→ Résumé de l’affaireM. [U] a reçu une obligation de quitter le territoire français le 18 décembre 2022, suivie d’une décision de placement en rétention le 22 juillet 2024. Il a contesté cette décision devant le juge des libertés et de la détention, qui a ordonné sa mise en liberté le 24 juillet 2024. Le Ministère public a interjeté appel de cette décision, soutenant que le placement en rétention était légal en vertu du CESEDA. L’affaire a été portée devant le tribunal le 26 juillet 2024, où le Ministère public et le préfet ont demandé le maintien de la rétention, tandis que l’avocat de M. [U] a plaidé pour sa libération en invoquant le défaut de base légale et d’examen sérieux de sa situation. M. [U] a exprimé son désir de mener une vie tranquille avec son épouse. |
→ L’essentielIrrégularité de la procédureL’appel relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) est recevable. Base légale de l’arrêté de placement en rétentionLes dispositions de la loi du 26 janvier 2024 ayant eu pour effet de fixer à trois années, au lieu d’un an, le délai suivant la notification de l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français pendant lequel une exécution d’office peut être décidée par l’autorité administrative ne sont pas rétroactives, en ce qu’elles ne s’appliquent pas antérieurement à son entrée en vigueur, puisque seule une décision d’assignation à résidence ou de placement en rétention administrative prise postérieurement à la loi nouvelle est susceptible d’avoir pour base légale un arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris depuis moins de trois ans. Examen de la situation individuelleIl résulte de l’article L. 741-6 du CESEDA que la décision de placement en rétention est écrite et motivée. Cette motivation doit retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l’administration pour prendre sa décision, ce qui signifie que l’autorité administrative n’a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Nom du ressortissant :
[F] [Y] [U]
PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE
C/
[U]
PREFET DE L’AIN
COUR D’APPEL DE LYON
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE SUR APPEL AU FOND
EN DATE DU 26 JUILLET 2024
statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers
Nous, Stéphanie LEMOINE, conseiller à la cour d’appel de Lyon, déléguée par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 18 juillet 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d’asile,
Assistée de lors des débats de Manon CHINCHOLE, greffier et lors de la mise à disposition de Ynes LAATER, greffier,
En présence du ministère public, représenté par Jean- Daniel REGNAULD, Avocat général, près la cour d’appel de Lyon,
En audience publique du 26 Juillet 2024 dans la procédure suivie entre :
APPELANT :
Monsieur le Procureur de la République près le tribunal de judiciaire de Lyon
représenté
ET
INTIMES :
M. [F] [Y] [U]
né le 09 Janvier 1993 à [Localité 3] (ALGÉRIE)
de nationalité Algérienne
Actuellement retenu au centre de rétention administrative de [4]
comparant, assisté de Maître Claire MANZONI, avocat au barreau de LYON, commis d’office et avec le concours de Madame [H] [M], interprète en langue arabe inscrite sur liste CESEDA, ayant prêté serment à l’audience
et
M. LE PRÉFET DE L’AIN
[Adresse 2]
[Localité 1]
non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Eddy PERRIN, avocat au barreau de LYON substituant Maître Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON
Avons mis l’affaire en délibéré au 26 Juillet 2024 à 16 heures 00 et à cette date et heure prononcé l’ordonnance dont la teneur suit :
Une obligation de quitter le territoire français a été notifiée à M. [U] le 18 décembre 2022 par le préfet de l’Ain.
Par décision du 22 juillet 2024, l’autorité administrative a ordonné le placement de M. [U] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire à compter du même jour.
Suivant requête du 23 juillet 2024, réceptionnée par le greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon le même jour, M. [U] a contesté la régularité de la décision de placement en rétention administrative.
Par une ordonnance du 24 juillet 2024 à 15 heures 06, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon a:
– déclaré recevable la requête de M. [U],
– déclaré irrégulière la décision de placement en rétention de M. [U],
– ordonné en conséquence la mise en liberté de M. [U].
Le Ministère public a interjeté appel de la décision par déclaration reçue au greffe le 24 juillet 2024 à 17 heures 06 avec demande d’effet suspensif.
Par ordonnance du 25 juillet 2024 à 14 heures 30, le conseiller délégué a déclaré recevable l’appel du ministère public et l’a déclaré suspensif.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 26 juillet 2024 à 10 heures 30.
M. [U] a comparu, assisté de son avocat.
Le Ministère public a déposé des conclusions, transmises aux parties avant l’audience, pour soutenir les termes de son appel.
Il fait valoir que c’est à tort que le premier juge a considéré que l’arrêté de placement en rétention était dépourvu de base légale, dès lors que les articles L.741-1 et L.731-1 du CESEDA permettent à l’autorité administrative de placer en rétention l’étranger qui fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français prise moins de trois ans auparavant pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n’a pas été accordé.
Il demande donc l’infirmation de l’ordonnance du premier juge et le maintien de l’intéressé en rétention.
Le préfet du Rhône, représenté par son conseil, s’est joint aux réquisitions du Ministère public et a demandé l’infirmation de l’ordonnance déférée et le maintien de la rétention administrative. Il a ajouté que M. [U] ne présente pas de garanties de représentation et qu’il représente une menace pour l’ordre public.
Le conseil de M. [U] a été entendu en sa plaidoirie. Elle conclut à la confirmation de l’ordonnance déférée en faisant valoir le défaut de base légale du placement en rétention de M. [U] en application du principe de non-rétroactivité de la loi. Elle reprend par ailleurs les moyens développés devant le premier juge, tirés du défaut d’examen individuel et sérieux de sa situation, de l’erreur manifeste d’appréciation de la menace à l’ordre public et quant à ses garanties de représentation.
M. [U] a eu la parole en dernier et a indiqué vouloir faire sa vie tranquillement avec son épouse présente à l’audience.
Sur la recevabilité de l’appel
L’appel relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) est recevable.
Sur le moyen tiré du défaut de base légale de l’arrêté de placement en rétention
L’article L. 741-1 nouveau du CESEDA, applicable depuis le 28 janvier 2024 dispose que « l’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L.731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision. »
L’article L. 731 -1 du même code, également entré en vigueur le 28 janvier 2024 et immédiatement applicable, prévoit quant à lui que « l’autorité administrative peut assigner à résidence l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français
mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable, notamment dans le cas où il fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n’a pas été accordé. »
Les dispositions de la loi du 26 janvier 2024 ayant eu pour effet de fixer à trois années, au lieu d’un an, le délai suivant la notification de l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français pendant lequel une exécution d’office peut être décidée par l’autorité administrative ne sont pas rétroactives, en ce qu’elles ne s’appliquent pas antérieurement à son entrée en vigueur, puisque seule une décision d’assignation à résidence ou de placement en rétention administrative prise postérieurement à la loi nouvelle est susceptible d’avoir pour base légale un arrêté portant obligation de quitter le territoire français pris depuis moins de trois ans.
Par ailleurs, l’expiration du délai d’un an visé par l’article L. 731-1 dans sa version antérieure au 28 janvier 2024 n’a nullement pour effet de rendre caduc l’arrêté portant obligation de quitter le territoire français, qui continue à produire des effets, l’étranger
restant toujours tenu de l’exécuter, ainsi qu’il résulte de l`article L. 711-1 du CESEDA.
ll s’ensuit que l’arrêté de placement en rétention administrative du 22 juillet 2024, fondé sur une obligation de quitter le territoire français notifiée moins de trois ans auparavant n’est pas dépourvu de base légale, ce qui conduit en conséquence à l’infirmation de l’ordonnance entreprise.
Sur le moyen pris du défaut d’examen de la situation individuelle
Il résulte de l’article L. 741-6 du CESEDA que la décision de placement en rétention est écrite et motivée.
Cette motivation doit retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l’administration pour prendre sa décision, ce qui signifie que l’autorité administrative n’a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté.
Pour autant, l’arrêté doit expliciter la ou les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention au regard d’éléments factuels pertinents liés à la situation individuelle et personnelle de l’intéressé et ce, au jour où l’autorité administrative prend sa décision, sans avoir à relater avec exhaustivité l’intégralité des allégations de la personne concernée.
Le conseil de M. [U] prétend que l’arrêté de placement en rétention du préfet du Rhône est insuffisamment motivé en droit et en fait en ne faisant pas mention du fait qu’il dispose d’un hébergement en France, chez sa belle-mère, à [Localité 1], dans l’attente d’un logement pour eux, pour lequel ils ont entamé des démarches. Il ajoute que son identité est connue des autorités puisqu’il a transmis une photocopie de son passeport lors de son audition. Il en conclut qu’il donne des éléments permettant de garantir sa représentation.
En l’espèce, l’arrêté du préfet 22 juillet 2024 a retenu au titre de sa motivation que M. [U]:
– n’a pas déféré aux deux mesures d’éloignement portant obligation de quitter le territoire français sans délai, prises à son encontre en 2021 et 2022,
– est défavorablement connu des services de police et de la justice pour des faits de violence en réunion, de violences aggravées, d’usages de stupéfiants, commis en 2023,
– est dépourvu de document d’identité et de domicile stable,
– a déclaré ne pas vouloir retourner dans son pays d’origine,
– représente une menace pour l’ordre public et ne dispose pas de garantie de représentation,
– n’a fait état d’aucun élément laissant présumer une situation de vulnérabilité.
Il convient de retenir que le préfet a pris en considération les éléments de la situation personnelle de M. [U] pour motiver son arrêté de manière suffisante et circonstanciée.
Dès lors, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation ne peut être accueilli.
Sur le moyen pris du trouble à l’ordre public et des garanties de représentation
L’article L. 741-1 du CESEDA dispose que «L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quarante-huit heures, l’étranger qui se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 lorsqu’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision.
Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l’article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente.» ;
La régularité de la décision administrative s’apprécie au jour de son édiction, au regard des éléments de fait connus de l’administration à cette date et l’obligation de motivation ne peut s’étendre au-delà de l’exposé des éléments qui sous-tendent la décision en cause.
Le conseil de M. [U] fait valoir qu’il n’a jamais fait l’objet de condamnation pénale, les faits pour lesquels il a été interpellé n’ont en outre fait l’objet d’aucune poursuite. Il ajoute qu’il dispose d’un hébergement en France, à [Localité 1], chez sa belle-mère et qu’il réalise des démarches avec son épouse afin de trouver un logement. Enfin, il précise qu’il dispose d’un passeport dont il a transmis la photocopie aux autorités et qu’il pourrait en conséquence bénéficier d’une assignation à résidence.
Il ressort de la procédure qu’au moment où l’autorité administrative a édicté l’arrêté de placement en rétention, M. [U] n’avait pas donné les justificatifs permettant de corroborer la domiciliation à [Localité 1] qu’il invoque dans le cadre de la présente instance, étant relevé en outre, qu’il a indiqué lors de son audition qu’il demeurait alors à [Localité 5], chez sa soeur, ce qui démontre un peu plus le défaut de stabilité de cette domiciliation.
Dès lors, il ne peut être reproché au préfet d’avoir considéré qu’il ne justifiait pas d’une résidence stable et effective en France.
Il doit être noté qu’en sus de l’absence de preuve d’une résidence stable et établie sur le territoire français, l’autorité administrative s’est fondée sur d’autres considérations relatives à la situation personnelle de M. [U] qui lui ont permis de caractériser avec suffisance le défaut de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français, en l’occurrence le fait que l’intéressé n’a pas déféré à de précédentes mesures d’éloignement et a déclaré ne pas vouloir quitter la France. Il est en outre mentionné qu’il ne justifie pas de la réalité de ses moyens d’existence effectifs, ce qui est de nature à caractériser une menace à l’ordre public.
Au regard de ces différentes observations, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation ne peut donc pas non plus être accueilli, l’absence de garantie de représentation étant en outre caractérisée.
A défaut d’autres moyens soulevés, la décision de placement en rétention est donc déclarée régulière et la demande d’assignation à résidence rejetée.
Infirmons l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’elle a déclaré recevable la requête en contestation de M. [U],
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Rejetons la requête en contestation présentée par M. [U],
Déclarons régulière la décision de placement en rétention prononcée à l’encontre de M. [U],
Déboutons M. [U] de sa demande d’assignation à résidence.
Le greffier, Le conseiller délégué,
Ynes LAATER Stéphanie LEMOINE