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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 10
ARRET DU 01 JUIN 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/07811 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B55GT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Avril 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 16/11523
APPELANT
Monsieur [I] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081
INTIMEE
SAS [Adresse 6] prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Céline FABIE VERDIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1897
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
– contradictoire
– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [I] [V] a été engagé par la SAS [Adresse 6], suivant contrat à durée indéterminée du 24 mai 2007, à effet au 1er août 2007, en qualité de responsable de caisse, après avoir occupé un poste de caissier, dans la même société, du 7 septembre 2002 au 24 mai 2007, aux termes d’une succession de contrats à durée déterminée.
Le contrat de travail prévoyait que le salarié perçoive un salaire fixe et une rémunération brute sous forme de pourcentage, calculés à hauteur de 13,50 % de l’ensemble des commissions et droits de garde hors taxes générés par le service de billetterie du théâtre.
Le 23 septembre 2009, le salarié a signé un avenant prévoyant que le pourcentage serait désormais appliqué sur l’ensemble des places vendues par le [Adresse 6], que ce soit par le théâtre directement, ou par le biais des sites Internet et partenaires revendeurs.
Le 25 avril 2016, il a été proposé au salarié la signature d’un nouvel avenant au contrat de travail prévoyant que le montant des droits de garde sur lequel il était commissionné serait limité à 3 euros. Le salarié a refusé de signer cet avenant.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 4 335,33 euros (moyenne sur les 12 derniers mois).
Le 18 novembre 2016, M. [I] [V] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 1er décembre 2016. Cette convocation étant assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.
Le 25 novembre 2016, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur équivalent à un licenciement nul et demander des rappels de prime de fin d’année et d’ancienneté et des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Le 8 décembre 2016, le salarié s’est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :
« Ainsi que nous vous l’avons exposé lors de l’entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :
ll convient de rappeler que vous avez été embauché au sein du [Adresse 7] à compter du 07 septembre 2002 et que vous occupiez, au dernier état de notre relation de travail, le poste de « Responsable caisse ».
Vous avez notamment pour mission de vendre des billets, à la caisse lorsque les clients s’y présentent,ou par téléphone lorsque les clients appellent.
Contexte des difficultés :
Suite au départ de votre ancien collègue et ami, Monsieur [E] [Z], vous avez manifesté le souhait de reprendre majoritairement le poste de Monsieur [Z], et bénéficier ainsi d’une promotion professionnelle, prétendant percevoir un salaire de 63 350 euros, ce que le [Adresse 7] vous a refusé, vous préférant Madame [O] [P].
A compter du refus qui vous a été opposé fin août 2016, nous avons eu à déplorer de votre part un comportement inacceptable, tant dans l’exécution des tâches qui vous étaient confiées, que dans vos rapports à vos collègues de travail et à votre hiérarchie.
A de nombreuses reprises, nous avons eu à déplorer le dénigrement de vos collègues, l’utilisation d’un ton (moqueur, méprisant) inapproprié et déplacé, des critiques des décisions de la direction et des initiatives contraires aux intérêts du [Adresse 7] qui vous emploie.
Les illustrations de ce comportement inadmissible sont notamment les suivantes :
– Le 05 septembre 2016, alors que Madame [P] venait de prendre ses fonctions, vous
avez laissé sans réponse pendant plus de 24 heures une demande de réservation de 150/200
places émanant de notre partenaire ENDERED (Mme [H]), au prétexte que Madame [P] avait désormais en charge les collectivités. Notre client a du vous relancer avant que vous ne le redirigiez vers votre collègue, manifestant ainsi un désintérêt évident pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
– Puis, sous le couvert de votre ancienneté, vous n’avez eu de cesse d’intimer des ordres et de donner des instructions a Madame [P], qui n’est pas votre subordonnée, sur un ton sec et directif qui ne sied pas au bon fonctionnement de l’entreprise et en particulier à l’intégration de votre nouvelle collègue.
06/09/2016 : « Merci [O] de ne toucher à rien concernant Théatre in [Localité 5] »
07/09/2016 : « Merci de ne pas intervenir sur ce revendeur sans contingent »
– De même, vous n’avez eu de cesse de souligner insidieusement que les fonctions de Madame [P] ne vous incombaient pas, en demandant, par exemple, de ne vous mettre en copie uniquement des mails concernant les collectivités, plutôt que parmi les destinataires principaux, sous-entendant que cela ne vous concernait que très indirectement (07/09/2016) ;
– Puis vous avez cessé, de fait, de réaliser des ventes par téléphone, estimant que ces ventes
incombaient uniquement à Madame [P], en décrochant votre combiné, rendant ainsi la caisse injoignable pendant plus d’une heure, ce dont plusieurs clients se sont plaints. Cela m’a conduit à vous adresser le 08 septembre 2016 un mail de recadrage pour clarifier l’organisation du service Billetterie.
– Lorsqu’il vous a été demandé de bien vouloir renseigner au besoin Madame [P] sur le fonctionnement du service Billetterie, vous avez juge humiliant « d’avoir à former la personne à qui nous venions de confier le poste qui « aurait dû[vous] être proposé dans le cadre de [votre] évolution logique de carrière » (09/09/2016).
– Puis, lorsqu’il vous a été demandé d’éditer le 22 septembre 2016 nominativement les places des revendeurs TOL et O Théâtro, vous avez répondu que cela était impossible, alors que cela ne concerne qu’une trentaine de places par représentation, refusant ainsi de suivre les instructions qui vous étaient données.
– Puis, lorsqu’il vous a été demandé d’appeler [A] [C] chaque jour pour lui faire un point sur le remplissage du 19h, vous avez refusé de le faire en prétextant qu’il était plus simple qu’elle vous appelle, refusant à nouveau d’exécuter les directives de votre hiérarchie (23/09/2016).
– Fin septembre 2016 encore, notre partenaire CHECK THEATRE a du nous relancer pour que soient éditées 4 factures qui auraient dû l’être depuis bien longtemps, cette tâche vous
incombant à nouveau, ce qui témoigne évidemment d’une grande négligence dans l’accomplissement de votre tâche. Nous apprendrons plus tard que vous vous êtes autorisé,
pour ce client, à débiter sa carte bancaire sans l’en avertir et sans son autorisation.
A nouveau le 28 septembre 2016, une cliente s’est plainte de n’avoir pu contacter le service
billetterie.
– Encore le 28 septembre 2016, vous avez commis une erreur, soit volontaire, soit par pure
négligence, en immobilisant la loge C plutôt que la loge B conformément à nos instructions.
– Puis le 29 septembre 2016, vous avez pris l’initiative de « libérer » un dossier sur le logiciel de billetterie, ce qui a eu pour effet d’annuler une réservation que Madame [W] [K],
Administratrice du théâtre avait faite pour Madame [X] [T], qui est une
programmatrice extrêmement importante, sans même avertir votre supérieure hiérarchique.
– Puis, encore, le 29 septembre 2016, vous avez prétexté ne pas pouvoir faire la salle au motif que le tarif -20% n’existait pas dans notre logiciel alors que non seulement ce tarif existe et que vous auriez pu le constater en consultant l’accès pro de nos revendeurs, comme Ticketac par exemple, témoignant ainsi d’une désinvolture toujours plus grande dans l’exercice de vos fonctions.
– Puis, le 30 septembre 2016, vous avez refusé de vendre à un client présent au guichet des
places pour le 19 octobre suivant, au prétexte que la vente n’était ouverte que par téléphone, contraignant ainsi le client à téléphoner sur place, depuis le hall du théâtre pour réserver ses places, et les payer au guichet quelques minutes plus tard, ce qui n’a pas manqué d’agacer notre client et donner une très mauvaise image de notre société.
– Puis à nouveau le 18 octobre 2016, alors qu’il vous a été demandé de placer les invités de Madame [L] [M], vous n’avez pas pu vous empêcher de souligner à nouveau que la mission des relations publiques devrait revenir à Madame [P], manifestant encore votre agacement quant au refus du Théâtre de vous confier les missions de Monsieur [Z], et participant ainsi de la dégradation continuelle de l’ambiance de travail et des relations avec vos collègues.
– Puis le 03 octobre 2016, nous avons été informés qu’alors que [N] [U] avait négligé de répondre à une demande de remboursement d’une cliente, vous avez pris l’initiative de procéder à ce remboursement depuis le 26 août 2016 sans même consulter la Direction, et en conservant, de surcroît, par devers vous le coupon de remboursement, ce qui empêchait de mentionner ce remboursement sur notre logiciel.
– Puis, vous avez encore dénigré la stratégie commerciale de notre société en émettant à
plusieurs reprises des commentaires désobligeants sur « l’entétement» de la Direction à
« donner du kiosque à -50% là ou du -30% sur les sites se solderait par le quintuple de la
vente », en indiquant non sans amertume ni mépris que « ne faisant pas partie de la stratégie commerciale, [vous aimeriez] néanmoins, si possible bien sur, comprendre ce que [vous exécutez] »,
– Puis le 25 octobre 2016, vous avez garé votre vélo dans la descente des escaliers vers
l’orchestre pair, au prétexte qu’on avait failli vous le voler antérieurement, alors que les clients empruntent cet escalier, ce que je vous ai fait personnellement remarquer en vous demandant de le déplacer, pour des raisons de sécurité évidentes. Deux heures plus tard, alors que les clients sortaient du Théâtre, votre vélo n’avait pas bougé, ce qui montre encore que vous ne tenez aucun compte des remarques qui vous sont faites, quitte à exposer notre société à des risques dont vous avez été averti.
– Puis le 2 novembre 2016, Madame [L] [M] nous a informé que les ventes avaient été coupées la veille à 18h30 alors que le Kiosque ferme à 19h30 et que c’est généralement sur la dernière demi-heure qu’il peut y avoir un pic d’affluence. De plus, seuls des strapontins avaient été proposés alors qu’aucune directive ne vous avait été donnée en ce sens. ll en résulte nécessairement un préjudice pour le Théâtre puisque les strapontins se vendent naturellement moins bien que les fauteuils.
Lorsque la remarque vous en a été faite, vous avez prétendu agir « pour l’image du théâtre » qui n’est gérée que par la Direction et pas par vous. Ce type d’initiative, qui excède largement le cadre de vos fonctions est manifestement désavantageuse pour le Théâtre, ce que vous ne pouviez ignorer (…)
– Puis le 04 novembre 2016, vous avez appelé le Kiosque pour leur dire qu’il ne fallait pas mettre de places en vente ce jour, alors que la Direction avait précisément donné une instruction contraire pour une vingtaine de places, prenant ainsi le contrepied des instructions qui vous étaient données.
