Contrat à durée déterminée d’usage : 2 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02521

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Contrat à durée déterminée d’usage : 2 mars 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 20/02521
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 MARS 2023

N° RG 20/02521 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UEUV

AFFAIRE :

[L] [R]

C/

S.A.R.L. INTERVIEW

Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 12 Octobre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : 18/00568

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mouna BENYOUCEF de la AARPI HUJE AVOCATS

Me Catherine LEGER de la SELARL ALTERLEX

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [L] [R]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Mouna BENYOUCEF de l’AARPI HUJE AVOCATS, avocat plaidant/constitué, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

S.A.R.L. INTERVIEW

N° SIRET : 420 879 462

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Catherine LEGER de la SELARL ALTERLEX, avocat plaidant/constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0703

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Janvier 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Mme Florence SCHARRE, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Alicia LACROIX,

FAITS ET PROCÉDURE

A compter du 16 novembre 2015, Mme [R] a été engagée en qualité d’enquêteur vacataire, par la société Interview, selon plusieurs contrats de travail à durée déterminée d’usage.

L’entreprise, qui exerce une activité d’études de marché et de sondages, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des bureaux d’études techniques, dite Syntec.

Le dernier contrat de travail à durée déterminée d’usage conclu portait sur la réalisation d’une étude [I] du 30 novembre 2016 au 7 janvier 2017.

Convoquée le 15 décembre 2016 à un entretien préalable à une éventuelle rupture anticipée, fixé au 23 décembre suivant avec mise à pied à titre conservatoire, Mme [R] s’est vue notifier la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée par lettre datée du 3 janvier 2017 énonçant une faute grave.

Estimant ne pas avoir été intégralement remplie de ses salaires (minimums conventionnels, requalification temps complet et majorations d’heures supplémentaires), faisant en outre grief à l’employeur de ne pas avoir respecté son obligation de sécurité et contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [R] a saisi, le 12 septembre 2018, le conseil de prud’hommes de Versailles aux fins d’entendre juger la rupture nulle et subsidiairement abusive et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s’est opposée aux demandes de la requérante et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 12 octobre 2020, le conseil a statué comme suit :

Dit que l’affaire est recevable,

Fixe le salaire moyen de Mme [R] à 1 787,48 euros bruts mensuel,

Juge que la rupture de contrat de Mme [R] pour faute grave est caractérisée,

Déboute Mme [R] de la totalité de ses demandes concernant ses rappels de salaires ainsi que des congés payés et les primes de précarité y afférents,

Déboute Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale du travail,

Condamne la société Interview à verser à Mme [R] la somme de 5 342,44 euros pour remise tardive des documents Pôle emploi rectifiée,

Déboute Mme [R] de sa demande d’article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société Interview de sa demande reconventionnelle d’article 700 du code de procédure civile,

Condamne chaque partie à ses propres dépens.

Le 12 novembre 2020, Mme [R] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 7 décembre 2022, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 janvier 2023.

‘ Selon ses dernières conclusions notifiées le 21 juin 2021, Mme [R] demande à la cour de :

Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société à lui verser 5 362,44 euros pour remise tardive de l’attestation Pôle emploi,

Infirmer le jugement rendu le 12 octobre 2020 sur les chefs de jugement critiqués et statuant à nouveau :

Sur l’exécution du contrat de travail :

Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

– rappel de salaire au titre de la requalification à temps complet : 1 564,36 euros

– congés payés afférents : 156,43 euros

– prime de précarité afférente : 153,43 euros

– rappel de salaire au titre des heures supplémentaires non majorées : 2 282,88 euros

– congés payés afférents : 228,28 euros

– prime de précarité afférente : 228,28 euros

– dommages-intérêts pour défaut de visite médical et manquement à l’obligation de sécurité : 15 000 euros

Fixer le salaire de référence à 2 383,31euros,

Sur la rupture du contrat de travail

Dire la rupture nulle et subsidiairement abusive,

Condamner en conséquence la société à lui verser les sommes suivantes :

– rappel de salaire pour mise à pied conservatoire : 1 429,98 euros

– dommages-intérêts pour rupture abusive : 14 299,86 euros

Ordonner la remise des bulletins de paie rectifiés et l’attestation Pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

Condamner la société à verser à Maître [J] 2 000 euros au titre de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

Dire que l’ensemble des condamnations à intervenir porteront intérêt à compter de l’introduction de la demande, avec capitalisation annuelle des intérêts par l’application de l’article 1343-2 du code civil,

Condamner la société aux entiers dépens qui comprendront ceux éventuels d’exécution.

‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 31 mars 2021, la société Interview demande à la cour de :

Infirmer le jugement en ce qu’il :

– l’a condamnée à verser à Mme [R] la somme de 5 362,44 euros pour remise tardive des documents Pôle Emploi,

– a ordonné l’application au taux légal des sommes dues au titre du préjudice pour remise tardive des documents Pôle Emploi,

– l’a déboutée de sa demande reconventionnelle d’article 700 du code de procédure civile,

– a condamné chaque partie à ses propres dépens.

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [R] du surplus de ses demandes, à savoir […],

En conséquence, et statuant à nouveau, débouter Mme [R] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions et condamner l’appelante au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de la procédure d’appel et aux dépens de l’instance.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur le manquement à l’obligation de sécurité :

Au soutien de sa demande indemnitaire, Mme [R] expose tout à la fois ne pas avoir bénéficié de visite de reprise après ses deux congés de maternité, dont elle ne cite pas les dates, et ne pas avoir bénéficié d’une visite d’embauche et de reprise, alors même qu’ayant travaillé pendant un an au sein de la société Interview elle a souffert de graves problèmes de santé durant de l’exécution du contrat.

La société intimée demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de ce chef, en soulignant que celle-ci ne justifie pas ses allégations selon lesquelles elle aurait « souffert de graves problèmes de santé lors de l’exécution de son contrat de travail et lors de sa rupture » ni l’existence d’un préjudice.

Selon l’article R. 4624-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le salarié bénéficie d’un examen médical par le médecin du travail avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai.

Par ailleurs, l’article R. 4624-22 du code du travail, prévoit que le salarié bénéficie d’une visite de reprise :

1° Après un congé de maternité ;

2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;

3° Après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail, de maladie ou d’accident non professionnel.

Faute pour l’employeur de justifier s’être libéré de son obligation d’organiser la visite médicale d’embauche, le manquement invoqué par la salariée sur ce point est avéré.

Pour le surplus, Mme [R] ne précise pas à quel titre l’employeur aurait manqué à son obligation d’organiser une visite de reprise dans les huit jours suivant une hypothétique reprise du travail, aucun arrêt maladie et/ou maternité n’étant justifié. Aucune pièce n’est visée dans ses conclusions au soutien de ses allégations sur ce dernier point.

Il n’est pas davantage justifié que Mme [R] ait subi un quelconque problème de santé au cours de la relation de travail. Par suite, faute pour la salariée de justifier l’existence d’un préjudice en lien avec le seul manquement avéré de l’employeur, c’est à bon droit que les premiers juges l’ont déboutée de ce chef. Le jugement sera confirmé sur ce point.

II – Sur la rémunération :

II – a) Sur le rappel de salaire sur la base d’un temps plein :

Au soutien de sa demande de rappel de salaire fondée sur la requalification à temps plein du contrat de travail, Mme [R] relève l’absence de fixation par les contrats de travail du temps relatif à chaque tâche, et qu’elle pouvait être rémunérée pour des tâches ‘brief’, ‘pré-recrutement’, ‘rappels’ ou ‘heures de forfait’ non prévues aux contrats. Elle fait valoir qu’aucun texte légal ou conventionnel n’exclut les travailleurs à la tâche du bénéfice des dispositions légales sur la durée du travail. Dans la mesure où elle était engagée à temps partiel, ainsi qu’il ressort de ses bulletins de salaire, Mme [R] s’estime fondée à solliciter un rappel de salaire sur la base d’un temps plein.

La société Interview conteste le bien-fondé de cette réclamation en objectant que Mme [R] était payée à la tâche, en dehors de toute notion de durée du travail, de telle sorte qu’elle ne peut raisonnablement soutenir avoir travaillé à temps complet. Elle ajoute qu’en pratique, la salariée déterminait elle-même ses journées et son temps de travail, en toute indépendance, afin de réaliser les tâches confiées dans le délai imparti pour l’étude concernée, conformément au contrat de travail correspondant. L’intimée estime qu’elle ne se tenait donc pas à la disposition de la société en dehors de ses journées de travail effectif, journées fixées par elle-même en fonction de son organisation personnelle, et dont le détail figure sur les annexes à ses bulletins de salaires.

