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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 13 MAI 2020
N° RG 17/05991
N° Portalis DBV3-V-B7B-SAU6
AFFAIRE :
[G] [S] dit [G] [S]
C/
SNC NULLE PART AILLEURS PRODUCTION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Novembre 2017 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Boulogne Billancourt
N° Section : Activités Diverses
N° RG : F17/00588
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
– Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT
– Me Stéphanie ARENA
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE MAI DEUX MILLE VINGT,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant, fixé au 22 avril 2020 puis prorogé au 13 mai 2020, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [G] [S] dit [G] [S]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 7] de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Comparant assisté par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629et par Me Florence GLADEL, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0130
APPELANT
****************
SNC NULLE PART AILLEURS PRODUCTION
N° SIRET : 402 950 943
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Stéphanie ARENA, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 et par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 février 2020, Maryse LESAULT, Présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Maryse LESAULT, Présidente,
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Carine DJELLAL
FAITS ET PROCÉDURE,
La société NULLE PAR AILLEURS PRODUCTION (ci-après NPA PRODUCTION), filiale du groupe Canal+, est une société spécialisée dans la production de films et de programmes pour la télévision.
A ce titre, Les Guignols de l’info est une émission satirique de marionnettes, diffusée sur Canal+ depuis 1988 (sous le nom des Arènes de l’Info entre 1988 et 1991 puis des Guignols de l’Info, et tout dernièrement, à compter de 2015, Les Guignols).
M. [S] y a exercé les fonctions d’imitateur à partir de 1988 par contrats à durée déterminée successifs, la convention collective applicable étant celle des artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision.
Les parties divergent sur la rémunération mensuelle moyenne de M. [S]. Ce dernier allègue un montant de 27 062,50 euros et la société NPA PRODUCTION de 12 916,66 euros.
M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt le 18 mai 2017 d’une demande de requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée ainsi que de diverses demandes de nature salariale et indemnitaire.
Un terme a été mis à l’émission Les Guignols à l’issue de la saison 2017-2018.
La société a adressé le 31 mai 2018 une lettre informant M. [S] de la fin de son contrat, en application des dispositions de l’article L1237-5 du code du travail, ce que ce dernier a contesté.
Au terme du reçu de solde de tout compte il s’est vu régler une somme de 198 560,02 euros nets par virement incluant :
– 67 516 euros à titre d’indemnité de mise à la retraite,
– 48 444,16 euros bruts à titre de prorata prime de 13ème mois,
– 18 341,70 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés acquis,
– 4 703,04 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de congés payés en cours d’acquisition.
Il a toutefois contesté ce solde de tout compte.
Par jugement contradictoire du 21 novembre 2017, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, Section Activités diverses, a débouté M. [S] de l’ensemble de ses demandes ainsi que la société NPA PRODUCTION de sa demande reconventionnelle, et condamné M. [S] aux entiers dépens.
M. [S] a interjeté appel de l’ensemble des dispositions du jugement.
Au terme de ses dernières conclusions signifiées le 14 octobre 2019, il demande à la Cour au visa des articles L1234-19, D1234-6, L 1245-2, L1242-1 et L1222-1 du code du travail, d’in’rmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et condamné aux entiers dépens ; débouter la Société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION de sa demande reconventionnelle et statuant à nouveau :
– le déclarer recevable et fondé,
– déclarer la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION mal fondée en ses demandes,
– constater que la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION établit un certificat de travail le mentionnant avoir été employé au sein de la Société en qualité d’imitateur, au statut cadre du 4 septembre 1988 au 1er septembre 2018,
– constater :
. que son salaire mensuel s’élève à la somme mensuelle moyenne de 27 062,50 euros
. qu’il pourvoit durablement un emploi permanent depuis son embauche,
. que la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION ne démontre pas l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi, vu l’arrêt du 2 avril 2014 de la cour de cassation,
– juger qu’un accord collectif ou une convention collective ne peut déroger de façon défavorable pour un salarié aux dispositions d’ordre public aux conditions de recours et de forme du CDD
En conséquence,
– requalifier sa relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 4 septembre 1988 conformément à son certificat de travail du 1er septembre 2018,
– condamner la société NPA PRODUCTION à lui verser la somme de 81 187,50 euros à titre d’indemnité de requalification,
– constater la modification unilatérale pour motif économique par l’employeur de son contrat de travail sans son accord,
En conséquence,
– le rétablir dans ses droits avec sa rémunération mensuelle brute de 27 062,50 euros
– constater :
. qu’il n’a pas été payé entre le 12 août 2015 et le 14 décembre 2015,
. qu’il ne s’est pas vu fournir de travail aux périodes susvisées,
. qu’il est lié à la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION depuis de nombreuses années par un contrat d’exclusivité,
En conséquence,
– condamner la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION à lui payer à la somme de 108 250 euros à titre de rappel de salaire, outre les congés payés incidents de 10 825 euros,
– constater que la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION a modifié unilatéralement, sa rémunération et sa durée de travail depuis le 1er avril 2017,
En conséquence,
– le rétablir dans ses droits rétroactivement à compter du 1er avril 2017 et lui verser les rappels de salaire afférents soit la somme de 146 408,12 euros,
– constater :
. qu’il est à la retraite depuis le 1er janvier 2013,
. que du fait de son statut d’artiste du spectacle, il pouvait continuer son emploi salarié au sein de la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION,