– Puis, encore, le 04 novembre 2016, il a été nécessaire de vous rappeler que chaque jour, vous deviez vérifier que des fichiers ne soient pas bloqués sur l’ordinateur pour que le logiciel permette efficacement la gestion de nos places, ce que vous savez pertinemment compte tenu de votre ancienneté.
– Puis le 05 novembre 2016, à un simple mail de Madame [W] [K] concernant la répartition des places de l’après-midi, vous avez répondu sur un ton totalement inapproprié qu’il s’agirait d’une contestation quasi permanente et systématique de votre travail. Cette réaction, qui témoigne encore de la rancoeur qui est la votre de n’avoir obtenu la promotion à laquelle vous aspiriez, est inacceptable dans vos relations avec votre supérieure hiérarchique et totalement inadaptée à des conditions sereines de travail.
– Puis le 15 novembre 2016, alors qu’il vous a été demandé de stopper la vente des catégories 4 et 5 pour continuer à vendre la catégorie 3, vous avez à nouveau exprimé de façon abrupte et méprisante votre désaccord avec la stratégie commerciale décidée par la Direction (« bug ou stratégie »).
– Encore le 18 novembre, vous avez insidieusement critiqué le choix de la Direction de donner 30 fauteuils au kiosque plutôt qu’aux sites, alors qu’il ne vous appartient pas de commenter, de critiquer ou de juger des choix stratégiques ou commerciaux de l’entreprise.
– Puis le 23 novembre 2016, Madame [P] nous a informé qu’elle avait retrouvé, en
rangeant les bureaux de caisse, 5 chèques de revendeurs / agences non encaissés dans votre tiroir, dont certains très anciens. Par ailleurs, elle a également trouvé 3 chèques de collectivités dont Madame [P], en charge des collectivités (comme cela ne vous a pas échappé…) ignorait l’existence et qu’elle avait relancées à plusieurs reprises. Ces clients prétendaient, pourtant, avoir réglé les factures correspondantes. Encore une fois, il s’agit d’une négligence manifeste et nécessairement volontaire de votre part, qui porte préjudice à l’image du Théâtre et entrave son bon fonctionnement (…)
– Surtout, le 19 octobre 2016, alors que Monsieur [B] [S] venait de vendre 19 places au guichet au prix de 56 euros sans aucune protestation du client, vous avez rappelé ce client, pour annuler la vente et lui faire bénéficier d’un tarif de groupe, au prix unitaire de 44,50 euros (42 € +2.50 € de droit de garde), alors que ce tarif n’est applicable qu’à partir de 20 places, générant ainsi un manque à gagner non négligeable pour le théâtre. Par ailleurs, le client étant venu au guichet, aucun droit de garde ne lui était facturable.
Au-delà du manque à gagner généré pour le Théâtre, cette manipulation à eu pour effet d’intégrer cette vente à l’assiette de calcul de votre rémunération variable (…)
Alors que les ventes de billets directement réalisées au guichet n’ouvrent droit à aucun droit de garde, en proposant aux clients des tarifs réduits (destinés à des revendeurs spécifiques), vous leur imposez un droit de garde qui aboutit à augmenter votre rémunération. Ainsi, sur des billets à 56 € au tarif guichet (sans droit de garde), vous vous êtes complu à proposer le tarif de 47 € (soit 44,50 € + 2,50 € de droit de garde) diminuant ainsi la recette du [Adresse 7] d’une part et augmentant de fait votre rémunération d’autre part.
Ce constat nous a amenés à vous interroger sur cette pratique, ce a quoi vous avez répondu
que votre démarche était justifiée par le souci de ne pas perdre de ventes pour les clients qui s’apercevraient que les billets sont parfois moins chers sur des sites internet de revendeurs qu’au guichet ou au téléphone… aucune instruction, ni aucune autorisation n’a pourtant jamais été émise (ni même sollicitée de votre part) en ce sens ; il est donc totalement inadmissible que vous vous soyez octroyé le droit de proposer des tarifs de ventes à prix réduit au guichet ou au téléphone sans aucune autorisation de la Direction.
Face a ce constat, nous avons vérifié les ventes réalisées par ce biais depuis le septembre 2012 et il nous est apparu que cette opération frauduleuse avait été réalisée plus de 7 500 fois…
Ce faisant, vous avez fait perdre énormément d’argent au Théâtre sur la vente des billets au guichet et au téléphone, sans aucune autorisation de la Direction pour appliquer des tarifs différents que ceux du guichet et du téléphone, et par la même, vous avez considérablement augmenté votre rémunération de façon totalement indue, encore au préjudice du Théâtre, ce qui est totalement inadmissible et confine à l’escroquerie.
Ces actes d’insubordination manifeste, répétés, préjudiciables au bon fonctionnement du [Adresse 7], la dégradation de l’ambiance de travail de votre seul fait, vos écarts de conduite et le ton inadapté que vous employez depuis 3 mois à l’égard de votre hiérarchie ou de vos collègues de travail, vos négligences persistantes et manifestement volontaires, vos manoeuvres destinées à augmenter de façon indue votre rémunération sont autant de faits qui constituent une faute grave rendant impossible votre maintien, même temporaire, dans l’entreprise ».