Les contrats conclus stipulent sous le chapitre intitulé ‘durée du travail’ ceci : ‘le présent contrat est un contrat à la tâche, dont l’objet est la réalisation d’enquêtes dans le cadre d’une durée déterminée. Dès lors, le salarié dispose d’une certaine liberté d’exécution lui permettant, en fonction de sa compétence, de sa rapidité et/ou de son organisation personnelle, de consacrer plus ou moins de temps à cette activité. Le salarié doit néanmoins respecter certaines obligations minimales afin d’assurer la qualité de son travail. Ces obligations sont fixées en fonction des instructions données et des exigences particulières des enquêtes’.

Il est également convenu sous une clause dite de ‘non exclusivité’, que ‘le salarié est parfaitement informé qu’il a la faculté de refuser la mission d’enquête qui lui est proposée ainsi que toute autre mission que l’employeur pourrait lui proposer ultérieurement y compris pendant les périodes de disponibilité qu’il a fixées en fonction de ses contraintes personnelles et qu’il a indiquées à la société’.

Les contrats prévoient une rémunération à la tâche à hauteur de 4,35 euros pour le ‘recrutement’ et de 4,80 euros pour la ‘passation’.

À ce titre, l’employeur précise, sans être contredit sur ce point par l’appelante, que le ‘recrutement’ des personnes s’effectue par le biais d’entretiens réalisés par les enquêteurs dans la rue à proximité du « magasin test », destiné à identifier si la personne correspond au type de consommateur ciblé par l’étude. Cette première tâche lui ouvre droit à une rémunération de 4,35 euros lorsque le consommateur correspond aux critères et accepte de réaliser l’enquête.

Une fois la personne recrutée, si la personne est conduite dans le « magasin test » afin de répondre aux questions posées, l’enquêteur a droit à la rémunération attachée à la ‘passation’ soit 4,80 euros par enquête réalisée.

L’appelante se prévaut des dispositions de l’article L. 3123-14 du code du travail, en vertu desquelles le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui mentionne notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification et les modalités selon lesquelles les horaires de travail, pour chaque journée travaillée, sont communiqués par écrit au salarié et de la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation selon laquelle l’absence de clause prévoyant la répartition des heures de travail entre les jours de la semaine et les semaines du mois fait présumer que l’emploi est à temps complet, sauf à l’employeur à prouver qu’il s’agissait d’un emploi à temps partiel et que le salarié n’était pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’était pas dans l’obligation de se tenir à la disposition de son employeur.

Par ailleurs, il est de droit qu’en l’absence de fixation par le contrat de travail du temps relatif à chaque tâche, le salarié payé à la tâche peut prétendre au salaire minimum conventionnel pour le nombre d’heures de travail qu’il a effectué.

Ainsi que le fait valoir à juste titre la salariée, l’examen comparé des contrats versés aux débats et des annexes des feuilles de paye révèle que si les contrats prévoient la rémunération des tâches dites de ‘recrutement’ et de ‘passation’, il n’en est pas de même d’autres tâches telles celles dites de ‘pré recrutement’, de ‘brief’ ou encore de ‘manutention’, lesquelles sont pourtant rémunérées par l’employeur selon les annexes des fiches de paye.

L’employeur présente dans ses écritures, à titre d’exemple, la rémunération du mois d’octobre 2016, comme suit :

« Il résulte de l’annexe au bulletin de salaire du mois d’octobre 2016 que Mme [R] a travaillé sur 19 enquêtes, qui ont donné lieu à une rémunération, en application des dispositions des contrats à durée déterminée d’usage, calculée selon les modalités suivantes : (pièce n° 2 – Bulletins de salaire de novembre 2015 à décembre 2016 et annexes) :

– 372 euros au titre des pré-recrutement,

– 1 331,95 euros bruts au titre des recrutements,

– 58,02 euros au titre des briefs (6 x 9,67 €),

A ces montants, peuvent être ajoutés :

– Les heures de manutention (lorsque les enquêteurs aident à la mise en rayon du magasin « test ») ;

– Les forfaits « mauvaise journée » (rémunération forfaitairement maintenue en cas d’intempéries, grèves, et que les enquêteurs n’ont pas pu enquêter suffisamment) ;

– Les forfaits « divers » (pièce n° 2).

Ces « heures de manutention » et ces « heures de forfaits » sont, conformément aux annexes aux bulletins de salaire, rémunérées au taux horaire du SMIC.

