Contrat à durée déterminée d’usage : 20 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05260

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Contrat à durée déterminée d’usage : 20 avril 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/05260
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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 4

ARRET DU 20 AVRIL 2022

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/05260 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B72ZH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Février 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° F17/02146

APPELANTE

SA TREMBLAY EN FRANCE HANDBALL Société Anonyme Sportive Professionnelle (SASP) Tremblay-en-France Handball

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jérémie GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0177

INTIME

Monsieur [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Samuel CHEVRET, avocat au barreau de PARIS, toque : A0729

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

DE CHANVILLE Jean-François, président

BLANC Bruno, président

BLANC Anne-Gaël, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD, en présence de Joanna Fabby, greffier stagiaire

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [P] [Y], né le 28 novembre 1970, a été engagé par la SASP Tremblay-en-France Handball, selon contrat du 4 avril 2014 à durée déterminée d’usage pour cinq saisons sportives, avec effet au 1er juillet 2014, en qualité d’entraîneur.

Par lettre du 29 mai 2017, M. [P] [Y] a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 8 juin 2017, en vue de son licenciement.

Celui-ci lui a été notifié par courrier du 15 juin 2017 dans les termes suivants :

‘(…) Votre décision de ne pas vous installer avec votre famille à Tremblay ou en région parisienne – alors que cela était initialement convenu et qu’il a été d’ailleurs mis à cet effet à votre disposition un logement de type F3 ainsi qu’un véhicule familial Nissan Qashqai – n’est pas acceptable pour le club dans la mesure où cela vous conduit à faire de longs déplacements chaque semaine jusqu’à votre domicile familial en [Localité 5] et à moduler en conséquence les entraînements, sans que cela soit dans l’intérêt du club et compatible avec les exigences de la fonction d’entraîneur au plus haut niveau.

Cette situation est un des principaux facteurs ayant contribué à mettre le club en difficulté au cours des saisons 2014 -2015 et 2015-2016 : 11éme place en 2015, puis 14éme place en 2016, synonyme de descente en proligue et élimination très précoce en coupe de France et coupe de la Ligue.

Nous devons tirer les leçons des saisons passées pour réunir autant que possible les conditions d’un retour réussi dans l’élite.

C’est la raison pour laquelle nous vous avons demandé de vous installer comme convenu en région parisienne.

Vous avez toutefois refusé en dernier lieu lors de l’entretien du 8 juin 2017.

Compte tenu de votre refus réitéré de vous installer en région parisienne – et bien que ce refus ne soit pas tolérable – nous vous avons récemment proposé d’évoluer au poste de manager général du club, afin de préserver les intérêts du club, avec pour responsabilité de superviser et mettre en place la politique générale du club dans différents domaines : administratif, financier, juridique, développement, commercial et sportif. Cette évolution de vos responsabilités était sans conséquences sur votre rémunération et compatible avec votre refus de vous installer en région parisienne.

Vous avez toutefois immédiatement refusé cette évolution.

Cette obstination de votre part à refuser d’exécuter loyalement vos missions au sein du club constitue un manquement grave que nous ne pouvons pas accepter – ce dont vous étiez parfaitement conscient.

Nous avons appris a posteriori que vous avez décidé avec Monsieur [K] [C] – entraîneur adjoint – et sans aucune autorisation préalable de la part de la direction du club d’avancer la date de congés des joueurs de l’équipe première au 9 juin 2017, alors que cette décision excède vos attributions. Vous ne pouvez pas ignorer pourtant que cette décision singulière de votre part est préjudiciable au club dans la mesure où les joueurs seront ainsi au repos pendant plus de six semaines, ce qui pose nécessairement des difficultés en termes de préparation physique de la prochaine saison. Le préparateur physique du club nous a d’ailleurs d’ores et déjà alerté sur cette situation très préoccupante.

Les joueurs de l’équipe première n’ont jamais bénéficié par le passé de congés aussi longs.

Un tel comportement constitue un manquement grave à votre obligation de loyauté vis-à-vis du club.

L’ensemble des éléments énoncés ci-dessus constitue une faute grave rendant impossible votre maintien au sein du club et nous contraint en conséquence à procéder par la présente à la rupture anticipée de votre contrat de travail pour faute grave à compter de la date de première présentation de la présente’.

Contestant cette mesure, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 17 juillet 2017 aux fins de voir condamner la société sportive au versement des sommes suivantes :

– 330.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive ;

– 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le montant des dépens.

La défenderesse s’opposait à ces prétentions et sollicitait l’allocation de la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 21 février 2019, le conseil de prud’hommes de Bobigny, statuant en formation de jugement a déclaré le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et a condamné la société sportive à lui verser les sommes suivantes :

– 263.674,39 euros avec intérêts au taux légal à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;

– 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les dépens.

