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8ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°386
N° RG 19/06894 –
N° Portalis DBVL-V-B7D-QF5S
Liquidation judiciaire de la SARL ONG CONSEIL FRANCE
C/
M. [S] [N]
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me Christophe LHERMITTE
– Me Gwenaela PARENT
-Me Marie-Noëlle COLLEU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 18 DECEMBRE 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Nadège BOSSARD, Présidente,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 26 Octobre 2023
En présence de Madame [E] [C], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Décembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
La SARL ONG CONSEIL FRANCE ayant eu son siège social [Adresse 4] aujourd’hui en liquidation judiciaire
Prise en la personne de son mandataire liquidateur :
La S.E.L.A.R.L. [O] [F] prise en la personne de Me [O] [F] intervenant ès-qualités à la procédure ayant son siège :
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Béranger BOUDIGNON, Avocat plaidant du Barreau de PARIS
INTIMÉ et appelant à titre incident :
Monsieur [S] [N]
né le 20 Décembre 1976 à [Localité 7] (80)
demeurant [Adresse 3]
[Localité 10]
Représenté par Me Gwenaela PARENT de la SCP IPSO FACTO AVOCATS, Avocat au Barreau de NANTES
…/…
AUTRE INTERVENANTE FORCÉE, de la cause :
L’Association UNEDIC – DÉLÉGATION RÉGIONALE CGEA-ILE DE FRANCE OUEST prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU, Avocat au Barreau de RENNES
=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=
M. [S] [N] a été engagé par la société ONG Coneil France dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs du 23 avril 2013 au 22 mai 2018 pour assurer les fonctions de recruteur de donateurs ou de chef d’équipe.
La société ONG Conseil France a pour activité la mise en place de campagne de communication et de collecte de fonds pour des ONG. Elle emploie plus de 200 salariés.
Le 15 mai 2017, M. [N] a été victime d’un accident du travail et en arrêt maladie du 16 au 27 juin 2017.
Le 16 février 2018, la société ONG Conseil France a notifié un avertissement à M. [N].
Le 27 avril 2018, M. [N] a été placé en arrêt de travail pour accident ou maladie professionnel jusqu’au 2 novembre 2018.
Le 30 novembre 2018, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes aux fins de :
‘ Requalifier les contrats de travail a durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 23 avril 2013,
‘ Annuler l’avertissement notifié le 16 février 2018,
‘ Dire et juger que le licenciement est nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse,
‘ Condamner la SAS ONG CONSEIL FRANCE à verser :
– 2.611,05 € nets d’indemnité de requalification,
– 21.234,37 € de rappel de salaire,
– 2.123,43 € de congés payés afférents,
– 1.000 € nets de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,
– 5.000 € nets de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
– 15.666,30 € nets de dommages et intérêts pour licenciement nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse,
– 2.611,05 € nets de dommages et intérêts pour procédure irrégulière,
– 5.222,10 € bruts de préavis,
– 522,21 € bruts de congés payés afférents,
– 3.263,81 € nets d’indemnité de licenciement,
– 2.000 € d’article 700 du code de procédure civile,
‘ Intérêts au taux légal, outre l’anatocisme,
‘ Remise des documents sociaux sous astreinte de 80 € par jour suivant la notification de la décision à intervenir, le Conseil se réservant le pouvoir de liquider l’astreinte,
‘ Exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution,
‘ Fixer le salaire de référence à la somme de 2.611,05 €.
Par jugement du 26 septembre 2019, par lequel le conseil de prud’hommes de Nantes a :
‘ Requalifié le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
‘ Condamné la SAS ONG Conseil France à verser à M. [N] les sommes suivantes :
– 2.611,05 € nets a titre d’indemnité de requalification,
– 18.623,32 € bruts à titre de rappel de salaire,
– 1.862,33 € bruts à titre de congés payés afférents,
– 11.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5.222,10 € bruts à titre d’indemnité de préavis,
– 522,21 € bruts à titre de congés payés afférents,
– 3.263,81 € nets à titre d’indemnité de licenciement,
‘ Annulé l’avertissement du 16 février 2018,
‘ Condamné la SAS ONG Conseil France a verser à M. [N] la somme de 500 € nets à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,
‘ Dit que ces condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du Conseil, soit le 30 novembre 2018, pour les sommes à caractère salarial, et de la date de la notification du présent jugement pour celles à caractère indemnitaire, lesdits intérêts produisant eux-mêmes intérêts conformément à l’article 1343-2 du code civil,
‘ Dit que la SAS ONG Conseil France a manqué à ses obligations de loyauté et que la procédure de licenciement était irrégulière au regard de la requalification prononcée ce jour, mais que cela ne constitue aucun préjudice distinct,
‘ Ordonné à la SAS ONG Conseil France à remettre à M. [N]
un bulletin de salaire récapitulatif des sommes dues, un solde de tout compté et une attestation Pôle emploi rectifiés, tous documents conformes au présent jugement, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette remise d’une astreinte,
‘ Condamné la SAS ONG Conseil France a verser à M. [N] la somme de 1.500 € au titré de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ Condamné en outre d’office la SAS ONG Conseil France à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [N] dans la limité de deux mois d’indemnités,
‘ Limite l’exécution provisoire du présent jugement à l’exécution provisoire de droit définie à l’article R. 1454-28 du code du travail et, à cet effet, fixé à 2.611,05 € le salaire mensuel moyen de référence,
‘ Débouté M. [N] du surplus de ses demandes,
‘ Reçu la SAS ONG Conseil France en ses demandés reconventionnelles,
mais l’en débouté,
Condamné la SAS ONG Conseil France aux dépens.
La société ONG Conseil France a interjeté appel le 18 octobre 2019.
Par jugement en date du 1er décembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société ONG Conseil France et a désigné la Selarl [F] prise en la personne de Me [O] [F] en qualité de liquidateur judiciaire.
Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 mars 2023, la SELARL [O] [F], liquidateur judiciaire de la SAS ONG Conseil France demande à la cour de :
‘ Recevoir l’intervention volontaire de la SELARL [O] [F], prise en la personne de Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS ONG Conseil France,
‘ Déclarer la SELARL [O] [F] ès qualités de liquidateur de la société ONG Conseil France, venant aux droits et actions de cette société, recevable et bien fondée en son appel,
A titre liminaire,
‘ Fixer le salaire de référence de M. [N] à 1.921,69 €,
‘ Décompter l’ancienneté du salarié dans les limites de la prescription à compter du 30 novembre 2016,
A titre principal,
‘ Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
‘ Déclarer irrecevables :
– les demandes de M. [N] au titre de l’exécution de ses contrats de travail rompus antérieurement au 30 novembre 2016,
– la demande de M. [N] visant à faire juger que la rupture de son contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul, ainsi que ses demandes subséquentes, car nouvelles en cause d’appel,
‘ Débouter M. [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
‘ Limiter le montant des condamnations comme suit :
– 1.921,69 € à titre d’indemnité de requalification,
– 6.482 € au titre des rappels de salaires sur les périodes interstitielles et 648 € de congés payés y afférents pour la seule période du 30 novembre 2015 au 22 mai 2018 non couverte par la prescription,
– 3.859,38 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 945,89 € au titre de l’indemnité légale de licenciement,
– Limiter le montant de l’astreinte à un montant de 1 500 euros,
– Préciser que les rappels de salaires feront, le cas échéant, l’objet de l’émision d’un seul bulletin de paie récapitulatif
En tout état de cause,
‘ Condamner M. [N] à payer à la SELARL [O] [F] ès qualités de liquidateur de la SAS ONG Conseil France la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles en cause de première instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Me LHERMITTE,
‘ Fixer l’éventuelle créance au titre des condamnations allouées à M. [N] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS ONG Conseil France,
– Débouter M. [N] de l’ensemble de ses autres demandes fin et conclusions.
Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2023, M. [N] demande à la cour de :
‘ Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Nantes le 26 septembre 2019 en ce qu’il a :
– requalifié les contrats de travail à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée à compter du 23 avril 2013,
– annulé l’avertissement notifié à M. [N] le 16 février 2018,
– condamné la SAS ONG Conseil France à verser à M. [N] les sommes suivantes :
– 2.611,05 € nets au titre de la requalification,
– 5.222,10 € bruts au titre du préavis,
– 522,21 € bruts de congés payés afférents,
– 3.263,81 € nets d’indemnité de licenciement,
– 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile (1ère instance),
‘ Fixer au besoin, les créances suivantes au passif de la SAS ONG Conseil France et au bénéfice de M. [N] :
– 2.611,05 € nets au titre de la requalification,
– 5.222,10 € bruts au titre du préavis,
– 522,21 € bruts de congés payés afférents,
– 3.263,81 € nets d’indemnité de licenciement,
– 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile (1ère instance),
‘ Infirmer le jugement du 26 septembre 2019 pour le surplus,
‘ Dire et juger :
– recevables et non prescrites les demandes de M. [N],
– que l’ancienneté de M. [N] doit être fixée au 23 avril 2013 avec toutes conséquences de droit
– que la SAS ONG Conseil France a manqué à son obligation de loyauté,
– que le licenciement de M. [N] est nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse,
‘ Fixer les créances suivantes au passif de la SAS ONG Conseil France et au bénéfice de M. [N] :
– 21.919,37 € bruts à titre de rappel de salaires,
– 2.191,93 € bruts d’incidence sur congés payés afférents,
– 1.000 € nets de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,
– 5.000 € nets de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
– 15.666,30 € nets de dommages et intérêts pour licenciement nul et à défaut sans cause réelle et sérieuse,
– 2.611,05 € nets de dommages et intérêts pour procédure irrégulière,
– 2.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile (appel),
– dépens,
‘ Débouter le mandataire liquidateur de la SAS ONG Conseil France et l’AGS CGEA DE Rennes de l’ensemble de leurs demandes fins et conclusions,
‘ Fixer le salaire de référence à la somme de 2.611,05 €,
‘ Assortir les condamnations de l’intérêt légal à compter de la saisine pour les sommes ayant le caractère de salaire et de la décision pour les autres, outre le bénéfice de l’anatocisme (articles 1153 et 1154 du code civil),
‘ Déclarer la décision à intervenir opposable à l’AGS dans les limites de sa garantie légale,
‘ Ordonner la remise par la SELARL [O] [F] ès qualités de liquidateur de la SAS ONG Conseil France, venant aux droits et actions de cette société de documents sociaux rectifiés sous astreinte de 80 € par jour suivant la notification de la décision à intervenir.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 1er février 2023, suivant lesquelles l’association UNEDIC Délégation AGS CGEA Ile de France Ouest demande à la cour de :
‘ Déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté par le CGEA de Rennes ;
‘ Réformer le jugement du conseil de prud’hommes de ‘Guingamp’ en ce qu’il a :
– requalifié le contrat de travail à durée déterminé en contrat de travail à durée indéterminée,
– condamné la SAS ONG Conseil France à verser à M. [N] les sommes suivantes :
– 2.611,05 € à titre d’indemnité de requalification,
– 18.623,32 € à titre de rappel de salaire,
– 1.862,33 € à titre de congés payés,
– 11.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 5.222,10 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 522,21 € à titre de congés payés,
– 3.263,81 € à titre d’indemnité de licenciement,
– annulé l’avertissement du 16 février 2018,
– condamné la SARL ONG Conseil France à verser à M. [N] la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée,
– fixé à 2.611,05 € le salaire mensuel moyen de référence,
‘ Débouter en conséquence M. [N] de l’ensemble de ses demandes prescrites et/ou infondées,
‘ Fixer le salaire de référence à la somme de 1.921,69 € bruts par mois,
‘ Déclarer irrecevable les demandes nouvelles de Monsieur [N] au titre d’une prétendue discrimination,
Subsidiairement,
‘ Débouter M. [N] de toute demande excessive et injustifiée,
En toute hypothèse,
‘ Débouter M. [N], de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l’encontre de l’AGS,
‘ Rappeler que l’AGS ne consentira d’avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail,
‘ Dire que l’indemnité éventuellement allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile n’a pas la nature de créance salariale,
‘ Rappeler que l’AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
Après révocation de l’ordonnance de clôture initialement signée le 05 octobre 2023, la clôture a été prononcée le 26 octobre 2023.
MOTIFS :
Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 23 avril 2013:
– sur la prescription de l’action en requalification :
L’employeur soutient que l’action est irrecevable pour la période antérieure au 30 novembre 2016 comme prescrite au regard du délai biennal de l’article L1471-1 du code du travail et au point de départ de la prescription qu’il entend voir fixer au jour du contrat contesté.
Le salarié objecte que ce point de départ du délai de prescription n’est applicable que lorsque la requalification est sollicitée à raison d’une absence de mention sur le contrat de travail. Il précise qu’il fonde sa demande de requalification sur les motifs de recours au contrat à durée déterminée et se prévaut d’une succession de contrats à durée déterminée jusqu’au 27 avril 2018. Il ajoute la circonstance que le fait que l’employeur ait pu espacer certains contrats dans son seul intérêt ne saurait être de nature à faire échec à une requalification encourue antérieurement au 30 novembre 2016.
En vertu de l’article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Le point de départ du délai diffère en fonction du motif de requalification invoqué. Lorsque, comme en l’espèce, la demande de requalification est fondée sur la réalité du motif de recours au contrat de travail à durée déterminée, le point de départ est la date d’expiration du dernier contrat d’une succession de contrats.
M. [N] a été engagé par la société ONG Conseil France dans le cadre d’une succession de contrats :
– du 23 avril au 25 mai 2013,
– du 28 mai au 29 juin 2013,
– du 3 au 26 juillet 2013,
– du 27 juillet au 31 août 2013,
– du 17 septembre au 18 octobre 2013,
– du 22 octobre au 23 novembre 2013,
– du 26 novembre au 28 décembre 2013,
– du 19 au 21 mars 2014,
– du 31 mars au 2 mai 2015,
– du 5 mai au 6 juin 2015,
– du 3 au 28 novembre 2015,
– du 1er au 31 décembre 2015,
– du 5 janvier au 6 février 2016,
– du 9 février au 12 mars 2016,
– du 15 mars au 16 avril 2016,
– du 28 juin au 29 juillet 2016,
– du 2 août au 2 septembre 2016,
– du 6 septembre au 8 octobre 2016,
– du 11 octobre au 19 novembre 2016,
– du 22 novembre au 23 décembre 2016,
– du 24 janvier au 25 février 2017,
– du 28 février au 1er avril 2017,
– du 4 avril au 6 mai 2017,
– du 9 mai au 27 mai 2017,
– du 26 septembre au 28 octobre 2017,
– du 30 octobre au 1er décembre 2017,
– du 5 décembre au 6 janvier 2017,
– du 9 janvier au 9 février 2018,
– du 13 février au 17 mars 2018,
– du 20 mars au 20 avril 2018,
– du 24 avril au 22 mai 2018.
La demande de requalification de cette succession de contrats fondée sur le non respect du motif de recours aux contrats de travail à durée déterminée se prescrit par deux ans à compter de la fin de la relation contractuelle soit à compter du 22 mai 2018. M. [N] ayant saisi le conseil de prud’hommes le 30 novembre 2018, sa demande est recevable.
La fin de non recevoir soulevée par la société ONG Conseil est en conséquence rejetée. Il sera ajouté au jugement de ce chef.
– sur le bien fondé de la demande de requalification :
M. [N] sollicite la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat à durée déterminée, soit le 23 avril 2013, aux motifs d’une part que la société ONG Conseil France n’était pas en situation d’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise pendant les périodes de recours aux contrats à durée déterminée, d’autre part que son emploi relevait d’un emploi durable et permanent de l’entreprise.
Il conteste également la possibilité pour la société ONG Conseil France de recourir au contrat d’usage en ce que l’activité ne relevait pas d’un secteur dans lequel il est d’usage de recourir au contrat à durée déterminée et en conclut que les contrats de travail à durée déterminée d’usage conclus les 31 mars 2015, 5 mai 2015, 3 novembre 2015, 1er décembre 2015 et 24 avril 2018 sont irréguliers.
S’agissant de la réalité de l’accroissement d’activité invoqué par l’employeur pour recourir aux contrats de travail à durée déterminée en 2013, 2014, 2016, 2017 et du 9 janvier au 9 février 2018, du 13 février au 17 mars 2018 et du 20 mars au 20 avril 2018, la société ONG Conseil France fait valoir que les campagnes de sensibilisation et de collecte de fonds qu’elle organise sont intimement liées au travail humanitaire réalisé par ces associations sur le terrrain, lequel est par nature en grande partie imprévisible et aléatoire en ce qu’il est lié à des événements particuliers tels que les catastrophes naturelles, conflits armés, famines… La société soutient que les associations se réservent la possibilité dans les contrats conclus avec elle de faire varier à la hausse ou à la baisse le nombre d’heures de campagne de sensibilisation et de collecte de fonds.
Il résulte des contrats cadre conclus entre la société et les associations que l’engagement portait sur un an ou trois années sur la base d’un volume prévisionnel et la détermination des dates des campagnes d’un commun accord entre la société et l’association en fonction notamment ‘des contraintes d’harmonisation liées aux programmes de collecte de fonds de rue des autres associations’.
La société disposait d’une large faculté d’organisation des missions au profit de chacun de ses clients. L’examen des calendriers de mission et des lieux des missions établit que les campagnes étaient organisées sur des sites certes nombreux mais identiques pour chacun des clients permettant une planification de l’activité.
Les variations d’activité prévues par les contrats d’application conclus avec les associations concernent majoritairement une baisse d’activité et non une hausse seule susceptible d’être invoquée au soutien d’un accroissement d’activité. Lorsqu’une hausse était envisagée, ainsi de 5% dans le contrat avec Médecins du monde, le volume d’heures concerné est prédéfini.
Si les contrats conclus avec WWF France prévoit une variation de plus ou moins 150 heures sur un volume initial de 850 heures sur une période de 4 semaines de campagne, s’agissant de celle fixée entre le 20 octobre 2015 et le 12 décembre 2015, elle ne correspond pas au motif d’embauche de M. [N] lequel n’a pas été engagé au motif d’un surcroît temporaire d’activité sur cette période mais dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée d’usage. S’agissant de la campagne prévue entre le 25 juillet 2016 et le 16 septembre 2016, il n’est pas établi que M. [N] ait été affecté à cette mission dans le cadre des contrats de travail à durée déterminée conclus du 28 juin au 29 juillet 2016, du 2 août au 2 septembre 2016 et du 6 septembre au 8 octobre 2016, ni qu’une telle variation ait été sollicitée par l’association WWF France.
Il en résulte que les stipulations de ces contrats entre WWF France et la société ONG Conseil sont inopérantes à justifier de la réalité du motif de recours aux contrats de travail à durée déterminée sur cette période.
Les contrats cadre et d’application produits définissent un volume d’activité de la société ONG Conseil correspondant à l’activité normale et permanente de la société sans démontrer la réalité d’un tel accroissement d’activité aux dates auxquelles elle a eu recours à des contrats de travail à durée déterminée pour un tel motif.
La société ONG Conseil produit également un graphique de l’évolution de son volume d’activité au cours des différents mois de l’année de 2011 à 2018 lequel révèle une plus forte activité en juin et juillet. Toutefois, ces éléments généraux ne sont pas suffisamment précis pour conférer une justification au recours aux contrats de travail à durée déterminée ce d’autant que M. [N] a travaillé dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée sur de nombreux mois chaque année lesquels ne sont pas en concordance directe avec le volume d’activité figurant sur ce graphique, M. [N] n’ayant ainsi travaillé au cours des mois de juin et juillet qu’en 2013.
S’agissant de la région d’affectation de M. [N], elle n’était pas limitée à la ville de [Localité 10] mais s’étendait à sa région ainsi qu’à [Localité 8] et [Localité 9] de sorte que le fait qu’aucune mission n’ait été organisée à [Localité 10] sur des périodes au cours desquelles M. [N] était sans contrat n’est pas de nature à rapporter la preuve a contrario d’un accroissement d’activité lors de la signature des contrats.
Le motif de recours aux contrats de travail à durée déterminée pour accroissement d’activité n’étant pas justifié, il y a lieu de requalifier ces contrats en contrat de travail à durée indéterminée depuis l’origine de la relation contractuelle c’est à dire à compter du 23 avril 2013.
C’est à tort que la société ONG Conseil France soutient que la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée d’usage le 24 avril 2018 emporterait novation du contrat de travail à durée indéterminée reconnu par requalificaton des contrats de travail à durée déterminée. La requalification opérée bénéficie pour l’ensemble de la relation de travail quelque soit les contrats de travail à durée déterminée conclus postérieurement au contrat irrégulier.
A titre surabondant, s’agissant du recours par la société ONG Conseil France à des contrats de travail à durée déterminée d’usage, celui-ci n’est admis par l’article L1242-2 du code du travail que dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, dans lesquelles il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Si l’article D1242-1 cite au titre de ces secteurs celui de l’information, c’est à tort que la société ONG Conseil France soutient relever de ce secteur au motif qu’elle aurait une mission de sensibilisation du public par la délivrance d’une information sur les causes défendues par les associations, alors que son activité vise et consiste à collecter des fonds pour les associations certes via une sensibilisation, laquelle en ce qu’elle est orientée pour convaincre le public de donner des fonds ne saurait s’analyser comme relevant du secteur de l’information au sens de l’article D1242-1 du code du travail. C’est vainement que la société ONG Conseil France fait valoir que la collecte de fonds serait l’accessoire d’une mission principale d’information, l’objet de son activité étant au contraire de collecter des fonds grâce à des actions de communication et de sensibilisation du public.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a requalifié l’intégralité de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée. Il sera ajouté qu’elle produit effet à compter du 23 avril 2013.
Sur l’indemnité de requalification :
En vertu de l’article L1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud’hommes fait droit à la demande du salarié, il lui accorde une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire. Cette disposition s’applique sans préjudice de l’application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
Le mois de salaire minimum doit être calculé selon la moyenne de salaire mensuel, dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud’homale.
La dernière moyenne de salaire doit être déterminée au regard de l’ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu’ils ont une périodicité supérieure au mois.
Au regard du salaire moyen dû au titre du dernier contrat qui constitue un montant minimum, l’indemnité de requalification est fixée à 2 611,05 euros. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles :
En cas de requalification de plusieurs contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, le salarié ne peut prétendre au paiement de rappels de salaire pour les périodes intermédiaires, séparant deux contrats de travail à durée déterminée, qu’à la condition de justifier qu’il se trouvait à la disposition de l’employeur.
M. [N] expose que la société ONG Conseil France sollicitait les salariés auxquels elle avait habituellement recours en fonction de ses besoins sans que Monsieur [N] ait à renouveler sa candidature mais qu’il était tenu de répondre favorablement aux sollicitations lorsqu’elles se présentaient sous peine que la société ONG CONSEIL FRANCE, estimant qu’il n’étai pas suffisamment disponible, cesse de faire appel à lui.
Si le salarié souligne que quelques jours séparait certains de ses contrats, il produit son avis d’imposition pour l’année 2016 qui mentionne comme employeur, uniquement ONG Conseil mais ne verse pas aux débats ses avis pour les autres années concernées. Par ailleurs, les attestations de ses collègues ne précisent pas les modalités de recrutement. Aucun message échangés avec le service de recrutement n’est produit de nature à établir que M. [N] se trouvait à la disposition de l’employeur.
A défaut de prouver qu’il se tenait à la disposition de son employeur pendant les périodes interstitielles, M. [N] ne peut obtenir de rappel de salaire à ce titre. Sa demande est en conséquence rejetée. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a fait droit à cette demande.
Sur la rupture de la relation contractuelle :
Compte tenu de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, la fin de la relation contractuelle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le fait que M. [N] ait créé une activité indépendante le 9 juillet 2018 soit un mois après la rupture du contrat de travail n’est pas de nature à voir qualifier la rupture en démission laquelle doit être claire et non équivoque.
M. [N] a donc droit à une indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité légale de licenciement.
Au regard de la date d’effet de la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée, l’ancienneté de M. [N] est de 5 années.
– sur l’indemnité de licenciement :
En vertu de l’article L1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.
L’article R1234-2 précise que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :
1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.
Selon l’article R1234-4, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement ;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.
Au regard du salaire moyen de M. [N] et de son ancienneté, l’indemnité légale de licenciement qui lui est due s’élève à 3 263,81 euros. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
– sur l’indemnité compensatrice de préavis :
Selon l’article L1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ;
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l’accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d’ancienneté de services plus favorable pour le salarié.
En vertu de l’article L1234-5, lorsque le salarié n’exécute pas le préavis, il a droit, sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
La suspension du contrat de travail de M.[N] ayant pour cause un accident du travail, la société ONG Conseil France ne peut lui opposer qu’il n’aurait pas été en mesure de réaliser ce préavis pour le voir priver de l’indemnité afférente. Une telle privation ne s’entend qu’en cas de licenciement causé pour faute grave ou absence ayant perturbé le fonctionnement de l’entreprise.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société à payer à M. [N] la somme de 5 222,10 euros à titre d’indemnité de préavis et 522,21 euros de congés payés afférents.
Sur l’effet de la rupture :
M. [N] demande que la rupture du contrat s’analyse en un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.
La société ONG Conseil France soulève l’irrecevabilité de la demande tendant à voir juger que rupture du contrat s’analyse en un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse considérant qu’il s’agit d’une demande nouvelle en appel.
En vertu de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
L’article 565 du même code précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En sollicitant que la rupture de la relation contractuelle requalifiée s’analyse en un licenciement nul, M. [N] formule une demande indemnitaire qui tend aux mêmes fins que celle initialement formée tendant à voir juger que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sa demande est donc recevable.
M. [N] expose que la SAS ONG Conseil France a cessé de l’employer alors que celui-ci faisait l’objet d’un arrêt de travail et alors même que la société poursuivait ses missions (notamment à [Localité 10]) et que son activité justifiait l’emploi de salariés. Il en conclut que c’est à raison de son seul état de santé qu’il a été écarté des effectifs de la société et des propositions de contrat à durée déterminée à compter du mois de mai 2018 et que la société ONG Conseil France a adopté un comportement discriminant au sens de l’article L1132-1 du code du Travail. Il en conclut que la rupture des relations contractuelles intervenue dans ces conditions est nulle au visa de l’article L1232-4 du code du travail.
L’employeur invoque les dispositions de l’article L1226-19 du code du travail selon lequel les périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle ne font pas obstacle à l’échéance du contrat de travail à durée déterminée.
M. [N] sollicite que la rupture de la relation contractuelle produise les effets d’un licenciement nul au motif qu’elle trouverait sa cause dans une discrimination.
En vertu de l’article L1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être (…) licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (…) son état de santé ou de son handicap.
Selon l’article L1134-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
A la date de la rupture du contrat de travail, M. [N] était en arrêt de travail pour maladie. M. [N] ne produit aucun autre élément de fait susceptible de faire présumer une discrimination à raison de l’état de santé.
Il convient par ailleurs de constater qu’il n’invoque pas le bénéfice des dispositions des articles L.1226-9 et L.1226-13 du code du travail.
Il en résulte que la rupture de la relation contractuelle ne s’analyse pas en un licenciement nul mais en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En vertu de l’article L1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris pour une ancienneté de 5 ans entre les montants minimaux et maximaux de 3 et 6 mois de salaire.
Au regard de l’ancienneté de M. [N], de son âge, de sa qualification, de son salaire au cours des six derniers mois précédant la rupture de 2 858 euros brut, le préjudice par lui subi du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse sera réparé par l’allocation de la somme de 11 000 euros.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts au titre du non-respect de la procédure de licenciement
L’article L. 1235-2 dernier alinéa prévoit que « lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. »
Lorsque la rupture s’analyse en un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse du fait de la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée, la procédure de licenciement n’ayant pas eu à s’appliquer, le salarié ne peut prétendre à une indemnité pour irrégularité de la procédure. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale :
M. [N] fait valoir que la société ONG Conseil France a cessé de faire appel à ses services après son arrêt de travail. Il souligne que bien qu’employé, certes de manière discontinue, mais pendant plusieurs années par la société ONG Conseil France, il n’a été soumis à aucun examen médical auprès d’un quelconque service de Médecine du travail. Or, le poste occupé par M. [N], notamment en sa qualité de responsable d’équipe, était particulièrement contraignant sur le plan physique en ce qu’il nécessitait que le salarié se déplace en permanence auprès des membres de son équipe et leur procure le matériel nécessaire à l’activité de collecte de fonds. Il précise qu’après un accident du travail, il a repris le travail et constaté à compter du mois d’avril 2018, une nouvelle dégradation de sa situation en lien avec des douleurs importantes au niveau du genou et qu’ayant alerté la SAS ONG Conseil France, celle-ci n’a pris aucune mesure et n’a notamment pas envisagé d’orienter le salarié vers un service de médecine du travail. M. [N] soutient n’avoir eu accès à aucun service de santé au travail et n’avoir été soumis ni à la visite médicale d’embauche, ni aux examens périodiques, ni même à la visite de reprise après qu’il a fait l’objet d’un accident du travail. Or, la dégradation progressive de l’état de santé du salarié, en l’absence de suivi médical, a conduit à ce qu’il présente désormais des douleurs particulièrement importantes qui font l’objet de traitements depuis l’été 2018 sans amélioration notable à ce jour.
Selon l’article R4624-10 du code du travail, le salarié bénéficie d’un examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai par le médecin du travail.
En vertu de l’article R4624-11 du même code, l’examen médical d’embauche a pour finalité :
1° De s’assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l’employeur envisage de l’affecter ;
2° De proposer éventuellement les adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes ;
3° De rechercher si le salarié n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs ;
4° D’informer le salarié sur les risques des expositions au poste de travail et le suivi médical nécessaire ;
5° De sensibiliser le salarié sur les moyens de prévention à mettre en ‘uvre.
L’article R4624-12 précise que sauf si le médecin du travail l’estime nécessaire ou lorsque le salarié en fait la demande, un nouvel examen médical d’embauche n’est pas obligatoire lorsque les conditions suivantes sont réunies :
1° Le salarié est appelé à occuper un emploi identique présentant les mêmes risques d’exposition ;
2° Le médecin du travail intéressé est en possession de la fiche d’aptitude établie en application de l’article R. 4624-47 ;
3° Aucune inaptitude n’a été reconnue lors du dernier examen médical intervenu au cours :
a) Soit des vingt-quatre mois précédents lorsque le salarié est à nouveau embauché par le même employeur ;
b) Soit des douze derniers mois lorsque le salarié change d’entreprise.
Si l’employeur ne démontre pas en l’espèce avoir organisé de visite médicale, il y a lieu de constater que les soins dont justifie M. [N] au niveau du genou et du talon datent de mai à juillet 2018 soit postérieurement à la rupture du contrat de travail. Il n’est pas démontré que M. [N] ait informé son employeur des douleurs qu’il ressentait. Par ailleurs, l’absence de M. [N] à la suite de l’accident du travail du 15 mai 2017 ayant été de moins de 30 jours, l’employeur n’était pas tenu d’organiser une visite de reprise.
