Contrat à durée déterminée d’usage : 19 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 18/02606

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Contrat à durée déterminée d’usage : 19 septembre 2023 Cour d’appel de Metz RG n° 18/02606
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Arrêt n°23/00415

19 septembre 2023

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N° RG 18/02606 –

N° Portalis DBVS-V-B7C-E3RB

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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de METZ

12 septembre 2018

F 17/01160

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Dix neuf septembre deux mille vingt trois

APPELANT :

M. [C] [P]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Christine SALANAVE, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

Société [10] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Miroslav TERZIC, avocat au barreau de METZ

APPELEES EN INTERVENTION FORCEE

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 9] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 7]

[Localité 9]

Représentée par Me Adrien PERROT, avocat au barreau de NANCY

S.E.L.A.R.L. [B] ET [K] prise en la personne de Maître [O] [B] ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la Société [10]

[Adresse 3]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 avril 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS

M. [C] [P] a été embauché par la [10] en qualité d’agent de sécurité, en exécution de plusieurs contrats de travail à durée déterminée à temps partiel à compter du 1er août 2015 jusqu’au 2 octobre 2016.

Par requête enregistrée au greffe le 21 novembre 2017, M. [C] [P] a saisi le conseil de prud’hommes de Metz en sollicitant divers montants au titre de la requalification des contrats précaires en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, et au titre de la rupture des relations contractuelles.

Par jugement contradictoire en date du 12 septembre 2018, le conseil de prud’hommes de Metz a statué comme suit :

‘Dit la demande de M. [C] [P] recevable ;

Déboute M. [C] [P] de sa demande de requalification de ses contrats à durées déterminées, dit d’usage, en un contrat de travail à durée indéterminée, ainsi que de toutes les conséquences financières liées à cette décision ;

Déboute M. [C] [P] de sa demande de rupture fautive de son contrat de travail, ainsi que de toutes les conséquences financières liées à cette décision ;

Déboute M. [P] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la [10] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [P] aux entiers frais et dépens.’

Par déclaration transmise par voie électronique le 9 octobre 2018, M. [P] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses conclusions en date du 9 janvier 2019, M. [C] [P] demande à la cour de statuer comme suit :

‘Dire et juger l’appel de M. [P] recevable et bien fondé ;

Réformer le jugement entrepris ;

Condamner la société défenderesse à payer à M. [P] les sommes de :

21 875,76 € brut à titre de rappel de salaire ;

2 187,57 € brut au titre des congés payés y afférents ;

1 668,37 € brut au titre de l’indemnité de préavis ;

166,83 € brut au titre des congés payés y afférents ;

540 € net au titre de l’indemnité de licenciement ;

Avec intérêts de droit à compter de l’arrêt à intervenir ;

1 668,37 € net au titre de l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

1 668,37 € net au titre de la requalification des CDD en CDI ;

3 336,74 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour de l’arrêt à intervenir et exécution provisoire par application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile ;

Condamner la société défenderesse à payer à M. [P] la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société défenderesse aux entiers frais et dépens.’

A l’appui de la requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée, M. [P] expose qu’il a signé plusieurs contrats à durée déterminée à compter du mois d’août 2015 jusqu’à octobre 2016, et que le motif qui est mentionné sur lesdits contrats est un accroissement temporaire d’activité et non un CDD d’usage comme le soutient l’employeur. Il se prévaut du non-respect du délai de carence ainsi que du nombre de renouvellements qui démontrent que son embauche a été faite en vue d’assurer l’exercice de l’activité normale et permanente de l’entreprise et non par le motif visé d’un accroissement temporaire d’activité.

A l’appui de la requalification en contrat à temps complet, M. [P] indique que les contrats de travail signés font état d’une durée inférieure à la durée légale du travail sans se référer expressément aux dispositions légales relatives au temps partiel. Il fait valoir qu’aucune indication n’est portée sur les modalités d’exécution du temps partiel (répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ‘ limite des heures complémentaires).

Au soutien de ses prétentions relatives à la rupture, M. [P] fait valoir qu’étant lié par un contrat de travail à durée indéterminée, la cessation contractuelle ne s’est pas faite de manière légale ; il indique qu’il n’a pas été convoqué à un entretien préalable et qu’il n’a pas été destinataire d’une lettre de licenciement dûment motivée.

Par ses conclusions en date du 27 mars 2019, la société [10] demande à la cour de statuer comme suit :

‘Faire droit aux présentes écritures du [10] ;

En conséquence, confirmer la décision critiquée rendue le 12 septembre 2018 par le conseil de prud’hommes de Metz, en ce qu’elle a débouté M. [P] de toutes ses demandes, fins et prétentions au titre de la demande de requalification de ses contrats de travail, et du surplus de ses autres demandes ;

Le condamner à payer à la défenderesse la somme de 1 000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le condamner aux entiers frais et dépens.’

La société [10] réplique que les parcs de loisirs et d’attractions peuvent avoir recours aux contrats à durée déterminée d’usage pour faire face à des afflux temporaires auxquels le personnel permanent et/ou saisonnier ne permet pas de répondre ce qui est son cas.

La société intimée explique qu’elle n’a pas la possibilité d’embaucher des personnels de sécurité à l’année du fait des conditions aléatoires des spectacles.

Elle fait valoir que M. [P] a été embauché en qualité d’agent de sécurité SSIAP 1, qu’il travaillait en général pendant la période estivale aux différents spectacles organisés par le zoo.

Elle ajoute que l’activité normale du zoo se situe essentiellement durant la période touristique soit de mars à septembre/ octobre, parfois décembre. Elle reprend chacun des contrats qui se sont succédés, en expliquant qu’ils sont de durée différente car varient « selon les années et la durée de présentation estimée des spectacles ».

Compte tenu de l’ouverture, par jugement de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz en date du 6 janvier 2016, d’une procédure de redressement judiciaire de la société [10], avec la désignation de Maître [D] [V] en qualité d’administrateur et celle de Maître [O] [B] en qualité de mandataire judiciaire, et au vu de l’adoption par jugement du 13 juillet 2016 d’un plan de redressement de la société sur dix ans avec désignation de Maître [B] en qualité de commissaire à l’exécution du plan, la présente cour a par arrêt avant dire droit en date du 29 novembre 2021 :

– ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture,

– enjoint à M. [P] de mettre en cause par voie d’assignation Maitre [O] [B], en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la SCOP [10], ainsi que l’Unedic, délégation AGS CGEA de [Localité 9] ;

– invité M. [P] à reformuler ses demandes s’agissant des créances nées antérieurement à la procédure de redressement judiciaire de l’intimée ;

– renvoyé la procédure au rôle de la mise en état.

Par actes d’huissier en date du 4 février 2022, M. [P] a assigné a assigné la SELARL Ganfloff et [K] et l’AGS CGEA de [Localité 9] et leur a notifié ses écritures, qui ont été transmises par RPVA le 2 mars 2022, et aux termes desquelles M. [P] a demandé à la cour de statuer comme suit :

‘Dire et juger l’appel de M. [C] [P] recevable et bien fondé ;

Réformer le jugement entrepris ;

Fixer la créance de M. [C] [P] aux sommes suivantes :

– 21 875,76 € brut à titre de rappel de salaire ;

– 2 187,57 € brut au titre des congés payés y afférents ;

– 1 668,37 € brut au titre de l’indemnité de préavis ;

– 166,83 € brut au titre des congés payés y afférents ;

– 540 € net au titre de l’indemnité de licenciement ;

Avec intérêts de droit à compter de l’arrêt à intervenir ;

– 1 668,37 € net au titre de l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

– 1 668,37 € net au titre de la requalification des CDD en CDI ;

– 3 336,74 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour de l’arrêt à intervenir et exécution provisoire par application des dispositions de l’article 515 du code de procédure civile ;

Déclarer l’arrêt à intervenir commun à l’UNEDIC Délégation AGS (AGS CGEA [Localité 9]).

Condamner Maître [O] [B] es-qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la SCOP [10] à payer à M. [C] [P] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Condamner Maître [O] [B] es-qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la SCOP [10] aux entiers frais et dépens.’

Par ses conclusions en date du 2 septembre 2022, l’Unedic Délégation AGS CGEA de [Localité 9] demande à la cour de statuer comme suit :

‘ Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Metz du 12 septembre 2018 en ce qu’il a débouté M. [C] [P] de l’intégralité de ses demandes ;

A défaut,

A titre principal

Constater que la SCOP [10] est redevenue in bonis du fait de l’adoption d’un plan de redressement par jugement du 13 juillet 2016 ;

Dire et juger que la procédure ne peut en aucun cas conduire à la condamnation de l’AGS, mais uniquement, le cas échéant, à la condamnation de la société redevenue in bonis par l’effet du plan;

Dire et juger que le CGEA doit être mis hors de cause ;

Débouter M. [C] [P] de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire

Limiter la demande de rappel de salaire de M. [C] [P] à la somme de 7 346,17 euros bruts et 734,61euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

Dire et juger que le CGEA doit être mis hors de cause pour toutes les demandes indemnitaires liées à la rupture du contrat ;

En tout état de cause

Dire et juger que les sommes dues en application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas garanties par l’AGS ;

Dire et juger que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D. 3253-5 du code du travail ;

Dire et juger que l’AGS ne pourra être tenue que dans les limites de sa garantie fixées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail ;

Dire et juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 et suivants du code du travail ;

Dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance des créances garanties ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé établi par le mandataire judiciaire et justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains ;

Dire et juger qu’en application de l’article L 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l’ouverture de la procédure collective ;

Dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à charge de l’AGS.’

L’AGS rappelle qu’elle n’est dans la cause qu’à titre d’intervenant forcé. Elle fait état de ce qu’un plan de redressement par voie de continuation a été arrêté au profit de la [10], et que de par l’adoption du plan de redressement la société est redevenue in bonis ; dès lors les éventuelles créances de M. [P] n’entrent pas dans sa sphère de garantie.

A titre subsidiaire, l’organisme de garantie rappelle que la procédure ne peut en aucun cas conduire à la condamnation directe de l’AGS, mais uniquement, le cas échéant, à la condamnation de la société redevenue in bonis par l’effet du plan.

L’organisme de garantie précise que les fonds éventuellement versés par l’AGS au profit d’un salarié ne constituent que des avances ; en vertu du principe de subsidiarité, elle n’a vocation à avancer des créances que pour autant que l’employeur ne soit pas en mesure de le faire.

Sur les demandes de requalifications des relations contractuelles, l’organisme de garantie s’en remet aux explications de la société intimée, et observe que les spectacles présentés par la société [10] sont aléatoires car dépendent des conditions climatiques et du comportement des animaux.

Il observe que le rappel de salaire pour la période antérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société, soit du 1er août 2015 au 6 janvier 2016 est limité à la somme de 7 346,17 euros bruts outre 734,61 euros bruts au titre des congés payés afférents.

La SELARL [B] & [K] en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de redressement de la société [10] n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Il ressort des données constantes du débat que M. [P] a été employé par la société [10] en qualité d’agent de sécurité SSIAP 1 coefficient 100 échelon 1 en exécution de plusieurs contrats à durée déterminée à temps partiel durant une période courant du 1er août 2015 au 2 octobre 2016.

Il est également constant que les contrats de travail de M. [P] mentionnent – comme les bulletins de salaire ‘ l’application de la convention collective du personnel des parcs et jardins zoologiques privés ouverts au public du 24 janvier 2012.

M. [P] revendique une requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée et à temps complet, et sollicite des rappels de salaire induits par cette requalification.

Sur les prétentions de M. [P] au titre de la requalification des relations contractuelles en contrat à durée indéterminée

Aux termes de l’article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

En vertu de l’article L. 1242-2 alinéa 1 du même code, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, notamment en cas « d’accroissement temporaire d’activité ».

En l’espèce M. [P] produit au soutien de ses prétentions huit contrats de travail à durée déterminée à temps partiel (ses pièces n° 1) signés par l’employeur, soit :

– un contrat daté du 1er août 2015 prévoyant une embauche du 1er au 31 août 2015 pour une durée de 46,50 heures ‘par mois’ en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité»;

– un contrat daté du 1er septembre 2015 prévoyant une embauche du 1er au 30 septembre 2015 pour une durée de 11,50 heures ‘par mois’ en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité » ;

– un contrat daté du 17 octobre 2015 prévoyant une embauche du 17 au 24 octobre 2015 pour une durée de 13 heures ”par mois” en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité»;

– un contrat daté du 1er mai 2016 prévoyant une embauche du 1er au 31 mai 2016 pour une durée de 17,5 heures ”par mois” en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité » ;

– un contrat daté du 1er juin 2016 prévoyant une embauche du 1er au 30 juin 2016 pour une durée de 12 heures ”par mois” en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité » ;

– un contrat daté du 1er juillet 2016 prévoyant une embauche du 1er au 31 juillet 2016 pour une durée de 44 heures ”par mois” en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité»;

– un contrat daté du 1er août 2016 prévoyant une embauche du 1er au 31 août 2016 pour une durée de 54,50 heures ‘par mois’ en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité»;

– un contrat daté du 1er octobre 2016 prévoyant une embauche du 1er au 2 octobre 2016 pour une durée de 13 heures ‘par mois’ en vue de « faire face à un accroissement temporaire d’activité».

Au soutien de la requalification des relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée M. [P] fait valoir que :

– le motif des embauches précaires est ‘un accroissement temporaire d’activité’, et que l’employeur ne peut se prévaloir d’un autre motif relatif à un contrat précaire d’usage ;

– en vertu des dispositions de l’article L. 1243-13 du code du travail dans sa version applicable au présent litige « Le contrat de travail à durée déterminée est renouvelable deux fois pour une durée déterminée. » ;

– aux termes de l’article L. 1244-3 du même code dans sa version en vigueur au moment des contrats, à l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat incluant, le cas échéant, son ou ses deux renouvellements.

La cour observe que la société [10] n’a, parmi ses cinq pièces, produit aucun exemplaire de contrat de travail, puisqu’elle a repris dans ses écritures les temps d’embauche mentionnés dans les huit documents contractuels versés aux débats par M. [P].

La société [10] fait valoir que les dispositions légales relatives au délai de carence ainsi qu’aux limites de renouvellement d’embauche précaire ne sont pas applicables en l’espèce, car elle considère que les contrats à durée déterminée conclus entre elle et M. [P] sont des contrats d’usage. Elle soutient que ces contrats concernent une activité de spectacle, secteur d’activité visé par l’article D 1242-1 du code du travail comme permettant le recours au contrat à durée déterminée d’usage.

Or en vertu de l’article L.1242-12 du code du travail « Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. ».

Aussi l’énonciation du motif indiqué au contrat, soit en l’espèce l’accroissement temporaire d’activité, fixe les limites du litige en cas de contestation de la qualification du contrat (Cass. Soc. 04/12/1996 n°9442987).

La société [10] ne peut donc valablement se prévaloir des règles applicables au contrat à durée déterminée d’usage, et de ce que le motif des contrats précaires est celui défini par l’article L. 1242-2 3° relatif aux « Emplois à caractère saisonnier, dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. ».

En conséquence, faute pour la société [10] d’assurer la démonstration qui lui incombe d’un accroissement temporaire d’activité justifiant le recours à une embauche précaire, il est fait droit aux prétentions de M. [P] au titre de la requalification des relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er août 2015 jusqu’au 2 octobre 2016.

Sur la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet.

Conformément à l’article L. 3123-6 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel doit être écrit.

Le contrat est présumé conclu à temps complet à défaut de mention de la répartition du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois (sauf au cas où cette mention ne serait pas obligatoire) ou à défaut de respect des mentions contractuelles sur la durée et la répartition du temps de travail.

Pour renverser la présomption de travail à temps complet, l’employeur doit, d’une part apporter la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, et d’autre part établir que le salarié peut prévoir son rythme de travail et qu’il n’a pas à se tenir constamment à sa disposition.

En l’espèce, les contrats produits par M. [P] fixent le temps de travail à 46,50 heures ‘par mois’ du 1er août 2015 au 31 août 2015, à 11,50 heures ‘par mois’ du 1er septembre 2015 au 30 septembre 2015, à 13 heures ‘par mois’ du 17 octobre 2015 au 24 octobre 2015, à 17,5 heures ‘par mois’ du 1er mai 2016 au 31 mai 2016, à 12 heures ‘par mois’ du 1er juin 2016 au 30 juin 2016, à 44 heures ‘par mois’ du 1er juillet 2016 au 31 juillet 2016, à 54,50 heures ‘par mois’ du 1er août 2016 au 31 août 2016, et à 13 heures ‘par mois’ du 1er octobre 2016 au 2 octobre 2016.

Ces contrats comportent certes un paragraphe intitulé ‘attributions et emploi, durée du travail ‘ répartition’, mais ils ne mentionnent aucune indication sur les horaires de travail, notamment sur la répartition hebdomadaire et quotidienne du temps de travail du salarié.

Si la société [10] soutient que M. [P] était affecté à la surveillance des spectacles, raison pour laquelle les contrats de travail sont « de durées différentes selon les années et la durée de présentation estimée des spectacles », elle ne produit aucun élément et ne fournit aucune précision sur les modalités selon lesquelles le salarié était avisé de son emploi du temps et pouvait ainsi prévoir son rythme de travail sans avoir à se tenir constamment à sa disposition.

Il résulte de ce constat que M. [P] ne pouvait pas prévoir son rythme de travail et qu’il était à la disposition constante de l’employeur, de sorte que la cour requalifie les relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, à compter du 1er août 2015 jusqu’au 2 octobre 2016.

Sur les montants sollicités au titre de la requalification du contrat en contrat à temps complet

M. [P] réclame des rappels de salaire correspondant à un travail à hauteur de 151,67 heures mensuelles pour les mois d’août 2015, septembre 2015, octobre 2015, et de mai 2016 à octobre 2016 inclus.

La cour rappelle que le salarié ne peut obtenir le paiement de salaires au titre des périodes séparant deux contrats à durée déterminée requalifiés en contrat à durée indéterminée, sauf s’il établit qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes intermédiaires.

En l’espèce M. [P] a été employé pour des périodes mensuelles complètes, hormis au mois d’octobre 2016, les relations contractuelles ayant pris fin le 2 octobre 2016 et l’intéressé ayant travaillé pour une durée totale de 13 heures les 1er et 2 octobre 2016.

En conséquence les prétentions de M. [P] au titre du mois d’octobre 2016 sont rejetées.

Faute pour M. [P] de justifier du taux horaire qu’il revendique, il est fait droit à sa demande de rappel de salaire en tenant compte du taux horaire contractuel, à hauteur de :

– pour le mois d’août 2015 : (151,67 ‘ 46,50) 105,17 x 14,409 = 1 515,39 euros brut

– pour le mois de septembre 2015 : (151,67 ‘ 11,50) 37,67 x 14,409 = 2 019,70 euros brut

– pour le mois d’octobre 2015 : (151,67 ‘ 13) 37,67 x 14,409 = 1 998,09 euros brut

– pour le mois de mai 2016 : (151,67 ‘ 17,50) 134,17 x 14,409 = 1 933,25 euros brut

– pour le mois de juin 2016 : (151,67 ‘ 12) 139,67 x 14,409 = 2 012,65 euros brut

– pour le mois de juillet 2016 : (151,67 ‘ 44) 107,67 x 14,409 = 1 551,41 euros brut

– pour le mois d’août 2016 : (151,67 ‘ 54,50) 97,17 x 14,409 = 1 400,12 euros brut

Soit un montant total de 12 430,61 euros brut, outre 1 243,06 euros brut au titre des congés payés afférents.

Il est fait droit aux prétentions de M. [P] dans ces limites chiffrées, et le surplus de ses demandes est rejeté.

Sur les montants au titre de la requalification du contrat et au titre de la rupture.

En vertu de l’article L. 1245-2 du code du travail, l’indemnité de requalification est au moins égale à un mois de salaire. Il est donc alloué à M. [P] une indemnité de requalification à hauteur du montant qu’il réclame, soit une somme de 1 668,37 euros.

Il résulte de l’article L. 1234-9 du code du travail dans sa version applicable au présent litige que le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

L’article R. 1234-2 du même code dans sa version en vigueur au moment de la rupture des relations contractuelles précise que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté.

Aux termes de l’article L.1234-1 du code du travail dans sa version en vigueur au moment de la rupture des relations contractuelles, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l’ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur. S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, il a droit à un préavis d’un mois. S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, il a droit à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession.

Il est alloué à M. [P] une indemnité de préavis conforme à ses prétentions chiffrées soit hauteur de la somme de 1 668,37 euros brut, outre 166,83 euros brut de congés payés afférents.

En revanche, faute pour l’appelant de justifier de son chiffrage, il lui est alloué la somme de 437,08 euros au titre de l’indemnité de licenciement en application des règles ci-avant rappelées.

Conformément aux dispositions des articles L. 1235-3 et suivants du code du travail en vigueur au moment de la rupture, et étant observé que M. [P] n’évoque aucune donnée particulière au soutien de l’évaluation de son préjudice, il lui est alloué une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Si en vertu des article L. 1235-2 du code du travail et L. 1235-5 dans leur version applicable au litige le salarié a droit à une indemnité pour irrégularité de procédure, M. [P] ne fait état d’aucun préjudice à ce titre. Cette prétention est donc rejetée.

La société [10] étant redevenue in bonis suite à l’adoption d’un plan, il n’y a lieu à fixation de la créance de M. [P] au passif de ladite société que pour les montants antérieurs au redressement judiciaire, soit la somme de 5 533,18 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er août 2015 au 24 octobre 2015 outre 553,31 euros brut de congés payés afférents ainsi que la somme de 1 668,37 euros au titre de l’indemnité de requalification.

En conséquence la société [10] est condamnée au paiement de la somme de 6 897,43 euros brut outre 689,74 euros brut de congés payés afférents au titre des rappels de rémunération du 1er mai 2016 au 2 octobre 2016, ainsi qu’au paiement des montants au titre de la rupture du contrat de travail.

Sur la garantie de l’Unedic délégation AGS-CGEA de [Localité 9]

En vertu de l’article L. 3253-8 du code du travail, sont notamment garanties :

– les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire,

– les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :

a) Pendant la période d’observation ;

b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;

c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;

d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.

En l’espèce, la société [10] a été placée en redressement judiciaire le 6 janvier 2016, soit après le début du contrat de travail de M. [P].

Seuls les montants dus à M. [P] pour la période d’embauche antérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective sont garantis, étant rappelé qu’un plan de redressement a été arrêté le 13 juillet 2016, soit plus d’un mois avant la rupture des relations contractuelles à l’issue du dernier contrat de travail à durée déterminée le 2 octobre 2016.

Le CGEA est donc tenu à garantie selon les conditions et dans limites légales pour les créances allouées à M. [P] au titre de la période d’embauche antérieure à la date du 6 janvier 2016, soit :

– la somme de 5 533,18 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er août 2015 au 24 octobre 2015,

– la somme de 553,31 euros brut de congés payés afférents,

– la somme de 1 668,37 euros au titre de l’indemnité de requalification.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [P] ses frais irrépétibles. Il lui est alloué la somme de 1 500 euros à ce titre.

Il n’est pas contraire à l’équité de laisser à la charge de la société intimée ses frais irrépétibles. Sa demande à ce titre est rejetée.

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens sont infirmées.

La société [10] est condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, chambre sociale, statuant en dernier ressort, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement rendu le 12 septembre 2018 par le conseil de prud’hommes de Metz en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Requalifie les relations contractuelles en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 1er août 2015 jusqu’au 2 octobre 2016 ;

Dit que la rupture des relations contractuelles produit les effets d’un licenciement abusif;

Condamne la société [10] à payer à M. [C] [P] :

– 6 897,43 euros brut à titre de rappel de salaires pour la période courant du 1er mai 2016 au 2 octobre 2016,

– 689,74 euros brut au titre des congés payés afférents,

– 1 668,37 euros brut au titre de l’indemnité de préavis,

– 166,83 euros brut au titre des congés payés afférents,

– 437,08 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

Rejette les prétentions de M. [C] [P] au titre de l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

Fixe la créance de M. [C] [P] au passif de la société [10] aux sommes de :

– la somme de 5 533,18 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er août 2015 au 24 octobre 2015,

– la somme de 553,31 euros brut de congés payés afférents ;

– la somme de 1 668,37 euros au titre de l’indemnité de requalification ;

Dit que l’AGS-CGEA de [Localité 9] est tenue à garantie à l’égard de M. [C] [P] pour les sommes dues à la date du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire du 6 janvier 2016 soit pour les montants 5 533,18 euros brut à titre de rappel de salaire du 1er août 2015 au 24 octobre 2015, de 553,31 euros brut de congés payés afférents, et de 1 668,37 euros au titre de l’indemnité de requalification ;

Dit que l’AGS-CGEA de [Localité 9] est tenue à garantie à l’égard de M. [C] [P] sous les réserves suivantes :

– la garantie est plafonnée, en application des articles L. 3253-17, D. 3253-2 et D. 3253-5 du code du travail ;

– l’obligation à la charge de l’AGS-CGEA de procéder à l’avance des créances garanties ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé établi par le liquidateur et justification de l’absence de fonds disponibles entre ses mains ;

– en application de l’article L. 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l’ouverture de la procédure collective ;

Condamne la société [10] à payer à M. [C] [P] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les prétentions de la société [10] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [10] aux dépens de première instance et d’appel.

La Greffière La Présidente

 


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