Contester la prime exceptionnelle d’un dirigeant  

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Contester la prime exceptionnelle d’un dirigeant  
Ce point juridique est utile ?

L’action sociale ut universi est une action en responsabilité civile qui ne peut viser à obtenir l’annulation d’une délibération ou d’une décision de gestion d’une société (vote sur la prime accordée à un dirigeant). En conséquence, la juridiction a rejeté la demande d’annulation d’une délibération de conseil d’administration.

En l’espèce, la prime accordée à un dirigeant, trois mois avant son départ n’a pas non plus été considérée comme une faute détachable de son mandat de gestion. Les comptes des exercices ayant été approuvés par les actionnaires, il n’appartenait pas au tribunal de se substituer aux  organes sociaux ou de se prononcer sur la pertinence des montants de primes alloués.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

16 EME CHAMBRE

25/03/2022

RG 2019029974

ENTRE : SA X. , dont le siège social est […] demanderesse : assistée de Me Michel LACORNE Avocat (T1106) et comparant par Me Nicole DELAY-PEUCH Avocat (A377)

ET :

M. A X, demeurant […] et encore […]

Partie défenderesse : assistée de Me Romuald COHANA Avocat (A0387) et comparant par la SCP ERIC NOUAL NICOLAS DUVAL Avocats (P493)

APRES EN AVOIR DELIBERE

Les faits

La SA Y. est une société holding, contrôlée par la famille de M. C Z, et détenant 98,65% des actions de la SA X. , active dans la production audiovisuelle. En avril 2013, M. A X qui était directeur salarié des productions depuis 2008, est nommé directeur général délégué de X. .

Le 16 décembre 2016 M. C Z prend la présidence et la direction générale de X.  et M. X est désigné président du directoire d’Y. en conservant ses fonctions salariées et sociales au sein de X. .

Le 29 mai 2018 M. C Z décède et le 16 juillet 2018 M. X est désigné président directeur général de X. . Le 30 janvier 2019, M. X a perçu de X.  une prime exceptionnelle de 268 750 euros.

Le 19 février 2019, M. X démissionne de ses mandats de président du directoire d’Y. et de président directeur général de X. .

Le 11 avril 2019 M. X est licencié de ses fonctions de directeur des productions de X. . Le 21 mars 2019 M. X a saisi le Conseil de Prud’hommes pour a faire reconnaître la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

En parallèle, X.  a introduit le présent litige devant ce tribunal pour obtenir la restitution de la prime exceptionnelle ci-dessus.

Ainsi se présente l’affaire.

La procédure

Par acte en date du 9 mai 2019, signifié à domicile certain de M. X, X.  assigne M. X. Par cet acte et par ses conclusions récapitulatives IV déposées à l’audience du 2 décembre 2021, X. , dans le dernier état de ses prétentions, demande au tribunal de :

Débouter M. X de ses demandes, Prononcer la nullité de la « prime exceptionnelle » de 268 750 euros allouée à M. X le 30 janvier 2019 ainsi que la nullité de toute délibération y afférant, Condamner M. X à rembourser à X.  la somme de 268 750 euros,

Condamner M. X à payer la somme de 50 000 euros à X. , à titre de dommages et intérêts, Ordonner l’exécution provisoire, Condamner M. X à payer la somme de 20 000 euros à X.  aux demandeurs (sic) au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ses conclusions récapitulatives n°4 déposées à l’audience du 4 novembre 2021, M. X, dans le dernier état de ses prétentions, demande au tribunal de:

A titre liminaire :

Dire irrecevables les demandes de X. ,.

A titre principal: Débouter X.  de toutes ses demandes,

En tout état de cause :

Condamner X.  à ordonner la levée de la saisie conservatoire pratiquée sur le compte joint de M. et Mme X à hauteur de 88 339,03 euros sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, Condamner X.  à payer à M. X la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, Condamner X.  à payer à M. X la somme de 50 000à euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, Condamner X.  aux dépens.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet de dépôt de conclusions : celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure.

A l’audience de mise en état du 2 décembre 2021, le tribunal a désigné un juge chargé d’instruire l’affaire.

Régulièrement convoquées à l’audience dudit juge le 17 février 2022, les parties se présentent par leur conseil respectif. Après avoir entendu leurs observations, le tribunal a prononcé la clôture des débats, et annoncé que le jugement, mis en délibéré, serait prononcé par mise à disposition des parties le 25 mars 2022, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

Conformément à l’article 871 du code de procédure civile le juge chargé d’instruire l’affaire a rendu compte au tribunal dans son délibéré.

Moyens des parties et motivation

Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties, tant dans leurs plaidoiries que dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal les résumera succinctement de la manière suivante et statuera sur les demandes après l’exposé des moyens correspondants de chaque partie.

1. Sur la recevabilité des demandes de X.

M. X soutient que X.  demande deux fois le remboursement de la prime litigieuse : Dans ses conclusions reconventionnelles du 7 octobre 2020 devant le conseil de prud’hommes, ce qui montre que c’est un litige salarial, Dans son assignation du 9 mai 2019 devant ce tribunal, en expliquant qu’il s’agit d’une prime de départ, relevant des conventions réglementées. Cette double demande, fondée sur deux moyens différents devant deux juridictions différentes est une violation du principe de loyauté. La présente demande sera donc déclarée irrecevable.

