable afin pour qu’il n’y ait pas de conflit avec d’autres jours de travail pour le compte d’un autre employeur. Cette vérification est indispensable puisque :

o le travail étant effectué à domicile

o l’employeur n’impose aucune contrainte s’agissant des plages de travail,

o l’employeur n’impose aucune exclusivité et n’a pas connaissances des autres tâches éventuellement réalisées par le lecteur pour le compte d’autres employeurs.

Ainsi, chaque mois avant l’établissement de son CDD, Mme [V] confirmait que les jours de travail déclarés lui convenaient ».

Ces éléments établissent que les contrats à durée déterminée conclus par les parties étaient rédigés après l’exécution de la prestation de travail et comportaient des dates mensongères.

Comme l’indique l’employeur, différents courriels, notamment ceux des 19 mars, 16 avril 2015 et 21 juillet 2016, établissent que Mme [V] a choisi ses jours de travail. Il n’en demeure pas moins que l’irrégularité est pleinement caractérisée par l’établissement de contrats de régularisation des prestations exécutées le mois précédent, suivant une organisation que l’employeur a imposée à la salariée. Il apparaît au surplus, que la SA TF1 a accepté de retenir les jours de travail proposés par la salariée, contribuant ainsi pleinement aux mentions contractuelles mensongères.

Si la SA TF1 prétend qu’il lui était impossible, compte tenu des contraintes liées à l’activité de lecteur de texte, de respecter le délai imposé par l’article L 1242-13 du code du travail, il doit être souligné qu’il ne justifie d’aucune raison l’empêchant d’envoyer à Mme [V] le contrat de travail concomitamment avec le scénario. En tout état de cause, le mode d’organisation du travail d’un lecteur n’est pas de nature à dispenser l’employeur du respect des conditions formelles imposées par la loi en matière de contrat à durée déterminée.

Par ailleurs, comme le soutient l’employeur, l’article L 1245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance 2017-1387 du 24 septembre 2017, énonce que : « La méconnaissance de l’obligation de transmission dans le délai fixé par l’article L. 1242-13 ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ». Cependant, ces dispositions ne peuvent recevoir application dans le cadre de ce litige, dès lors que le dernier contrat conclu entre les parties est daté du 18 septembre 2017.

Ces éléments justifient la requalification des contrats à durée déterminée conclus entre Mme [V] et la SA TF1 en contrat à durée indéterminée dès le 5 octobre 2009.

B – Sur la demande de requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein

– S’agissant des périodes travaillées : comme le souligne pertinemment la SA TF1, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles sur la durée du travail.

Cependant, comme exposé supra, les contrats conclus entre Mme [V] et la SA TF1 ont été remis tardivement à la salariée, s’agissant de contrats mentionnant des dates mensongères puisque portant sur des prestations exécutées le mois précédent. Certains contrats portent même des dates de signature excédant le délai de deux jours de l’article L 1242-13 du code du travail.

La remise tardive du contrat à durée déterminée équivaut à une absence de contrat écrit.

Or, l’absence de contrat écrit mentionnant la durée du travail et sa répartition fait présumer que l’emploi est à temps complet.

Il incombe à l’employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d’une part, de la durée exacte du travail convenu et d’autre part que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur.

La SA TF1 prétend renverser la présomption en indiquant que le nombre exact d’heures travaillées figure dans les contrats de travail.

Les contrats de travail précisent effectivement la période de travail, les jours travaillés au sein de cette période et le paiement sur la base de 8 heures par jour. Cependant, l’employeur explique, en page 9 de ses conclusions, que le temps de travail était variable en fonction du nombre de pages du scénario : « Pour évaluer la durée de travail : l’application d’un forfait de 75 min + 4min par page, ramené ensuite en heure (/ 60 minutes) puis en jours (/ 8 heures). Par exemple pour le scénario No Second Chance versé aux débats par Mme [V], l’application du forfait revient à fixer la rémunération dans les conditions suivantes :

75 + (56 pages x 4) = 299 mn, soit 5 heures, soit 0,625 jour ».

Il apparaît donc que la durée de 8 heures par jour qui est mentionnée sur tous les contrats produits ne correspond pas à la durée exacte de travail de la salariée, calculée suivant la méthode précitée, que la SA TF1 ne justifie, de surcroît, pas avoir porté à la connaissance de Mme [V] avant toute relation contractuelle. La diversité des scenarii est incompatible avec la mention systématique et stéréotypée d’une durée de 8 heures par jour. La SA TF1 ne s’explique pas sur ce point.

En outre, et surtout, compte tenu des conditions d’établissement des contrats de travail, aucun accord n’a pu intervenir entre les parties concernant la durée du travail, puisque les contrats ont été régularisés après exécution de la prestation de travail.

Si la SA TF1 rappelle que Mme [V], en tant que travailleur à domicile, disposait d’une totale liberté d’organisation, il doit être rappelé que le statut de travailleur à domicile ne dispense pas l’employeur du respect des dispositions de l’article L 3123- 14 devenu L 3123-6 du code du travail, en application de l’article L 7413-1 du même code.

Au surplus, l’article L 7421-1 dudit code prévoit que « lorsqu’un donneur d’ouvrage recourt à un travailleur à domicile, il établit un bulletin ou un carnet », qui, selon l’article R 7421-1 est « remis au travailleur à domicile » et qui « mentionne (‘) 4° – La nature et la quantité du travail, la date à laquelle il est donné, les temps d’exécution, les prix de façon ou les salaires applicable ‘ ».

En l’espèce, la SA TF1 ne justifie pas de l’établissement de ce document, à défaut duquel, compte tenu de l’impossibilité de déterminer le nombre d’heures accomplies par la salariée, les contrats doivent être présumés conclus à temps complet.

– S’agissant des périodes interstitielles, le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs requalifiés en un contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il établit s’être tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes.

Mme [V] expose qu’elle ne disposait d’aucun planning, qu’elle était sollicitée de manière aléatoire en fonction des besoins de l’employeur et souvent dans l’urgence, qu’elle n’a pas été en mesure de travailler pour un autre employeur. Elle considère que le rythme de succession des contrats de travail et la durée totale de la relation contractuelle permettent de retenir l’existence d’un contrat à durée indéterminée à temps complet.

L’employeur répond que Mme [V] ne travaillait en moyenne que 5,8 jours par mois, qu’elle n’était contrainte par aucune clause d’exclusivité, qu’il prenait toujours le soin de lui demander si elle était disponible pour réaliser les lectures proposées, la salariée demeurant libre de refuser des missions et qu’elle fixait elle-même ses périodes de congés, de sorte qu’elle ne peut sérieusement prétendre, compte tenu de son rythme de travail et des modalités d’organisation de celui-ci, s’être tenue à la disposition permanente de l’employeur. Il ajoute qu’elle pouvait prévoir son rythme de travail, puisqu’il était indiqué à la salariée, si elle acceptait la lecture, qu’elle disposait en moyenne de 5 à 6 jours pour réaliser chaque fiche

En exécution des 96 contrats conclus entre les parties, Mme [V] a travaillé pour la SA TF1 comme suit :

– 2009 : 11 jours,

– 2010 : 84 jours,

– 2011 : 82 jours,

– 2012 : 88 jours,

– 2013 : 68 jours,

– 2014 : 78 jours,

– 2015 : 76 jours,

– 2016 : 66 jours,

– 2017 : 31 jours.

Comme le souligne la SA TF1, la durée moyenne de travail de Mme [V] durant les 8 années de la relation de travail s’est limitée à 5,8 jours par mois.

Cependant, les pièces produites, notamment le tableau de synthèse des délais de remise des travaux établi par l’employeur en pièce n°18, démontrent que Mme [V] était sollicitée par la SA TF1 de manière totalement imprévisible, au gré de l’envoi des scenarii par les sociétés de production. En outre, l’employeur lui attribuait unilatéralement un délai d’exécution variable d’environ 5 jours. Certaines demandes pouvaient s’avérer urgente, la fiche de lecture devant être remise dans les deux jours.

Les dates d’exécution des prestations étaient aléatoires, sans la moindre régularité et le volume de travail confié très variable : ainsi, le 30 avril 2014, la SA TF1 a confié à la salarié un scénario de 57 pages dont la fiche de lecture devait être remise dans les 5 jours, puis le 7 mai 2014, un autre scénario, cette fois de 500 pages, lui a été confié, avec un délai limité à 8 jours pour réaliser le travail.

Il apparaît également qu’à certaines périodes, Mme [V] réalisait plusieurs fiches de lectures en même temps. Ainsi, le 15 avril 2014, elle a reçu 6 scenarii d’une vingtaine de pages chacun à traiter pour le 25 avril 2014, puis le lendemain 16 avril 2014, deux autres scenarii de 50 pages chacun lui ont été adressés, à analyser pour le 22 avril 2014.

Au surplus, Mme [V] établit que le nombre de jours figurant aux contrats de travail était sous-évalué, la SA TF1 ayant sous-estimé la durée du travail nécessaire à l’établissement des fiches de lecture. Elle se verse ainsi aux débats les attestations de Mmes [H] et [F].

Mme [H] explique que : « Le temps de travail était sous-évalué. Par exemple le temps estimé par TF1 pour une fiche de lecture sur un scénario d’une cinquantaine de pages était de 5h alors qu’il est impossible de réaliser un tel travail dans ce délai. Cette sous-évaluation a commencé en 2008-2009. Auparavant, TF1 nous déclarait un plus grand nombre d’heures pour le même travail. Pour justifier ce changement, TF1 nous avait alors avancé que notre taux journalier, pour le statut intermittent, serait meilleur. Mais le fait est qu’il était surtout plus difficile de faire ses heures et donc d’accéder à ce statut.»

Mme [F] atteste qu’il faut « au minimum 2 journées de travail complet » pour réaliser une fiche de lecture d’un scénario de 52 minutes, en considération du « temps de réflexion et de documentation (recherches sur les auteurs, les thèmes abordés dans le projet, recherches référentielles de films ou de séries comparables, visionnage d’épisodes de la série originale ».

Pour contester le caractère probant de ces témoignages pourtant concordants, la SA TF1 invoque une étude dont il déduit que Mme [V], en tant que lecteur professionnel, lisait 575 mots par minute et un article issu du site internet Wikipédia, évaluant à 19 mots par minute le rythme de dactylographie en cas de composition d’un texte.

Cependant, ces données, dont la fiabilité scientifique n’est pas démontrée, n’apparaissent pas convaincantes au regard du travail d’analyse auquel Mme [V] devait se livrer, tel qu’il ressort de l’examen des différentes fiches de lecture versées aux débats. S’il apparaît effectivement que Mme [V] s’est vue attribuer les différents épisodes d’une même série, comme « Joséphine Ange Gardien » ou encore « Piégée », permettant ainsi d’optimiser les connaissances acquises des schémas directeurs des épisodes, il n’en demeure pas moins que les intrigues et les personnages, hormis les principaux, différaient d’un scénario à l’autre, nécessitant une analyse spécifique.

Dans ces conditions, il était nécessairement difficile pour Mme [V] de travailler pour un autre employeur. Elle justifie d’ailleurs avoir consacré son activité professionnelle à la SA TF1 par la production de ses déclarations fiscales de revenus durant toute la relation de travail.

La circonstance suivant laquelle l’employeur lui demandait, avant tout envoi de scénario, si elle était disponible, lui laissant ainsi la faculté de refuser, est indifférente, compte tenu de l’impossibilité dans laquelle s’est trouvée Mme [V] de connaître à l’avance ses jours et son volume de travail, lui imposant ainsi de se maintenir à disposition constante de l’employeur. Elle n’a d’ailleurs refusé qu’une seule fois une lecture en 8 ans, pour une raison familiale grave.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le contrat à durée indéterminée à temps partiel doit être requalifié en contrat à durée indéterminée à temps complet pour toute la durée de la relation de travail ayant lié les parties.

C – Sur les demandes financières

– Sur la prescription

La SA TF1 invoque la prescription de 3 ans de l’article L 3245-1 du code du travail relatif à l’action en paiement ou en répétition du salaire.

Cependant, il doit être rappelé que Mme [V] travaillait à domicile. Or l’article L 7423-1 du même code prévoit que : « Les réclamations des travailleurs à domicile relatives au tarif du travail exécuté, aux frais d’atelier, aux frais accessoires et aux congés payés se prescrivent par cinq ans à compter du paiement de leur salaire. »

Mme [V] a déposé sa requête devant le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 4 août 2017. Son action en paiement au titre des rappels de salaire est donc prescrite pour les salaires antérieurs au 4 août 2012.

– Sur le rappel de salaires

La SA TF1considère que Mme [V] ne peut prétendre calculer son salaire équivalent à un temps plein en prenant comme référence un salaire versé au titre d’un forfait en nombre de pages, intégrant des bonifications non liées au temps de travail

Si la SA TF1 explique que le salaire payé à Mme [V] dépendait, non pas d’un taux horaire, mais du nombre de pages du scénario confié (forfait de 60 euros, outre 1 euro par page et une majoration de 10 % en cas de lecture en anglais ou urgente), il n’en demeure pas moins que les contrats fixaient un montant de salaire dû en contrepartie d’une durée de travail de 8 heures.

Dans ces conditions, et au regard de la moyenne des salaires payés pour ces 8 heures durant la relation de travail, le salaire à retenir pour le contrat de travail à temps complet doit être évalué à la somme de 3 890,52 euros, outre 389,05 euros au titre des congés payés.

Par ailleurs, l’article 17-2 de l’accord collectif d’entreprise du 31 janvier 1991 prévoit le bénéfice d’une prime d’ancienneté dans les conditions suivantes :

« Le salaire de base des salariés employés dans l’Entreprise est majoré d’une prime d’ancienneté, assise sur le salaire de base mini mensuel prévu dans les tableaux figurant à l’article 17-1.

Le taux de cette prime par année d’ancienneté est fixé à 0,8% du salaire de base minimum mensuel, sans pouvoir excéder 24% dudit salaire. »

Aussi, les salaires reconstitués sur la période non prescrite, comprenant la prime d’ancienneté et les congés payés, doivent être évalués comme suit :

– 2012 : 4 342,10 euros,

– 2013 : 4 364,44 euros,

– 2014 : 4 388,06 euros,

– 2015 : 4 410,66 euros,

– 2016 : 4 434,48 euros,

– 2017 : 4 457,26 euros.

Il n’y a pas lieu à intégrer à la reconstitution du salaire de Mme [V] les heures supplémentaires, la demande formulée à ce titre étant examinée infra.

Aussi, et compte tenu des salaires payés à Mme [V], la SA TF1 doit être condamnée au paiement de la somme de 202 460,84 euros, comprenant la prime d’ancienneté et les congés payés, au titre du rappel de salaire concernant la période non prescrite. Il n’y a pas lieu à déduction des sommes perçues par Mme [V] au titre des congés spectacles et des indemnités chômage, dès lors que la SA TF1 n’est pas l’auteur de ces paiements.

– Sur la demande de rappel de prime d’ancienneté

Si Mme [V] sollicite un rappel de salaire au titre de la prime d’ancienneté, il doit être souligné que cette prime et les congés payés afférents ont été intégrés supra au calcul du salaire recomposé pour la période non couverte par la prescription. La demande supplémentaire en paiement ne peut donc prospérer.

– Sur la prime de précarité

L’article L 1243-10 1° dispose que l’indemnité de fin de contrat n’est pas due lorsque le contrat est conclu au titre du 3° de l’article L 1242-2, de sorte que Mme [V] ne peut se prévaloir d’un quelconque préjudice. Sa demande indemnitaire ne peut par conséquent aboutir.

– Sur la demande relative aux heures supplémentaires

Mme [V] sollicite un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires qu’elle soutient avoir accomplies.

Cependant, les contrats à durée déterminée à temps partiel conclus par les parties ont été requalifiés en contrat à durée indéterminée à temps complet, et la SA TF1 a été condamnée à payer à Mme [V] un rappel de salaire au titre des heures excédant celles prévues aux contrats requalifiés.

Or, au regard du rappel de salaire sollicité, il apparaît que la salariée ne prétend pas que les heures travaillées du lundi au samedi ont excédé la durée légale du travail pour un contrat à temps plein.

En revanche, Mme [V] soutient avoir travaillé certains dimanches et jours fériés. Elle produit un tableau détaillé de ses horaires pour la période courant du 23 août 2012 au 22 août 2017. Il en ressort qu’elle a travaillé 373 heures les dimanches et 125 heures les jours fériés.

La salariée produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l’employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

L’employeur ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les dires de Mme [V]. Il sera donc condamné à lui payer un rappel de salaire de 19 806,93 euros.

– Sur la demande relative au travail dissimulé

Mme [V] sollicite la condamnation de la SA TF1 au paiement d’une indemnité de 27 227,82 euros au titre du travail dissimulé, considérant que l’employeur ne pouvait ignorer l’accomplissement d’heures supplémentaires compte tenu de leur volume conséquent.

Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

Or, en l’espèce, il doit être rappelé que Mme [V] ne travaillait pas au sein de l’entreprise, mais à domicile. Au surplus, le rappel de salaire alloué au titre des heures supplémentaires se limite à moins de 100 heures par an, soit à peine plus de 8 heures par mois. Compte tenu de ces éléments, l’élément intentionnel du délit de travail dissimulé n’apparaît pas caractérisé.

Dans ces conditions, Mme [V] doit être déboutée de sa demande indemnitaire à ce titre.

– Sur l’indemnité de requalification

Aux termes de l’article L 1245-2 alinéa 2 du code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il doit lui accorder une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

La SA TF1 sera par conséquent condamnée au paiement de la somme de 4 457,26 euros au titre de l’indemnité de requalification.

– Sur la demande relative à la poursuite du contrat de travail

Mme [V] sollicite la poursuite du contrat de travail.

Cependant, l’employeur qui, à l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée ultérieurement requalifié en contrat à durée indéterminée, ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires, est responsable de la rupture qui s’analyse en un licenciement et qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture sans que le salarié puisse exiger, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, sa réintégration dans l’entreprise.

Si la salariée invoque une violation de son droit à saisir le conseil des prud’hommes pour faire valoir ses droits, compte tenu de la concomitance entre cette saisine et l’arrêt de la relation contractuelle, la cour observe qu’après la saisine du 4 août 2017 et l’envoi de la convocation à l’employeur le 11 août 2017, les parties ont conclu un nouveau contrat le 18 septembre 2017.

En outre, il ressort des pièces produites par Mme [V] elle-même concernant l’évolution de sa charge de travail, qu’elle était en diminution constante depuis l’année 2014 et surtout à partir de 2016.

Au regard de ces éléments, la violation du droit du salarié d’ester en justice n’est pas caractérisée, de sorte que Mme [V] doit être déboutée de sa demande tendant à la poursuite de son contrat de travail.

– Sur la rupture du contrat de travail

A – Sur la nullité de la rupture

Mme [V] conclut à la nullité de la rupture de son contrat de travail, expliquant que l’employeur a mis fin à leur collaboration en raison de sa saisine du conseil de prud’hommes.

Pour les motifs évoqués supra, il ne peut être considéré que la rupture des relations contractuelles est consécutive à la saisine du conseil des prud’hommes par Mme [V].

La demande de la salariée tendant à voir déclarer son licenciement nul ne peut par conséquent aboutir.

B – Sur la rupture abusive

La SA TF1 a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à Mme [V] à l’expiration du contrat à durée déterminée qui a été requalifié en contrat à durée indéterminée. Il a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par lui de contrat de travail à durée déterminée.

Cette rupture, à son initiative, doit donc s’analyser en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au profit de Mme [V] au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts, examinés ci-après.

1 – Sur l’indemnité de préavis

Mme [V] se prévaut des dispositions de l’article 46 de l’accord d’entreprise du personnel de production techniques et administratifs de la SA TF1 et réclame la somme de 9 075,94 euros au titre d’un préavis de 2 mois.

L’accord invoqué n’est pas versé aux débats. Néanmoins, l’employeur ne conteste pas la durée du préavis.

Étant rappelé que l’indemnité compensatrice de préavis due au salarié est égale au salaire brut que le salarié aurait perçu s’il avait travaillé pendant la durée du délai-congé, la SA TF1 sera condamnée au paiement de la somme de 8 914,52 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, soit 891,45 euros.

2 – Sur l’indemnité de licenciement

A nouveau, Mme [V] se prévaut des dispositions de l’accord d’entreprise du personnel de production techniques et administratifs de la SA TF1 qui n’est pas produit.

Néanmoins, l’employeur ne conteste pas davantage que l’indemnité conventionnelle de licenciement correspond à un mois de rémunération par année d’ancienneté pour la tranche comprise entre 1 et 12 ans de présence.

Aussi, compte tenu de l’ancienneté de 7 ans et 8 mois revendiquée par la salariée et du montant de son salaire reconstitué à la date de la rupture de la relation de travail, il convient de lui allouer la somme de 34 766,63 euros.

3 – Sur les dommages et intérêts

Lors de la rupture de la relation de travail, Mme [V] bénéficiait d’une ancienneté de plus de 2 ans et la SA TF1 employait de manière habituelle au moins 11 salariés.

A la date du licenciement, Mme [V] percevait une rémunération mensuelle brute de 4 457,26 euros. Elle était âgée de 33 ans et bénéficiait au sein de l’entreprise d’une ancienneté de près de 8 ans. Elle justifie avoir été indemnisée au titre de l’aide au retour à l’emploi jusqu’au mois d’avril 2018. Compte tenu de ces éléments et de sa situation personnelle et professionnelle après le licenciement, telle qu’elle ressort des pièces produites, il convient de lui allouer, en application de l’article L 1235-3 du code du travail, une somme de 27 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

V ‘ Sur les autres préjudices

A – Sur la prime d’atelier

L’appelante formule une demande indemnitaire à hauteur de 13 613,91 euros sur le fondement d’une demande de rappels de frais d’atelier, qu’elle évalue à 5% du salaire mensuel moyen.

La SA TF1 invoque la prescription triennale concernant les frais antérieurs au mois d’août 2014 et sur le fond, répond que la fixation du montant des cachets des lecteurs a été réalisée en tenant compte de ce statut de travailleurs à domicile. L’employeur ajoute que la salariée ne démontre pas avoir engagé de frais consacrés à son travail à domicile.

Pour les motifs précités, la demande de rappel de salaire au titre des frais d’atelier est prescrite pour la période antérieure au 4 août 2012.

L’article L 7422-11 du code du travail énonce que « Les frais d’atelier correspondant notamment au loyer, au chauffage et à l’éclairage du local de travail, à la force motrice, à l’amortissement normal des moyens de production, ainsi que les frais accessoires sont déterminés par l’autorité administrative suivant la procédure définie à l’article L 7422-6 ».

Le paiement des frais d’atelier n’apparaît donc pas conditionné par la justification par le salarié des frais engagés pour réaliser la prestation de travail.

Dès lors qu’il n’est pas justifié de l’existence d’un arrêté préfectoral fixant les frais d’atelier auxquels Mme [V] peut prétendre en application de ces dispositions, et en l’absence d’accord des parties sur ce point, il convient de les évaluer à la somme de 13 198,20 euros, que la SA TF1 sera condamnée à payer à l’appelante.

B – Sur le manquement de l’employeur à l’obligation de loyauté

Comme le soutient Mme [V], la conclusion par la SA TF1 de 96 contrats à durée déterminée d’usage dans les conditions susvisées l’ont maintenue de manière abusive dans la précarité durant près de 8 ans, générant un préjudice distinct lié à l’impossibilité pour elle de bénéficier des avantages attachés au statut légal, conventionnel et social d’un salarié en contrat à durée indéterminée.

Il convient d’évaluer son préjudice justifié à la somme de 5 000 euros, que la SA TF1 sera condamnée à lui payer.

C – Sur le préjudice de retraite

Mme [V] sollicite l’indemnisation du préjudice de retraite généré par l’absence de cotisation par l’employeur auprès des caisses d’assurance vieillesse et de retraite à proportion du salaire annuel correspondant à un contrat à durée indéterminée à temps complet et pour l’avenir, par l’absence de poursuite du contrat de travail, à concurrence de 99 082,66 euros.

Cependant, Mme [V], par l’effet de la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et des rappels de salaire bruts associés, va voir sa situation régularisée auprès des organismes sociaux et de prévoyance.

Par ailleurs, les indemnités allouées dans le cadre de la rupture du contrat de travail permettent l’indemnisation de l’ensemble des préjudices consécutifs au licenciement abusif, de sorte que la demande formulée par la salariée ne peut aboutir.

– Sur la régularisation de la situation auprès des organismes sociaux et la remise des documents sociaux sous astreinte

La SA TF1 doit être condamnée à régulariser la situation de Mme [V] auprès des organismes sociaux, des caisses d’assurance vieillesse et de retraite et à lui remettre les bulletins de salaire conformes à la présente décision dans le mois suivant la notification de l’arrêt.

En revanche, il n’y a pas lieu à astreinte, dès lors qu’il n’est pas démontré que la SA TF1 entende se soustraire à l’exécution de la décision.

– Sur le remboursement par l’employeur à l’organisme des indemnités de chômage

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de six mois d’indemnités.

– Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation. S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées. Ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la SA TF1. Ils ne comprendront pas les frais d’exécution s’agissant d’une créance éventuelle.

La demande formée par Mme [V] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, hormis celles relatives à la prime de précarité, au préjudice de retraite, à la poursuite du contrat de travail et à la nullité du licenciement ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Ordonne la requalification des contrats à durée déterminée à temps partiel conclus entre la SA TF1 et Mme [O] [V] en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 5 octobre 2009 ;

Déclare prescrites les demandes de rappel de salaire antérieures au 4 août 2012 ;

Dit que la rupture des relations contractuelles entre la SA TF1 et Mme [O] [V] s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SA TF1 à payer à Mme [O] [V] :

– 4 457,26 euros au titre de l’indemnité de requalification,

– 202 460,84 euros au titre du rappel de salaire, comprenant les congés payés et la prime d’ancienneté,

– 19 806,93 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires travaillées les dimanches et jours fériés,

– 8 914,52 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– 891,45 euros au titre des congés payés afférents,

– 34 766,63 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 27 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement abusif,

– 13 198,20 euros au titre du rappel de prime d’atelier,

– 5 000 euros au titre du manquement de l’employeur à l’obligation de loyauté ;

Ordonne à la SA TF1 de régulariser la situation de Mme [O] [V] auprès des organismes sociaux, des caisses d’assurance vieillesse et de retraite et de lui remettre les bulletins de salaire conformes à la présente décision dans le mois suivant la notification de l’arrêt ;

Dit n’y avoir lieu à astreinte ;

Ordonne le remboursement par la SA TF1, aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à Mme [O] [V] dans la limite de 6 mois d’indemnités en application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SA TF1 aux dépens de première instance et d’appel, en ce non compris les frais d’exécution ;

Condamne la SA TF1 à payer à Mme [O] [V] la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIERLe PRESIDENT

 


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