Contamination des marchandises : preuve insuffisante

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Contamination des marchandises : preuve insuffisante
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Contamination des marchandises : preuve insuffisante

Sur la fin de non recevoir

La société MSC oppose une fin de non-recevoir à la société Kariban, arguant que le connaissement établi au nom du commissionnaire de transport ne lui confère pas la qualité à agir. Les parties débattent sur le droit applicable et la jurisprudence en matière de responsabilité du transporteur maritime.

Sur le fond

Les sociétés Kariban et Tokio Marine contestent le jugement rendu, demandant le remboursement de la cargaison polluée et le nettoyage des locaux. Elles invoquent la responsabilité du commissionnaire de transport et du transporteur maritime, se basant sur la convention de Bruxelles de 1924. La société Geodis et la société MSC se défendent, arguant de l’absence de preuves de leur responsabilité dans la contamination des marchandises.

Sur la limitation de la réclamation de la société Tokio Marine

La société Geodis demande la limitation de la réclamation de la société Tokio Marine, mais cette demande est jugée sans objet en l’absence de responsabilité établie. Le jugement initial est confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les sociétés Kariban et Tokio Marine sont condamnées à verser une somme au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile. Le jugement initial est confirmé sur ce point également.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 55A

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JANVIER 2023

N° RG 20/06581 – N° Portalis DBV3-V-B7E-UHMP

AFFAIRE :

S.A.R.L. KARIBAN FRANCE

C/

MSC MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY SA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Novembre 2020 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° Chambre : 10

N° RG : 2016F00659

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL

Me Oriane DONTOT

Me Katell FERCHAUX- LALLEMENT

TC PONTOISE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.R.L. KARIBAN FRANCE

RCS Toulouse n° 421 346 461

[Adresse 1]

[Localité 10]

TOKIO MARINE EUROPE S.A. venant aux droits de TOKIO MARINE KILN INSURANCE LIMITED

RCS Paris n° 843 295 221

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentées par Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et Me Rozenn LOPIN et Me Anne HERZOG du PARTNERSHIPS CLYDE & CO LLP, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0429

APPELANTES

****************

MSC MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY SA

[Adresse 2]

[Localité 3] (SUISSE)

Représentée par Me Oriane DONTOT de l’AARPI JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Fabrice LEMARIE de la SELARL MARGUET LEMARIE COURBON, Plaidant, avocat au barreau du HAVRE

S.A.S. GEODIS FREIGHT FORWARDING FRANCE

RCS Pontoise n° 393 118 039

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 et Me Carole LAWSON de l’ASSOCIATION LE BERRE ENGELSEN WITVOET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R218

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Au mois d’août 2015, afin d’assurer l’importation en France de vêtements de quatre fournisseurs situés au Bangladesh, la société Kariban France, ci-après la société Kariban, a confié à la société Geodis Freight Forwarding France (anciennement dénommée Geodis Wilson France, ci-après la société Geodis), l’organisation du transport, par groupage dans un seul conteneur, de sa marchandise entre le Bangladesh et [Localité 10] (Haute-Garonne).

La société Kariban a assuré cette marchandise contre les risques de dommages et pertes en cours de transport auprès de la société Tokio Marine Kiln Insurance Limited devenue Tokio Marine Europe, ci-après la société Tokio Marine.

La société Geodis a confié l’exécution du transport maritime de cette marchandise, entre [Localité 8] (au Bangladesh) et [Localité 9], à la compagnie maritime MSC Mediterranean Shipping Company, ci-après la société MSC. Cette dernière a fait préparer, réparer et laver le conteneur n° MEDU 407.926/4, dans lequel la marchandise a été empotée le 10 août 2015 et prise en charge sous couvert d’un connaissement principal n° MSCUDO558803.

Le 16 septembre 2015, le navire transporteur est arrivé au port de [Localité 9] où le conteneur a été déchargé.

Le 21 septembre 2015, la marchandise a été livrée dans son conteneur, par voie routière, sous couvert d’une lettre de voiture n° 985028 (Transports Chabbert), aux entrepôts de la société Kariban à [Localité 10].

Le 5 octobre 2015, la société Kariban a adressé des réserves, suivant courriel, à la société Geodis l’informant de l’existence d’une odeur de naphtaline se dégageant des vêtements.

Parallèlement, la société Kariban a déclaré le sinistre à son assureur, la société Tokio Marine.

La société Tokio Marine a diligenté une expertise amiable à laquelle les sociétés Geodis et MSC ont été conviées. L’expert a remis son rapport le 22 avril 2016. Il a conclu que la marchandise avait été contaminée par de la naphtaline imprégnée dans les joints en caoutchouc du conteneur MEDU 407.926/4. Une analyse effectuée à la demande de l’expert par un laboratoire a confirmé la présence de naphtaline dans les vêtements.

La société Tokio Marine a indemnisé son assurée à hauteur de 122.152,58 € correspondant à la perte sur marchandise ainsi qu’aux frais annexes d’analyses et de destruction des marchandises. La société Kariban a conservé à sa charge les frais de décontamination de ses entrepôts à hauteur de 16.316,20 €.

Par acte du 8 septembre 2016, les sociétés Tokio Marine et Kariban ont assigné les sociétés Geodis et MSC devant le tribunal de commerce de Pontoise aux fins de les voir condamner in solidum à leur payer les sommes respectives de 122.152,58 € et 16.316,20€, augmentées des intérêts au taux légal à compter de l’assignation.

Le 1er décembre 2016, la société Geodis a assigné la société MSC en garantie.

Par jugement en date du 7 décembre 2017, le tribunal de commerce de Pontoise statuant sur l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la société MSC s’est déclaré compétent pour connaître de l’entier litige.

Par un arrêt rendu le 15 mai 2018 sur l’appel exercé par la société MSC, la cour d’appel de Versailles a jugé, s’agissant de la clause attributive de compétence figurant au connaissement de la société MSC, que :

/ la High Court de Londres était seule compétente pour connaître du recours en garantie exercé par Geodis France contre MSC et a ordonné la disjonction de cet appel en garantie,

/ le tribunal de commerce de Pontoise était compétent pour connaître des demandes de la société Kariban, et subséquemment de son assureur la société Tokio Marine, la société Kariban en tant que destinataire réel tirait ses droits de l’existence du contrat de transport, sans y avoir été partie puisque n’y figurant pas et n’en ayant pas été le porteur.

L’instance s’est donc poursuivie au fond devant le tribunal de commerce de Pontoise, hormis le recours en garantie de la société Geodis contre la société MSC.

Par jugement du 13 novembre 2020, le tribunal de commerce de Pontoise a :

– Débouté la société MSC de sa fin de non-recevoir ;

– Déclaré recevable l’action des sociétés Tokio Marine et Kariban à l’encontre de la société MSC ;

– Déclaré les sociétés Tokio Marine et Kariban mal fondées en leur demande de paiement de la somme de 122.152,58 €, les en a déboutées ;

– Déclaré les sociétés Tokio Marine et Kariban mal fondées en leur demande de paiement de la somme de 16.316,20 €, les en a déboutées ;

– Condamné in solidum les sociétés Tokio Marine et Kariban à payer, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 3.000 € à la société Geodis et celle de 3.000 € à la société MSC ;

– Condamné in solidum les sociétés Tokio Marine et Kariban aux dépens ;

– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration du 30 décembre 2020, les sociétés Tokio Marine et Kariban ont interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 21 septembre 2021, les sociétés Tokio Marine et Kariban demandent à la cour de :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a :

– Débouté la société MSC de sa fin de non-recevoir ;

– Déclaré recevable l’action des sociétés Tokio Marine et Kariban à l’encontre de la société MSC ;

– Réformer le jugement en ce qu’il a :

– Déclaré les sociétés Tokio Marine et Kariban mal fondées en leur demande de paiement de la somme de 122.152,58 € ;

– Déclaré les sociétés Tokio Marine et Kariban mal fondées en leur demande de paiement de la somme de 16.316,20 € ;

– Condamné les sociétés Kariban et Tokio Marine in solidum au paiement d’une somme de 3.000 € respectivement à la société Geodis et la société MSC au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné les mêmes sociétés aux entiers dépens de l’instance, liquidés à la somme de 207,11 € ;

En conséquence,

– Condamner in solidum les sociétés Geodis et MSC à payer à la société Tokio Marine la somme de122.152,58 € outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation lesdits intérêts capitalisés ;

– Condamner in solidum les sociétés Geodis et MSC à payer à la société Kariban la somme de 16.316,20 € outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation lesdits intérêts capitalisés ;

– Condamner in solidum les sociétés Geodis et MSC aux entiers dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice des sociétés Kariban et Tokio Marine.

Par dernières conclusions notifiées le 24 septembre 2021, la société Geodis demande à la cour de :

– Confirmer le jugement entrepris en tout point ;

– En conséquence, condamner les sociétés Tokio Marine et Kariban à payer à la société Geodis Freight Forwarding France une indemnité de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens ;

Subsidiairement,

– Ecarter le moyen soulevé par la société MSC fondé sur l’existence d’un cas excepté constitué par la faute du chargeur ;

– Calquer la responsabilité de la société Geodis Freight Forwarding France sur celle de la société MSC, le commissionnaire de transport ne pouvant être plus responsable que ses substitués ;

Plus subsidiairement,

– Opérer un partage de responsabilité entre les sociétés MSC et Geodis Wilson Bangladesh, en retenant que le dommage ne saurait être imputé à plus de 20 % à la société Geodis Wilson Bangladesh ;

– Appliquer à la société Geodis Freight Forwarding France les limitations d’indemnité de l’article 13 du contrat-type commission de transport en cas de faute imputable à la société Geodis Wilson Bangladesh et partant limiter toute condamnation mise à sa charge à ce titre à la somme de 41.745 € et au prorata en cas de partage de responsabilité ;

En tout état de cause,

– Limiter la réclamation de la société Tokio Marine à la somme de 103.702 €

– Débouter la société Kariban de ses demandes au titre des frais de décontamination ;

– Condamner les sociétés Tokio Marine, Kariban et MSC, ou l’une à défaut des autres au paiement d’une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 25 juin 2021, la société MSC demande à la cour de :

A titre principal,

– Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que les sociétés Kariban et Tokio Marine étaient recevables à agir contre la société MSC ;

Et statuant à nouveau,

– Juger que les sociétés Kariban et Tokio Marine sont dépourvues de qualité à agir et juger leurs demandes irrecevables en ce qu’elles sont dirigées contre la société MSC ;

A titre subsidiaire,

– Débouter les sociétés Kariban et Tokio Marine de leurs demandes, fins et prétentions ;

– Juger que la société MSC bénéfice d’une présomption de livraison conforme non renversée par la preuve certaine de l’imputabilité des avaries et/ou d’une faute commise par la société MSC ;

– A défaut, juger que la société Geodis Bengladesh, chargeur professionnel, a commis une faute en empotant la marchandise dans un conteneur pollué par une odeur de naphtalène aisément décelable ;

– Juger que la société MSC a exercé une diligence raisonnable pour mettre le conteneur à disposition et ne peut se voir reprochée aucune faute contractuelle ou quasi délictuelle;

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté les sociétés Kariban et Tokio Marine de leurs demandes contre la société MSC ;

A titre infiniment subsidiaire,

– Juger que la société Kariban ne rapporte pas la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité relativement à la pollution de l’air de ses entrepôts ;

– Débouter la société Kariban de ses demandes contre la société MSC ;

– Juger que la preuve de la contamination et de la destruction de 5.000 vêtements n’est pas prouvée ;

– Débouter la société Tokio Marine de toute demande excédant la somme de 103.702 €;

En tout état de cause,

– Condamner solidairement les sociétés Kariban et Tokio Marine, ou toute autre partie qui succomberait, à payer à la société MSC la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Les condamner aux dépens, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot, JRF & associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 mars 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la fin de non recevoir

La société MSC oppose aux sociétés Tokio Marine et Kariban une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, puisque le connaissement MSCUDO558803 à personne dénommée est établi au seul nom du commissionnaire de transport, la société Geodis, sans mention de la société Kariban. Elle expose que la qualité à agir s’apprécie selon le droit applicable au fond, c’est-à-dire la loi applicable au contrat de transport maritime, lequel serait le droit anglais et ce en application de l’article 3.1 du règlement CE n° 593/2008 qui énonce que le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Elle fait valoir qu’en l’espèce, l’article 10.3 intitulé ‘Jurisdiction’ du contrat de transport maritime stipule que : ‘[‘] le droit anglais s’appliquera exclusivement’.

Elle soutient que le droit anglais, en l’occurrence le Carriage of Goods by Sea Act de 1992, dispose, en ses paragraphes 2.1 et 2.4 que, lorsque le connaissement est ‘à personne dénommée’, ses détenteurs légitimes se limitent aux personnes qui y sont désignées, lesquelles ont seules qualité à agir en réparation des dommages causés aux marchandises sous couvert dudit connaissement.

Les sociétés Tokio Marine et Kariban font valoir que l’action en responsabilité à l’encontre du transporteur maritime est ouverte aux parties au contrat de transport, ainsi qu’au destinataire réel de la marchandise, lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport. La seule qualité de destinataire réel suffit donc à caractériser la qualité et l’intérêt à agir. Elles soutiennent que la société Kariban justifie de sa qualité de destinataire réel de la marchandise par le fait qu’elle a été la seule à avoir supporté le préjudice causé à la marchandise achetée et qui résulte du transport maritime. Elles en déduisent que l’action de la société Kariban à l’encontre de MSC est donc, aux termes de la jurisprudence, parfaitement recevable et son droit d’action contre le transporteur maritime MSC et le commissionnaire Geodis peut être valablement transmis à Tokio Marine, son assureur, par subrogation.

Elles font valoir également que le droit anglais n’est pas applicable aux faits de l’espèce. Elles se fondent sur l’arrêt rendu par la cour de céans du 15 mai 2018, qui a retenu que la clause attributive de juridiction figurant dans le connaissement de la société MSC était inopposable à la société Kariban de sorte que ce qui vaut pour la clause attributive de juridiction vaut a fortiori pour une clause de loi applicable. Elles excipent de l’article 5 alinéa 1 du règlement européen 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), qui dispose qu’ “A défaut de choix exercé conformément à l’article 3, la loi applicable au contrat de transport de marchandises est la loi du pays dans lequel le transporteur a sa résidence habituelle, pourvu que le lieu de chargement ou le lieu de livraison ou encore la résidence habituelle de l’expéditeur se situe aussi dans ce pays. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, la loi du pays dans lequel se situe le lieu de livraison convenu par les parties s’applique”. Elles soutiennent que la société MSC a son siège en Suisse. Le chargement a eu lieu au Bangladesh et la livraison en France où la société Kariban a son siège. La loi suisse n’a donc pas vocation à s’appliquer contrairement à la loi française, loi du pays où se situe le lieu de livraison convenu par les parties, qui doit s’appliquer, à l’exclusion de toute autre, laquelle reconnaît au destinataire réel un droit d’action contre le transporteur maritime.

La société Geodis sollicite la confirmation du jugement qui a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société MSC.

Sur ce,

La cour relève, à titre liminaire, que la clause dont se prévaut la société MSC, soit l’article 10.3 (intitulé ‘Jurisdiction’) des conditions générales du connaissement MSCUDO558803 (pièce 1 – MSC ‘Bill of lading standard – Terms & Conditions’) prévoit non seulement une compétence territoriale (High Court of London) mais aussi le droit applicable (droit anglais).

Ainsi qu’en a jugé la cour de céans dans son arrêt du 15 mai 2018 à propos de la compétence territoriale, le contrat de transport maritime, matérialisé sous la forme du connaissement précité, n’est pas opposable à la société Kariban qui n’en est pas partie, de sorte que la clause de celui-ci prévoyant la juridiction compétente et l’application du droit anglais n’a pas vocation à s’appliquer dans les rapports entre la société MSC et la société Kariban.

Le droit et l’intérêt à agir de la société Kariban doivent en l’espèce s’apprécier en fonction de la loi applicable déterminée par les règles prévues au règlement européen 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) qui conduisent à retenir la loi française en application de l’article 5 alinéa 1 du règlement précité (lieu de livraison en France).

La loi française prévoit que l’action en responsabilité contre le transporteur maritime est ouverte aux parties au contrat de transport mais aussi au destinataire réel de la marchandise lorsque celui-ci est seul à avoir subi le préjudice résultant du transport.

En l’espèce la lettre de voiture (pièce 4 – Kariban et Tokio Marine) mentionne la société Kariban comme destinataire de la marchandise. Il n’est pas contesté que cette société est seule à avoir subi les conséquences préjudiciables de la contamination à la naphtalène des marchandises qui lui ont été livrées.

La société Kariban, destinataire réel de la marchandise, et son assureur subrogé, la société Tokio Marine, ont ainsi un intérêt à agir dans la présente procédure de sorte que la fin de non-recevoir soulevée par la société MSC doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le fond

Les sociétés Kariban et Tokio critiquent le jugement entrepris en ce qu’elles ont été déboutées de leur demande de remboursement de la cargaison polluée et de prise en charge du nettoyage de locaux au motif que, la présomption de livraison conforme renversant la charge de la preuve vers le destinataire, la preuve de l’origine de la pollution ne serait pas rapportée. Elles font valoir qu’en application des articles L.132-3 et suivants du code de commerce, le commissionnaire est garant des dommages et pertes survenus à la marchandise au cours du transport qui lui est confié. A ce titre, ce dernier répond non seulement de sa faute personnelle mais également des fautes commises par les sous-traitants qu’il sollicite pour l’exécution de sa mission. Geodis, commissionnaire, doit donc répondre des faits commis par la société MSC. