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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2019
(n° , pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 16/15037 – N° Portalis 35L7-V-B7A-B2ECK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2016 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F 13/10260
APPELANTS
Madame [V] [T]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081
Syndicat SNJ CGT FRANCE TÉLÉVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081
INTIMÉE
SA FRANCE TÉLÉVISIONS
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R271
PARTIE INTERVENANTE
Syndicat SNPCA-CFE-CGC
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 03 Juillet 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Graziella HAUDUIN, présidente
Mme Carole CHEGARAY, conseillère
Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Graziella HAUDUIN, présidente de chambre, dans les conditions prévues par l’article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE
ARRET :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par Madame Graziella HAUDUIN, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement rendu le 4’novembre 2016, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud’hommes de Paris a’ statuant en départage :
– requalifié les contrats de travail à durée déterminée conclus entre les parties en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14’avril 2004,
– condamné la société France télévisions à payer à Mme [T] les sommes suivantes’:
* 10 000 euros à titre d’indemnité de requalification,
* 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société France télévisions à remettre à Mme [T] des bulletins de paie conformes au jugement,
– déclaré l’intervention du syndicat SNJ CGT France télévisions recevable,
– condamné la société France télévisions à payer au syndicat SNJ CGT France télévisions les sommes suivantes’:
* 1 500 euros à titre de dommages-intérêts,
* 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la capitalisation des intérêts échus depuis au moins un an,
– ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– fixé la moyenne des trois derniers salaires à la somme de 2 647,60 euros,
– débouté les parties du surplus des demandes présentées,
– condamné la société France télévisions aux dépens.
Le 24 novembre 2016, Mme [T] a interjeté appel du jugement.
Par conclusions transmises le 3 juin 2019 par voie électronique auxquelles il est fait expressément référence, Mme [T] et le syndicat SNJ CGT France télévisions, appelants, ainsi que le syndicat SNPCA-CFE-CGC, intervenant volontaire, demandent à la cour de’:
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– Requalifier la collaboration de Mme [T] en contrat à durée indéterminée à compter du 14 avril 2004 ;
Condamner la société France télévisions à payer à Mme [T] une indemnité de requalification ;
– Déclarer recevable l’intervention volontaire du Syndicat SNJ-CGT France télévisions ;
– Condamner la société France télévisions à payer au Syndicat SNJ-CGT des dommages et intérêts ;
– Condamner la société France télévisions à payer au Syndicat SNJ-CGT une indemnité au titre de l’article 700 ;
– Condamner la société France télévisions à payer Mme [T] une indemnité au titre de l’article 700.
Infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, y compris les quantum,
Statuant à nouveau :
1. Juger que :
– La Société France télévisions ne satisfait pas aux obligations formelles de recours au contrat à durée déterminée de l’article L. 1242-12 du code du travail, en n’ayant pas établi de contrats de travail pour certaines périodes travaillées ;
– Les quelques contrats fournis par France télévisions sont non conformes aux exigences légales de l’article L 1242-13 du code du travail, en ce qu’ils ont été fournis au-delà des
2 jours suivant le début d’exécution du contrat, notamment :
-Contrat de travail du 24 décembre 2012 au 25 décembre 2012 envoyé par la société le 27 décembre 2012
-Contrat de travail du 6 août 2013 signé le 12 août 2013
– Contrat de travail du 9 août 2013 signé le 12 août 2013
– Contrat de travail du 15 août 2013 signé le 29 août 2013
– Contrat de travail du 16 août 2013 signé le 29 août 2013
– Contrat de travail du 3 janvier 2013 au 6 janvier 2013 signé le 18 janvier 2013
– Contrat de travail du 8 janvier 2013 envoyé le 21 janvier 2013
– Contrat de travail du 11 février 2013 au 17 février 2013 signé le 14 février 2013
– Contrat de travail du 25 février 2013 au 10 mars 2013 signé le 28 février 2013
– Contrat de travail du 29 avril 2013 au 12 mai 2013 signé le 4 mai 2013
– Contrat de travail du 18 octobre 2013 envoyé le 30 octobre 2013
– Contrat de travail du 21 octobre 2013 envoyé le 30 octobre 2013
– Contrat de travail du 24 au 25 octobre 2013 envoyé le 30 octobre 2013
– Contrat de travail du 27 janvier 2014 envoyé le 30 janvier 2014
– Contrat de travail du 29 janvier 2014 signé le 3 février 2014
– Contrat de travail du 10 mars 2014 au 11 mars 2014 signé le 20 mars 2014
– Contrat de travail du 3 juin 2014 signé le 8 juin 2014 ;
– Un contrat de travail du 16 novembre 2010 a été remis à Mme [T] non signé par la société contrairement aux dispositions de l’article L.1242-12 du code du travail;
– Les avenants en date du 26 novembre 2007, 4 avril 2011 et 16 juin 2008 ne stipulent pas le motif de recours au contrat à durée déterminée en méconnaissance des dispositions de l’article L1242-2 du code du travail et de l’article 17-2 de l’avenant audiovisuel à la CCN des Journalistes;
– Mme [T] occupe un emploi normal et permanent de journaliste dans l’entreprise, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 1242-1 du code du travail et de l’article 17-2 de l’avenant audiovisuel à la CCN des Journalistes;
– La Société France télévisions ne renverse pas la présomption de temps de travail à temps complet prévue par l’article L. 3123-14 du code du travail;
En conséquence
2. Requalifier la relation de travail entre Mme [T] et la Société France télévisions en CDI à compter du 14 avril 2004, sur le fondement des articles L. 1242-1, L. 1242-1, 1242-12 et L. 1242-13 du code du travail, et de l’Accord-cadre européen du 18 mars 1999, mis en ‘uvre par la Directive communautaire du 28 juin1999 et du jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 21 mars 2018
En conséquence encore
Condamner la société France télévisions au paiement à Mme [T] de la somme de 84 470 euros, à titre d’indemnité de requalification sur le fondement de l’article L 1245-2 du code du travail.
3. Dire et juger que la société France télévisions ne peut pas modifier le volume de travail ni la rémunération de Mme [T], liée à elle par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 14 avril 2004, en application de l’article L. 3242-1 alinéa 1 du code du travail ;
4. Requalifier le contrat de travail de Mme [T] en contrat à temps plein, soit 151,67 heures par mois, sur le fondement de l’article L. 3123-14 du code du travail ;
En conséquence encore
A titre principal
Condamner la société France télévisions au paiement à Mme [T] d’un rappel de salaires pour le travail à temps plein fondé sur le salaire moyen d’un Journaliste Rédacteur Reporteur de 2009 à la date de l’arrêt à intervenir, à hauteur de 238 473 euros, ainsi que 23 847,3 euros à titre de congés payés afférents ;
Condamner la société France télévisions au paiement à Mme [T] d’un rappel de salaire afférant à sa qualité de Grand Reporter depuis le 1er janvier 2012 jusqu’à la date de l’arrêt à intervenir (soit 7 années et 6 mois), à hauteur de 49 596 euros assorti de l’indemnité de congés payés de 4 959,6 euros, en application de l’accord collectif du 15 septembre 2011.
Condamner la société France télévisions au remboursement à Pôle Emploi des indemnités versées à Mme [T] en raison du manquement de l’employeur à son obligation de payer le salaire, soit un montant de 86 073 euros ;
A titre subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit à la demande de rappel de salaire sur la base d’un temps plein,
Condamner la société France télévisions au paiement à Mme [T] d’un rappel de salaire d’un montant de 1 520,46 euros au titre des JRTT et repos compensateurs dont elle a été privée par la société à compter de janvier 2014.
A titre principal
5. Juger l’absence de rupture du contrat de travail de Mme [T] du fait de l’absence de tout acte positif de rupture et de l’impossibilité du juge de prononcer la rupture sans que le salarié l’ait sollicité ;
A titre subsidiaire
6. Juger que la société France télévisions a violé la liberté fondamentale dont dispose tout salarié de saisir le conseil de Prud’hommes contre son employeur, notamment en vue de la requalification d’un usage abusif de CDD ;
A Titre infiniment subsidiaire
7. Juger que :- Mme [T] a fait l’objet d’une discrimination fondée sur ses origines maghrébines, qui s’est manifestée notamment par des insultes, des remarques désobligeantes, le défaut d’intégration, une mobilité abusive, son déréférencement à [Localité 6] et sur le Pôle Sud-Est, en particulier du bureau de [Localité 5], à la suite de son agression par l’un de ses collègues et le déréférencement de la société France télévisions à la suite de la médiation demandée du fait de la discrimination subie et intervenue entre octobre 2012 et février 2013 ainsi que le non respect des engagements de régulation en CDI ; Mme [T] reste soumise à une situation professionnelle précaire et à une mobilité abusive depuis 10 années au sein de France télévisions alors que ses collègues, embauchés en tant que journalistes à la même époque qu’elle, ont été titularisés en CDI ; France télévisions est dans l’incapacité de prouver que le traitement différencié réservé à Mme [T] serait justifié par un quelconque élément objectif étranger à toute discrimination ;
En conséquence
Dire et juger que Mme [T] subit une discrimination au regard de ses origines, et de son genre vis-à-vis de ses collègues Messieurs [S] et [X].
8. Juger que :
– Mme [T] a fait l’objet d’un harcèlement moral qui s’est manifesté notamment par des insultes, des remarques désobligeantes, le défaut d’intégration, une mobilité abusive, son déréférencement à [Localité 6] et sur le Pôle Sud-Est, en particulier du bureau de [Localité 5], à la suite de son agression par l’un de ses collègues et le déréférencement de la société France télévisions à la suite de la médiation demandée du fait de la discrimination subie et intervenue entre octobre 2012 et février 2013 ; -Mme [T] reste soumise à une situation professionnelle précaire et à une mobilité abusive depuis 10 années au sein de France télévisions alors que ses collègues, embauchés en tant que journalistes à la même époque qu’elle, ont été titularisés en CDI ;
– France télévisions est dans l’incapacité d’expliquer la situation dans laquelle se trouve Mme [T], au regard de l’ensemble de ses collègues embauchés à la même période ;
En conséquence
Dire et juger que Mme [T] subit un harcèlement moral.
En tout état de cause
9. Ordonner la poursuite du contrat de travail de Mme [T] du fait :
– De l’absence de rupture du contrat de travail ;
– De la violation d’une liberté fondamentale ;
– De la discrimination au regard de ses origines et de son genre ;
– Du harcèlement moral subit ;
En conséquence
A titre principal
10. Ordonner la poursuite du contrat de Mme [T], conformément à l’accord collectif d’entreprise du 15 septembre 2011, entré en vigueur le 1er janvier 2012 :
* en qualité de Journaliste Grand Reporter ;
* à temps plein ;
* au sein de la Rédaction France 3 Sat toutes régions à [Localité 6];
* avec un salaire mensuel de 5 028 euros, assorti de la prime d’ancienneté et du 13e mois ;
sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la Cour se réservant la liquidation de l’astreinte.
A titre subsidiaire si la cour ne faisait pas droit à la demande de poursuite du contrat de travail de Mme [T]
11. Juger que la rupture du contrat de travail de Mme [T] est dépourvue de cause réelle et sérieuse
En conséquence
Condamner la Société France télévisions à verser à Mme [T] la somme de 316 876 euros au titre des dommages et intérêts liés à la rupture sans cause réelle et sérieuse du contrat de travail
En tout état de cause
12. Juger que la société France télévisions a manqué à son obligation d’appliquer le principe d’égalité de traitement vis-à-vis de Mme [T], en ne lui faisant pas bénéficier d’une intégration en CDI et d’une promotion en qualité de Grand reporter, à l’inverse de ses collègues Messieurs [Q] et [S]
En conséquence
Condamner la société France télévisions à payer à Mme [T] la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi
13. Dire et juger que Mme [T] subit une discrimination au regard de ses origines et de son genre vis-à-vis de ses collègues Messieurs [S] et [X].
En conséquence
Condamner la société France télévisions à payer à Mme [T] la somme de 120 672 euros à titre de dommages-intérêts, soit 24 mois de salaire, sur le fondement de l’article 1132-1 du code du travail.
14. Dire et juger que Mme [T] subit un harcèlement moral.
En conséquence
Condamner la société France télévisions à payer à Mme [T] la somme de 120 672 euros à titre de dommages-intérêts, soit 24 mois de salaire, sur le fondement de l’article 1152-1 et suivants du code du travail et 1240 du code civil.
15. Dire et juger que Mme [T] a subi un grave préjudice de retraite du fait de son maintien par France télévisions dans un statut précaire pendant 14 ans ;
En conséquence
Condamner la société France télévisions à verser à Mme [T] la somme de 95 062,8 euros à titre de préjudice de cotisation retraite et d’indemnisation retraite sur le fondement de l’article L1240 du code civil.
16. Dire et juger bien fondée l’intervention volontaire des syndicats SNJ-CGT France télévisions et SNPCA-CFE-CGC
En conséquence
Condamner la société France télévisions à verser au SNJ-CGT France télévisions la somme de 15 000 euros à titre de réparation du préjudice subi, sur le fondement de l’article L.2132-3 du code du travail ;
Condamner la société France télévisions à verser au SNPCA-CFE-CGC la somme de 15 000 euros à titre de réparation du préjudice subi, sur le fondement de l’article L. 2132-3 du code du travail ;
17. Condamner la société France télévisions à régulariser la situation de Mme [T] auprès des organismes sociaux depuis le 14 avril 2004, tant en ce qui concerne l’URSSAF, la retraite de base, que la retraite complémentaire ainsi que le régime de prévoyance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par régime, et par document ;
18. Condamner la Société France télévisions à remettre à Mme [T] les bulletins de paye conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et par document;
19. Se réserver le contentieux de la liquidation des astreintes ;
20. Dire et juger que la requalification des CDD en CDI et ses conséquences sont exécutoires de droit en application de l’article R.1245-1 du code du travail.
21. Condamner la Société France télévisions à payer à Mme [T] les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) conformément à l’article 1154 du code civil
22. Condamner la Société France télévisions à payer à Mme [T] une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
23. Condamner la société France télévisions à payer au SNJ-CGT France télévisions une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
24. Condamner la Société France télévisions à payer au SNPCA-CFE-CGC une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
25. Condamner la société France télévisions aux entiers dépens et aux éventuels frais d’exécution.
Par conclusions transmises le 2 juin 2019 par voie électronique, auxquelles il est expressément fait référence, la société France télévisions sollicite’:
– Dire et juger Mme [V] [T] et le Syndicat SNJ-CGT France télévisions irrecevables et en tous cas mal fondés en leur appel et les en débouter.
– Dire et juger Syndicat SNPCA-CFE-CGC irrecevable et en tous cas mal fondé en son intervention volontaire et l’en débouter.
En conséquence et à titre principal,
– Dire et juger la Société France télévisions recevable et bien fondée en son appel incident limité et y faire droit dans son intégralité,
– Infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a requalifié en contrat à durée indéterminée la période de collaboration sous CDD et mis à la charge de la Société France télévisions le paiement d’une indemnité de requalification et celui, au profit de Madame [T] et du SNJ, d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau de ces seuls chefs,
– Débouter Mme [V] [T] et le Syndicat SNJ-CGT France télévisions de l’ensemble de leurs demandes
– Condamner Mme [V] [T] et les Syndicats SNJ-CGT France télévisions et SNPCA-CFE-CGC à payer, chacun, la somme de 2 000 euros à la Société France télévisions en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner Mme [V] [T] et les Syndicats SNJ-CGT France télévisions et SNPCA-CFE-CGC aux entiers dépens
A titre subsidiaire,
– Confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
– Débouter Mme [V] [T] et les Syndicats SNJ-CGT France télévisions et SNPCA-CFE-CGC de toutes autres, plus amples ou nouvelles demandes
– Condamner Mme [V] [T] et les Syndicat SNJ-CGT France télévisions et SNPCA-CFE-CGC à payer, chacun, la somme de 2 000 euros à la Société France télévisions en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– Condamner Mme [V] [T] et les Syndicat SNJ-CGT France télévisions et SNPCA-CFE-CGC aux entiers dépens d’appel.
A titre infiniment subsidiaire,
– Juger que la collaboration de Mme [T] doit être requalifiée en collaboration à durée indéterminée à temps partiel et a pris fin au terme de son dernier contrat à durée déterminée
– Cantonner le montant du rappel de salaire, prime d’ancienneté et 13 ème mois à une somme de 9 926 euros ou, à titre encore plus subsidiaire, de 32 886 euros,
– Cantonner le montant d’une éventuelle condamnation à titre de rupture sans cause réelle et sérieuse à une somme ne pouvant excéder, au maximum, celle de 47 150 euros
– Débouter Mme [T] de toutes autres ou plus amples demandes.
La clôture de l’instruction est intervenue le 3 juin 2019 et l’affaire fixée à l’audience du 5 juillet 2019.
SUR CE, LA COUR
Mme [V] [T] a été engagée par la société France 3, aux droits de laquelle vient la SA France télévisions, suivant contrats de travail à durée déterminée d’usage à compter du 14’avril 2004, en qualité de journaliste rédactrice présentatrice.
Estimant ne pas avoir été remplie de l’intégralité de ses droits, Mme [T] a saisi, le 27’juin 2013, le conseil de prud’hommes de Paris.
Les relations contractuelles ont cessé à compter du 26 décembre 2014.
Sur la recevabilité de l’appel interjeté par Mme [T] et le syndicat :
Il n’est soutenu devant la cour aucun moyen critiquant utilement la recevabilité de cet appel. En effet, le fait que la salarié et le syndicat soutiennent en substance les mêmes demandes, que la salariée poursuive la poursuite de son contrat de travail ou l’annulation de la rupture de son contrat de travail pour violation de son droit d’ester en justice ou enfin subsidiairement formule une demande à titre d’indemnité pour rupture abusive, n’est pas de nature à remettre en cause cette recevabilité.
Sur la recevabilité de l’intervention volontaire du syndicat SNPA-CGE-CGC :
Il n’est soutenu devant la cour aucun moyen critiquant utilement cette intervention volontaire.
Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :
Il n’est soutenu en appel aucun moyen, ni aucun argument, ni produit d’éléments par la société de nature à remettre en cause la requalification décidée par les premiers juges qui ont, à bon droit, considéré que par le recours successif aux contrats précaires depuis 2004, la société France télévisions a pourvu un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise et en conséquence requalifié depuis leur origine en contrat à durée indéterminée les relations contractuelles entre Mme [T] et la société France télévisions, soit depuis le 14 avril 2004.
Le jugement sera en aussi confirmé pour ce qui a trait au montant alloué au titre de l’indemnité de requalification qui, au terme de l’article L.1245-2 du code du travail, ne peut être inférieure à un mois de salaire et dont ils ont exactement évalué le montant.
Sur la demande de rappel de salaires en rapport avec la requalification en temps plein de la relation contractuelle :
En l’espèce, la durée des contrats de travail produits au débat est mentionnée en jours, ce que permet l’accord d’entreprise pour les journalistes, ou pour les périodes plus longues pour 35 heures par semaine, ce qui correspond à la durée légale du travail et ainsi à un temps complet.
Les premiers juges ont à bon droit rappelé qu’il appartient à la salariée qui revendique la requalification de démontrer qu’elle s’est tenue à la disposition permanente de l’entreprise.
Les circonstances qu’elle n’ait pas eu d’autres employeurs durant la période concernée, qu’elle ait régulièrement fait acte de candidature à différents postes dans plusieurs régions ou informé la société France télévisions de sa disponibilité le 24 juillet 2013 pour effectuer des remplacements de dernière minute et que cette proposition ait été relayée par Mme [L] [A] ou enfin que la thèse de doctorat débuté en décembre 2015 n’ait pu être menée à bien en raison des remplacements réalisés au sein de France télévisions, alors que son directeur de thèse estimait en 2011 encore nécessaire une durée de six mois de travail en continu pour la terminer, ne sont pas de nature à démontrer qu’elle s’est tenue à la disposition permanente de la société France télévisions. En outre, la salariée a connu de nombreuses interruptions entre les différents contrats puisque pour les années concernées, soit de 2004 à 2014, elle a été employée en moyenne 132 jours et pour les cinq dernières années successivement en jours à hauteur de 169, 203, 175, 92 et 25, comme l’ont relevé exactement les premiers juges.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a, par une exacte appréciation des éléments de droit, de fait et de preuve du dossier, non utilement remise en cause, débouté la salariée des demandes formées de ce chef.
Sur le rappel de salaires relatif à la qualité de grand reporter :
La reconnaissance de cette qualification et du rappel de salaires y afférents par la salariée à compter du 1er janvier 2012 en application de l’accord collectif du 15 septembre 2011 prévoyant la possibilité d’un repositionnement pour les journalistes de la filière reportage en grand reporteur en cas d’ancienneté dans la profession supérieure à 20 ans se heurte, comme l’ont à bon droit retenu les premiers juges, au fait que Mme [T] ne remplit pas la condition d’ancienneté. En effet, il ressort des documents produits par elle une ancienneté de novembre 1986 au 26 août 1988 en qualité de journaliste reporter au journal télévisé et d’animatrice de programmes de radio Tunis, un emploi de journaliste du 1er mars au 31 juillet 1991 au sein de Trans Alpes télé média-Europe 2 et enfin un début de collaboration contractuelle avec France 3, puis France télévisions discontinue du 14 avril 2004 au 24 décembre 2014, soit une durée inférieure à celle exigée par le texte susvisé. La mention d’une “date d’ancienneté pro” au 1er mars 1991 sur les bulletins de salaire établis par France télévisions étant à cet égard insuffisante à démontrer que la salariée était en droit de prétendre au repositionnement dont au surplus seule la possibilité doit être examinée au terme d’un processus en six étapes.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté les prétentions de l’intéressée de ce chef.
Sur la demande de rappel de salaire formée à titre subsidiaire au titre du repos compensateur :
Mme [T] n’articulant pas davantage que devant les premiers juges cette demande dans son principe et dans son quantum, le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté cette prétention.
Sur la discrimination en raison de ses origines et de son sexe :
Les premiers juges, après avoir rappelé les dispositions relatives à la discrimination des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail dans leurs dispositions en vigueur, ont fait une exacte appréciation des éléments de droit, de fait et de preuve du dossier, non utilement remise en cause devant la cour, en retenant que si les éléments de fait présentés par la salariée laissaient supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte à son origine, la société France télévisions démontrait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. A cet égard il convient de relever également qu’il ressort des attestations de M. [G], journaliste rédacteur en chef adjoint, et de Mme [D], journaliste à la rédaction de [Localité 6] depuis 2008, de la liste des sujets sur lesquels Mme [T] est intervenue et récapitulatifs par domaine des 1 467 sujets couverts dans tous les domaines, qu’elle n’a pas été cantonnée comme elle le prétend à des sujets en rapport avec l’islam et l’immigration. Il convient aussi de relever que son profil LInkedin, renseigné donc par elle seule, mentionne son intérêt particulier pour tous les sujets touchant l’immigration en France, l’islam et le monde arabe, si bien qu’elle ne peut reprocher à l’employeur d’avoir eu recours à certaines reprises à ses compétences en ces domaines pour traiter des sujets et notamment le 4 janvier 2008 comme le mentionne Mme [W] dans son attestation. Si au terme de cette attestation, il est indiqué par Mme [W] qu’un cadre a insisté pour qu’un sujet relatif à des pèlerins musulmans de retour de la Mecque qui lui avait été d’abord attribué et sur lequel elle avait commencé ses recherches, soit finalement confié à Mme [T], rien ne permet dans ces déclarations de considérer que cette dernière a subi une situation anormale et humiliante. Les diverses attestations produites par Mme [T] au débat, émanant de journalistes, se référent à leur seule situation personnelle comme M. [H] [Q], Mme [W] et M. [M] [O] ou de faits dont ils n’ont pas été témoin direct ou sans rapport avec une discrimination comme M. [R], louent ses compétences comme MM. [O], [I], [B] et [J] et Mme [W] ou font état comme M. [J] de l’opposition au premier trimestre 2011 de M. [F], rédacteur en chef, ayant privilégié Mme [C] dans la présentation des journaux télévisés en binôme avec lui, sans que ce choix puisse être considéré dicté par une volonté discriminatoire. Cette volonté ne peut davantage ressortir de l’espacement des contrats confiés à l’intéressée au sein de France 3 Alpes, puis de la cessation de sa collaboration postérieure.
Le jugement, dont la cour adopte les motifs, sera confirmé en ce qu’il a écarté toute discrimination et en conséquence rejeté la demande indemnitaire présentée de ce chef.
Sur le harcèlement moral :
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L.1154-1 du même code, le salarié a la charge d’établir des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au delà des faits invoqués à l’appui de la demande de reconnaissance d’une discrimination dont il a été démontré précédemment qu’ils étaient objectivement justifiés et ne pouvaient ainsi être révélateurs d’un abus d’autorité, ayant pour objet ou pour effet d’emporter une dégradation des conditions de travail de la salariée dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, la salariée invoque une agression par M. [U] qui n’est établie par aucun élément en dehors de ses propres assertions ou de leur reprise par des tiers qui n’ont été témoins d’aucun fait.
Au surplus, le tribunal correctionnel de Paris a par jugement du 21 mars 2018, relaxé les prévenus, soit les dirigeants et la société France télévisions, des termes de la poursuite engagée par citation directe notamment par Mme [T], pour harcèlement moral et discrimination.
La demande relative au harcèlement moral sera en conséquence rejetée.
Sur l’inégalité de traitement :
La salariée se compare avec ses collègues, MM. [X] et [S] qui ont obtenu, contrairement à elle, un contrat à durée indéterminée et une promotion en qualité de grand reporter, sans toutefois apporter d’éléments de nature à démontrer qu’elle se trouvait dans une situation identique à eux dans des conditions justifiant qu’il lui soit reconnu le même déroulement de carrière, notamment pour ce qui a trait à la permanence des relations contractuelles ou à la qualification.
Elle sera en conséquence déboutée de la demande formée de ce chef.
Sur la rupture des relations contractuelles :
Cette rupture des relations contractuelles survenue à l’issue de dernier contrat à durée déterminée produit, sans besoin d’une manifestation particulière de volonté de l’employeur et/ou de la salariée, du fait de la requalification en contrat à durée indéterminée, les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si bien que la demande formée principalement par la salariée tendant à la poursuite du contrat de travail, quelque soient les raisons invoquées, violation d’une liberté fondamentale, discrimination ou harcèlement moral, dont l’existence n’est au surplus pas démontrée, ne peut prospérer. Il convient aussi d’observer que la salariée a continué à travailler au sein de France télévisions après sa saisine du conseil de prud’hommes le 27 juin 2013 et a bénéficié de plusieurs contrats à durée déterminée jusqu’au 24 décembre 2014. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme [T] de ses demandes tendant à la poursuite du contrat de travail sur ce point.
Mme [T] est donc fondée à prétendre à la réparation du préjudice subi du fait de la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, la salariée ayant une ancienneté dans l’entreprise supérieure à deux années et la société ayant un effectif supérieur à 10 salariés.
La cour dispose des éléments pour lui allouer à ce titre une somme de 100 000 euros à ce titre.
Sur le préjudice de retraite :
Il n’est justifié par la salariée, dont toutes les demandes relatives à l’allocation de rappels de salaire ont été rejetées, d’une préjudice en ce domaine.
Sa demande indemnitaire sera en conséquence rejetée.
Sur l’action du syndicat SNJ-CGT et du syndicat SNPCA-CFE-CGC :
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société France télévisions à verser au syndicat SNJ-CGT des dommages-intérêts en raison du préjudice à l’intérêt collectif qu’il défend du fait de recours injustifié à des contrats à durée déterminée pour pourvoir un emploi durable et permanent. Il convient d’observer que le tribunal correctionnel de Paris a par jugement du 21 mars 2018 condamné le seul M. [Z] à payer à chacun des syndicats, SNJ-CGT et SNPCA-CFE-CGC, 1 500 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice subi du fait des faits de recours abusif au contrat à durée déterminée et non-respect des dispositions des articles L. 1248-1 et L. 1248-7 du code du travail. La demande formée devant le juridiction prud’homale à l’encontre de la société France télévisions ne peut donc se voir opposer le principe de l’autorité de la chose jugée.
Il sera également alloué au syndicat SNPCA-CFE-CGC, intervenant volontaire devant la cour, des dommages-intérêts en raison du préjudice à l’intérêt collectif qu’il défend du fait de recours injustifié à des contrats à durée déterminée pour pourvoir un emploi durable et permanent qui seront évalués à 1 500 euros.
Sur les autres dispositions :
Le jugement entrepris sera aussi confirmé en ce qu’il a condamné la société France télévisions, mais seulement à remettre à Mme [T] un bulletin de paie récapitulatif sans qu’il soit besoin d’assortir la remise d’une astreinte dont la nécessité n’est pas justifiée.
Il sera fait application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction en vigueur et ainsi la société France télévisions sera condamnée à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée à compter de la rupture dans la limite de six mois de prestations.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a écarté la demande de Mme [T] tendant à la régularisation de sa situation qu’il s’agisse des organismes sociaux et de prévoyance et en ce qu’il a ordonné la capitalisation des intérêts.
Le jugement sera enfin confirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l’application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [T] et du syndicat SNJ-CGT.
La solution apportée aux différents points en litige commande de condamner la société France télévisions, qui succombe au principal, aux dépens d’appel et à verser à Mme [T] 1 000 euros et à chacun des deux syndicats 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf pour ce qui a trait à la remise de bulletins de salaire ;
Statuant à nouveau dans cette mesure et y ajoutant :
Déclare recevables l’appel interjeté par Mme [T] et le syndicat SNJ-CGT et l’intervention volontaire du syndicat SNPA-CGE-CGC ;
Dit que la rupture des contrats de travail à durée déterminée requalifiés produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 25 décembre 2014 ;
Condamne en conséquence la société France télévisions à verser à Mme [V] [T] des dommages-intérêts d’un montant de 100 000 euros au titre de la rupture ;
Condamne la société France télévisions à payer au syndicat SNPA-CGE-CGC la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts ;
Condamne la société France télévisions à rembourser à pôle emploi les indemnités de chômage versées à la salariée à compter de la rupture dans la limite de six mois de prestations ;
Condamne la société France télévisions à remettre à Mme [T] un bulletin de salaire récapitulatif dans le mois de la notification du présent arrêt ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne la société France télévisions aux dépens d’appel et à payer en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile à Mme [T] 1 000 euros et à chacun des syndicats SNJ-CGT et SNPA-CGE-CGC la somme de 500 euros.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE