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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 02 JUIN 2023
N° 2023/ 172
Rôle N° RG 19/14332 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BE3WE
[F] [V]
C/
Association SIGMA FORMATION
Copie exécutoire délivrée
le : 02/06/2023
à :
Me Pascale PALANDRI de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Delphine CO, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FREJUS en date du 06 Août 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00090.
APPELANTE
Madame [F] [V], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Pascale PALANDRI de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
Association SIGMA FORMATION, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Delphine CO, avocat au barreau de MARSEILLE substitué à l’audience par Me Rajaa TOUIJER, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2023
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Mme [V] a été engagée en qualité de formatrice par l’association Sigma Formation selon plusieurs contrats à durée déterminée d’usage à temps partiel en qualité de formatrice catégorie D1 indice 200 pour une durée de travail hebdomadaire de 21 heures au cours des périodes suivantes :
– 5 novembre 2012 au 7 juin 2013;
– 24 octobre 2013 au 31 mai 2014;
– du 21 octobre 2014 au 22 mai 2015;
– du 19 octobre 2015 au 31 mai 2016.
Les relations de travail étaient régies par les dispositions de la convention collective nationale des organismes de formation du 10 juin 1988 et ses avenants.
Mme [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Fréjus le 4 avril 2019 aux fins de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, manquement à l’obligation de sécurité, licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de rappels de salaire et indemnités diverses.
Par jugement du 6 août 2019, le conseil de prud’hommes de Fréjus a :
CONSTATE la validité des contrats à durée déterminée d’usage conclus entre les parties.
DEBOUTER Madame [F] [V] de ses demandes relatives à requalification des, contrats en contrats à durée indéterminée, indemnité de requalification, indemnité de licenciement, indemnités compensatrices de préavis, incidence sur congés payés, rappels de salaires de ce chef, et dommages et intérêts pour rupture abusive de la relation de travail.
CONDAMNE I’Association SIGMA FORMATION à payer à Madame [F] [V] les sommes suivantes :
– 2 998,04 € bruts et congés payés y afférents pour 299,80 € bruts, au titre de rappel de salaires, tenant compte de la répartition entre temps de préparation et temps de cours, en deniers ou quittance, et sous déduction du chèque de 1 641,39 € net que l’employeur indique avoir adressé le 29 mai 2019, avec intérêts au taux légal a compter de la saisine du 19 septembre 2017
500 € a titre de dommages et intérêts pour exécution fautive des contrats de travail
– 300 € a titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité,
1 200 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
ORDONNE la rectification des bulletins de salaires et documents de fin de contrat conformément aux termes de la présente décision, sous astreinte de 10 € par jour de retard à compter du 31eme jour de la notification du présent jugement, le Conseil se réservant la liquidation de ladite astreinte
DEBOUTE Madame [F] [V] de sa demande relative aux honoraires cle I huissier en
cas d inexécution spontanée des condamnations prononcées
DEBOUTE l’Association SIGMA FORMATION, de ses demandes reconventionnelles.
ORDONNE l’exécution provisoire sur les condamnations prononcées, à l’exception de celles relatives à l’astreinte et sa liquidation.
CONDAMNE I’Association SIGMA FORMATION aux entiers dépens.’
Mme [V] a relevé appel de la décision le 10 septembre 2019.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, Mme [V] demande à la cour de :
‘CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de FREJUS le 06 août 2019 en ce qu’il a :
CONDAMNE l’Association SIGMA FORMATION à payer à Madame [F] [V] les sommes suivantes :
– 2 998,04 € bruts et congés payés y aff érents pour 299,80 € bruts, au titre de rappel de salaires, tenant compte de la répartition entre temps de préparation et temps de cours, en deniers ou quittance, et sous déduction du chèque de 1 641,39 € net que l’employeur indique avoir adressé le 29 mai 2019, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du 19 septembre 2017,
– 500 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive des contrats de travail,
– 1200 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
ORDONNE la rectification des bulletins de salaires et documents de fi n de contrat conformément aux termes de la présente décision, sous astreinte de 10 € par jour de retard à
compter du 31 ème jour de la notification du présent jugement, le Conseil se réservant la liquidation de ladite astreinte.
DEBOUTE l’Association SIGMA FORMATION de ses demandes reconventionnelles.
ORDONNE l’exécution provisoire sur les condamnations prononcées à l’exception de celles relatives à l’astreinte et sa liquidation.
CONDAMNE l’Association SIGMA FORMATION aux entiers dépens.
L’INFIRMER pour le surplus,
STATUANT A NOUVEAU :
CONSTATER que les contrats de travail à durée déterminée qui ont reçu application entre les parties visaient à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;
DIRE ET JUGER que les contrats de travail à durée déterminée proposés à Mme [V] par l’association SIGMA FORMATION 25ne respectent pas les conditions posées par la réglementation en vigueur ;
En conséquence :
REQUALIFIER la relation de travail entre l’association SIGMA FORMATION et Mme [F] [V] en relation de travail à durée indéterminée ;
CONDAMNER l’association SIGMA FORMATION à verser à Mme [F] [V] :
– 3.759,60 € à titre d’indemnité de requalifi cation ;
– 877,24 € à titre d’indemnité de licenciement ;
– 2.506,40 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 250,64 € d’incidence sur droit à congés payés ;
– 7.017,92 € de rappel de salaire ;
– 701,79 € d’incidence sur droit à congés payés ;
– 7.519,20 € pour rupture abusive de la relation de travail ;
CONSTATER que l’association SIGMA FORMATION a manqué à plusieurs reprises à son obligation de sécurité en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique des salariés ;
CONDAMNER l’association SIGMA FORMATION à verser à Mme [F] [V] la somme de 7.519,20 € pour manquement à l’obligation de sécurité ;
CONDAMNER l’association SIGMA FORMATION à verser à Mme [F] [V] la somme 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER l’association SIGMA FORMATION aux plus entiers dépend’.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 mars 2020, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, l’association Sigma Formation demande à la cour de :
‘REJETER toutes conclusions contraires comme injustes ou mal fondées ;
DEBOUTER Madame [V] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
I. A TITRE PRINCIPAL
CONSTATER la validité des contrats d’usage conclus entre les parties contrat de travail à durée déterminée de Madame [F] [V]
En conséquences ;
CONFIRMER le Jugement intervenu et REJETER la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée
DEBOUTER Madame [V] de sa demande de requalification de contrat en CDI et de l’ensemble des demandes indemnitaires y afférentes.
II. A TITRE SUBSIDIAIRE : Si par extraordinaire, la Cour de céans venait à requalifier les relations contractuelles entre les parties en CDI, elle en limitera les conséquences pécuniaires
1. Sur l’indemnité de requalification
LIMITER le montant de l’indemnité de requalification à 1 mois de salaire
2. Sur l’indemnité de licenciement
DIRE ET JUGER que l’indemnité de licenciement correspond à la somme de 515,40 euros.
3. Sur l’indemnité de préavis
LIMITER l’indemnité de préavis à la somme de 2.06,16 € bruts
4. Sur la rémunération des périodes intercalaires
CONSTATER que Madame [V] n’était pas à la disposition de l’Association SIGMA FORMATION durant les périodes intercalaires
En conséquence,
DEBOUTER Madame [V] de sa demande de paiement de salaire pour les périodes intercalaires
5. Sur les dommages et intérêts pour rupture abusive
CONSTATER la faible ancienneté de Madame [V]
LIMITER les dommages et intérêts à 3 mois de salaire
6. Sur les indemnités de précarité versées
CONDAMNER Madame [V] au paiement de la somme de 2.908,89 € à titre de remboursement des primes de précarité versées
III. EN TOUT ETAT DE CAUSE
1. Sur la demande de paiement de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité
CONSTATER la bonne foi de l’Association SIGMA FORMATION
CONSTATER l’absence de préjudice subi par Madame [V]
En conséquence,
CONFIRMER le Jugement intervenu
DEBOUTER Madame [V] du quantum de ses demandes de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité
IV. CONDAMNER Madame [V] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
V. CONDAMNER Madame [V] aux entiers dépens’.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, la cour constate que les parties ne demandent pas l’infirmation du jugement ayant condamné l’association Sigma Formation à payer à Mme [V] la somme de 2 998,04 euros bruts et congés payés afférents pour 299,80 euros bruts, au titre du rappel de salaires, tenant compte de la répartition entre temps de préparation et temps de cours, en deniers ou quittances et sous déduction du chèque de 1 641,39 euros net que l’employeur indique avoir adressé le 29 mai 2019, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du 19 septembre 2017 et 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive des contrats de travail’, ni de la décision sur la remise des documents de fin de contrat.
I. Sur la requalification en contrat à durée indéterminée
Moyens des parties
Mme [V] sollicite la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée faisant valoir que les contrats d’usage avaient en réalité pour objet de pourvoir à l’activité normale et permanente de l’association.
Elle expose qu’elle occupait un emploi de formateur au sein de l’association dont c’était l’objet; que la formation qu’elle assurait consistant à la préparation au CAPA travaux paysagers figurait chaque année au catalogue des formations dispensées par l’association; que ce poste est occupé aussi bien par des salariés en contrat à durée déterminée qu’indéterminée; qu’il s’agissait donc d’un emploi inhérent à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Elle critique l’argument selon lequel les missions de formation qui lui étaient confiées dépendaient des résultats des appels d’offre émis par des personnes morales de droit public et étaient donc aléatoires, soutenant que cette réalité économique ne suffit pas à démontrer le caractère temporaire des activités confiées qui correspondent à l’objet même de l’association.
Elle fait valoir que le marché CAPA travaux paysagers a été reconduit pour l’année 2016/2017 alors qu’elle en a été écartée à cette période; que certains salariés bénéficiant de moins d’ancienneté se sont vue proposer un contrat à durée indéterminée et que d’ailleurs le poste qu’elle occupait a été pourvu par un salarié embauché en contrat à durée indéterminée à temps complet.
Elle conteste ne pas avoir l’expérience et les compétences suffisantes pour être embauchée en contrat à durée indéterminée faisant valoir qu’elle était la plus diplômée des salariés.
Elle soutient que l’employeur ne lui a proposé aucun emploi pérenne et n’a pas cherché à la contacter en début de saison 2016/2017 comme à son habitude.
L’association Sigma Formation réfute tout caractère permanent de l’emploi de Mme [V] expliquant qu’elle organisait la formation de CAPA paysagiste en fonction des appels d’offre publiés par les établissements publics (conseil régional) et qu’elle était dans l’incertitude d’une année sur l’autre quant à son devenir dans la région varoise; qu’il s’agit donc d’un poste incertain la conduisant à ne proposer à Mme [V] que des contrats correspondant à la durée des marchés publics, les tâches confiées à celle-ci étant exclusivement rattachées à l’aléa de l’existence et de l’obtention d’un marché public.
L’intimée ajoute que Mme [V] n’avait pas les compétences requises pour intervenir sur d’autres domaines que la formation paysagiste n’ayant pas de diplôme de formateur, de sorte qu’elle ne pouvait être embauchée pour un emploi polyvalent.
Elle indique que la reconduite du marché de CAPA travaux paysager pour 2016/2017 n’était pas certaine lors de la réunion annuelle du mois de mai 2016; qu’en tout état de cause, Mme [V] avait clairement indiqué qu’elle ne souhaitait plus travailler au sein de l’association et qu’il a été procédé à l’embauche d’un salarié formateur en contrat à durée déterminée de 8 mois et non à durée indéterminée comme l’appelante l’indique.
Elle soutient enfin que seuls trois salariés sont engagés à durée indéterminée et qu’ils ont des compétences transversales et polyvalentes permettant de les affecter sur plusieurs formations issues de plusieurs marchés différents.
Réponse de la cour
L’article L.1242-1 du code du travail prévoit qu’un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Selon l’article L.1242-2, 3°du même code, sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire en cas d’emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
L’article 5.4.3 de la convention collective (contrat de travail à durée déterminée d’usage pour les formateurs) dispose que:
En raison de la nature de l’activité des organismes de formation et de l’usage constant dans ce secteur d’activité de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée pour certains emplois ayant un caractère temporaire, il est possible de faire appel au contrat de travail à durée déterminée de l’article L.’1242-2-3 du code du travail’:
”pour des actions limitées dans le temps requérant des intervenants dont les qualifications ne sont pas normalement mises en oeuvre dans les activités de formation de l’organisme’;
”pour des missions temporaires pour lesquelles il est fait appel au contrat à durée déterminée en raison de la dispersion géographique des stages, de leur caractère occasionnel ou de l’accumulation des stages sur une même période ne permettant pas de recourir à l’effectif permanent habituel.
Les hypothèses visées ci-dessus concernent des emplois temporaires correspondant à une tâche déterminée qui, du fait de leur répétition, ne peuvent avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
En l’espèce, l’association Sigma Formation soutient que Mme [V] a été engagée dans le cadre de la conclusion de marchés publics avec le conseil régional, et que cette salariée est intervenue en qualité de formateur pour assurer des formations dont la pérennité n’était pas certaine.
Pour en justifier, elle produit:
-les différentes commandes publiques territoriales de formation professionnelle continue pour les années 2012, 2013, 2013/2014, celle reconductible pour le marché public 2014/2015 et les lettres de reconduction du marché pour l’exercice 2015/2016 et 2017/2018 sur lesquels figure la formation CAPA Travaux paysagers, correspondant au marché COTEFE 05;
– les bons de commandes de ce marché attribué à Sigma Formation en 2012, 2013/2014, 2014/2015.
Dans tous les contrats établis par l’association Sigma Formation et conclus avec Mme [V], il est indiqué que les séquences de formation que celle-ci anime sont subventionnées sur fonds publics (conseil régional) qui ne s’engage pas au delà de la durée de la convention et qu’il s’agit de contrats à durée déterminée d’usage conclus pour des activités réputées permanentes mais dont la dispersion géographique, leur caractère occasionnel ou l’accumulation de stages sur une même période ne permet pas, à l’effectif habituel permanent, d’y faire face.
Cependant, la cour relève que les marchés ont été conclus pour des périodes couvrant la totalité de l’année de formation, durant plusieurs années successives et au moins entre 2012 et 2017, qu’ils étaient reconductibles sans qu’il ne soit indiqué de maximum. Il s’en déduit que les marchés, dans le cadre desquels a été embauchée Mme [V] n’étaient pas attribués pour une période ferme et limitée.
Par ailleurs, la formation CAPA Paysagiste était proposée par l’association sur sa plaquette d’information et de présentation. Aux termes de la documentation d’Information collective CAPA travaux paysagers produite par l’association Sigma Formation (session 2015/2016) , la formation CAPA travaux paysagers est présentée comme une formation au métier de jardinier d’espaces verts dont l’objectif est l’insertion professionnelle, la durée de la formation est de 1045 heures (23 semaines en centre soit 800 heures et 7 semaines en entreprise, soit 245 heures), elle s’étend entre les mois d’octobre et mai: l’objectif de cette formation est de permettre aux stagiaires d’acquérir un CAPA Travaux Paysagers validé par le Ministère de l’agriculture et de permettre leur insertion professionnelle par le biais de stages en entreprise ; les matières dispensées sont les techniques et pratiques professionnelles, l’entreprise et vie professionnelle, et enfin les bases scientifiques des techniques professionnelles pour un total de 560 heures, outre des matières générales, telles français, mathématiques, PSE, informatique (240 heures).
Or, tous les contrats de travail de Mme [V] prévoient que celle-ci ‘intervient en domaine professionnel sur le groupe CAPA Travaux Paysagers sur les modules MP1 Entreprise et vie professionnelles – MP2 Bases scientifiques des techniques professionnelles – MP3 Techniques et pratiques professionnelles – MAP sur l’arrosage intégré’ pour un volume de 800 HC -245 HE; de sorte que Mme [V] intervient dans la plupart des matières enseignées de manière constante au sein de la formation CAPA Travaux paysagers ; d’ailleurs, les dates de réalisation de ses fonctions correspondent à celles de la durée annuelle et normale de celle-ci.
Il ressort de ces éléments que si l’emploi de Mme [V] fait bien partie de ceux pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée, en revanche l’utilisation des contrats de travail à durée déterminée successifs n’est pas justifiée par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de cet emploi puisque au delà de l’aléa du marché public et de l’obtention de celui-ci auquel l’association pouvait éventuellement être soumise au cours des années scolaires successives, en raison notamment de la publication des marchés et de leur date d’obtention, aucun élément objectif n’établit que ses tâches ne ressortaient pas de l’activité normale et permanente de l’association.
Par conséquent, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens, notamment ceux liés aux compétences de l’appelante, le recours aux contrats de travail à durée déterminée par l’association Sigma Formation n’est pas régulier en ce qu’ils avaient pour objet de pourvoir aux besoins permanents de cette association.
Mme [V] est en conséquence fondée à solliciter la requalification de ses contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
II. Sur les conséquences de la requalification
L’indemnité de requalification
L’article L.1245-2 du code du travail dispose que, lorsque la juridiction fait droit à la demande en requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, elle accorde au salarié une indemnité à la charge de l’employeur ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
Lorsque le juge requalifie une succession de contrats conclus avec le même salarié en contrat à durée indéterminée, il ne doit accorder qu’une seule indemnité de requalification.
En considération de ces éléments, l’association Sigma Formation doit payer à Mme [V] la somme réclamée de 1 253,20 euros correspondant à un mois de salaire brut mensuel moyen à titre d’indemnité de requalification.
La rupture du contrat de travail
Il est de principe que la rupture du contrat de travail à durée déterminée en raison de l’arrivée du terme s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse si le contrat est par la suite requalifié à durée indéterminée et que l’employeur n’est pas en mesure de présenter une lettre de rupture valant lettre de licenciement et énonçant des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse.
Selon l’article L.1234-9 du code du travail, dans sa version applicable à la date des faits, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Il ressort de l’article R.1234-2 du même code que cette indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté.
L’article R.1234-4 du code du travail précise que:
Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié’:
1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement’;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.
La moyenne des trois derniers salaires perçus par Mme [V], mode de calcul plus favorable pour cette dernière, s’élève à 1 481 euros bruts étant rappelé que l’indemnité de fin de contrat qui constitue un complément de salaire s’ajoute à la rémunération brute totale perçue par le salarié. Il convient cependant de retenir le salaire brut mensuel allégué par Mme [V] qu’elle fixe à 1 253,20 euros. Au vu de ces éléments, l’association devra donc payer à Mme [V] la somme réclamée de 877,24 euros à titre d’indemnité légale de licenciement.
Eu égard à son ancienneté de trois ans, et 6 mois (novembre 2012, mai 2016) l’association Sigma Formation devra payer à Mme [V] la somme de 2 506,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 250,64 euros au titre des congés payés afférents.
Selon l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur lors des faits, compte tenu de l’ancienneté de Mme [V] et de sa rémunération, le préjudice qu’elle a subi au titre de la rupture de son contrat de travail sera indemnisé en lui allouant la somme réclamée de 7 519,20 euros à titre de dommages-intérêts.
Enfin, Mme [V], qui ne rapporte pas la preuve qu’au vu de ses conditions de travail, il lui était imposé de rester en permanence à la disposition de l’employeur pendant les périodes intercalaires, doit être déboutée de sa demande de ce chef.
III. Sur l’obligation de sécurité
Moyens des parties :
Mme [V] soutient que l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de sécurité en ce que:
– il n’a pas pris en compte les risques qu’elle encourait du fait des difficultés rencontrées avec certains stagiaires notamment l’un d’entre eux ayant haussé le ton et lui ayant craché au visage en janvier 2016 ;
– il n’a organisé la visite médicale d’embauche que le 13 novembre 2014 alors qu’elle était engagée depuis le mois de novembre 2012;
– elle n’a pas bénéficié de visite médicale de reprise après son accident du travail du 16 décembre 2015 ;
– l’employeur ne lui a pas fourni les éléments individuels de protection pour elle-même et les personnes suivant la formation en dépit du maniement d’objets tels une tronçonneuse, scie, sécateurs,… ce qui lui a causé un préjudice puisqu’elle subit toujours les conséquences de l’accident du travail.
L’association Sigma Formation demande la confirmation du jugement l’ayant condamnée au paiement d’une somme de 300 euros reconnaissant l’absence de visite médicale de reprise.
S’agissant de la visite médicale d’embauche, elle ne conteste pas l’avoir organisée tardivement mais pointe l’absence de préjudice qui en est résulté pour Mme [V] et d’un quelconque lien de causalité entre l’état de santé de celle-ci et ce retard.
Elle soutient par ailleurs avoir toujours pris en compte les risques encourus par ses salariés notamment à travers des réunions d’équipes où les formateurs étaient invités à informer l’employeur des difficultés rencontrées dans l’exécution de leur mission et la mise en place de procédures pour faire remonter les comportements inappropriés des stagiaires, indiquant que Mme [V] n’y avait jamais participé.
Enfin, l’association soutient avoir respecté son obligation de sécurité s’agissant des protections individuelles pour les stagiaires comme pour Mme [V].
Réponse de la cour :
L’article L.4121-1 du code du travail prévoit que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L’article L.’4121-2 du même code décline les principes généraux de prévention sur la base desquels l’employeur met en oeuvre ces mesures. Enfin, il est de jurisprudence constante que respecte son obligation légale de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
L’article R.4624-10 du code du travail, dans sa version en vigueur lors de l’embauche de Mme [V], prévoyait que la salariée bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail.
Il n’est pas discuté que la visite préalable d’embauche n’a eu lieu que le 13 novembre 2014.
Si cette visite médicale a été tardive – pas moins de deux ans après le début du contrat de travail – il reste qu’aucun préjudice n’est démontré par la salariée en lien avec ce retard, Mme [V] ayant été déclarée apte par le médecin du travail et l’accident du travail dont elle fait état étant postérieur à cette déclaration d’aptitude.
Le manquement n’est pas constitué.
L’association justifie par ailleurs avoir rempli son obligation de sécurité en matière d’équipements individuels de protection tel que cela ressort notamment du document d’information collective CAPA travaux paysagers (les stagiaires doivent se munir des tenues adéquates exigées), des différentes attestations produites et des photographies. Ces pièces ne sont pas valablement contredites par l’unique attestation communiquée par l’appelante, de M. [D], sans profession, qui se borne à affirmer que l’association ne fournissait pas les équipements et que c’est Mme [V] qui se les faisait prêter.
Le manquement n’est pas constitué.
S’agissant de l’absence de prise en compte des risques encourus du fait du comportement inadapté de certains stagiaires (irrespect), ce manquement n’est pas démontré par la production d’une attestation qui ne relate pas les faits de façon détaillée et en l’absence de démonstration que l’association avait eu connaissance de situations pouvant mettre en danger la sécurité ou la santé de la salariée. Sur ce point, aucun préjudice n’est démontré.
Le manquement n’est pas constitué.
Mme [V] a été absence pour cause d’accident du travail du 17 décembre 2015 au 24 janvier 2016. Il n’est pas contesté qu’elle n’a bénéficié d’aucune visite médicale de reprise.
Pour ce seul motif, et vu les conclusions de confirmation de l’intimé, il convient de confirmer le jugement et de condamner l’association à payer à Mme [V] la somme non contestée de 300 euros.
IV. Sur la demande reconventionnelle
L’association Sigma Formation sollicite la condamnation de Mme [V] à lui rembourser les indemnités de précarité qu’elle lui a versé au titre des contrats à durée déterminée en l’état de la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée.
Mme [V] conclut au rejet des demandes reconventionnelles.
Selon l’article L.1243-8 du code du travail, les salariés recrutés sous contrat à durée déterminée
ont droit à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de leur situation.
Il est de jurisprudence constante que lorsqu’elle est perçue par le salarié à l’issue de son contrat à durée déterminée, l’indemnité de fin de contrat lui reste acquise nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée. Il est ainsi retenu que la requalification ne peut effacer le fait que le salarié s’est trouvé à l’issue de son contrat à durée déterminée en situation de précarité.
En l’espèce, Mme [V] a bénéficié d’une indemnité de précarité correspondant à 10% de son salaire à l’issue de chacun de ses contrats de travail à durée déterminée et qui figurent sur tous ses derniers bulletins de salaire. Ce n’est que postérieurement qu’elle a demandé la requalification en contrat à durée indéterminée.
Il n’y a donc pas lieu de la condamner à restituer ces indemnités qui lui sont acquises.
La demande doit être rejetée et le jugement confirmé.
V. Sur les autres demandes
L’association Sigma Formation succombant au principal, il convient de la condamner à verser à Mme [V] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Dans la limite des termes de l’appel,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a :
– condamné l’association Sigma Formation à payer à Mme [F] [V] les sommes suivantes:
– 2 998,04 euros bruts et congés payés afférents pour 299,80 euros bruts, au titre du rappel de salaires, tenant compte de la répartition entre temps de préparation et temps de cours, en deniers ou quittances et sous déduction du chèque de 1 641,39 euros net que l’employeur indique avoir adressé le 29 mai 2019, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du 19 septembre 2017
– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive des contrats de travail,
– 300 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de sécurité,
– débouté Mme [F] [V] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents au titre des périodes intercalaires,
– débouté l’association Sigma Formation de ses demandes reconventionnelles,
– ordonné la rectification des bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformément aux termes de la décision, sous astreinte de 10 euros par jour de retard à compter du 31e jour de la notification du présent jugement,
INFIRME le jugement pour le surplus
Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant:
REQUALIFIE les contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée;
CONDAMNE l’association Sigma Formation à payer à Mme [F] [V] les sommes suivantes:
– 1 253,20 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 877,24 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 2 506,40 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 250,64 euros au titre des congés payés afférents.
– 7 519,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE l’association Sigma Formation aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT