Contester la publicité massive donnée à une sanction de la DGCCRF
Contester la publicité massive donnée à une sanction de la DGCCRF

Le principe de la publication d’une sanction 

La DGCCRF est en droit de donner un maximum de visibilité aux sanctions prononcées contre une société. En effet, le législateur a entendu, d’une part, permettre à l’autorité administrative compétente de tenir compte de l’exigence d’intérêt général qui s’attache à la protection des consommateurs et à l’information des tiers intéressés et, d’autre part, renforcer cette exigence en prévoyant, en principe, la publication de la décision prononçant la sanction et en ne permettant à l’autorité administrative de décider le report, l’anonymisation ou l’absence d’une telle publication que dans des cas limitativement énumérés, notamment en cas de risque d’un préjudice grave et disproportionné pour la personne sanctionnée. 

L’exception de gravité 

Il ne peut être exclu toutefois que, dans certaines circonstances particulières, la publication d’une décision de sanction cause à cette personne un préjudice d’une telle gravité qu’il pourrait y avoir urgence à suspendre cette publication jusqu’à ce que le juge se soit prononcé au fond.

L’exemple du Crédit Agricole

Par une décision du 17 octobre 2022, la directrice départementale de la protection des populations de l’Essonne a prononcé à l’encontre de la société Crédit Agricole Consumer Finance une amende d’un montant total de 169 250 euros pour démarchage téléphonique abusif et ordonné la publication de cette mesure de sanction pendant trente jours sur la page d’accueil du site internet de la société ainsi que sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et sur ses comptes Facebook et Twitter.

Aux termes de l’article L. 223-1 du code de la consommation : 

« Le consommateur qui ne souhaite pas faire l’objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s’inscrire sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique. 

Il est interdit à un professionnel, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur inscrit sur cette liste, sauf lorsqu’il s’agit de sollicitations intervenant dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours et ayant un rapport avec l’objet de ce contrat, y compris lorsqu’il s’agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l’objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité ». 

Aux termes de l’article L. 242-16 du même code :

 » Tout manquement aux dispositions des articles L. 223-1 à L. 223-5 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. 

Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V. Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 522-6, la décision prononcée en application du présent article par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est publiée aux frais de la personne sanctionnée. 

L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut décider de reporter la publication d’une décision, de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes : 

1° Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné ; 

2° Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours « . Aux termes de l’article L. 522-6 de ce code : » La décision prononcée par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée « .

Publication sur les réseaux sociaux 

Si la publication du communiqué sur les pages Facebook et Twitter de la DGCCRF est de nature à entraîner une plus large diffusion de l’information relative à la sanction prononcée à l’encontre de la société requérante, compte tenu du nombre cumulé d’abonnés à ces pages, supérieur à 100 000, de la présence parmi ceux-ci notamment d’associations de consommateurs et des modalités de fonctionnement de ces réseaux sociaux, cet impact potentiel est à mettre en perspective avec le nombre total de clients, précédemment mentionnés, de la société requérante ainsi qu’avec les capacités, notamment financières, dont elle dispose pour mener ses propres campagnes d’information et de communication. 

Enfin, les termes du communiqué dont la publication est imposée à la société requérante indique de façon suffisamment précise que le motif de la sanction prononcée à son encontre est fondé sur le démarchage téléphonique de consommateurs, non pas sans aucune relation contractuelle antérieure mais sans relation contractuelle en rapport avec l’objet des appels téléphoniques.


Tribunal administratif de Versailles, 2 décembre 2022, n° 2208284

Vu les autres pièces du dossier, notamment la requête au fond n° 2208283 de la société requérante.

Vu :

— le code de la consommation ;

— la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 ;

— le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Bélot, premier conseiller, en application de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique tenue le 28 novembre 2022 à 11h00, en présence de Mme Jean, greffière d’audience :

— le rapport de M. Bélot, juge des référés,

— et les observations de Me Utzschneider et Me Salha, représentant la société Crédit Agricole Consumer Finance, qui ont repris leurs écritures en les développant.

L’instruction a été close à l’issue de l’audience à 11h40.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision ou de certains de ces effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ». Aux termes de l’article R. 522-1 du même code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit contenir l’exposé au moins sommaire des faits et moyens et justifier de l’urgence de l’affaire ». Il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d’un acte administratif est subordonné notamment à une condition d’urgence. L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

2. Par une décision du 17 octobre 2022, la directrice départementale de la protection des populations de l’Essonne a prononcé à l’encontre de la société Crédit Agricole Consumer Finance une amende d’un montant total de 169 250 euros et ordonné la publication de cette mesure de sanction pendant trente jours sur la page d’accueil du site internet de la société ainsi que sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et sur ses comptes Facebook et Twitter. La société Crédit Agricole Consumer Finance demande au juge des référés de suspendre, en application des dispositions, citées au point 1, de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de cette décision, en tant qu’elle a ordonné sa publication, quel que soit le support de cette publication, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.

3. Aux termes de l’article L. 223-1 du code de la consommation : « Le consommateur qui ne souhaite pas faire l’objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s’inscrire sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique. / Il est interdit à un professionnel, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur inscrit sur cette liste, sauf lorsqu’il s’agit de sollicitations intervenant dans le cadre de l’exécution d’un contrat en cours et ayant un rapport avec l’objet de ce contrat, y compris lorsqu’il s’agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l’objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité ». Aux termes de l’article L. 242-16 du même code :  » Tout manquement aux dispositions des articles L. 223-1 à L. 223-5 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. / Cette amende est prononcée dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre V. / Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 522-6, la décision prononcée en application du présent article par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est publiée aux frais de la personne sanctionnée. / L’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut décider de reporter la publication d’une décision, de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes : / 1° Lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné ; / 2° Lorsque la publication serait de nature à perturber gravement le déroulement d’une enquête ou d’un contrôle en cours « . Aux termes de l’article L. 522-6 de ce code : » La décision prononcée par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée « .

4. Par ces dispositions, le législateur a entendu, d’une part, permettre à l’autorité administrative compétente de tenir compte de l’exigence d’intérêt général qui s’attache à la protection des consommateurs et à l’information des tiers intéressés et, d’autre part, renforcer cette exigence en prévoyant, en principe, la publication de la décision prononçant la sanction et en ne permettant à l’autorité administrative de décider le report, l’anonymisation ou l’absence d’une telle publication que dans des cas limitativement énumérés, notamment en cas de risque d’un préjudice grave et disproportionné pour la personne sanctionnée. Il ne peut être exclu toutefois que, dans certaines circonstances particulières, la publication d’une décision de sanction cause à cette personne un préjudice d’une telle gravité qu’il pourrait y avoir urgence à suspendre cette publication jusqu’à ce que le juge se soit prononcé au fond.

5. En l’espèce, il n’est pas sérieusement contestable que la mesure de publication en litige est de nature à causer à la société requérante, au moins temporairement, un préjudice d’image et un préjudice financer résultant d’une perte de clientèle existante et d’une plus grande difficulté à acquérir de nouveaux clients. Toutefois, il résulte de l’instruction et des données publiques librement accessibles que la société Crédit Agricole Consumer Finance est, selon ses propres termes, un établissement de crédit de premier plan, filiale de l’une des plus grandes banques du monde, gère un encours d’environ 92 milliards d’euros pour quinze millions de clients situés dans dix-neuf pays et réalise un produit net bancaire de 2 milliards d’euros et un résultat net supérieur à 600 millions d’euros. Par ailleurs, le site internet de la société requérante, sur lequel la mesure de publication est imposée, est un site institutionnel et non un site commercial, ce qui est de nature à limiter ses effets sur la clientèle existante ou potentielle, ainsi que cela est confirmé par les données d’audience versées au dossier et faisant état d’environ 200 000 visiteurs sur les dix premiers mois de l’année 2022, soit 20 000 visiteurs sur un mois, durée de la mesure de publication en cause. En outre, si la publication du communiqué sur les pages Facebook et Twitter de la DGCCRF est de nature à entraîner une plus large diffusion de l’information relative à la sanction prononcée à l’encontre de la société requérante, compte tenu du nombre cumulé d’abonnés à ces pages, supérieur à 100 000, de la présence parmi ceux-ci notamment d’associations de consommateurs et des modalités de fonctionnement de ces réseaux sociaux, cet impact potentiel est à mettre en perspective avec le nombre total de clients, précédemment mentionnés, de la société requérante ainsi qu’avec les capacités, notamment financières, dont elle dispose pour mener ses propres campagnes d’information et de communication. Enfin, les termes du communiqué dont la publication est imposée à la société requérante indique de façon suffisamment précise que le motif de la sanction prononcée à son encontre est fondé sur le démarchage téléphonique de consommateurs, non pas sans aucune relation contractuelle antérieure mais sans relation contractuelle en rapport avec l’objet des appels téléphoniques. Il ne résulte pas de l’instruction que l’absence, dans ce communiqué, de précisions supplémentaires portant sur les services concernés et les changements intervenus depuis lors dans les procédures mises en œuvre soit de nature à aggraver significativement le préjudice subi par la société requérante. Dans ces conditions, la publication de la décision de sanction prononcée à l’encontre de la société Crédit Agricole Consumer Finance n’apparaît pas de nature à lui causer un préjudice d’une gravité telle que la condition d’urgence exigée par les dispositions, citées au point 1, de l’article L. 521-1 du code de justice administrative puisse être regardée comme remplie.

6. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de suspension de l’exécution de la décision du 17 octobre 2022 de la directrice départementale de la protection des populations de l’Essonne en tant qu’elle ordonne la publication de la mesure de sanction administrative prononcée à l’encontre de la société Crédit Agricole Consumer Finance, quel que soit le support de cette publication, doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Crédit Agricole Consumer Finance est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Crédit Agricole Consumer Finance et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la directrice départementale de la protection des populations de l’Essonne.

Fait à Versailles, le 2 décembre 2022.

Le juge des référés

Signé

S. Bélot

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


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