. la suppression par l’employeur de l’émission « LES GUIGNOLS » le 31 mai 2018,
. que la rupture de son contrat de travail à durée indéterminée du 31 mai 2018 est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– condamner la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION à lui payer la somme de 541 250 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Subsidiairement,
– constater que la procédure de licenciement n’a pas été respectée,
En conséquence,
– condamner la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION à lui verser la somme de 27 062,50 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure,
En toute hypothèse, condamner la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION à lui payer :
. la somme de 248 072,77 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
. la somme de 81 187,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et la somme de 8 118,75 euros au titre des congés payés afférents
En conséquence,
– assortir ces condamnations d’un intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt,
– ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du code civil,
– dire que les condamnations de dommages et intérêts porteront intérêt au taux légal à compter de la date du prononcé de l’arrêt à intervenir,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION de sa demande reconventionnelle,
– débouter la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me KATELL LALLEMENT, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour sa part, la société NPA PRODUCTION demande à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 13 décembre 2019, de :
– constater que M. [S] a introduit son action exclusivement à l’encontre de Nulle Part Ailleurs,
En conséquence : juger que la collaboration intéressant le litige s’entend depuis le mois de juillet 1998, date du premier engagement conclu avec Nulle Part Ailleurs Production,
Au fond :
À titre principal,
– juger bien-fondé le recours aux engagements successifs en ce qui concerne l’emploi d’Imitateur de M. [S], au statut Artiste-Interprète,
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 21 novembre 2017 par le Conseil de Prud’hommes Billancourt,
– condamner M. [S] à 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
À titre subsidiaire (en cas de requalification de la relation de travail en CDI)
– constater la mise à la retraite d’office de M. [S] (article L.1237-5 du Code du travail), signifiée à ce dernier le 31 mai 2018 par la Société NPA PRODUCTION,
– juger que cette mise à la retraite emporte rupture de la relation de travail,
– constater qu’en conséquence de la mise à la retraite de M. [S], une indemnité de mise à la retraite d’un montant de 67 516 euros lui a été servie au terme de son préavis de 3 mois, qui lui a été rémunéré ;
– fixer à 12 916,66 euros le salaire de référence de M. [S],
En conséquence :
– ixer à 12 916,66 euros le montant de l’indemnité de requalification,
À titre vraiment très subsidiaire, en cas de requalification de la relation de travail en CDI produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– fixer à 12 916,66 euros le salaire de référence de M. [S],
– fixer à 12 916,66 euros le montant de l’indemnité de requalification,
– constater que M. [S] a d’ores et déjà effectué son préavis, rémunéré comme tel ;
– fixer l’indemnité légale de licenciement à 29 358,95 euros,
En tout état de cause,
– débouter M. [S] de ses demandes au titre des rappels de salaire, et de sa demande à titre de dommages-intérêts pour préjudices subis.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 janvier 2020.
MOTIFS,
1- Sur la demande de requalification en CDI
Pour débouter M. [S] de sa demande de requalification les premiers juges ont retenu que l’activité d’artiste-interprète a donné lieu à la mise en place d’une convention collective le 30 décembre 1992, étendue par arrêté du 24 janvier 1994 publié au journal officiel du 4 février 1994, et que les dispositions de l’article 1.1 de cette convention définissent précisément l’activité des artistes interprètes concernés par ces dispositions, et notamment ceux qui apportent « des prestations de voix hors champ’ », les prestations de M. [S] rentrant dans le cadre ainsi défini ; qu’ils ont dit que l’activité de M. [S] était par nature temporaire, non seulement du fait de la prestation elle-même qui reste unique en fonction de l’imitation qui est à réaliser, mais également par le fait que les partenaires sociaux ont reconnu cette nature et ont négocié des dispositions particulières pour définir le contrat de travail qui s’appliquera à cette activité et l’entourer de dispositions particulières reconnaissant ainsi son caractère spécifique par rapport à une situation normale de salarié. Soulignant le caractère nécessairement unique de l’activité artistique ainsi en cause, en fonction de la voix et des propos à interpréter ne pouvant se transformer en activité permanente, ne pouvant être comparée à des activités techniques, répétitives et dépourvues de caractère esthétique, ils ont en outre invoqué la dépendance aux aléas des grilles de programmation pour écarter la qualification de l’activité de M. [S] de la qualification d’activité « normale et permanente de l’entreprise ».
M. [S] fait valoir au soutien de sa demande de requalification, à titre principal, que la répétition de lettres d’engagement mensuelles durant 30 ans afin d’exercer les mêmes fonctions d’imitateur dans le cadre du même programme télévisuel Les Guignols de l’info, ne peut s’analyser en contrats d’usage à durée déterminée, lesquels ne sont pas justifiés par des éléments objectifs rendant impérative leur signature successive. Dès lors la répétition des lettres d’engagement justifie selon lui la requalification desdits contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 4 septembre 1988, sans qu’il y ait lieu d’examiner plus avant l’argumentation des parties sur la requalification des contrats concernant les intermittents techniques ni sur les mentions figurant sur les lettres d’engagement. Il rappelle en outre n’avoir eu d’autre choix que de se tenir à la disposition de son employeur NPA PRODUCTION qui l’avait lié par un contrat d’exclusivité particulièrement contraignant lui interdisant entre autres de travailler en tant qu’imitateur pour un autre employeur qu’elle. Il indique que la société NPA PRODUCTION lui a établi un certificat de travail le 1er septembre 2018 soit 30 ans après le début de leurs relations.
A titre subsidiaire, M. [S] fait valoir que la définition précise d’un motif de recours au contrat à durée déterminée est exigé y compris pour les contrats à durée déterminée d’usage, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il ajoute que la fonction d’imitateur n’apparaît pas dans la liste des fonctions pour lesquelles le recours au contrat à durée déterminée d’usage est autorisé aux termes de l’accord collectif interbranches du 12 octobre 1998.
La société NPA PRODUCTION soutient que le statut d’artiste-interprète de M. [S] interdit toute requalification en contrat à durée indéterminée dès lors que l’article D. 1242-1 du code du travail fait figurer expressément l’audiovisuel parmi les secteurs d’activités dont les besoins particuliers justifient la conclusion de tels contrats et qu’il appartient au juge de vérifier qu’il est d’usage constant dans le secteur d’activité considéré d’avoir recours à des lettres d’engagement successives avec un même salarié, au regard des spécificités du secteur et de la fonction concernée, de tels éléments étant réunis en l’espèce.
La société NPA PRODUCTION expose comme en première instance que la convention collective applicable étendue par arrêté du 24 janvier 1994, en ses articles 3-2 et 3-3, ne prévoit l’embauche d’artistes-interprètes que pour une durée déterminée. Elle estime que le recours au contrat à durée déterminée se justifie d’autant plus que le programme Les Guignols n’a jamais représenté une activité rattachée à l’activité durable et permanente du télédiffuseur. Elle ajoute que le métier d’imitateur ne saurait correspondre à l’activité principale de NPA PRODUCTION, société de production, et estime qu’une activité artistique ne peut être, par nature, que temporaire s’agissant d’une société de production audiovisuelle, ceci étant d’autant plus vrai dans le cas de M. [S] qu’il intervenait sur un concept audiovisuel unique.
A titre subsidiaire, dans l’hypothèse d’une requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, la société NPA PRODUCTION estime que la lettre de rupture notifiée à M. [S] le 31 mai 2018 constitue non pas une lettre de licenciement, mais une lettre de mise à la retraite d’office au visa de l’article L. 1237-5 du code du travail.
A ce titre, la société souligne le fait qu’une indemnité de mise à la retraite d’un montant de 67 516 euros lui a été servie au terme de son préavis de trois mois. Elle considère en conséquence que l’entreprise de requalification engagée par l’appelant, à supposer qu’elle prospère, ne peut se limiter qu’à la seule indemnité de requalification.
Elle fait enfin valoir que la circonstance que M. [S] ait préalablement obtenu la liquidation de ses droits à la retraite lui est inopposable, n’en ayant en outre pas été avisée en temps utile.
Sur ce,
En vertu des articles L 1242-1 et L1242-2 du code du travail, un contrat à durée déterminée, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanent de l’entreprise, ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas déterminés par la loi et doit être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
En présence d’un contrat de travail d’usage, il appartient au juge de rechercher si, pour l’emploi considéré, il est effectivement d’usage constant de ne pas recourir aux contrats à durée indéterminée et aussi de vérifier si le recours à des contrats successifs est justifiée par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.
Il est rappelé que le salarié ne peut se voir réduire par voie conventionnelle les droits qu’il tient des dispositions d’ordre public du code du travail.
Selon les dispositions de l’article D 1242-1 du code « En application du 3° de l’article L1242-2 les secteurs d’activité dans lesquels des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée -indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois sont notamment (‘) 6° Les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique.
Si en application de l’article D 121-2 ancien du code du travail applicable en 1995 et 1998 devenu l’article D 1242-1, l’audiovisuel fait partie des secteurs d’activité pour lesquels il est constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée et au contraire de recourir à des contrats à durée déterminée d’usage et si les articles 3.2 et 3.3 de la convention collective précisent que les artistes-interprètes ne sont embauchés que pour une durée déterminée (une seule journée, plusieurs journées, à la semaine ou pour une rémunération globale couvrant une ou plusieurs périodes déterminées), encore faut-il que l’emploi concerné ait un caractère par nature temporaire, ces deux conditions s’appliquant cumulativement.
A cet égard, bien que relevant du secteur de l’audiovisuel, la société NPA PRODUCTION n’établit pas qu’il est d’usage de recourir à des contrats à durée déterminée pour les artistes- interprètes, la seule référence à la convention collective n’établissant pas la réalité de cet usage et ce d’autant plus que l’accord interbranche sur le recours au contrat à durée déterminée d’usage dans le spectacle, du 12 octobre 1998, précise que la mention d’un secteur d’activité à l’article D 121-2 (ancien) du code du travail ne fonde pas à elle seule, pour les entreprises de ce secteur, la légitimité du recours au CDD d’usage et que la succession de CDD d’usage d’un salarié avec le même employeur sur plusieurs années ou saisons peut constituer un indice du caractère indéterminé de la durée de l’emploi.
Par ailleurs, si la société NPA Production, filiale de CANAL+ et spécialisée dans la production de films et de programmes pour la télévision, depuis le 18 octobre 1995, soutient que ces programmes sont par nature non-permanents puisque fonction des attentes du public, de son indice de satisfaction et de l’identité que la chaîne qui les diffuse entend se donner, et qu’aucune assurance ne peut être donnée quant à leur maintien, même durant le cours de l’année de programmation, force est de rappeler qu’il s’agit ici d’une émission emblématique de la chaîne CANAL+, qui s’est poursuivie de manière continue de 1988 à 2018, nonobstant le choix de cryptage de cette émission et sa restriction aux seuls abonnés, et que NPA PRODUCTION ne peut sérieusement invoquer en ce contexte un défaut de permanence de ce programme créé en 1988 qu’elle produit pour sa part depuis 1995.
De même le fait qu’à partir du 20 mars 2017, date d’arrêt de l’émission « le Grand Journal » qui portait « Les Guignols » dans son créneau horaire, lesquels sont devenus une émission enregistrée dont la réalisation pouvait se faire sur 4 jours (du lundi au jeudi) et non plus 5 jours, n’est pas une circonstance de nature à remettre en cause la permanence de l’activité d’imitateur nécessairement attachée à la préparation de cette émission.
L’argument de l’aléa que constituent les impératifs de l’actualité, le bon vouloir de la chaîne Canal + et des décisions éditoriales est tout aussi inopérant à remettre en cause cette permanence de l’emploi alors que les relations entre Canal + et sa filiale NPA Production préservaient nécessairement l’activité de cette dernière et ses activités de référence.
Force est de constater que le poste occupé par M. [S] échappait de par sa spécificité et sa continuité aux cas ouvrant à l’employeur la possibilité de recourir à des contrats à durée déterminée successifs.
Il n’est en effet pas contesté que M. [S] est intervenu de septembre 1988 à septembre 2018 dans le cadre de l’émission « les guignols de l’info », de manière ininterrompue pour, en sa qualité d’imitateur, être la voix de plusieurs personnages mis en scène sous forme de marionnettes et que, s’agissant du cadre juridique de ces interventions, pendant toute cette période, alors que le contenu et les conditions des prestations étaient les mêmes, l’employeur, qui a d’ailleurs établi un certificat de travail mentionnant avoir employé M. [S] du 4 septembre 1988 au 1er septembre 2018 a fait le choix de contrats à durée déterminée successifs de manière quasi ininterrompue comme il est justifié et non sérieusement contesté.
Le rôle de M. [S] ne consistait en rien à assurer des remplacements ou encore à assurer une d’activité à caractère temporaire, mais au contraire, au regard de la spécificité de la fonction d’imitateur de M. [S], à assurer une fonction permanente, attachée à l’animation vocale d’un nombre conséquent de marionnettes qu’il a assuré dans la continuité de l’émission dans le temps. Cette fonction assimilée à celle d’acteur a ainsi couvert une activité habituelle et normale de l’entreprise, de sorte qu’il convient de faire droit à la demande de requalification du contrat en contrat à durée indéterminée, le jugement étant infirmé sur ce point.
2- Sur l’indemnité de requalification
M. [S] qui demande de constater que son salaire mensuel s’élève à 27 062,50 euros fait valoir que compte tenu de ses trente ans d’ancienneté, il est fondé à la condamnation de la société NPA PRODUCTION à lui payer trois mois de salaire au titre de l’indemnité de requalification, soit 81 187,50 euros.
La société relève que M. [S] n’apporte pas de circonstances particulières de nature à justifier le quantum de sa demande, alors que l’indemnité a vocation à réparer un préjudice apprécié sur la base d’éléments précis. Elle demande dès lors de fixer le salaire de référence de M. [S] à la somme de 12 916,66 euros et de limiter le montant de l’indemnité de requalification à un mois de salaire.
Sur ce,
En application des dispositions de l’article L 1245-2 du code du travail, M. [S] peut prétendre à une indemnité de requalification correspondant au dernier mois de salaire brut mensuel perçu pour un travail exécuté en totalité.
Son emploi auprès de la société NPA PRODUCTION s’est poursuivi postérieurement à l’engagement de l’instance en requalification devant le juge prud’homal, et selon le dernier bulletin de paie produit au débat, de juin 2018, sa rémunération était alors de 20 137,21 euros.
La cour fixe à ce montant l’indemnité de requalification que la société NPA PRODUCTION devra lui verser.
3- Demandes relatives à l’exécution de son contrat de travail
M. [S] fait valoir que l’employeur lui a imposé à partir de décembre 2005 par modification unilatérale du contrat de travail, des périodes de suspension de son contrat de travail sans délai de prévenance, la suppression de journées de travail ainsi qu’une baisse de sa rémunération.
La société NPA PRODUCTION répond qu’il s’est agi d’accords à chaque fois contractuellement convenus qui doivent s’analyser dès lors comme avenants de sorte qu’elle conteste être redevable de sommes complémentaires.
Sur ce,
La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat, et il convient d’apprécier la valeur et la portée, sur la rémunération du salarié, des différents contrats conclus par les parties.
Par suite de cette requalification l’employeur n’était pas fondé à opposer au salarié des modifications unilatérales du contrat quant à sa durée de travail et sa rémunération.
Il s’en déduit que, sous réserve de ce que le salarié justifie de s’être tenu à disposition de l’employeur, les périodes au cours desquelles ces dernières ont été modifiées de manière unilatérale, sans que la circonstance que cela ait pu résulter de l’agencement des CDD successifs sur cette période ne soit exonératoire de l’interdiction pour l’employeur de modifier les termes du contrat, conduisent à déclarer fondées en leur principe les demandes de M. [S] à ce titre.
