Contrat à durée déterminée d’usage : 17 juin 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/04835

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Contrat à durée déterminée d’usage : 17 juin 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 19/04835
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AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/04835 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MPEE

Société TANIT RESSOURCES HUMAINES

C/

[X]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 21 Juin 2019

RG : F 17/01136

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 17 JUIN 2022

APPELANTE :

Société TANIT RESSOURCES HUMAINES

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Florence CALLIES de la SELARL BERARD – CALLIES ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Philippe LIOUBTCHANSKY de l’ASSOCIATION LIOUBTCHANSKY GAUNET-LIOUBTCHANSKY, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

[M] [X] épouse [U]

née le 23 Octobre 1973 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Pierre PALIX, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Patricia GONZALEZ, Présidente

Sophie NOIR, Conseiller

Catherine CHANEZ, Conseiller

Assistées pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 17 Juin 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente, et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

EXPOSE DU LITIGE

La société TANIT Ressources Humaines (ci-après la société) exerce une activité dans le secteur de la formation et du conseil en ressources humaines.

La convention collective nationale applicable est celle des bureaux d’études (SYNTEC).

Mme [M] [U] a été embauchée par la société FORMA 7 le 16 janvier 2001, en qualité de formatrice en langue anglaise. La relation de travail était régie par la convention collective nationale des organismes de formation.

Mme [U] a signé le 31 mai 2007 un contrat de travail à durée indéterminée intermittent régi par les dispositions de l’article 6 de ladite convention collective.

Plusieurs avenants ont par la suite modifié le nombre d’heures ou le salaire horaire. Mme [U] a notamment consenti à une diminution provisoire de son salaire, pour l’année 2016, par avenant du 25 janvier 2016, en raison de difficultés économiques rencontrées par l’employeur.

Par acte du 27 avril 2016, la société TANIT RH a acquis le fonds de commerce de la société FORMA 7, si bien que le contrat de travail de Mme [U] lui a été transféré au 1er avril 2016.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 21 juin 2016, Mme [U] a entendu notamment rappeler à son employeur que la durée de travail de 900 heures annuelles prévue à son contrat n’était pas respectée, alors que l’activité reprenait, et que les heures non effectuées car ” non fournies ” n’avaient pas été payées au cours des années précédentes, si bien qu’elle en demandait la régularisation.

Dans un second courrier recommandé avec avis de réception du 13 juillet 2016, Mme [U] soulevait une autre difficulté, à savoir la non-conformité de son contrat de travail au motif qu’il ne comportait pas ” les éléments requis par la convention collective des organismes de formation “. Elle demandait en outre sa requalification en contrat de travail à durée indéterminée au motif que la convention collective Syntec ne connaissait pas le contrat de travail à durée indéterminée intermittent et la régularisation des sommes dues depuis 3 ans sur la base d’un temps complet. Elle évoquait un ” harcèlement stratégique destiné à [la] déstabiliser et à [lui] faire quitter la société à moindre frais “.

Mme [U] a été placée en arrêt de travail à plusieurs reprises à partir de juin 2016, puis de nouveau à compter du 14 septembre 2016.

Lors de la visite de reprise du 30 août 2016, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste.

Lors d’une seconde visite médicale, le 26 septembre 2016, le médecin du travail a conclu à une inaptitude à son poste et à tout poste dans l’entreprise, dans les termes suivants :

“Compte tenu de l’état de santé actuel de la salariée, tout reclassement ou adaptation de poste ou mutation ou aménagement de temps de travail est exclu dans l’entreprise ou ses filiales.”

Par lettre du 13 octobre suivant, répondant à un courrier de l’employeur, le médecin du travail a indiqué que ” compte tenu de l’état de santé de la salariée, tout reclassement ou adaptation de poste ou mutation ou aménagement du temps de travail [était] exclu dans l’entreprise et ses filiales “.

Par courrier du 19 octobre 2016, la société a convoqué Mme [U] à un entretien préalable fixé au 28 octobre 2016 auquel elle a indiqué ne pas pouvoir se rendre.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 3 novembre 2016, la société a notifié à Mme [U] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, dans les termes suivants :

“Nous vous rappelons les motifs qui nous amènent à prendre une telle décision : il s’agit de l’inaptitude médicale définitive à tout poste dans l’entreprise et sans reclassement préconisé, dûment constatée lors de la deuxième visite en date du 26 septembre 2016 par le médecin du travail.

Nous vous rappelons que, lors d’une première visite effectuée, à votre demande, le 30 août 2016, le médecin du travail, avait conclu à votre inaptitude médicale à votre poste sans reclassement préconisé.

Ce même médecin du travail, en la personne de Mme [P] [D], avait ensuite, le 5 septembre 2016, visité les locaux professionnels sis [Adresse 2] et avait pu interroger Mme [K], obtenant des précisions sur la nature de votre poste, sur la gestion des rendez-vous et sur la configuration des locaux.

Suite au second constat précité de votre inaptitude, nous avons interrogé, par lettre recommandée AR du 12 octobre 2016 et dans le cadre de notre recherche pour procéder à votre reclassement, le médecin du travail sur votre aptitude résiduelle à occuper un poste dans l’entreprise, en lui rappelant tes spécificités de votre poste, en évoquant la possibilité, le cas échéant, de réduire la fréquence de vos interventions, la durée des séances de formation, de limiter vos déplacements ou de vous orienter vers un poste purement administratif sous réserve de disponibilité d’un tel poste dans notre entreprise.

Par lettre RAR du 13 octobre 2016, le médecin du travail devait nous répondre qu’il avait bien noté que nous avions effectué une recherche de reclassement mais que, compte tenu de votre état de santé actuel, tout reclassement ou adaptation de poste ou mutation ou aménagement du temps de travail étaient exclus dans l’entreprise et ses filiales.

Compte tenu de cette situation, inaptitude médicale à tout poste dans l’entreprise dûment constatée lors des deux examens précités et caractère vain de nos recherches de reclassement après confirmation postérieure par le médecin du travail de l’impossibilité, en raison de votre état de santé actuel, de procéder à votre reclassement, même après adaptation de poste ou aménagement du temps .de travail, nous sommes dans l’impossibilité de vous reclasser.”

Par requête du 24 avril 2017, Mme [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de voir requalifier son contrat de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein et annuler le licenciement, ainsi que d’obtenir diverses indemnités et rappels de salaires.

Par jugement rendu le 21 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Lyon a :

-rejeté la fin de non-recevoir fondée sur la prescription de la demande de requalification du contrat de travail ;

-requalifié le contrat de travail à durée indéterminée intermittent en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet de droit commun,

Par conséquent,

-condamné la société à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

-87 999, 95 euros bruts à titre de rappel de salaires sur la période du 1er juillet 2013 au 31 mars 2016 et 8 799,95 euros bruts au titre des congés payés afférents,

-10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

-2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-débouté Mme [U] de sa demande au titre du harcèlement moral,

-débouté Mme [U] de sa demande d’annulation du licenciement et de ses demandes afférentes,

-ordonné à la société de remettre à Mme [U] une attestation de salaire et une attestation Pôle emploi rectifiée sous astreinte provisoire de 15 euros par jour de retard pendant 3 mois, passé un délai de 30 jours à compter de la notification ou si nécessaire de la signification de la présente décision et s’est réservé le contentieux de la liquidation de l’astreinte,

-débouté les parties du surplus de leurs prétentions,

-condamné la société aux dépens de l’instance.

Par déclaration du 10 juillet 2019, la société a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions déposées le 23 juillet 2020, la société demande à la cour de réformer le jugement en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir, requalifié le contrat de travail à durée indéterminée intermittent en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein de droit commun, l’a condamnée à payer à Mme [U] les sommes de 87 999,58 euros à titre de rappels de salaires sur la période du 1er juillet 2013 au 31 mars 2016, outre 8 799,95 euros à titre de congés payés afférents, 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, lui a ordonné de remettre à Mme [U] une attestation de salaire et une attestation Pôle emploi rectifiée, sous astreinte provisoire de 15 euros par jour de retard pendant un délai de 3 mois, passé un délai de 30 jours à compter de la notification ou si nécessaire de la signification de la présente décision, s’est réservé le contentieux de la liquidation de l’astreinte, l’a déboutée de ses prétentions et demandes et l’a condamnée aux dépens de l’instance.

Elle sollicite par conséquent de la cour qu’elle déboute Mme [U] de toutes ses demandes et subsidiairement, qu’elle la déboute de ses demandes de requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et de ses demandes de rappels de salaires.

Très subsidiairement, elle demande à la cour de dire que la demande de requalification du contrat ne peut porter que sur les 3 années précédant le 3 novembre 2016 et sur la base d’un salaire mensuel brut de 2 343,31 euros.

En tout état de cause, la société demande à la cour de

-confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [U] de ses demandes de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral, d’annulation de son licenciement et de dommages et intérêts subséquents et de toutes ses autres demandes dont, notamment, l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité de congés payés sur préavis,

-dire que la demande au titre des rappels de salaires sur la base du minimum horaire du contrat de travail intermittent ne pourra porter que sur la période de mars 2016 à novembre 2013 et sur la somme globale de 10 585,34 euros,

-débouter Mme [U] de toutes ses demandes,

-ordonner le remboursement par Mme [U] de toutes les sommes perçues en exécution du jugement au titre de l’exécution provisoire de plein droit,

-condamner Mme [U] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens avec recouvrement direct au profit de la SELARL Berard-Callies et associés.

Aux termes de ses conclusions déposées le 7 septembre 2020, Mme [U] demande à la cour de :

Confirmant le jugement entrepris, requalifier son contrat de travail en un contrat de travail à durée indéterminée de droit commun et condamner la société à lui verser la somme de 87 999,58 euros, à titre de rappel de salaires sur un temps complet du 1er juillet 2013 au 31 mars 2016 outre la somme de 8 799,95 euros à titre de congés payés afférents,

Subsidiairement,

-condamner la société à lui verser la somme de 16 277,41 euros à titre de rappel de salaires correspondant au minimum horaire prévu par le contrat de travail intermittent sur la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2016,

-condamner la société à lui délivrer une attestation de salaire destinée à la CPAM rectifiée et une attestation Pôle emploi rectifiée le tout sous astreinte définitive de 200 euros par jour de retard,

Réformant le jugement entrepris,

-condamner la société à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

-annuler son licenciement et condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

-59 293,68 euros au titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

-9 882,28 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 988,22 euros de congés payés afférents,

Subsidiairement,

-condamner la société à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale,

-condamner la société à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-dire que les condamnations à intervenir porteront intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud’hommes,

-condamner la société aux entiers dépens qui comprendront ceux de première instance.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de ” constatations ” ou de ” dire ” qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.

Sur la demande de requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet

Selon l’article L3123-31 du code du travail dans sa version antérieure à la loi du 8 août 2016, dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement le prévoit, des contrats de travail intermittents peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées.

En application de l’article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Ce texte s’applique aux prescriptions en cours à la date du 17 juin 2013, date de promulgation de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 qui l’a introduit.

Le délai de prescription antérieur à cette loi, fixé par la loi du 17 juin 2008, était de cinq ans et le délai antérieur à la loi du 17 juin 2008 était de 30 ans.

Il résulte de l’article 2222 du code civil qu’en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Mme [U] se fonde sur les articles L3123-14 et L3123-33 du code du travail, ainsi que sur les articles 6.1 et 6.2 de la convention collective.

L’article 6.1 liste les mentions devant figurer au contrat intermittent, de même que l’article 6.2, qui précise en outre que ” De tels contrats pourront être conclus après qu’aura été effectué le constat qu’un seuil de collaboration sous une forme irrégulière aura conduit à l’existence d’une relation contractuelle à durée indéterminée : le seuil déclenchant une requalification est de 715 heures d’intervention en FFP étalées sur 9 mois d’activité glissant sur une période de 12 mois.

Dans une telle hypothèse, le salarié pourra demander la requalification de son contrat dans le cadre retenu par l’article L212-4-8 du code du travail “, article aujourd’hui abrogé.

Mme [U] fait valoir que l’avenant au contrat de travail intermittent du 31 mai 2009 prévoyait une durée minimale de travail de 900 heures par an soit une durée supérieure au seuil de 715 heures par an prévu par l’article 6 de la convention collective des organismes de formation et qu’au titre de l’année 2014, elle a effectué 814 heures de travail. Le dépassement de ce seuil lui permettrait d’obtenir la requalification de son contrat intermittent en contrat de travail à durée indéterminée.

Elle soutient en outre qu’aucun fonctionnement spécifique de la société ne venait imposer l’imprévisibilité des périodes d’intervention et la répartition des horaires de travail.

S’agissant de la prescription soulevée par l’appelante, elle répond que le raisonnement de l’employeur est inopérant car le contrat est celui en cours au moment de la rupture et les demandes portent sur des questions de fond et non sur les mentions du contrat.