M. [N] ne démontre pas plus que la cause du non renouvellement des contrats de travail à durée déterminée consisterait dans son état de santé.
Il n’est pas caractérisé de manquement de l’employeur à son obligation de loyauté. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande d’annulation de l’avertissement :
Selon l’article L1331-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’article L1333-2 du même code dispose que le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Selon l’article L1332-1 du code du travail, aucune sanction ne peut être prise à l’encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit des griefs retenus contre lui.
Le 16 février 2018, la société ONG Conseil France a notifié à M. [N] un avertissement en ces termes : ‘Le 15 janvier 2018, il a été porté à notre connaissance les résultats de votre enquête qualité sur cette mission. Plusieurs donateurs trouvés ont décidé d’arrêter le prélèvement du don. Les raisons évoquées par ces donateurs sont le manque d’écoute, l’absence de validation des possibilités financières du passant et la présence de forcing pour signer le bulletin. Cette pratique ne peut être acceptée car elle ne respecte pas le code éthique et principe déontologique d’ONG Conseil France précisés dans les articles 7 et 10 de votre contrat de travail.
Il est de votre responsabilité de vous montrer respectueux du cadre de travail qui vous est imposé par ONG Conseil France et de remplir pleinement les obligations liées à vos fonctions
Nous ne pouvons accepter que cette situation se réitère.’
La société produit un tableau mentionnant pour la journée concernée, les commentaires des enquêteurs composant l’équipe de M. [N]. Ces commentaires, lisibles sur fond vert, illisibles sur fond rouge, ne sont pas explicités dans les conclusions de la société. Ils ne permettent pas de caractériser le manquement fautif sanctionné. Dès lors, la sanction est injustifiée et doit être annulée. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné la société ONG Conseil France à payer à M. [N] la somme de 500 euros en réparation du préjudice moral subi.
Sur les intérêts :
L’article L. 622-28 du code de commerce rendu applicable en liquidation judiciaire par l’article L641-3 du même code prévoit l’arrêt du cours des intérêts à compter du prononcé du jugement d’ouverture.
En l’espèce, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes avant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société ONG Conseil France le 3 novembre 2021.
Conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du code civil, les créances de nature salariale sont assorties d’intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes jusqu’au 3 novembre 2021.
En vertu de l’article 1231-7 du code civil, les dommages et intérêts alloués par le jugement entrepris sont assortis d’intérêts au taux légal à compter du jugement et jusqu’au 3 novembre 2021.
Il y a lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts sollicitée à compter de la date de la demande soit le 18 avril 2019 et jusqu’au 3 novembre 2021.
Sur la garantie de l’AGS :
Il convient de déclarer le présent arrêt opposable à l’Unédic délégation AGS CGEA Ile de France ouest qui sera tenue à garantie dans les termes et conditions des articles L3253-6 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail.
L’Unédic délégation AGS Centre de Gestion et d’Etude (CGEA) Ile de France ouest devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties, et à l’exception de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sur présentation d’un relevé du mandataire judiciaire.
Sur la remise des documents de rupture :
La Selarl [F] es qualités est condamnée à remettre à M. [S] [N] un bulletin de paie, une attestation destinée à Pôle emploi et un certificat de travail conforme au présent arrêt.
Les circonstances de la cause ne justifient pas le prononcé d’une astreinte. Cette demande est rejetée.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La Selarl [F] es qualités est condamnée aux dépens d’appel.
L’équité commande de rejeter la demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a condamné la société ONG Conseil France à payer à M. [N] un rappel de salaire et des congés payés afférents et a jugé que la société avait manqué à son obligation de loyauté et que la procédure de licenciement était irrégulière,
L’infirme de ces chefs,
statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande en requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
Juge que la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée produit effet à compter du 23 avril 2013,
Rejette la demande de rappel de salaire et de congés payés afférents,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Rejette la demande de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,
Condamne la Selarl [F] es qualités à remettre à M. [S] [N] un bulletin de paie, une attestation destinée à Pôle emploi et un certificat de travail conforme au présent arrêt,
Rejette la demande d’astreinte,
Déclare le présent arrêt opposable à l’Unédic délégation AGS CGEA Ile de France ouest qui sera tenue à garantie dans les termes et conditions des articles L3253-6 et suivants du code du travail, et les plafonds prévus aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du Code du travail,
Dit que l’Unédic délégation AGS Centre de Gestion et d’Etude (CGEA) Ile de France ouest devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties, et à l’exception de l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sur présentation d’un relevé du mandataire judiciaire,
Rejette les demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,
Condamne la Selarl [O] [F], prise en la personne de Me [F], es qualités aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.