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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRÊT DU 23 Octobre 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 16/08414 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BZBLF
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Avril 2016 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL RG n° 13/01278
APPELANTE
SA SOCIETE NEWREST FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 4]
N° SIRET : 412 575 623
représentée par Me Caroline FABRE BOUTONNAT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0684 substitué par Me Maud MIALLON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0580
INTIMEES
Madame [L] [K]
[Adresse 2]
[Localité 7]
née le [Date naissance 1] 1976 à ANGOLA
représentée par Me Philippe ACHACHE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 238
SAS RANDSTAD
[Adresse 3]
[Localité 6]
N° SIRET : 433 999 356
représentée par Me Béatrice DI SALVO, avocat au barreau de LYON, toque : 683 substitué par Me Yannick PANAYE, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Septembre 2019, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre
Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
Greffier : Mme Frantz RONOT, lors des débats
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– Par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– Signé par Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre et par Madame Nasra SAMSOUDINE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Madame [K] a été mise à la disposition de la société Catering Aérien Développement (NEWREST FRANCE) par la société RANDSTAD, en qualité d’agent de dressage, pour plus d’une cinquantaine de missions de travail temporaire, du 31 mars 2006 au 7 décembre 2008, le motif étant le surcroît d’activité.
Le 2 mai 2013, madame [K] a saisi le Conseil de Prud’hommes de Créteil d’une demande de rupture abusive du contrat et paiement de diverses sommes.
Par jugement du 22 avril 2016, le Conseil de Prud’hommes a mis hors de cause la société RANDSTAD et condamné la société NEWREST FRANCE à payer à madame [K] les sommes suivantes:
– 8.500 Euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
– 1.363,51 Euros à titre d’indemnité de requalification ;
– 6.801 Euros à titre de rappel de salaires consécutifs à la requalification et les congés payés afférents
– 2.727 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
– 725,38 Euros à titre d’indemnité légale de licenciement
– 1.000 Euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Il a ordonné la remise de documents de fin de contrat conformes à la décision, sous astreinte et rejeté toutes les autres demandes.
Le 10 juin 2016, la société NEWREST FRANCE a interjeté appel.
Par conclusions visées par le greffe le 11 septembre 2019 au soutien de ses observations orales, auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens,
la société NEWREST FRANCE demande à la cour d’infirmer le jugement, de dire les demandes de madame [K] dirigées contre elle irrecevables et mal fondées, de la condamner à lui restituer les sommes versées, subsidiairement de constater que l’ancienneté de madame [K] ne saurait excéder un an et un mois et de ramener les sommes éventuellement allouées à de plus justes proportions.
Par conclusions visées par le greffe le 11 septembre 2019 au soutien de ses observations orales, auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens,
madame [K] demande à la cour de confirmer le jugement sur le principe de la requalification mais de l’infirmer en ce qu’il l’a débouté de sa demande dirigée contre la société RANDSTAD, de prononcer la requalification des contrats de mission à l’égard des deux sociétés, de condamner la société NEWREST FRANCE à lui payer la somme de 4.090,53 Euros à titre d’indemnité de requalification et, in solidum avec la société RANDSTAD, les sommes suivantes :
– 16.362,12 Euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 2.727 Euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
– 725,38 Euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
– 5.436,94 Euros à titre de rappel de salaires pendant les intermissions et les congés payés afférents; ;
– 1.500 Euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale d’embauche;
– 2.500 Euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
Elle sollicite la remise de documents de fin de contrat confirmes sous astreinte.
Par conclusions visées par le greffe le 11 septembre 2019 au soutien de ses observations orales, auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens,
la société RANDSTAD demande à la cour de prononcer l’irrecevabilité des demandes de madame [K] dirigées contre elle en raison de la prescription, subsidiairement de les rejeter, et de condamner madame [K] à lui payer 2.500 Euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ; à titre très subsidiaire, elle demande que le salaire de madame [K] soit fixé à la somme mensuelle brute de 607,52 Euros, son ancienneté au sein de société RANDSTAD à deux ans et 8 mois, et de réduire en conséquence le montant des sommes sollicitées au titre de la rupture du contrat ;
Lors de l’audience, la société NEWREST FRANCE a demandé que soient écartées des débats les nouvelles pièces 15 à 23 qui ne lui ont été communiquées par le conseil de madame [K] que quelques instants avant l’audience si bien qu’elle n’a pu en prendre connaissance et faire valoir ses observations ; la Cour qui est tenue de faire respecter le principe du contradictoire, fait droit à cette demande, à l’exception de la pièce N°21 qui avait été communiquée par la société NEWREST FRANCE elle-même en première instance ;
SUR CE
Sur la prescription de l’action en requalification invoquée par la société RANDSTAD
Aux termes des dispositions de l’article 2241 du code civil, une demande en justice, même en référé interrompt le délai de prescription ;
En l’espèce, s’il est constant que madame [K] a introduit le 2 mai 2013 une action à la fois contre la société NEWREST FRANCE et contre la société RANDSTAD, il ressort expressément des termes du jugement de première instance que madame [K] n’a formulé aucune demande à l’encontre de la société RANDSTAD laquelle a été mise hors de cause ; ce n’est que par ses conclusions d’appel communiquées en avril 2018 que madame [K] a sollicité la condamnation in solidum de la société RANDSTAD ; la prescription de cette demande, formée près de 10 ans après le dernier contrat de mission, n’a pas été interrompue par l’action en justice qui ne mentionnait aucune demande contre la société RANDSTAD, étant précisé que l’interruption de la prescription n’a qu’un effet relatif ;
Il convient en conséquence de dire que les demandes de condamnation in solidum formées en avril 2018 contre la société RANDSTAD sont irrecevables pour cause de prescription;
Sur la prescription de l’action en requalification invoquée par la société NEWREST FRANCE La société NEWREST FRANCE prétend qu’il y aurait eu deux périodes de travail, la première du 31 mars 2006 au 28 avril 2007, la seconde du 16 juin au 8 décembre 2008 ; que l’action de madame [K] ayant été introduire le 2 mai 2013, la prescription quinquennale édictée par la loi du 17 juin 2008 était acquise pour la première période, le 28 avril 2012 ;
Toutefois, bien que les contrats de travail ne soient produits par aucune des parties, il est constant que madame [K] a travaillé sur des missions identiques et toujours pour le même motif aussi bien au cours de la première que de la seconde période; qu’une attestation de la société RANDSTAD du 22 septembre 2008 fait d’ailleurs d’un emploi d’agent de dressage depuis le mars 2006 sans que la société NEWREST FRANCE ne justifie que madame [K] a été mise à disposition d’autres sociétés qu’elle-même pendant cette période ;
Le point de départ de la prescription d’une demande de requalification d’un contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée étant la date du dernier contrat, en l’espèce le 8 décembre 2008, peu important qu’il soit séparé des précédents par des périodes interstitielles, la demande de madame [K], introduite le 2 mai 2013, dans les limites de la prescription alors applicable, dirigée contre la société NEWREST FRANCE est recevable ;
Sur la requalification
Selon les articles L 1251-5 et 6 du code du travail, le contrat de mission ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire appelée mission seulement dans les cas déterminés, parmi lesquels l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; celle-ci, en application de ces textes, ne peut donc recourir, de façon systématique, aux missions d’intérim pour faire appel à un besoin structurel de main d’oeuvre ;
En cas de litige sur le motif de recours, il appartient à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de sa réalité ;
La société NEWREST FRANCE fait valoir qu’elle conclut avec les compagnies aériennes des contrats de prestations qui sont fonction de leurs besoins, dépendant des aléas du trafic aérien et du taux de remplissage des avions, si bien qu’il n’existe aucune visibilité ni prévisibilité ; qu’elle n’a qu’une faible proportion de clients réguliers, lesquels exigent une réactivité et une mobilisation immédiate ; qu’elle doit donc, pour assurer sa pérennité, faire appel à de ma main d’oeuvre dont le nombre peut varier en fonction des périodes d’activité, voire au jour le jour ; que les variations soudaines de production correspondent précisément à l’accroissement temporaire d’activité ; elle ajoute qu’il est possible dans le secteur d’activité de l’hôtellerie et de la restauration, dont elle relève, de recourir à des contrats à durée déterminée d’usage et que l’article 15 de la convention collective applicable prévoit expressément le recours au travail temporaire ;
Toutefois, il n’est pas contesté par la société NEWREST FRANCE que l’emploi d’agent de dressage (à savoir le dressage des plateaux repas) qui était occupé par madame [K] fait partie intégrante de son activité normale et permanente puisqu’elle a pour activité la préparation et l’acheminement des plateaux repas à bord des avions, ce qui exclut la conclusion d’un contrat d’usage et il est d’ailleurs constant que ce n’est pas ce type de contrat qui a été conclu avec madame [K] ;
L’ensemble des autres éléments que fait valoir la société NEWREST FRANCE sont tous relatifs à son activité habituelle laquelle, comme elle l’explique, est constamment variable si bien que l’accroissement d’activité n’a aucun caractère temporaire ; son recours à l’intérim pour des emplois d’agent de dressage de plateaux repas, qui font partie de son activité normale et permanente, répond à un besoin structurel de main d’oeuvre ; en conséquence, dès lors qu’elle ne démontre pas que l’accroissement d’activité dont elle se prévaut avait pour origine des prestations supplémentaires et inhabituelles, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a requalifié l’ensemble des missions en un seul contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 31 mars 2006 ;
Sur le rappel de salaires
Madame [K] prétend qu’au cours des périodes interstitielles séparant deux missions, elle est restée à la disposition de l’employeur et sollicite en conséquence un rappel de salaires sur la base d’un plein temps pendant la période non prescrite du 2 mai au 8 décembre 2008;
Il ressort des pièces produites (bulletins de paie, attestation Pole emploi) que pendant cette période à savoir un peu moins de 6 mois, madame [K] a accompli 27 missions pour le compte de la société NEWREST FRANCE, pour des durées allant de un jour à un mois et pour un nombre d’heures quotidiennes variables, ces missions étant séparées de quelques jours et qu’elle n’a jamais refusé une seule d’entre elles ; ce rythme l’empêchait de travailler pour un autre employeur et l’obligeait de se tenir effectivement et constamment à la disposition de la société NEWREST FRANCE si bien qu’il convient de faire droit à sa demande de rappel de salaires à ce titre ;
Compte tenu du montant de son salaire brut horaire (8,99 Euros) madame [K] aurait dû percevoir, pour un travail à temps plein, un salaire brut mensuel de 1.363,51 Euros soit, pour une période de 7 mois, la somme de 9.544,57 Euros ; il convient, après déduction des sommes effectivement payées pendant cette période, de faire droit à la demande de rappel de salaires et les congés payés afférents, le jugement étant réformé sur ce point ;
Sur les conséquences de la requalification
En vertu des dispositions de l’article L 1251-41 du code du travail, lorsqu’il est fait droit à la demande de requalification du salarié, il lui est accordé une indemnité, à la charge de l’entreprise utilisatrice, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; le jugement sera confirmé en ce qu’il a alloué à madame [K] une somme de 1.363,51 Euros qui constitue une juste réparation de son préjudice ;
Le contrat de travail ayant été rompu à l’issue de la dernière mission d’intérim, cette rupture, du fait de la requalification et en l’absence d’engagement de la procédure et de motivation du licenciement, est un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Il convient de confirmer le jugement sur les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de licenciement, lesquelles, du fait de la requalification, sont conformes à l’ancienneté de madame [K] et au montant de sa rémunération ;
Le montant des dommages et intérêts alloués par le Conseil de Prud’hommes en réparation du préjudice causé par la rupture, en application des dispositions de l’article L 1235-3 alors applicable, est également adapté à la situation de madame [K] et sera confirmé ;
Sur l’absence de visite médicale d’embauche
Madame [K] sollicite une condamnation in solidum à l’encontre de la société NEWREST FRANCE pour absence de visite médicale d’embauche, alors même qu’elle admet que l’obligation à ce titre incombe à la société d’interim ; en toute hypothèse, elle ne justifie pas du préjudice que lui aurait causé cette carence, si bien qu’il convient de la débouter de sa demande formée à hauteur d’appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Dit que les demandes de madame [K] à l’encontre de la société RANDSTAD sont prescrites ;
Confirme le jugement, sauf sur le montant de rappel de salaires consécutif à la requalification;
Statuant à nouveau de ce seul chef ;
Condamne la société NEWREST FRANCE à payer à madame [K] la somme de 5.436,94 Euros à titre de rappel de salaires et 543 Euros pour les congés payés afférents ;
Condamne la société NEWREST FRANCE à payer à madame [K] la somme de 1.500 Euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires
Met les dépens à la charge de la société NEWREST FRANCE
LE GREFFIER LA PRESIDENTE