La société réplique que la demande de la salariée est prescrite depuis le 31 mai 2009 et subsidiairement depuis le 31 mai 2011, au regard de l’article L.1471-1 du code du travail.

Elle fait valoir que la salariée n’a pas introduit son action dans les deux ans suivant la conclusion de son contrat de travail (31 mai 2007) ou de son avenant (31 mai 2009), dates auxquelles elle a eu connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit.

Mme [U] se prévaut donc tant de l’absence de certaines mentions dans son contrat de travail, que du dépassement du seuil de 715 heures annuelles.

C’est cependant par l’effet de l’avenant du 31 mai 2009 que la durée annuelle du contrat de travail a dépassé la limite de 715 heures et c’est donc à cette date qu’elle a donc eu connaissance des motifs fondant son action. Tout comme elle a eu connaissance du contenu de son contrat de travail au moment de sa signature, le 31 mai 2007, les avenants ultérieurs n’ayant eu pour effet que de modifier la durée du temps de travail ou la rémunération.

Par application de l’article L1471-1 du code du travail issu de la loi du 14 juin 2013, son action est donc prescrite depuis le 31 mai 2011. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de salaires correspondant au minimum horaire

Subsidiairement, Mme [U] sollicite un rappel de salaires au titre du non-respect du minimum de 900 heures par an prévu contractuellement pour la période du 1er juin 2013 au 31 mars 2016.

La société fait valoir que la demande ne peut porter que sur les 3 dernières années précédant le 3 novembre 2016. Sur le fond, elle argue ne pas être responsable des défauts de paiement de FORMA 7 et conclut au débouté pour l’année 2016 en raison des arrêts de travail de la salariée.

L’article L. 3245-1 du code du travail, applicable à compter du 17 juin 2013, dispose que l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par 3 ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des 3 dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat. ”

Le délai de prescription de l’action en paiement des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise.

En application de ce texte, Mme [U] est donc recevable à solliciter un rappel de salaires sur les 3 années précédant la rupture, soit entre le 3 novembre 2013 et le 3 novembre 2016.

Selon l’article L.1224-1 du code du travail, “lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise”.

Le même code, en son article L1224-2, dispose également que ” le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date de la modification, sauf dans les cas suivants :

1° Procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ;

2° Substitution d’employeurs intervenue sans qu’il y ait eu de convention entre ceux-ci’ ”

La société ne peut donc arguer de la cession du fonds de commerce et du transfert du contrat de travail pour conclure au débouté de l’intimée et elle est tenue d’exécuter les dispositions salariales du contrat de travail, y compris sur la période antérieure à la reprise.

Elle ne conteste pas les montants revendiqués par la salariée à titre de rappel de salaires sur les années 2014 et 2015.

Pour 2013, elle retient un montant de 1 062,27 euros entre le 3 novembre et le 31 décembre, lequel n’est pas contesté par la salariée.

Pour 2016, Mme [U] soutient qu’elle aurait dû accomplir 225 heures alors qu’elle n’en a effectué que 183,50, soit un déficit de 41 heures, et un manque à gagner de 1 288,53 euros. Le contrat de travail ne prévoit aucune disposition applicable en cas d’arrêt de maladie et il convient donc de considérer qu’elle devait effectuer 75 heures par mois, donc 225 effectivement entre le 1er janvier et le 31 mars 2016.

Il sera donc fait droit au rappel de salaires pour un montant total de 14 304,18 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.

La société devra remettre à Mme [U] une attestation de salaire destinée à la CPAM et une attestation destinée à Pôle emploi rectifiées, sans qu’il soit besoin d’assortir cette décision d’une astreinte.

Sur le harcèlement moral

En application des dispositions des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet des dégradations de ses conditions de travail susceptibles notamment d’altérer sa santé physique ou mentale; en cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral; il incombe ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement; le juge forme alors sa conviction.

Mme [U] soutient que son état de santé s’est fortement dégradé en raison de faits de harcèlement moral stratégiques destinés à provoquer son départ afin d’embaucher des autoentrepreneurs et dément avoir effectué des heures de formations non déclarées.

Si le dossier de la médecine du travail ne fait que reprendre les déclarations de Mme [U] et ne peut donc avoir une force probante suffisante pour établir une présomption de harcèlement, il n’en est pas de même de l’avis du docteur [W], qui analyse ses propos de la façon suivante :

“‘ Lorsqu’elle rapporte des événements survenus à son travail depuis le mois de décembre 2015 son discours se destructure.

Elle a tendance à rapporter sur un même plan des faits d’importance et de chronologie différentes.

Elle a tendance également à présenter des débordements émotionnels qu’elle parvient cependant à contenir.

Cette déstructuration du discours portant précisément sur une période donnée et des circonstances données, en l’occurrence le travail, est caractéristique des personnes subissant des stress psychosociaux intenses et /ou prolongés.’

Elle n’a pas encore constitué un syndrome d’épuisement professionnel mais en présente les premiers stades avec risque de décompensation en burn out et/ou en dépression avec complications phobiques.

Cet état de fait est profondément délétère pour sa santé et nécessite une éviction définitive du lieu de travail.

Une reprise de l’activité professionnelle dans ce cadre l’exposerait à un danger imminent’”

Pour justifier avoir été victime de harcèlement, Mme [U] se prévaut aussi de la rupture conventionnelle signée par sa collègue Mme [H], qui a quitté la société le 9 novembre 2016 moyennant une indemnité de 17 500 euros, après 14 ans d’ancienneté. Dans son attestation, Mme [H] écrit que l’employeur lui a expliqué en juillet 2016 qu’elle coûtait trop cher, qu’il a refusé de lui payer 620 euros de frais de déplacement en changeant de manière unilatérale le mode de calcul, avant de revenir sur cette décision, qu’il lui a retiré plus de la moitié de ses heures en septembre 2016, qu’il voulait lui imposer de longs trajets en transports en commun pour très peu d’heures de cours et qu’après un changement de clés, elle n’a pu en obtenir un nouveau jeu, si bien qu’elle devait patienter jusqu’à l’arrivée d’un responsable. Mme [H] écrit aussi avoir accepté une rupture conventionnelle en comprenant qu’il voulait la ” faire craquer ” et que le médecin généraliste l’a placée en arrêt de travail pour harcèlement.

Mme [U] affirme que son employeur lui a retiré des formations pour les confier à des auto entrepreneurs, qu’il lui a imposé la baisse de son taux horaire, que les clés du bureau ne lui ont pas été restituées après changement de la serrure suite à une effraction, qu’elle a perçu les indemnisations de son arrêt maladie avec du retard, que sa prime de transport a été diminuée de moitié et qu’elle a subi de multiples tracasseries administratives pendant son arrêt de travail.

Les constatations du docteur [W], le départ de Mme [H] et son témoignage, ainsi que la diminution importante du nombre de missions confiées à Mme [U] alors que la société ne conteste pas avoir eu recours à des autoentrepreneurs et que le salaire minimum contractuel ne lui était pas payé, constituent des faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Il appartient donc à l’employeur de combattre cette présomption.

En l’espèce, la société conteste absolument tout harcèlement, affirmant que ce sont les formateurs qui sollicitent de travailler en qualité autoentrepreneurs, que depuis le mois d’août 2016, Mme [U] était formatrice d’anglais indépendante et qu’elle a tout fait pour permettre le reclassement de la salariée et le maintien de son contrat de travail.

Elle ajoute qu’elle a simplement souhaité obtenir des informations complémentaires sur l’exécution du contrat de travail de sa salariée antérieurement à la reprise du fonds de commerce avant de répondre à ses demandes portant sur le non-respect de la durée annuelle minimale conventionnelle de travail, que Mme [U], en juillet 2016, n’avait toujours pas chiffré sa demande de rappel de salaires, qu’elle n’avait pas répondu sur la question de sa reprise à temps partiel en septembre 2011, qu’elle n’avait en définitive que très peu travaillé pour elle, étant donné ses congés payés et ses arrêts de maladie et qu’elle lui a proposé au moins 3 modules de formation en mai et juin 2016 pour un total de 130 heures, formations qu’elle a débutées mais jamais terminées.

Sur le retard apporté à l’indemnisation de l’arrêt de maladie de sa salariée, la société explique que cette dernière continuait de faire inscrire sur ses arrêts de travail le nom et l’adresse de l’ancienne société, FORMA 7, ce qui ne pouvait que ralentir cette indemnisation.

Elle affirme avoir conclu 16 contrats à durée déterminée d’usage au cours de l’année 2016, dont 10 pour le poste de formateur en anglais, soit avant, soit après la cession du fonds de commerce.

La société ne peut se défausser de sa responsabilité dans le défaut de paiement des heures contractuelles en arguant que la salariée n’a pas chiffré sa demande de rappel de salaires alors qu’en tant qu’employeur elle disposait de tous les éléments et qu’elle aurait dû exécuter les dispositions du contrat de travail spontanément.

Elle ne justifie pas avoir proposé des formations à Mme [U] avant juin 2016, à l’exception de la commande de 20 heures d’anglais pour la société ATIH, alors que celle-ci n’a effectué que 183,50 heures sur le premier trimestre 2016 au lieu des 225 heures contractuelles.

Quant aux contrats de travail conclus en 2016, il s’agit dans leur très grande majorité de contrats précaires pour une très courte durée. Le seul contrat à durée indéterminée signé cette année-là est celui de Mme [K], ancienne dirigeante de FORMA 7. Les 3 autres salariés sous contrat à durée indéterminée avaient été recrutés en 2001, 2002 et 2008. Il s’agissait respectivement de Mme [U], de Mme [H] et de M. [R]. La société ne communique aucune information sur les auto entrepreneurs qui ont travaillé pour elle sur cette période.

Force est de remarquer en outre qu’en 2017 n’ont été recrutés sous contrat à durée déterminée que 3 salariés, et pour un très petit nombre d’heures et que M. [R] est resté le seul salarié en contrat de travail à durée indéterminée.

Le recours par Mme [U] elle-même au statut d’indépendant en mai 2017 n’est pas de nature à modifier l’appréciation de la cour sur la situation de harcèlement qu’elle invoque.

La situation décrite par Mme [H] ressemble fortement à celle dont se plaint Mme [U] et l’argument de la société selon lequel cette salariée n’aurait jamais dénoncé ces faits et n’aurait pas remis en cause la rupture conventionnelle est inopérant, les salariées ayant visiblement réagi différemment à la situation qu’elles décrivent.

La cour retiendra donc que Mme [U] a été victime de harcèlement moral au travail. En considération des conséquences sur sa santé, la société devra lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur la nullité du licenciement :

La rupture du contrat de travail résulte d’une situation d’inaptitude à tout poste dans l’entreprise et ses filiales, laquelle est la conséquence des conditions de travail de la salariée et de la situation de harcèlement moral qu’elle a subie. Dès lors, par application des dispositions de l’article L.1152-3 du code du travail, le licenciement est nul.

Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d’une part, aux indemnités de rupture, d’autre part, à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant du caractère illicite du licenciement, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond, dès lors qu’il est au moins égal à celui prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail, soit au moins égal aux 6 derniers mois de salaire.

Étant donné l’âge de la salariée (43 ans au moment du licenciement), son ancienneté au sein de la société (14 ans) et le contexte de la rupture, cette indemnité sera fixée à 15 000 euros.

La société devra également verser à Mme [U] une indemnité compensatrice de préavis, en application des articles L 1226-9 et L1226-13 du code du travail. La convention collective prévoit un préavis de 2 mois pour les salariés ayant une ancienneté supérieure à 2 ans. La société devra donc lui verser la somme de 4 693,50 euros à ce titre, outre 469,35 euros de congés payés afférents.

Sur les dépens et l’indemnité pour frais irrépétibles

La société sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de la condamner à verser à Mme [U] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement prononcé le 21 juin 2019 par le conseil de prud’hommes de Lyon en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable la demande de requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à durée indéterminée ;

Déclare recevable la demande de rappel de salaires, mais uniquement entre le 3 novembre 2013 et le 3 novembre 2016 ;

Condamne la société Tanit ressources humaines à verser à Mme [M] [U] la somme de 14 304,18 euros à titre de rappel de salaires, assortie d’intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2000 ;

Condamne la société Tanit ressources humaines à verser à Mme [M] [U] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Condamne la société Tanit ressources humaines à verser à Mme [M] [U] la somme de 15 000 euros pour licenciement nul ;

Condamne la société Tanit ressources humaines à verser à Mme [M] [U] la somme de 4 693,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 469,35 euros de congés payés afférents ;

Condamne la société Tanit ressources humaines à remettre à Mme [M] [U] une attestation de salaire destinée à la CPAM et une attestation destinée à Pôle emploi rectifiées ;

Le GreffierLa Présidente

Gaétan PILLIEPatricia GONZALEZ

 


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