La décision a en outre ordonné à la société sportive de rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées au salarié dans la limite de 6 mois.

La défenderesse a été déboutée de sa demande.

Appel a été interjeté par la SASP Tremblay-en-France Handball, le 16 avril 2019.

Par conclusions déposées par le réseau privé virtuel des avocats le 15 juillet 2019, la SASP Tremblay-en-France Handball demande à la cour d’infirmer le jugement, de rejeter les demandes adverses et reformule sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées par le réseau privé virtuel des avocats le 1er octobre 2019, M. [P] [Y] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a jugé la rupture anticipée du contrat de travail abusive et en ce qu’il a condamné l’employeur à lui verser certaines sommes, mais de l’infirmer sur le quantum des dommages et intérêts alloués. Il reprend ses prétentions de première instance.

Pour plus ample exposé sur le litige, la cour se réfère aux conclusions des parties en application de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur le caractère abusif du licenciement à raison de la violation d’une garantie de fond

M. [P] [Y] soulève la nullité du licenciement à raison de la violation de l’article 7 de la convention OIT n° 158, en ce que la lettre de convocation à l’entretien préalable ne précisait pas les motifs du licenciement, le privant ainsi de se défendre avant le licenciement.

La SASP Tremblay-en-France Handball relève que la procédure de licenciement est régulière, l’évocation des griefs dans la lettre de convocation à l’entretien préalable n’étant pas nécessaire et que M. [P] [Y] a eu tout loisir de s’exprimer, même s’il a refusé de le faire, au cours de cet entretien.

Sur ce

Vu les articles L. 1232-2 et R. 1232-1 du code du travail, ensemble l’article 7 de la convention OIT n° 158 ;

Il n’est pas établi par un compte rendu de l’entretien préalable que le grief tiré de la fixation au 9 juin 2017 de la date de congé des joueurs n’a pas été évoqué lors de l’entretien préalable comme le soutient le salarié.

L’énonciation de l’objet de l’entretien dans la lettre de convocation adressée au salarié par un employeur qui veut procéder à son licenciement et la tenue d’un entretien préalable au cours duquel le salarié, qui a la faculté d’être assisté, peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfont à l’exigence de loyauté et du respect des droits du salarié.

Sur la faute grave

L’employeur reproche en premier lieu à M. [P] [Y] de n’avoir pas emménagé, comme il le lui a été rappelé qu’il en avait l’obligation, avec toute sa famille à proximité du club dans le logement de fonction qui avait été mis à sa disposition, pour qu’il puisse remplir pleinement sa mission. Il est reproché en même temps d’utiliser son véhicule de fonction pour effectuer des allers et retours avec la Bretagne où résidaient sa femme et ses enfants. La SASP Tremblay-en-France Handball estime que le salarié a ainsi handicapé l’entraînement des joueurs, de ce fait ravalés en seconde division à l’issue de la saison sportive 2015-2016. La société sportive lui reproche en second lieu d’avoir mis en congé, comme le lui permettait sa qualité d’entraîneur principal, les joueurs avec quinze jours d’avance à partir du 9 juin 2017, pénalisant ainsi la préparation de la saison sportive suivante.

Le salarié conteste les griefs invoqués. Il soutient que le domicile est un élément de la vire privée dont le choix relève d’une liberté fondamentale reconnue à chacun et qu’il n’a jamais été convenu que le logement mis à sa disposition devait servir de logement à sa famille, ce qui n’était selon lui pas nécessaire. Il ajoute qu’il ne lui a pas plus été imposé de limiter le nombre de kilomètres parcourus avec le véhicule mis à sa disposition. Par ailleurs, il objecte qu’il ne peut lui être reproché d’avoir refusé la modification du contrat de travail qui lui a été proposée pour le faire passer du statut d’entraîneur à celui de manager. Enfin il estime que la mise en congé des joueurs à la date du 9 juin 2017 correspondait à la période d’intersaison et avait été décidée collectivement avec la direction administrative du club et le président. Il souligne que l’entraîneur adjoint n’a fait l’objet que d’un avertissement s’agissant de cette dernière prétendue faute.

Sur ce

Aux termes de l’article L. 1243-1 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié d’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

S’agissant de la fixation des congés à la date du 9 juin 2017, il ressort d’une lettre du préparateur physique du club, que c’est avec l’accord du président du club qu’elle a été décidée. Ce grief doit donc être écarté.

S’agissant de la proposition faite au salarié de signer un avenant à son contrat de travail, elle avait pour objet de le faire passer des fonctions d’entraîneur général de l’équipe avec pour fonctions la préparation de l’équipe 1ère à la pratique du handball dans les compétitions professionnelles sous tous ses aspects, à celles de manager général avec une mission de supervision et la mise en place de la politique du club. Ceci constituait une modification du contrat de travail qui ne pouvait à ce titre être imposée au salarié. Son refus, à supposer qu’il constituât un grief et non un simple rappel dans la lettre de licenciement, n’est pas fautif.

S’agissant de la résidence du salarié, ni le contrat de travail, ni aucune mise en demeure depuis le début d’exécution du contrat en juin 2014 jusqu’à la lettre de l’employeur du 5 mai 2017, soit pendant prés de trois ans ne sont venus dire que la résidence de la famille de M. [P] [Y] en région parisienne constituait une obligation contractuelle pour le salarié. Cette dernière correspondance bien tardive apparaît d’autant plus étonnante qu’elle vient après une importante amélioration des résultats de l’équipe.

Il n’est pas justifié que le retour du salarié dans sa famille une fois par semaine ait nui aux performances du club. Dans ces conditions ce grief doit être écarté.

Pour les même motifs, le grief tiré de l’usage du véhicule de fonction pour les allers et retours entre Tremblay en France et la Bretagne ne sera pas retenu, étant précisé que M. [P] [Y] n’apparaît pas avoir été informé des conditions de location du véhicule et du surcoût causé par l’usage sur de longs parcours qu’il en faisait.

Le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement

M. [P] [Y] sollicite la condamnation de l’employeur à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de la somme de 350 000 euros pour tenir compte de ce qu’il n’a pas retrouvé d’emploi d’entraîneur, qu’il n’a réintégré le club de [6] qu’à titre bénévole, qu’il a perdu une chance de bénéficier de primes de résultat sur les années restant à courir et de voir prolonger de trois ans son contrat ainsi que cela était rendu possible par le contrat à l’issue des cinq saisons stimulées initialement, qu’il a bénéficié de l’allocation de retour à l’emploi et qu’au minimum il doit être indemnisé à hauteur des salaires, avantage en nature compris, à échoir depuis son licenciement jusqu’au terme prévu de la relation de travail, c’est-à-dire à hauteur de la somme de 285 280,94 euros.

La SASP Tremblay-en-France Handball répond que M. [P] [Y] a retrouvé un emploi au sein du club de [6] et a pris une activité d’entrepreneur, qu’il ne justifie pas de sa situation après la rupture, qu’il n’était pas éligible au chômage et qu’au mieux il pourrait prétendre à la somme de 248 675 euros correspondant au salaire mensuel de 10.150 euros cumulé de la date de la rupture jusqu’au terme stipulé du contrat de travail.

Sur ce

Aux termes de l’article L.1243-4 du code de travail la rupture anticipée du contrat à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat.

Les rémunérations en question comprennent les avantages en nature.

Un certificat de Pôle Emploi démontre qu’au 31 août 2018, l’intéressé avait bénéficié de 425 allocations journalières.

Reprenant le calcul précis et exact de M. [P] [Y], la cour fixe à la somme de 285.280,94 euros le cumul des salaires brut, y compris les avantages en nature compris, c’est-à-dire véhicule de fonction et logement, entre la date du licenciement et celle du terme stipulé du contrat.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [P] [Y], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l’article L 1235-3 du Code du travail une somme de 285.280,94 euros à titre d’indemnité pour rupture abusive.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

C’est à tort que le conseil a ordonné le remboursement des indemnités de chômage à Pôle Emploi, une telle possibilité n’étant pas prévue au titre de l’article L. 1235-4 du code du travail s’agissant de la rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée, sans préjudice du droit éventuel de Pôle Emploi à restitution à d’autres titres des allocations versées.

Le jugement sera infirmé à cet égard.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est équitable au regard de l’article 700 du code de procédure civile de condamner la SASP Tremblay-en-France Handball qui succombe au paiement de la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel. Pour le même motif, la SASP Tremblay-en-France Handball sera déboutée de ses prétentions de ces chefs et condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Infirme le jugement déféré, uniquement sur la demande de dommages-intérêts pour rupture abusive et sur le remboursement des indemnités de chômage ;

Condamne la SASP Tremblay-en-France Handball à payer à M. [P] [Y] la somme de 285.280,94 euros d’indemnité de rupture avec intérêts ;

Dit n’y avoir lieu à remboursement des indemnités de chômage au titre de l’article L. 1235-4 du code du travail ;

Y ajoutant ;

Condamne la SASP Tremblay-en-France Handball à payer à M. [P] [Y] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Rejette la demande de la SASP Tremblay-en-France Handball au titre des frais irrépétibles d’appel ;

Condamne la SASP Tremblay-en-France Handball aux dépens d’appel.

LA GREFFI’RE LE PR”SIDENT

 


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