Le 3 avril 2018, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Activités diverses, a statué comme suit :
– déboute M. [I] [V] de l’ensemble de ses demandes
– déboute la SAS [Adresse 6] au titre de sa demande article 700 du code de procédure civile
– déboute la SAS [Adresse 6] de sa demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive
– laisse les dépens à la charge de M. [I] [V].
Par déclaration du 18 juin 2018, M. [I] [V] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 04 juin 2018.
Cette déclaration d’appel ayant été effectuée à deux reprises à des heures différentes le 18 juin 2018, elle a été enregistrée sous les numéros RG 18/07811 et 18/07815.
Il sera ordonné la jonction des deux procédures sous le n°RG 18/07811.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 7 mars 2022, aux termes desquelles M. [I] [V] demande à la cour d’appel de :
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 3 avril 2018, en ce qu’il a
débouté Monsieur [V] de l’intégralité de ses demandes
Et statuant de nouveau de :
– débouter la SAS [Adresse 6] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions y compris de mise à l’écart de la pièce n°28 de M. [V]
– fixer la moyenne mensuelle brute des salaires de Monsieur [I] [V] sur les 12 derniers mois à 4 952,25 euros bruts
– juger que la SAS [Adresse 6] a gravement manqué à ses obligations contractuelles envers Monsieur [I] [V] en :
* maintenant Monsieur [V] pendant plus de 5 ans dans une situation de grande précarité en multipliant les CDD et CDDU, pour un emploi normal et permanent au sein de la société
* ne proposant une régularisation du contrat de travail de Monsieur [V] en un CDI que le 24 mai 2007, et en reculant la prise d’effet dudit contrat abusivement au 1er août 2007
* exerçant à plusieurs reprises de fortes et répétées pressions à l’encontre de Monsieur [V] afin de le contraindre à signer un avenant à son contrat de travail, et par la suite dans le but de le pousser à la faute en l’absence de régularisation dudit avenant
* rejetant sans aucun motif la candidature de Monsieur [V] pour le poste de responsable de la billetterie, et en ne lui octroyant pas d’augmentation de salaire lors de la période de mai à septembre 2016, dans le cadre de laquelle la société lui avait transféré le poste de travail précité
* ne lui permettant pas de bénéficier de temps de pause effectifs
* ne lui attribuant pas, contrairement à l’ensemble de ses collègues, le bénéfice de la prime d’ancienneté, ni de fin d’année
* le privant de tout salaire par le biais d’une mise à pied totalement abusive
A titre principal
– juger que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [V] aux torts et griefs de la SAS [Adresse 6] équivaut à un licenciement nul
A titre subsidiaire
– juger la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [V] aux torts et griefs de la SAS [Adresse 6] équivalent à un licenciement sans cause réelle et sérieuse
A titre infiniment subsidiaire
– juger que l’ensemble des griefs développés dans la lettre de licenciement par la SAS [Adresse 6] sont dépourvus de cause réelle et sérieuse
En conséquence
– juger l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Monsieur [V]
En conséquence et en tout état de cause sur la rupture :
– condamner la SAS [Adresse 6] à verser à Monsieur [I] [V] les sommes suivantes :
* 9 904,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 990,45 € de congés payés afférents
* 17 085,65 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
* 104 000 euros (24 mois), à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice particulièrement important subi par Monsieur [V] du fait du licenciement
En tout état de cause :
– condamner la SAS [Adresse 6] à verser à Monsieur [I] [V] les sommes suivantes :
* 315 euros au titre du rappel de salaire pour le mois d’août 2016 et 31,50 euros de congés payés afférents ou à tout le moins, la somme de 346,50 euros à titre de dommages et intérêts * 1 520 euros, correspondant aux primes d’ancienneté non perçues entre 2002 et 2010
* 8 800 euros, et 880 euros de congés payés afférents, correspondant aux primes de fin d’année non perçues entre 2013 et 2016
* 719,72 euros, correspondants au paiement du salaire restant à devoir pour la mise à pied
* 52 000 euros (12 mois), en réparation des manquements contractuels dans l’exécution de son contrat de travail
* 52 000 euros (12 mois), en réparation du harcèlement subi
– condamner la SAS [Adresse 6] à délivrer les bulletins de paie et le certificat de travail conformes au jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, dont la cour se réservera le contentieux de la liquidation
– condamner la SAS [Adresse 6] à régulariser la situation de Monsieur [I] [V] auprès des organismes sociaux, tant en ce qui concerne l’URSSAF, la retraite de base, que la retraite complémentaire ainsi que le régime de prévoyance, et à remettre à Monsieur [V] les justificatifs de régularisation pour chaque organisme dans un délai de deux mois à compter du prononcé, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document dont la cour se réservera la liquidation
– condamner la SAS [Adresse 6] à payer les intérêts au taux légal sur les condamnations à venir à compter de la réception par l’employeur de la convocation en bureau de conciliation ainsi que de l’anatocisme conformément à l’article 1343-2 du code civil
– condamner la SAS [Adresse 6] au paiement de la somme de 6 000 euros au profit de Monsieur [V], au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens et éventuels frais d’exécution.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 18 février 2022, aux termes desquelles la SAS [Adresse 6] demande à la cour d’appel de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 3 avril 2018 en ce qu’il a débouté Monsieur [V] de l’intégralité de ses demandes
– infirmer le jugement entrepris par le conseil de prud’hommes de Paris le 3 avril 2018 en ce qu’il a débouté la société de ses demandes reconventionnelles
En conséquence
– condamner Monsieur [V] au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner Monsieur [V] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de la procédure abusive
– condamner Monsieur [V] aux entiers dépens.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 9 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur la demande de rappel de prime d’ancienneté
M. [I] [V] fait grief à l’employeur de ne pas lui avoir servi, durant toute la durée de la relation contractuelle, la prime d’ancienneté prévue par la convention collective applicable et perçue par les autres salariés du théâtre et de n’avoir régularisé cette situation qu’en décembre 2015 mais uniquement pour les 5 dernières années non prescrites. Il sollicite, en conséquence, la somme de 1 520 euros à titre de rappel pour les primes non versées entre 2002 et 2010.
La cour retient qu’il n’est aucunement justifié par le salarié que ses collègues auraient perçu une prime d’ancienneté pour la période de 2002 à 2010 alors qu’elle n’était pas prévue par les dispositions conventionnelles applicables à cette époque et qu’il n’est donc pas fondé à solliciter un rappel de salaire et de congés payés ou des dommages-intérêts à ce titre, étant observé que même si l’employeur ne sollicite pas l’irrecevabilité de la demande de rappel de prime dans le dispositif de ses écritures, celle-ci se trouvait prescrite à la date de saisine du conseil de prud’hommes.
C’est donc à bon escient que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande de ce chef.
2/ Sur la demande de rappel de prime de fin d’année
Le salarié appelant affirme qu’il a aussi été privé de la prime de fin d’année que percevait l’ensemble des salariés du théâtre de manière constante et régulière, ainsi qu’en témoigne le tableau qu’il produit aux débats (pièce 29) et il revendique une somme de 8 800 euros et 880 euros de congés payés afférents à titre de rappel de prime pour les années 2013 à 2016.
La société intimée répond que le versement d’une prime de fin d’année n’a pas été prévue par la convention collective applicable, pas plus dans le contrat de travail à durée indéterminée signé par le salarié et qu’il n’est pas démontré qu’elle constituait un usage au sein de la société.
La cour rappelle que l’usage d’entreprise se caractérise par trois critères cumulatifs : la constance, la généralité et la fixité. En l’espèce, il ressort de la lecture du tableau « récapitulatif des primes de fin d’année versées au salarié du théâtre de 2006 à 2015 » produit par M. [I] [V] qu’au moins 7 salariés ne percevaient pas cette prime et que ceux qui l’ont touchée ne l’ont pas toujours perçue pour toutes leurs années de présence dans la société. Enfin, l’analyse des montants versés ne permet pas de mettre en évidence un mode de calcul fixe qui aurait régi le versement des primes litigieuses.
Il s’en déduit qu’aucun des trois critères cumulatifs n’est rempli pour considérer que le versement d’une prime de fin d’année à certains salariés constituait un usage au sein de la société permettant à l’appelant de revendiquer un rappel de salaire pour les primes non perçues. C’est donc à juste titre que les premiers juges l’ont débouté de ses demandes de ce chef.
3/ Sur la demande de rappel de rémunération pour la période de remplacement de M.[Z]
M. [I] [V] fait valoir qu’à compter du licenciement de son collègue M. [Z] en mai 2016, il a été amené, durant deux mois, à le remplacer dans ses fonctions de responsable de caisse, sans pour autant percevoir le complément de rémunération correspondant aux responsabilités exercées, il demande, donc, une somme de 315 euros, outre 31, 50 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire pour les mois d’août 2016, ou, à tout le moins, 346,50 euros à titre de dommages-intérêts pour avoir été privé de cette rémunération.
Cependant, à défaut pour le salarié de justifier par un quelconque moyen avoir occupé pendant deux mois les fonctions de responsable de billetterie exercées précédemment par M. [Z], le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de sa demande de rappel de salaire et de dommages-intérêts, ainsi que de ses demandes de délivrance sous astreinte de bulletins de paie rectifiés et de régularisation auprès des organismes sociaux.
4/ Sur l’exécution déloyale du contrat de travail
Outre les manquements précédemment évoqués, M. [I] [V] fait grief à l’employeur de :
– l’avoir maintenu pendant plus de 5 ans dans une situation de précarité en l’employant par le biais de 5 contrats de travail à durée déterminée d’usage et 8 contrats de travail à durée déterminée successifs pour occuper un poste normal et permanent de responsable de caisse au sein du [Adresse 6].
– ne lui avoir proposé un contrat de travail à durée indéterminée, pour continuer son activité, qu’à compter du 24 mai, tout en différant sa prise à effet au 1er août 2017, ce qui a prolongé sans raison sa situation de précarité
En conséquence, il sollicite une somme de 26 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Mais, si le salarié évoque un préjudice d’anxiété et social qu’il aurait subi du fait d’un maintien prolongé dans une situation de précarité et les difficultés qu’il aurait rencontrées pour trouver un logement, il ne produit aucune pièce justifiant de la réalité de ce préjudice, de sa nature et de son étendue. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté M. [I] [V] de sa demande de ce chef.
5/ Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. [I] [V] soutient qu’il a été victime d’un processus de harcèlement moral visant à le faire démissionner, qui s’est amplifié à compter du mois d’avril 2016, lorsqu’il a refusé de voir sa part variable contractuelle réduite de manière significative. Il ajoute, que deux autres de ses collègues caissiers, à savoir M. [Z] et Mme [U] ont, également, subi les mêmes agissements de l’employeur visant à les faire quitter la société soit par eux-même ou au moyen d’un licenciement pour faute, de manière à réduire la masse salariale dans la perspective de la vente du théâtre qui est intervenue à la fin de l’année 2017.
M. [I] [V] explique qu’alors qu’il a toujours été prévu, dans ses contrats de travail successifs, qu’il perçoive un pourcentage du montant des commissions versées par les agences pour l’achat de places pour les spectacles joués au [Adresse 6], l’employeur a essayé de lui imposer, le 25 avril 2016, que l’assiette de cette rémunération variable soit plafonnée à un montant de 3 euros TTC maximum du droit de garde appliqué.
M. [I] [V] ayant refusé, tout comme son collègue M. [Z], de signer cet avenant qui réduisait sa rémunération variable, il affirme avoir subi des brimades de l’administratrice du théâtre et directrice des ressources humaines, Mme [K] destinées à le faire quitter l’entreprise, ainsi qu’en atteste Mme [U] (pièce 26).
Par la suite, l’employeur a mis en place une stratégie pour le pousser à la faute et justifier son licenciement, ainsi, qu’en témoigne les notes prises par Mme [E], gestionnaire de paie, dans un cahier où elle relatait le compte rendu de ses réunions avec Mme [K] (pièce 28) et où il apparaît que dès le mois d’avril 2016, l’employeur aurait envisagé de licencier M. [I] [V] et M. [Z] pour faute en raison de leurs refus de signer l’avenant à leurs contrats de travail.
M. [Z] a d’ailleurs été licencié dès le mois de mai 2016 et alors que M. [I] [V] l’a remplacé dans ses fonctions pour les mois de juin et août 2016, il n’a pas perçu d’augmentation de sa rémunération pour ces deux mois mais surtout il ne lui a pas été proposé d’occuper définitivement cet emploi pour lesquels il présentait la formation et l’expérience nécessaires et la société intimée a préféré recruter une salariée extérieure, le privant de cette chance de promotion.
M. [I] [V] reproche, également, à l’employeur de l’avoir privé de ses temps de pause et contraint à travailler les mercredis jusqu’à 9 heures d’affilées, ainsi qu’en attestent les plannings (pièce 23).
Le salarié rappelle, en outre, que le 22 novembre 2016, il s’est vu notifié une mise à pied, sans la moindre justification objective et qu’il a été privé de toute rémunération jusqu’à son licenciement pour faute.
En conséquence, M. [I] [V] sollicite une somme de 26 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la dégradation des conditions de travail lié au harcèlement moral subi.
La société intimée répond, à titre liminaire, qu’il n’a jamais été envisagé de réduire la rémunération variable du salarié en le contraignant à signer, en avril 2016, un avenant à son contrat de travail, mais que le théâtre, pour faire face à des difficultés financières, a envisagé d’augmenter les droits de garde de 2,50 euros appliqués sur les billets qui n’étaient pas achetés au guichet. Dans le même temps, il a été décidé que le commissionnement du salarié serait plafonné à un montant de 3 euros de droit de garde. Il en résultait que si le droit de garde était maintenu à 2,50 euros, le salarié ne percevrait aucune baisse de sa rémunération variable et que si le droit de garde était augmenté, le salarié percevrait une augmentation de sa rémunération variable mais dans les limites d’un certain plafond.
L’employeur se défend d’avoir exercé des pressions pour contraindre le salarié à signer ce nouvel avenant à son contrat de travail ou de l’avoir sanctionné en raison de son refus et souligne que la demande de résiliation judiciaire au motif d’un harcèlement moral a été formée devant le conseil de prud’hommes après que M. [I] [V] ait reçu sa convocation à un entretien préalable à son licenciement pour faute.
Le [Adresse 6] relève qu’aucune situation concrète de harcèlement n’est décrite par M. [I] [V] et que le cahier supposément annoté par la gestionnaire de paie qu’il verse aux débats n’est pas suffisamment probant pour établir une volonté ancienne de l’employeur de le licencier et des man’uvres mises en ‘uvre à cet effet, dès lors qu’il est impossible de dater les mentions figurant dans ce document et de vérifier leur objectivité.
La société intimée indique, encore qu’il lui appartenait dans l’exercice de son pouvoir de direction d’apprécier quel était le candidat le plus utile pour remplacer M.[Z] dans ses fonctions. L’employeur réfute avoir privé le salarié de ses temps de pause le mercredi en expliquant que si ceux-ci n’étaient pas mentionnés sur les plannings c’était parce que les salariés de la caisse convenaient entre eux du moment de leur pause déjeuner, ainsi qu’en atteste un courriel sur ce sujet qu’il verse aux débats (pièce 53) et une attestation de Mme [O] [P] (pièce 59).
Enfin, l’employeur rappelle qu’à partir du moment où il a mis en ‘uvre un licenciement pour faute grave à l’encontre du salarié, il était en droit de le mettre à pied à titre conservatoire dans l’attente de la décision sur son licenciement.
En l’état de ces éléments, la cour observe que le salarié ne précise pas les brimades qu’il aurait subies de la part de Mme [K], et le témoignage de Mme [U], licenciée pour faute par l’employeur n’est pas plus précis sur ce point. Il est impossible de s’assurer que le cahier renseigné par Mme [E] a bien été tenu au fur et à mesure des événements qu’il relate et ce document ne fait état que de sa perception subjective de la situation et non de propos précis et datés.
D’ailleurs, il n’y est aucunement mentionné qu’il aurait été envisagé de rechercher des fautes à imputer à M. [I] [V] pour le licencier, mais, qu’à la suite de son refus de signature de l’avenant il serait envisagé une augmentation de son fixe ou sinon une « sortie ».
Les agissements dénoncés par le salarié à savoir le rejet de sa candidature au poste de
M. [Z] et sa mise à pied à titre conservatoire n’excèdent pas le pouvoir de direction ou disciplinaire de l’employeur et il n’est aucunement démontré que le salarié aurait été privé de ses temps de pause le mercredi. Enfin, il est relevé que M. [I] [V] ne s’est jamais plaint d’avoir été victime de fait de harcèlement moral durant la relation contractuelle, qu’il ne produit aucun élément médical justifiant d’un éventuel retentissement de ces agissements sur son état de santé et que sa dénonciation du comportement de la société intimée n’est intervenue qu’après le déclenchement par cette dernière d’une procédure de licenciement. Il s’ensuit qu’à défaut de présenter des éléménts suffisants pour laisser présumer l’existence d’un harcèlement, c’est à bon droit que les premiers juges ont débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes à ce titre.
6/ Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Les dispositions combinées des articles L. 1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.
Il appartient à M. [I] [V] d’établir la réalité des manquements reprochés à son employeur et de démontrer que ceux-ci sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La résiliation prononcée produit les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs si, ayant engagé l’instance en résiliation de son contrat de travail, le salarié a continué à travailler au service de l’employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d’envoi de la lettre de licenciement; c’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
La réalité et la gravité de ces manquements sont appréciés à la date où la juridiction statue et non à la date où ils se sont prétendument déroulés.
M. [I] [V] fonde sa demande de résiliation judiciaire sur l’ensemble des manquements précédemment évoqués et qui ont été écartés. S’agissant du fait qu’il aurait été abusivement maintenu dans la précarité aux termes d’une succession de contrats de travail à durée déterminée et de contrats de travail à durée déterminée d’usage conclus en dehors du cadre légal, l’ancienneté de ce grief, même s’il était établi, ne permet pas de considérer qu’il rendait impossible le maintien de la relation contractuelle près de 10 ans plus tard.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur et de ses demandes subséquentes.
7/ Sur le licenciement pour faute grave
L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il appartient à l’employeur d’en apporter la preuve.
Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché au salarié :
– des insubordinations consistant dans :
‘ le refus réitérés d’exécuter les directives ou le constat de la mauvaise exécution volontaire des tâches confiées, notamment en refusant d’éditer des billets nominatifs conformément à la demande qui lui avait été faite ou en refusant d’appeler une autre salariée du théâtre pour l’informer du niveau de remplissage pour la représentation du soir (pièces 32, 35), cette salariée témoignant de la mauvaise volonté mise par le salarié dans la transmission d’informations essentielles au bon fonctionnement du théâtre à compter de septembre 2016 (pièce 95)
‘ le dénigrement des collègues (Madame [O] [P] par emails du 6 septembre 2016 et Madame [A] [C]). Il est, aussi, reproché au salarié de n’avoir pas traité pendant 24 heures une demande de réservation de 150 et 200 places en catégorie ‘or’ pour une représentation, puis, après une relance du client, d’avoir indiqué à celui-ci qu’il n’était pas en charge des groupes et qu’il avait transmis la commande à Mme [O] [P] (ce qu’il avait omis de faire) en s’excusant de la réponse tardive de cette dernière
‘ l’utilisation d’un ton inapproprié et déplacé dans ses correspondances (pièces 20 et 21). Mme [O] [P] attestant qu’après sa nomination en remplacement de M.[Z] elle s’était trouvée en butte à l’hostilité du salarié qui refusait de travailler avec elle (pièce 59)
‘ les critiques des décisions de la Direction (pièces 14, 15, 45, 46, 49)
– une exécution déloyale de son contrat de travail au préjudice du théâtre, notamment, en refusant de répondre aux clients souhaitant commander des billets au guichet par téléphone, en considérant que ces prérogatives revenaient à Mme [P] et alors même qu’il lui avait été rappelé le 8 septembre 2016 que cette charge revenait aux caissiers (pièce 26, 87, 22, 27) ou bien encore en conservant dans son tiroir des chèques destinés à Mme [P], ou en éditant avec retard des factures et en débitant sans l’en avertir la carte bancaire du client concerné (pièce 37, 51) et aussi en appelant le Kiosque pour leur dire de ne pas mettre de places en vente alors que la Direction avait donné une instruction contraire pour une vingtaine de places (pièce 47) au motif qu’il ne percevait pas de commission sur ces ventes non affectées d’un droit de garde
– un manque de probité consistant à ne pas avoir encaissé en temps utile 5 chèques de revendeurs qui n’ont pu être perçus, par la suite, en raison de leur caractère trop ancien (pièces 51, 90, 50, 55, 56). Il est fait grief au salarié d’avoir pratiqué un tarif groupe qui n’était pas applicable en l’espèce, en dehors de toute autorisation et accord de la Direction, tout en facturant des frais de garde non dus, puisque le client était venu au guichet, mais qui lui permettaient de toucher une commission (pièce 60, 48, 52). La société intimée a, également, découvert que le salarié proposait régulièrement des tarifs préférentiels aux clients réservant leurs places au guichet alors que ces prix préférentiels étaient réservés aux achats sur internet, L’ensemble de ces agissements ayant généré un manque à gagner que le théâtre a évalué à 86 790,50 euros.
Mais, la cour relève que M. [I] [V] n’a pas refusé de communiquer des informations sur le niveau de remplissage du théâtre pour la représentation du soir à une autre salariée mais suggéré qu’il était plus simple que celle-ci l’appelle puisqu’elle était difficilement joignable. Il n’est pas établi par l’employeur que M. [I] [V] a tardé à transmettre à Mme [P] une demande de réservation pour 150 à 200 places puisqu’il n’est pas versé aux débats le mail de transfert de la réservation reçu par l’appelant.
Les mails versés aux débats par l’employeur et qui constitueraient selon lui une critique des décisions de la Direction font tous état d’interrogations ou de suggestions du salarié mais ne peuvent aucunement être interprétés comme une remise en cause de la stratégie commerciale de la société.
Le reproche fait au salarié d’avoir appliqué un tarif réduit, similaire aux tarifs pratiqués sur internet, pour des ventes effectuées au guichet est contredit par le témoignage des deux anciens caissiers du théâtre qui affirment que, non seulement, la société intimée avait connaissance de cette pratique mais qu’elle l’encourageait puisque la politique du théâtre étaient que les salles soient remplies et optimisées au maximum et qu’il aurait été incohérent de refuser à un client le tarif dont il aurait pu bénéficier en passant par internet.
En revanche, il n’est pas contesté autrement que par de simples dénégations du salarié que celui-ci a fait preuve de mauvaise volonté dans sa collaboration avec Mme [P] qui a été nommée sur un poste qu’il convoitait, qu’il a omis de transmettre des chèques de clients ce qui a rendu leur encaissement impossible et qu’il a oublié de remettre à Mme [P] des chèques de collectivité dont elle aurait du être destinataire. Il est, également, établi que M. [I] [V] a cherché à limiter les ventes de billets au guichet ou par le Kiosque puisque celles-ci ne comportaient pas de droits de garde et qu’elles ne lui permettaient pas de toucher de commissionnement.
Si ces agissements sont incontestablement fautifs, ils ne rendaient pas, pour autant, impossible le maintien de la relation contractuelle pendant le préavis au regard des 14 années d’ancienneté de M. [I] [V] et de l’absence de toute sanction disciplinaire préalable.
Le licenciement sera donc dit fondé sur faute constitutive d’une cause réelle et sérieuse et le jugement infirmé de ce chef.
Le salarié peut légitimement prétendre aux sommes suivantes :
– 8 670,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, correspondant à deux mois de salaire
– 867 euros au titre des congés payés y afférents
– 14 956,89 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
– 719,72 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.
Il sera ordonné à la SAS [Adresse 6], de délivrer dans les deux mois suivant la notification de la présente décision un certificat de travail conforme, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.
8/ Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive
La SAS [Adresse 6] reproche au salarié d’avoir saisi le conseil de prud’hommes, dès la réception de sa convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement, de manière à tenter de faire obstacle à cette mesure en invoquant des griefs infondés à l’encontre de son employeur, dont certains datant de plus de dix années.
En conséquence, la société intimée sollicite une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Toutefois, eu égard aux précédents développements et à la requalification du licenciement fondé sur une faute grave en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, il n’y a pas lieu de considérer que la procédure engagée par le salarié était abusive ou dilatoire et la société intimée sera déboutée de sa demande de ce chef.
9/ Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2016, date à laquelle l’employeur a réceptionné sa convocation à l’audience du bureau de conciliation et d’orientation.
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
La SAS [Adresse 6] supportera les dépens de première instance et d’appel et sera condamnée à payer à M. [I] [V] une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Prononce la jonction de la procédure enregistrée sous le n°RG 18/07815 et de la procédure enregistrée sous le n°RG 18/07811, sous ce dernier numéro,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
– débouté M. [I] [V] de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail, de rappel de prime d’ancienneté, de prime de fin d’année et congés payés affréents, de rappel de rémunération et congés payés afférents pour la période de remplacement de
M. [Z], de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi que de ses demandes de délivrance sous astreinte de bulletins de salaire rectifiés et de régularisation auprès des organismes sociaux
– débouté la SAS [Adresse 6] au titre de sa demande article 700 du code de procédure civile
– débouté la SAS [Adresse 6] de sa demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement de M.[I] [V] fondé sur une faute constitutive d’une cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS [Adresse 6] à payer à M. [I] [V] les sommes suivantes :
– 8 670,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 867 euros au titre des congés payés y afférents
– 14 956,89 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
– 719,72 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire.
– 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2016,
Ordonne la capitalisation des intérêts pourvus qu’ils soient dus pour une année entière,
Ordonne à la SAS [Adresse 6], de délivrer dans les deux mois suivant la notification de la présente décision un certificat de travail conforme,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne la SAS [Adresse 6] aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,