En l’occurrence, pour octobre 2016, une somme de 303,36 euros a été ajoutée au titre des forfaits.

Une somme globale de 2 065,33 euros était ainsi due à Mme [R], somme qui apparaît sur la première ligne « APPOINTEMENT 1 » du bulletin de salaire (pièce n°2).

Pour les besoins de l’établissement du bulletin de salaire, compte tenu du logiciel de paie alors utilisé par la société, ce montant a été converti en heures après division par le taux horaire correspondant au SMIC de l’époque (9,67 €), soit 213,58 heures (2065,33 / 9,67 €) (pièce n° 2).

Parallèlement :

– l’annexe au bulletin de salaire indique précisément les 17 jours effectivement travaillés par

Mme [R] sur ce mois, à savoir les 4,5,6,7,8,11,13,14,15,17,18,19,20,21,25,26,27

octobre 2016 ;

– le bulletin de salaire précise en bas à gauche que sur ce mois, Mme [R] a travaillé 136 heures ».

Il s’ensuit, d’une part, que les contrats conclus ne stipulent pas l’ensemble des tâches susceptibles d’être confiées à l’enquêteur, qui peut se voir confier d’autres tâches sans qu’une rémunération forfaitaire ait été convenue (‘pré-recrutement’, ‘briefs’) et, d’autre part, que des fonctions additionnelles (heures de manutention et heures de forfait) sont rémunérées sur la base d’un taux horaire sans que le contrat de travail fournisse là encore, la moindre précision.

Par suite, ces contrats ne sont pas conformes aux stipulations de la convention dite Syntec opposées par l’employeur en vertu desquelles ‘l’enquêteur vacataire dispose de sa liberté d’action pour réaliser le contrat d’enquête qu’il a accepté dans le cadre défini par la proposition écrite’ (article 48), son ‘salaire, pour chacun des contrats qu’il exécute, incluant la rémunération pour l’exécution des tâches prévues ainsi que celle de leur préparation et de la mise en forme des documents qui doivent être restitués’ (article 52).

Dès lors que des tâches non prévues au contrat de travail sont confiées à l’enquêteur et surtout que des fonctions lui sont rémunérées non pas à la ‘tâche’ mais sur la base d’un taux horaire, c’est à bon droit que la salariée sollicite le bénéfice des dispositions de l’article L. 3123-14 du code du travail et la présomption d’un temps complet.

Nonobstant les termes du contrat de travail évoquant la liberté dont bénéficierait le salarié pour organiser son activité, la société Interview ne rapporte pas la preuve qui lui incombe à savoir que Mme [R] était concrètement placée en situation de savoir à quel rythme elle devait travailler et qu’elle n’avait pas à se maintenir constamment à sa disposition.

La demande de Mme [R] sera donc accueillie sous réserve de sa réclamation pour le mois de novembre 2015 laquelle n’est pas justifiée. En effet, engagée par la société à compter du 16 de ce mois, la salariée a bien été rémunérée à temps plein, à savoir 88 heures pour la période courant du 16 au 30 du mois.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef et la demande de rappel de salaire accueillie, au vu du décompte communiqué par l’appelante, à hauteur de la somme de 1 285,99 euros bruts outre 128,59 euros au titre des congés payés afférents et 128,59 euros au titre de la prime de précarité.

II – b) Sur les majorations des heures supplémentaires :

Critiquant le jugement du conseil en ce qu’il a fait peser, au mépris des dispositions légales, sur elle seule la charge de la preuve, Mme [R] fonde sa réclamation sur les bulletins de salaire lesquels mentionnent un nombre d’heures travaillées dépassant largement la durée légale de travail. Elle plaide que ces bulletins font nécessairement foi dans la mesure où les stipulations de l’article 64 de l’annexe 4-3 de la convention collective prévoient expressément que la fiche de paye doit faire figurer le nombre d’heures travaillées et établissent qu’elle est bien fondée à réclamer le paiement des majorations de 25 et 50% éludées.

La société Interview objecte que le nombre d’heures figurant sur la première ligne des fiches de paye sous l’intitulé ‘appointement’, n’est qu’une conversion théorique du salaire qui est versé à l’enquêteur en considération des tâches accomplies en heures en fonction du taux horaire du SMIC. Elle fait valoir que les mêmes bulletins de salaire précisent en base de page, dans la case ‘heures travaillées’, le nombre d’heures réellement travaillées, lequel est déterminé en multipliant le nombre de journées travaillées durant le mois – lesquelles sont identifiées dans l’annexe – par l’amplitude horaire des locaux qui correspond à la durée maximum de travail journalière de l’enquêteur.

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et suivants du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant, la chambre sociale de la Cour de cassation précisant selon une jurisprudence constante que le juge prud’homal ne saurait faire peser la charge de la preuve que sur le seul salarié.

En l’espèce, il ressort effectivement des bulletins de paye, que sous la 1ère ligne intitulée ‘appointement’, figure un nombre, censé représenter selon la thèse défendue par la salariée le nombre d’heures travaillées dans le mois et un taux horaire qui donne la rémunération brute de base hors primes exceptionnelles, prime de précarité et indemnité compensatrice de préavis.

Il ressort des explications fournies par l’employeur, ci-avant détaillées, lesquelles ne sont nullement contredites par la salariée et sont étayées par l’annexe jointe aux fiches de paye, qu’en réalité les heures effectivement travaillées étaient bien mentionnées sur le bulletin en bas de page sous la rubrique ‘heures travaillées’, ce nombre correspondant au produit du nombre de jours travaillés, tel qu’il figure sur l’annexe avec mention des jours du mois effectivement travaillés, par l’amplitude maximum de la journée de travail équivalente aux horaires d’ouverture des locaux de la société, le travail des enquêteurs vacataires, chargés de recruter des consommateurs acceptant de répondre à des questionnaires, dépendant nécessairement de la possibilité pour la société de les recevoir ensuite dans ses locaux sitôt le recrutement fait.

Observations faites, d’une part, que, ainsi que le souligne à juste titre l’employeur, la salariée ne prétend pas avoir travaillé un nombre de jours supérieur à ceux mentionnés sur les annexes et les bulletins de salaire, et, d’autre part, que l’organisation du travail ne permet pas à la salariée de travailler une durée supérieure aux horaires d’ouverture des locaux de l’entreprise, il ressort de l’examen comparé du bulletin de paye et de la fiche annexée, que la réclamation de la salariée en ce qu’elle est basée sur la première ligne du bulletin de paye qui n’est que la conversion théorique de la rémunération servie à la salariée en fonction des tâches accomplies par le taux horaire, est dénuée de fondement.

En revanche, à l’analyse des annexes aux bulletins de salaire et en reprenant le mode de calcul des horaires effectivement accomplis par l’enquêteur, il est établi que la salariée accomplissait certaines semaines des heures supplémentaires. C’est ainsi qu’au mois d’octobre 2016, Mme [R] a travaillé du 4 au 8 du mois puis du 17 au 21, soit, selon le mode de calcul retenu par l’employeur 39 et 40 heures semaine (4×8+7 heures et 5×8).

Le jugement sera infirmé de ce chef et au vu des pièces communiquées, la réclamation sera retenue et la société condamnée à lui verser la somme de 200 euros bruts au titre des majorations d’heures supplémentaires outre 20 euros au titre des congés payés afférents, et 20 euros euros au titre de la prime de précarité.

III – Sur la cause de la rupture anticipée du contrat :

Exposant qu’elle était enceinte au jour de son licenciement, ce dont l’employeur concède avoir été expressément informé avant le prononcé du licenciement, et considérant que la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée est parfaitement injustifiée, en ce que le motif de la rupture n’est pas qualifié, que la faute grave n’est pas démontrée, le doute devant lui profiter, et enfin que l’ ‘événement’ reproché s’est déroulé en dehors de son lieu de travail et relève de sa vie personnelle, Mme [R] sollicite de la cour qu’elle prononce la nullité de la rupture.

La société, qui réfute l’argumentation tirée d’une prétendue absence de qualification de la rupture anticipée, soutient rapporter la preuve qui lui incombe. Elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que la rupture repose bien sur une faute grave étrangère à l’état de grossesse de la salariée justifiant la mesure prise et excluant toute nullité de celle-ci.

Convoquée le 15 décembre 2016, à un entretien préalable fixé au 27 décembre suivant, l’employeur précisant envisager une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à la rupture anticipée du CDD d’usage en raison de l’incident survenu ce jour, et mise à pied à titre conservatoire, Mme [R] s’est vu notifier la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée par lettre datée du 3 janvier 2017 énonçant les motifs suivants :

« Nous vous avons convoqué […] pour un entretien préalable à une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’à la rupture anticipée de votre CDD d’usage.

L’objet de cet entretien était de vous permettre de vous expliquer sur les incidents survenus le 15 décembre sur notre site de [Localité 6].

En effet, le 15 décembre 2016, vous avez eu une altercation avec Mme [F] suite à un désaccord sur la gestion de votre questionnaire. Cette altercation a eu lieu pour partie dans nos locaux et devant les interviewés qui ont assisté à vos échanges d’insultes. Vous êtes ensuite sortie dans les escaliers au niveau de l’école [5] pour vous expliquer. M. [V] a dû intervenir pour vous séparer car vous vous battiez. De même, la directrice de l’école Pigier est également intervenue pour nous demander de vous séparer car vous perturbiez les cours. De plus vous avez également proféré des menaces à l’encontre de Mme [F] ‘je vais te crever…’ et cela à plusieurs reprises.

Les échanges de coups comme d’insultes sont, quel qu’en soit la raison, inadmissibles sur votre lieu de travail’ Par votre comportement, non seulement vous perturbez le bon déroulement du terrain, mais vous entachez également l’image de la société.

Cette situation est d’autant plus inacceptable que vos querelles durent depuis plusieurs mois créant une ambiance détestable au sein du centre.

Lors de l’entretien, vous avez prétendu vous être uniquement défendu contre l’attaque de Mme [F]. Nous avons pu cependant constater les marques physiques sur cette dernière et nous avons plusieurs attestations faisant état d’un échange de coups violents et non d’une simple position de défense. Votre attitude menaçante et vindicative s’étant d’ailleurs poursuivie après l’altercation et ce devant témoins.

Vous comprendrez que votre comportement rend le travail de l’équipe impossible et que nous ne pouvons pas accepter ce dernier tant en raison de sa violence que des répercussions qu’il a sur le déroulement des terrains.

Par conséquent, nous avons le regret de vous informer que nous mettons fin à votre contrat de travail à durée déterminée d’usage de manière anticipée et que nous ne serons plus en mesure de vous proposer de nouveaux contrats. »

Selon les articles L.1243-1 et L.1243-4 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave ou de force majeure et la méconnaissance par l’employeur de ces dispositions ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat sans préjudice de l’indemnité de précarité prévue à l’article L.1243-8 du même code.

La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l’employeur qui l’invoque d’en apporter la preuve.

Selon l’article L.1225-4 du même code, l’employeur peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, […] s’il justifie d’une faute grave, non liée à la grossesse.

Si la lettre de rupture ne reprend pas les termes ‘faute grave’, il en ressort que l’employeur fonde sa décision sur le comportement violent adopté par la salariée à l’égard d’une de ses collègues rendant ‘impossible le travail de l’équipe’ et donc la poursuite du contrat de travail, qualifiant ainsi le grief fondant la rupture anticipée du CDD de faute grave.

La société Interview rapporte la preuve de la faute grave par les attestations circonstanciées, conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, rédigées par M. [V] qui indique avoir été appelé à l’aide par une de ses collègues, Mme [Y], et avoir constaté que Mmes [F] et [R] ‘s’empoignaient en se disputant’ et avoir dû s’interposer physiquement avec Mme [Y] pour les séparer, M. [P] arrivé peu après certifiant avoir entendu Mme [R] proférer des menaces à l’égard de sa collègue ‘ […] je vais te défoncer, je vais te tuer’ et avoir constaté ‘après avoir calmé cette dernière des touffes de cheveux sur le sol qui provenaient du cuir chevelu de Mme [F]’.

Il ressort de la plainte déposée par Mme [R] que celle-ci a bien confirmé que la dispute avait pour origine ‘un dossier’.

Il en ressort que suite à un changement d’objectifs notifié aux deux salariées, alors qu’elles se trouvaient toutes deux dans les locaux de l’entreprise, ainsi qu’en atteste Mme [Z], Mmes [F] et [R] sont sorties des bureaux situés au 2ème étage de l’immeuble pour se rendre sur leur lieu de travail. Une violente altercation physique les a opposées au sujet des objectifs ou d’un dossier nécessitant l’intervention de plusieurs collègues pour y mettre un terme.

L’altercation, pour ne pas s’être déroulée dans les locaux de l’entreprise, est toutefois survenue au temps et sur le lieu du travail, et a opposé deux salariées de l’entreprise au sujet d’un motif professionnel ou se rattachant immédiatement à l’activité professionnelle, et en aucune façon un motif d’ordre personnel.

De tels agissements auxquels Mme [R] a activement participé rendant impossible la poursuite de la relation de travail, le jugement sera confirmé en ce qu’il a jugé que la rupture anticipée reposait bien sur une faute grave étrangère à l’état de grossesse de Mme [R] et en ce qu’il a débouté celle-ci de ses demandes en nullité de la rupture et de ses demandes financières subséquentes.

IV – Sur la délivrance d’une attestation Pôle-emploi erronée :

Il est établi que la première attestation Pôle-emploi remise à la salariée comportait une erreur d’identification de cette dernière (numéro de sécurité sociale erroné 2920475… en lieu et place de 2920478…), erreur qui apparaissait dès l’origine sur la déclaration préalable à l’embauche la concernant ainsi que sur ses bulletins de salaire.

Il ressort des pièces communiquées que l’employeur a adressé l’attestation rectifiée relativement au numéro de sécurité sociale de la salariée le 8 mars 2017 en présentant ses excuses pour la gêne occasionnée, puis par lettre recommandée avec avis de réception datée du lendemain, 9 mars, a rejeté la demande d’indemnisation formulée Mme [R] en lui précisant que suite à sa réclamation formulée le 2 février, l’attestation avait été rééditée avec le bon numéro de sécurité sociale et lui avait été transmise le 9 février 2017 par lettre recommandée avec avis de réception (n°1A134…) que la Poste lui a retournée le 28 février avec la mention ‘pli avisé et non réclamé’.

L’employeur justifie avoir délivrer cette nouvelle attestation Pôle-emploi avec le bon numéro de sécurité sociale de la salariée (pièce n° 7 de l’intimée). Il ressort des échanges communiqués par la salariée (sous pièce n°18) que postérieurement au 9 mars 2017 la salariée a sollicité de son ancien employeur la délivrance d’une attestation de salaires destinée à la Caisse primaire d’assurance maladie et non l’attestation Pôle-emploi.

Il résulte de ces éléments qu’une erreur figurait dans l’attestation Pôle-emploi établie par l’employeur ensuite de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée advenue le 3 janvier 2017, que cette erreur a été régularisée par l’employeur dès que la salariée l’a signalée, en février 2017, mais que cette dernière ne l’a réceptionnée que par lettre simple datée du 8 mars 2017, à défaut pour elle d’avoir réceptionné le courrier recommandé que l’employeur lui avait adressé.

En tout état de cause, et faute pour Mme [R] de justifier l’existence d’un préjudice en lien avec cette erreur notamment en terme d’un éventuel retard dans sa prise en charge par Pôle-emploi, ce dont elle ne justifie pas, le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à verser la somme de 5 342,44 euros de dommages-intérêts de ce chef.

V – sur les demandes accessoires :

Compte tenu des créances salariales allouées, il sera ordonné à l’employeur de remettre au salarié les documents de fin de contrat régularisés, mais sans astreinte laquelle n’est pas nécessaire à assurer l’exécution de cette injonction.

La capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu’elle est demandée en justice.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement seulement en ce qu’il a, d’une part, débouté Mme [R] de sa demande de rappel de salaire sur la base d’un temps plein et de sa demande de rappel de majoration d’heures supplémentaires, et, d’autre part, condamné la société Interview à verser à la salariée la somme de 5 342,44 euros de dommages-intérêts pour remise tardive d’une attestation Pôle-emploi conforme.

Statuant à nouveau des chefs ainsi infirmés,

Condamne la société Interview à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

– 1 285,99 euros bruts outre 128,59 euros au titre des congés payés afférents et 128,59 euros au titre de la prime de précarité,

– 200 euros bruts au titre des majorations d’heures supplémentaires, 20 euros au titre des congés payés afférents et 20 euros au titre de la prime de précarité,

et ce avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation,

Ordonne la capitalisation de ces intérêts à condition que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,

Déboute Mme [R] de sa demande de dommages-intérêts pour remise tardive de l’attestation Pôle-emploi conforme,

Ordonne la remise d’un bulletin de paye de régularisation conforme à la présente décision et d’une attestation Pôle-emploi rectifiée dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt,

Rejette la demande d’astreinte,

Confirme le jugement pour le surplus,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Dit que chacune des parties supportera les dépens dont elle aura fait l’avance.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame FIORE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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