X.  réplique que la recevabilité de ses demandes n’est pas en cause, seul l’examen du fond permettra de trancher cette question. En revanche, la question soulevée par M. X est celle de la compétence du tribunal de commerce. Toutefois, ayant déjà conclu au fond, M. X n’est plus recevable à soulever cette exception. X.  réplique également que la double demande alléguée participe à l’exception de litispendance. Au visa de l’article 100 du code de procédure civile, la juridiction saisie en second lieu, le conseil de prud’hommes doit se dessaisir au profit du tribunal de commerce saisi en premier. Mais M. X n’a pas soulevé cette exception devant le conseil de prud’hommes.

Sur ce, le tribunal

Attendu que M. X fonde sa demande d’irrecevabilité sur la violation par X.  du principe de loyauté, qu’il soutient que cette violation résulte d’une contradiction de moyens entre la demande effectuée devant ce tribunal et celle devant le conseil de prud’hommes,

Attendu cependant que le tribunal ne peut se prononcer à ce stade de la procédure sans avoir examiné le fond de l’affaire,

En conséquence,

– Le tribunal rejettera la demande d’irrecevabilité formée par M. X.

2. Sur le remboursement de la prime de 268 750 euros

X.  soutient que M. X a commis une faute dans l’exercice de ses mandats sociaux, dont elle demande réparation au visa de l’article L.225-251 du code de commerce. En effet, toute rémunération d’un mandataire social de société anonyme doit obéir aux règles des conventions réglementées (articles L.225-38 à L.225-42 du même code). Or M. X s’est alloué une prime exceptionnelle injustifiée, en violation des conditions légales rappelées ci-avant.

En l’espèce :

X.  distribuait certes usuellement des primes à ses salariés, mais celles de M. X sont exorbitantes (552 k en 2017, 481k en 2018 et 268 k en 2019),

Les primes allouées à M. X sont injustifiées car hors de proportion avec les usages de la profession et dé-corrélées des résultats 2018, qui sont mauvais,

Cette prime n’est pas salariale, puisqu’attribuée en fonction de la performance de la direction de X. . C’est donc une rémunération de mandataire social, La violation volontaire des dispositions de L.225-38 est établie : la prime est une indemnité de départ, il n’y aucune justification à cela pour X. , le formalisme des conventions réglementées n’a pas été respecté, Les conditions de vote du conseil d’administration du 4 décembre 2018 sont irrégulières, le quorum requis n’était pas atteint pour ce vote auquel M. X n’aurait pas dû prendre part. La violation de L.225-40 et L.225-37 entraine la nullité de la délibération.

M. X réplique que la prime litigieuse est une prime salariale, versée au directeur de production de X. , donc non soumise au régime des conventions réglementées. Le 4 décembre 2018, le conseil d’administration de X.  a simplement décidé le versement de primes à des salariés, dont M. X et Mme Y.

Cette pratique de primes exceptionnelles aux salariés de X.  a été initiée en 2014, M. X en a bénéficié chaque année, pour des montants parfois plus importants (par exemple 2016 et 17). Ce mécanisme d’attribution de primes aux salariés a été validé chaque année par les commissaires aux comptes de X. .

M. X s’oppose à l’allégation de fraude, en l’absence de toute dissimulation,

Sur ce, le tribunal

Attendu que l’action sociale ut universi est une action en responsabilité civile, qu’elle ne peut viser à obtenir l’annulation d’une délibération ou d’une décision de gestion, le tribunal rejettera la demande d’annulation de la délibération du conseil d’administration du 4 décembre 2018 formée par X. .

Attendu dès lors qu’il convient d’examiner si les agissements allégués à l’encontre de M. X sont constitutifs d’une faute détachable de son mandat de gestion,

Attendu de première part que l’attribution de la prime litigieuse est fondée sur la délibération du conseil d’administration de X.  du 4 décembre 2018, que le procès-verbal de cette décision mentionne notamment à l’ordre du jour « les primes exceptionnelles à accorder au personnel », que la décision prise concerne l’ensemble du personnel de X. ,

Attendu que les parties s’accordent au cours de l’audience du juge chargé d’instruire l’affaire pour reconnaître que Mme Y, salariée et non mandataire social de X. , a bénéficié également de l’attribution d’une prime dans ladite décision du conseil,

Attendu de deuxième part que lors du conseil d’administration de X.  du 21 novembre 2016, M. C Z – président directeur général de X. – a motivé sa décision d’attribuer pour l’exercice 2016 une prime totale de 50 000 euros à Mme Y et une prime totale de 370 000 euros à M. X, que ceci démontre que cette pratique d’attribution de primes existait préalablement à la prise de fonction de M. X en tant que PDG de X.  en juillet 2018,

Attendu que les comptes des exercices 2014 à 2018 ont été approuvés par les actionnaires de X. , qu’il n’appartient pas au tribunal de se substituer à ses organes sociaux ou de se prononcer sur la pertinence des montants de primes alloués,

Attendu enfin que la mention d’une prime « attribuée à M. X pour ses fonctions de direction » est le seul indice qui pourrait participer à établir que cette prime viendrait en rétribution du mandat social de M. X, attendu cependant que M. X a un emploi salarié de direction, que le terme ainsi employé est vague dans ce contexte et ne peut dès lors suffire en raison de tout ce qui précède à établir que la prime litigieuse relève exclusivement des conventions réglementées,

En conséquence, le tribunal retient que X.  échoue à démontrer que le versement de la prime litigieuse est lié à l’exercice du mandat social de M. X, que ce faisant M. X a commis une faute et rejettera la demande d’indemnisation correspondante formée par X. .

Attendu que Mme D Z a signé ès-qualités d’administrateur de X.  la délibération litigieuse le 4 décembre 2018, attendu que par attestation du 24 avril 2019 elle soutient que son consentement aurait été abusé, qu’elle aurait signé sans lire un document de 3 à 4 feuilles, qu’elle « n’aurait jamais donné son accord à une prime de 270 000 euros que son père, lui-même ne se serait jamais versée », attendu que le tribunal relève que le texte du procès-verbal tient quasiment sur une seule feuille, que l’argument de l’anormalité du montant alloué est inopérant en regard des primes auparavant attribuées à M. X par M. Z de son vivant,

Attendu que la prime litigieuse a été décidée le 4 décembre 2018, que M. X a démissionné de

ses mandats le 19 février 2019, soit plus de deux mois plus tard, attendu qu’aucun élément tangible ne vient soutenir l’allégation de l’octroi d’une indemnité de départ déguisée,

Attendu que la dissimulation alléguée n’est pas établie, que les conditions préalables à la reconnaissance d’une fraude ne sont pas réunies,

En conséquence,

– Le tribunal rejettera la demande de remboursement de la prime versée à M. X.

3. Sur la demande de dommages et intérêts de X.

X.  soutient que le caractère particulièrement malhonnête des agissements de M. X et la gravité de l’abus de ses fonctions justifient sa condamnation à des dommages et intérêts à hauteur de 50 000 euros.

Sur ce, le tribunal

Attendu que le tribunal n’aura pas fait doit aux moyens développés par X.  dans cette instance, il rejettera cette demande d’indemnisation complémentaire.

4. Sur la demande de dommages et intérêts de M. X pour procédure abusive

M. X soutient que la présente procédure, inutile et destinée à l’intimider, est abusive. Il en demande réparation à hauteur de 50 000 euros.

X.  est taisante sur ce moyen.

Sur ce, le tribunal

Attendu que le recours au juge pour faire trancher le litige n’excède pas le droit reconnu à toute personne de faire valoir ses prétentions par voie judiciaire et que M. X ne rapporte pas la preuve que X.  ait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, le tribunal rejettera la demande de dommages et intérêts présentée par M. X.

5. Sur la demande de levée de saisie conservatoire

M. X demande la levée de la saisie du compte bancaire joint ouvert au nom des époux X, opérée sur ordonnance du président du tribunal de commerce de Versailles du 27 mai 2019 à hauteur de 88 339,03 euros.

X.  est taisante sur ce moyen.

Sur ce, le tribunal

Attendu que le tribunal n’aura pas fait droit à la demande de restitution par M. X de la prime formée par X. , attendu que la saisie ordonnée n’était motivée que par cette demande,

En conséquence, le tribunal ordonnera la mainlevée de saisie formée par M. X.

6. Sur les demandes accessoires

Sur ce, le tribunal

Attendu que M. X, pour défendre ses droits, a dû engager des frais irrépétibles qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge ;

– Le tribunal condamnera X.  à verser la somme de 20 000 euros à M. X au titre de l’article 700 du code de procédure civile, rejetant le surplus de la demande.

Attendu que l’exécution provisoire de la décision à intervenir est demandée, qu’elle est compatible avec les circonstances de la cause et ne concerne que des sommes d’argent,

Le tribunal ordonnera l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Attendu, enfin, qu’elle succombe en ses prétentions, X.  sera condamnée aux dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort: Rejette la demande d’irrecevabilité formée par M. A X ;

Rejette toutes les demandes formées par la SA X.  ;

Ordonne la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur le compte joint

de M. et Mme A X ;

Condamne la SA X.  à verser la somme de 20 000 euros à . A X au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les demandes des parties autres, plus amples ou contraires ;

 Ordonne l’exécution provisoire du jugement;

Condamne la SA X.  aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 174,35 € dont 28,63 € de TVA.

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 février 2022, en audience publique, les représentants des parties ne s’y étant pas opposés, devant M. H-J K, juge chargé d’instruire l’affaire. Ce juge a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré du tribunal, composé de : M. G H I, M. H-J K, M. E F. Délibéré le 10 mars 2022 par les mêmes juges. Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. La minute du jugement est signée par M. G-H I, président du délibéré et par Mme Nathalie Raoult, greffier.

Le greffier Le président


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