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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 AVRIL 2022
N° RG 21/02249
N° Portalis DBV3-V-B7F-UUGR
AFFAIRE :
[H] [O]
C/
S.A.R.L. [8]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 2 juillet 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation de départage de BOULOGNE-
BILLANCOURT
Section : AD
N° RG : F19/01507
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Christophe PACHALIS
Me Martine DUPUIS
le : 22 Avril 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 10 Mars 2022,puis prorogé au 21 Avril 2022, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [H] [O]
né le 23 février 1972 à [Localité 7]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par : Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0148 et Me Thomas ROUSSINEAU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0067
APPELANT
****************
S.A.R.L. [8]
N° SIRET : 495 137 507
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2166771 et Me Nathalie CERQUEIRA de la SELAS BERSAY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 21 janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Présidente,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Greffier lors du prononcé: Madame Elodie BOUCHET-BERT
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL [8] est spécialisée dans le secteur d’activité de l’enseignement supérieur privé indépendant. Elle emploie environ vingt salariés.
L'[5], anciennement dénommée [6], est un établissement d’enseignement supérieur appartenant à la société [8], qui dispense des formations donnant accès aux métiers de l’audiovisuel et du son.
L’activité de cette école a été reprise par M. [F] [K], via le rachat de la SARL [8], à compter du 14 janvier 2019.
M. [H] [O], né le 23 février 1972, a été engagé par la société [8] en qualité d’enseignant, du 20 septembre 2011 au 20 avril 2012, selon un contrat de travail à durée déterminée d’usage à temps partiel conclu le 20 septembre 2011. Un second contrat à durée déterminée a été conclu le 1er octobre 2012 pour la période du 1er octobre 2012 au 31 juillet 2013.
A compter de la rentrée 2013, M. [O] a exercé ses prestations d’enseignant de l’histoire du cinéma à l’ESIS en tant que travailleur indépendant (auto-entrepreneur).
Par courrier du 18 septembre 2019, il a demandé à la société [8] la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée.
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 26 septembre 2019, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société [8].
Par requête reçue au greffe le 3 décembre 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir juger que cette prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de voir condamner la société [8] au versement de diverses sommes salariales et indemnitaires.
Par jugement de départage rendu le 2 juillet 2021, le conseil de prud’hommes a :
– dit que le conseil de prud’hommes est incompétent pour connaître des demandes formées par M. [O],
en conséquence,
– renvoyé M. [O] à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce de Nanterre,
– débouté M. [O] de l’ensemble de ses demandes,
– dit n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes,
– condamné M. [O] aux dépens.
M. [O] a interjeté appel de la décision par deux déclarations en date du 9 juillet 2021.
Par ordonnance du 1er septembre 2021, la jonction des deux procédures a été ordonnée.
M. [O] a été autorisé, par ordonnance du 1er septembre 2021, à assigner la partie intimée à jour fixe pour l’audience du 21 janvier 2022.
Par conclusions déposées à l’audience du 21 janvier 2022, il demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Nanterre,
statuant à nouveau,
– dire et juger que M. [O] était lié par un contrat de travail à durée indéterminée à la société [8],
– déclarer en conséquence le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt matériellement compétent,
– renvoyer l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt,
– condamner la société [8] à verser à M. [O] la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société [8] aux entiers dépens.
Par conclusions déposées à l’audience du 21 janvier 2022, la société [8] demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
en conséquence,
– débouter M. [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– débouter M. [O] de sa demande de voir condamner la société [8] à lui verser 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [O] à verser à la société [8] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [O] aux éventuels dépens.
Les parties ont été entendues à l’audience du 21 janvier 2022.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
M. [O] prétend que les conditions dans lesquelles il exerçait ses fonctions d’enseignant au sein de l’ESIS traduisent l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée le liant à la société [8] et sollicite en conséquence que soit retenue la compétence du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt.
Il fait ainsi valoir qu’à compter de l’exercice 2013-2014, la société [8] lui a imposé d’adopter le statut d’auto-entrepreneur et de facturer ses prestations en tant que travailleur indépendant, que les conditions d’exécution de ses fonctions sous ce statut étaient exactement les mêmes que lorsqu’il était salarié de 2011 à 2013, que l’intégralité des cours se déroulaient dans les locaux de l’ESIS, qu’il utilisait les moyens mis à sa disposition par l’école (photocopies, fournitures, matériel audio-visuel et informatique), qu’il avait l’obligation, comme les enseignants salariés, de se conformer à un processus uniformisé, sous la subordination d’un responsable pédagogique, lequel avait un droit de regard sur le programme des cours et pouvait lui imposer le contenu pédagogique de ses interventions en histoire du cinéma, que le taux horaire de 70 euros a été fixé par la société [8] lorsqu’il a été contraint de passer sous le statut d’indépendant, ce montant n’ayant été revalorisé qu’une seule fois en 2016 pour compenser la baisse du volume horaire annuel, que le planning des cours était fixé unilatéralement par l’administration de l’école et adressé aux enseignants, salariés ou indépendants, avant le début de chaque année scolaire, sans aucune possibilité pour l’enseignant de modifier les horaires de ses cours, qu’il n’avait pas le libre choix de ses congés, qui devaient obligatoirement être pris durant les semaines où les étudiants n’avaient pas cours, qu’il devait soumettre les sujets d’examen à son responsable et se conformer à un système précis et uniformisé de notation des élèves, qu’enfin chaque année il lui était demandé d’adresser au responsable pédagogique un curriculum vitae à jour ainsi qu’un extrait de casier judiciaire. Il ajoute qu’à défaut pour lui de se conformer à ces contraintes, il prenait le risque de ne pas être reconduit l’année suivante.
Il en déduit qu’en sus d’une prestation de travail et d’une rémunération, il se trouvait placé dans un rapport de subordination à l’égard de la société [8], caractérisant l’existence d’un contrat de travail.
La société [8] énonce en réplique que depuis le mois d’octobre 2011, M. [O] exerçait une activité professionnelle libérale d’enseignement culturel sous la forme d’une entreprise individuelle, que l’adoption de ce statut ne lui a ainsi aucunement été imposée, non plus que le fait d’intervenir en tant que travailleur indépendant auprès des étudiants de l’ESIS à compter de 2013 et de facturer ses prestations, que d’ailleurs M. [O] a expressément indiqué son choix d’intervenir sous ce statut, « qui convenait davantage à ses diverses activités professionnelles », par courrier du 16 septembre 2013 qu’il ne démontre pas avoir été contraint de signer comme il le prétend, qu’il n’a au demeurant jamais, de 2013 à 2019, contesté les conditions de son passage en travailleur indépendant, qu’il a soudainement décidé de mettre un terme à ses missions auprès des étudiants de l’ESIS au motif qu’il ne se satisfaisait pas du nombre d’interventions proposées pour l’année 2019/2020, plaçant l’école dans une situation délicate à quelques semaines de la rentrée scolaire alors même qu’il avait antérieurement fait part de son accord pour un volume d’interventions de 55h30.
Elle soutient qu’il n’existait aucun lien de subordination juridique permanente entre M.[O] et la société, l’enseignant restant libre des thèmes et du contenu de ses interventions à tous les stades de l’enseignement, que ce soit au stade de l’élaboration des programmes, au stade de la dispense des enseignements qu’il modifiait librement ou encore au stade des partiels dont il rédigeait le contenu, qu’il ne se voyait pas imposer son planning, qu’il était rémunéré sous forme d’honoraires au travers de factures établies à son nom, le taux horaire de ses interventions étant augmenté à son initiative, qu’il utilisait ses propres supports pédagogiques, dont il est demeuré propriétaire, qu’il ne s’est vu imposer aucune consigne ou directive mais simplement des recommandations ou des indications en lien avec la culture de l’entreprise et la nécessaire harmonisation des critères de notation des étudiants.
Elle fait enfin observer qu’en parallèle de sa prestation de services pour la société [8] de 2013 à 2019, M. [O] a exercé d’autres activités professionnelles, notamment d’enseignement auprès d’autres établissements, dont il ne se cachait d’ailleurs pas, qu’il était en mesure de choisir sa clientèle et ne se trouvait ni en situation d’exclusivité ni de dépendance économique.
Sur ce, il sera rappelé que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle. Le lien de subordination, essentiel pour déterminer la nature des relations liant les parties, est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution, de sanctionner les manquements de son subordonné.
Il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail de le prouver.
M. [O] étant inscrit au répertoire Sirene depuis le mois d’octobre 2011 et immatriculé auprès de l’Urssaf en tant que travailleur indépendant est, conformément à l’article L. 8221-6 du code du travail, présumé ne pas être lié avec le donneur d’ordre, la société [8], par un contrat de travail. Il peut toutefois renverser cette présomption en rapportant la preuve de l’existence du contrat de travail dont il se prévaut.
Il n’est en l’espèce pas discuté que depuis l’année scolaire 2011-2012, M. [O] dispensait des enseignements d’histoire du cinéma aux étudiants de l’ESIS, pour lesquels il a été rémunéré par la société [8] sous la forme de salaires durant les deux premières années puis, à compter de 2013-2014, sous la forme d’honoraires calculés sur la base d’un taux horaire de 70 euros puis de 75 euros hors taxes, réglés mensuellement sur présentation de factures. Aucun contrat de prestations de services n’a été signé pour préciser les modalités de ses interventions.
La circonstance que l’appelant ait été ou non incité par la société [8] à choisir le statut d’auto-entrepreneur et à facturer ses prestations est sans incidence sur le litige.
Les parties s’opposent essentiellement sur l’existence d’un lien de subordination.
Or, la cour considère que M. [O] n’en rapporte pas la preuve.
Si le travail était nécessairement effectué dans un cadre prédéfini compte tenu de la nature des activités accomplies par l’intéressé au sein d’un établissement d’enseignement supérieur, aucun élément au dossier ne laisse supposer que la société [8] en déterminait unilatéralement les conditions d’exécution. Les quelques contraintes alléguées par l’appelant apparaissent inhérentes à une activité d’enseignement collectif.
Les courriels produits par lui ne permettent pas d’établir que les relations de M. [O] avec le donneur d’ordre excédaient la nécessaire coordination de l’activité des enseignants avec les impératifs de fonctionnement de l’entreprise.
Le programme de ses interventions en histoire du cinéma était arrêté en concertation avec le responsable pédagogique sur la base de propositions faites par M. [O], le responsable pédagogique se limitant à suggérer certains aménagements (« ne serait-il pas possible de … », « quelques remarques et/ou idées : pourquoi ne pas faire quelque chose sur … », « c’est une discussion ouverte … ») sans qu’il n’en résulte aucune obligation pour l’enseignant d’opérer les modifications suggérées. Les courriels versés aux débats démontrent également que M. [O] pouvait être amené à adapter le contenu de ses interventions en cours d’année, sans être tenu de solliciter préalablement une quelconque autorisation.
Le planning des cours était établi en tenant compte des disponibilités indiquées par M. [O] et chaque modification était soumise à son approbation (« si cela vous convient »). Il lui arrivait également de déplacer les horaires d’un cours. Il est en outre inopérant de soutenir comme il le fait qu’il n’avait pas le libre choix de ses congés dès lors que, s’agissant d’une activité d’enseignement, il était normal qu’aucun cours ne soit dispensé au sein de l’école pendant les vacances scolaires.
M. [O] utilisait ses propres supports pédagogiques (« je viens avec une clé USB sur laquelle se trouvent mes Powerpoint et mes extraits »), qu’il pouvait ainsi librement utiliser dans les autres établissements d’enseignement auprès desquels il intervenait.
Le fait que l’enseignement soit dispensé dans les locaux de l’ESIS, avec le matériel audio-visuel et informatique laissé à disposition, résulte de la nature même de l’activité et ne caractérise pas non plus un lien de subordination.
M. [O] était libre de choisir les sujets des partiels auxquels étaient soumis ses étudiants et s’il lui était demandé de se conformer à un système de notation et de respecter des délais de saisie des notations, c’était dans le souci bien compréhensible de garantir une certaine harmonisation dans l’appréciation des élèves.
Outre qu’il ne justifie d’aucune directive, d’aucune instruction ni d’aucun ordre que lui aurait donné la société [8], l’appelant n’apporte surtout aucun élément permettant d’établir que celle-ci disposait à son égard d’un pouvoir de sanction qui viendrait caractériser l’existence d’un travail subordonné.
Il s’ensuit que M. [O] échoue à rapporter la preuve qu’il fournissait des prestations à la société [8] dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination à l’égard de celle-ci.
L’appelant ne renversant pas la présomption tirée de l’article L.8221-1 du code du travail, sa demande de voir juger qu’il était lié à la société [8] par un contrat de travail à durée indéterminée doit être rejetée.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [O] supportera les dépens en application des dispositions de l’article’696 du code de procédure civile.
Il sera en outre condamné à payer à la société [8] une indemnité sur le fondement de l’article’700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [H] [O] à verser à la société [8] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE M. [H] [O] de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE M. [H] [O] aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,