3-1- Demande de rappel de salaire impayé
M. [S] demande de le rétablir dans ses droits avec sa rémunération mensuelle brute de 27 062,50 euros, de constater :
. qu’il n’a pas été payé entre le 12 août 2015 et le 14 décembre 2015,
. qu’il ne s’est pas vu fournir de travail aux périodes susvisées,
. qu’il est lié à la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION depuis de nombreuses années par un contrat d’exclusivité,
Il demande en conséquence de condamner la société NPA PRODUCTION à lui payer :
– la somme de 108 250 euros à titre de rappel de salaire, outre les congés payés incidents de 10 825 euros,
– la somme de 146 408,12 euros correspondant au rétablissement rétroactif de sa rémunération par suite de la modification unilatérale de sa rémunération et sa durée de travail depuis le 1er avril 2017.
La société conteste cette demande en rappelant que M. [S] a été rémunéré à hauteur de :
– 3 750 euros en septembre 2015 en contrepartie de 3 cachets pour les journées de travail des 9, 11 et 29 septembre 2015,
– 5 000 euros en octobre 2015 en contrepartie de 4 cachets pour les journées des 7, 13, 20 et 27 octobre 2015,
– 5 625 euros en novembre 2015 en contrepartie de 4 cachets pour les journées des 3, 10, 17 et 24 novembre 2015,
– 15 000 euros en décembre 2015 en contrepartie de 12 cachets pour les journées des 1, 3, 4, 7,8, 10, 14 au 18 décembre 2015.
Elle précise que pour le mois d’août il n’y a pas eu de relation contractuelle de travail, donc pas de rémunération. Elle conteste en conséquence qu’il y ait eu modification des données contractuelles rappelant que l’intéressé avait signé et validé chaque cachet, et que rapporté à un CDI cela aurait correspondu à autant d’avenants notamment lorsqu’il y avait eu des prestations moins nombreuses certains mois.
Elle rappelle qu’il est de jurisprudence constante que la requalification de CDD en CDI ne porte que sur le terme du contrat et que les stipulations contractuelles convenues entre les parties restent inchangées. Elle ajoute qu’il appartient au salarié qui entend obtenir le paiement de rappel de salaire sur les périodes non travaillées d’établir qu’il s’était tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes interstitielles.
Sur ce,
Sur la période du 12 août au 14 décembre 2015
Au vu des bulletins de salaire produits la cour relève que le salarié justifie de ce que son salaire mensuel brut moyen était en 2015 de l’ordre de 27 062,50 euros.
Toutefois il ne justifie aucunement s’être tenu à disposition de l’employeur pour la période d’août 2015 dont la rémunération est sollicitée, alors que la société indique qu’il n’y avait eu aucune obligation contractuelle entre les parties pendant cette période. Faute d’élément de nature à contredire ces circonstances, la cour écarte la demande de rémunération pour le mois d’août 2015.
Sur les mois de septembre à décembre 2015 force est de constater, alors, effectivement que les prestations demandés à M. [S] ont été moindres (3 journées de travail/cachets en septembre, 4 en octobre, 4 en novembre et 12 en décembre) et ont donné lieu à la rémunération équivalant à 1 250 euros par cachet/jour de travail, que la régularité des prestations confiées au salarié dans le cadre de l’émission, existant alors déjà depuis plus de 25 ans (depuis septembre 1988) pour un volume de prestations plus conséquent (un salaire moyen de 27 062,50 correspond à 21,65 cachets ou jours travaillés par mois), ne pouvait que conduire le salarié à se tenir à disposition, en fonction des demandes de son employeur.
Cela est d’autant plus établi que la société MULTICOQ représentée par [G] [S] avait conclu avec celui-ci un accord d’exclusivité portant sur l’ensemble des prestations artistiques réalisées par ce dernier, cela à compter du 30 juillet 1995 (pièce 16A), et que la société CANAL+ d’abord, puis sa filiale NPA PRODUCTION avaient fait signer à la société MULTICOQ une convention d’exclusivité aux termes de laquelle :
«Article 1
Par les présentes MULTICOQ accepte d’abandonner au profit de CANAL + l’exclusivité qu’elle détient sur les prestations de [G] [S].
En conséquence MULTICOQ et [G] [S] s’interdisent, pendant toute la durée du présent accord, de conclure avec un autre organisme de télévision, une collaboration semblable à celles que poursuivent CANAL+ et [G] [S].
D’une manière générale, [G] [S] tiendra le directeur des programmes de CANAL+ informé de tout engagement conclu par lui et/ou MULTICOQ dont l’objet porterait sur ses prestations d’imitateur.
Article 2
M. [S] s’engage à être à la disposition de CANAL+, chaque jour d’émission de 17 heures à 20 heures.
Si pour une raison de planning l’émission Nulle Part Ailleurs ne pouvait avoir lieu en direct, M. [S] se plierait aux horaires d’un enregistrement préalable.
Si pour une raison de planning de M. [S] celui-ci ne pouvait, exceptionnellement, participer à l’émission en direct, il participerait à une séance d’enregistrement de ladite émission le jour même avant 14 heures. Ce cas ne pourrait se produire plus de 4 fois dans l’année.
M. [S] participera aux séances de voix au studio DURAN tous les lundis matin (une fois par semaine).
M. [S] sera disponible d’un commun accord avec CANAL+ pour toutes les séances d’émission spéciales et pour toutes les émissions à l’extérieur du type Festival de Cannes.
Article 3
Le présent contrat prend rétroactivement effet dans toutes ses dispositions le 28 août 1995 et se poursuivra jusqu’au 30 juin 1996.
Article 4
4-1 en contrepartie de l’abandon d’exclusivité défini à l’article 1, CANAL+ versera à MULTICOQ, à titre d’indemnisation globale et forfaitaire, la somme de 400 000 francs Hors TVA payable lors de la signature des présentes.
4-2- en contrepartie des prestations définies à l’article 2 ci-dessus, M.[S] percevra un salaire d’artiste interprète qui fera l’objet d’un accord séparé entre les parties.
(‘) »
Et que cette convention a été réitérée au vu des pièces produites en termes identiques quant à l’exclusivité :
– le 30 juillet 1996 à effet du 2 septembre 1996 jusqu’au 29 juin 1997,
– le 3 novembre 1997 à effet du 1er septembre 1997 jusqu’au 30 juin 1998 (avec rémunération portée à 500 000 Frs),
– le 10 octobre 1998 1er août 1998 jusqu’au 31 juillet 1999 (avec rémunération à 500 000 Frs),
– le 20 septembre 1999 à effet au 1er août 1999 jusqu’au 30 juin 2000 (idem),
Puis poursuivie dans des termes proches (sauf insertion d’un option de priorité pour le renouvellement au bénéfice de M. [S] et une variation de détail sur les horaires à partir de 2002) entre MULTICOQ et NPA :
– le 12 septembre 2000 à effet du 1er août 2000 au 30 juin 2001 (même rémunération à 500 000 Frs),
– le 18 octobre 2001 à effet du 27 août 2001au 30 juin 2002 (rémunération de 600 000Frs),
– le 30 octobre 2002 à effet du 2 septembre 2002 au 27 juin 20103 (rémunération de 91 470 euros),
– le 28 octobre 2003 à effet du 13 août 2003 au 2 juillet 2004 (rémunération de 111 470 euros),
– le 22 novembre 2004 à effet du 11 août 2004 au 1er juillet 2005 (même rémunération ),
– le ‘ novembre 2005 à effet du 17 août 2005 au 30 juin 2006 (même rémunération de 122 K€ HT),
– le 2 octobre 2006 à effet du 17 août 2006 au 30 juin 2007 (même rémunération).
Et, ensuite poursuivie avec CANAL+ ACTIVE
– le 19 septembre 2006 à effet du 4 septembre 2006 et pendant une période d’un an avec une rémunération intégrant une avance de 27 000 euros constituant un minimum garanti et une rémunération proportionnelle notamment fixée à 0,8% des recettes nettes encaissées pour l’exploitation des diffusions de l’Emission sur des réseaux de téléphonie mobile ainsi que l’exploitation par téléchargement à la demande de fichiers vidéos issus de tout ou partie de l’Emission outre 10% des recettes encaissées pour l’exploitation des enregistrements spécifiques visés à l’article 2 (‘).
Puis à nouveau avec NULLE PART AILLEURS
– le 20 octobre 2008 à effet du 13 août 2008 au 30 juin 2009 (rémunération de 137 K€ outre celle proportionnelle),
– le 17 septembre 2009 à effet du 13 août 2009 au 30 juin2010 au (rémunération de 150K€ outre celle proportionnelle),
– le 7 septembre 2010 à effet du 11 août 2010 au 1er juillet2011 (même rémunération),
– le 25 mai 2011 à effet du 10 août 2011 au 1er juillet 2012 (rémunération de 165 K€ + celle proportionnelle),
– le 8 octobre 2012 à effet du 14 août 2012 au 1er juillet 2013 (même rémunération),
– le 2 décembre 2015 à effet du 9 mai 2015 au 30 juin 2016 (rémunération de 195K€),
– le 8 novembre 2017 à effet du 1er septembre 2017 au 30 juin 2018 (rémunération de 97,5K€).
La cour retient de ce contexte juridique que l’employeur a organisé une dépendance professionnelle forte du salarié à son égard, exclusive d’activités tierces de nature à remettre en cause la tenue à disposition de l’employeur
La cour retient en conséquence que l’employeur est redevable du complément de salaire sur la base du différentiel entre ce qu’il a perçu et ce qu’il aurait dû recevoir, pour la période de septembre à décembre 2015.
Pour les mois concernés le calcul est le suivant :
Perçu
Solde restant dû
12 au 31 août 2000
0
(absence d’engagement)
Septembre
3 750
27 062,50 – 3 750 = 23 212,50
Octobre
5 000
27 062,50 – 5 000 = 22 062,50
Novembre
5 625
27 062,50 – 5 625 = 21 437,50
15 au 31 décembre
15 000
27 062,50 – 15 000 = 12 062,50
soit => 78 875 euros brut
Il sera fait droit à la demande à hauteur de la somme de 78 875 euros à titre de rappel de salaire brut, sous réserve des cotisations sociales outre les congés payés incidents de 7 887,50 euros, sous même réserve.
Sur le rétablissement correspondant au rétablissement rétroactif de sa rémunération par suite de la modification unilatérale de sa rémunération et sa durée de travail depuis le 1er avril 2017
M. [S] sollicite une somme de 146 408,12 euros à ce titre en indiquant que sa rémunération moyenne est passée de 27 062,50 euros à 25 216,67 euros à compter du 20 mars 2017 par suite de la suppression des journées de travail le vendredi dans le cadre de la nouvelle organisation de l’émission et des enregistrements. Il indique que son salaire a, « par la suite, chuté à 12 649,38 euros sur les trois derniers mois de la relation de travail (avril à juin 2018) et même à 14 427,29 euros sur les douze derniers mois de travail (juillet 2017 à juin 2018 une chute moyenne de 12 635,21 euros/mois a minima en principal, hors congés payés, ajoutant que la concentration des enregistrements pouvant atteindre 10 émissions sur une seule journée ce qui n’a pas été accompagné d’une augmentation corrélative de sa rémunération. Il fait valoir que ses demandes de régularisation, notamment par courrier du 14 mars 2017 sont restées vaines.
La société expose que fin mars 2017 a été installé un nouveau format « magazine » de l’émission « les Guignols » qui s’est caractérisé par l’abandon de la production de l’émission en direct, la nouvelle formule ne requérant plus de coller à l’actualité du jour, de sorte qu’il a été possible de regrouper les enregistrements de l’émission sur les quatre premiers jours de la semaine. Elle ajoute que la demande du salarié tendant à se voir rémunérer rétroactivement la journée du vendredi (1 250 euros) depuis cette date est infondée et que le changement de format de l’émission n’a pas augmenté le volume de la charge de travail sur les 4 jours travaillés, observant qu’il n’est d’ailleurs pas formé de demande de paiement d’heures supplémentaires à ce titre. Elle soutient que M. [S] ne justifie d’aucune garantie contractuelle quant au maintien d’une rémunération pour le vendredi.
Sur ce,
La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne portant que sur le terme du contrat, il convient d’apprécier la valeur et la portée sur la rémunération du salarié des différents contrats conclus par les parties.
La modification des prestations d’enregistrement de l’émission « Les Guignols », qui a prévalu à compter du 14 mars 2017 a constitué un choix d’organisation qui relève du pouvoir discrétionnaire de l’employeur.
Le passage d’une émission enregistrée quotidiennement dans un contexte de suivi direct de l’information, à une émission de format différent, de type magazine, a nécessairement eu un impact sur la répartition des jours de présence travaillée dès lors que les émissions devenaient ainsi pré-enregistrées.
Le salarié ne produit pas d’élément de nature à établir que le volume antérieur de travail aurait été identique, alors que le regroupement des enregistrements a pu au contraire générer des gains de temps. Il n’est pas non plus allégué d’heures supplémentaires.
Il demeure que les circonstances objectives de modification du format de l’émission et des conditions de travail ont correspondu à une réduction de la rémunération antérieure, alors que l’employeur ne pouvait pas modifier celle-ci sans l’accord du salarié, dont la demande est dès lors fondée en son principe, étant rappelé que par la convention d’exclusivité précitée.
Il convient dès lors, au vu des bulletins de salaire produits au débat, de fixer comme suit l’indemnisation de la perte de salaire sur la base du salaire de référence retenu :
Mois
Salaire de référence
Rémunération brute allouée
Solde dû
Avril 2017
27 062,50
– 22 500
4 562,50
Mai
27 062,50
– 18 750
8 312,50
Juin
27 062,50
– 17 500
12 875
Juillet
27 062,50
– 12 254,92
14 807,58
Août
27 062,50
– (2 500+514,62)
24 047,88
Septembre
27 062,50
– 13 750
13 312,50
Octobre
27 062,50
– 12 500
14 562,50
Novembre
27 062,50
– (15 000+19 644,05+129,78)
– 7 711,33
Décembre
27 062,50
– 7 500
19 562,50
Janvier 2018
27 062,50
– (26 147,43+170,40+87,50+13 750)
– 13 092,83
Février
27 062,50
– 12 500
14 565,50
Mars
27 062,50
– (175+12 987,56)
13 899,94
Avril
27 062,50
– 10 000
17 062,50
Mai
27 062,50
– 8 750
18 312
Soit au total d’avril 2017 à mai 2018 inclus
378 875
– 227 111,26
155 079,24
Il convient dès lors de faire droit à la demande dans la limite de la somme sollicitée de 146 408,12 euros brut sous réserve de déduction des cotisations sociales.
Cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les échéances alors échues, puis pour celles postérieures à compter de leurs échéances respectives.
4- Sur la rupture du contrat de travail et ses conséquences financières
4-1- Sur la rupture du contrat de travail
M. [S] fait valoir que la rupture de son contrat de travail sans écrit a nécessairement constitué une rupture sans cause réelle et sérieuse.
Il indique être à la retraite depuis le 1er janvier 2013 et demande d’une part de constater que du fait de son statut d’artiste de spectacle il pouvait continuer son emploi salarié au sein de la société NPA PRODUCTION, d’autre part de constater la suppression par l’employeur de l’émission « Les Guignols le 31 mai 2018 » de sorte que la rupture de son contrat de travail à durée indéterminée par lettre du 31 mai 2018 visant son admission à la retraite ne peut lui être opposé comme cause légitime de rupture.
La société NPA PRODUCTION demande de constater la mise à la retraite d’office de M. [S] sur le fondement de l’article L.1237-5 du code du travail, par lettre signifiée à ce dernier le 31 mai 2018 par ses soins, de juger que cette mise à la retraite emporte rupture de la relation de travail, et de constater qu’en conséquence de cette mise à la retraite une indemnité de mise à la retraite d’un montant de 67 516 euros lui a été servie au terme de son préavis de 3 mois.
La société se prévaut de ce que cette lettre de mise à la retraite ne constitue pas une lettre de licenciement, ajoutant qu’en tout état de cause M. [S] ne l’avait pas informée de ce qu’il avait été admis à la retraite en janvier 2013, de sorte que cette circonstance lui est inopposable.
Sur ce,
Selon les dispositions de l’article L1237-5 du code du travail :
La mise à la retraite s’entend de la possibilité donnée à l’employeur de rompre le contrat de travail d’un salarié ayant atteint l’âge mentionné au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale sous réserve des septième à neuvième alinéas :
Un âge inférieur peut être fixé, dans la limite de celui prévu au premier alinéa de l’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, dès lors que le salarié peut bénéficier d’une pension de vieillesse à taux plein au sens du code de la sécurité sociale :
1° Dans le cadre d’une convention ou d’un accord collectif étendu conclu avant le 1er janvier 2008 fixant des contreparties en termes d’emploi ou de formation professionnelle ;
2° Pour les bénéficiaires d’une préretraite ayant pris effet avant le 1er janvier 2010 et mise en ‘uvre dans le cadre d’un accord professionnel mentionné à l’article L. 5123-6 ;
3° Dans le cadre d’une convention de préretraite progressive conclue antérieurement au 1er janvier 2005 ;
4° Dans le cadre du bénéfice de tout autre avantage de préretraite défini antérieurement à la date de publication de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites et ayant pris effet avant le 1er janvier 2010.
Avant la date à laquelle le salarié atteint l’âge fixé au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale et dans un délai fixé par décret, l’employeur interroge par écrit le salarié sur son intention de quitter volontairement l’entreprise pour bénéficier d’une pension de vieillesse.
En cas de réponse négative du salarié dans un délai fixé par décret ou à défaut d’avoir respecté l’obligation mentionnée à l’alinéa précédent, l’employeur ne peut faire usage de la possibilité mentionnée au premier alinéa pendant l’année qui suit la date à laquelle le salarié atteint l’âge fixé au 1° de l’article L. 351-8 du code de la sécurité sociale.
La même procédure est applicable les quatre années suivantes.
Lorsque le salarié a atteint l’âge de 70 ans, l’accord de celui-ci n’est plus requis.
Si M. [S] établit avoir été admis à faire valoir ses droits à la retraite par la CPAM depuis le 1er janvier 2013 soit, pour être né le [Date naissance 3] 1946 à l’âge de 66 ans et 8 mois, donc bien antérieurement à la décision de NPA PRODUCTION de mettre fin à son contrat, il ne justifie cependant avoir porté cette information à la connaissance de son employeur, de sorte qu’en application de l’obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail, il ne peut, en tout état de cause, opposer a posteriori cette circonstance à NPA PRODUCTION, étant au surplus relevé qu’à la date du 1er janvier 2013 il n’avait pas encore atteint le seuil prévu par L351-8 du code de la sécurité sociale auquel renvoie l’article L.1237-5 du code du travail (seuil de 67 ans / 62 + 5 ans ).
Il ne conteste pas qu’une indemnité de mise à la retraite d’un montant de 67 516 euros lui a été servie au terme de son préavis de 3 mois, bien que contestant la régularité de cette rupture.
La cour retient qu’au jour de notification par la société NPA Production de la rupture du contrat de travail pour cause de retraite, le 31 mai 2018, alors que ce seuil de 70 ans était franchi, la société NPA PRODUCTION a pu, au regard des dispositions combinées des articles L1237-5 du code du travail, L351-8 et L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale que NPA PRODUCTION valablement notifier au salarié la fin de son contrat de travail, dès lors qu’ à cette date il avait atteint l’âge de 72 ans, cette rupture ne pouvant dès lors être assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il s’en déduit que le salarié est mal fondé à invoquer un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et qu’il doit être débouté de ses demandes subséquentes à ce titre : indemnité de licenciement, de licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour non-respect de la procédure.
5- Sur les autres demandes
Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris,
Statuant à nouveau
REQUALIFIE le contrat de travail entre la société NPA PRODUCTION et M. [G] [S] en contrat de travail à durée indéterminée, à effet au 4 septembre 1988,
CONDAMNE la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION dite NPA PRODUCTION à payer à M. [G] [S] :
– 20 137,21 euros au titre de l’indemnité de requalification avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,
– 78 875 euros à titre de rappel de salaire brut, sous réserve des cotisations sociales outre les congés payés incidents de 7 887,50 euros, sous même réserve,
– 146 408,12 euros brut au titre du rappel de salaire d’avril 2017 à mai 2018 inclus sous réserve de la déduction des cotisations sociales outre les congés y afférents de 14 640,81 euros brut sous même réserve,
DIT que les sommes allouées au titre de rappel de salaires porteront intérêt au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les échéances alors échues, puis pour celles postérieures à compter de leurs échéances respectives,
CONSTATE la rupture du contrat de travail par la notification qui en a été faite à M. [G] [S] par la société NPA PRODUCTION le 31 mai 2018 au visa de l’article L1237-5 du code du travail, qui a constitué la cause de la rupture,
DÉBOUTE en conséquence M. [G] [S] de ses demandes d’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et défaut de respect de la procédure de licenciement, ainsi que d’indemnités de rupture,
CONDAMNE la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION dite NPA PRODUCTION à payer à M. [G] [S] la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société NULLE PART AILLEURS PRODUCTION dite NPA PRODUCTION aux dépens de première instance et d’appel, qui pourront pour ceux d’appel être recouvrés par le conseil de M. [G] [S] dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
– Prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– Signé par Madame Maryse LESAULT, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LA PRÉSIDENTE,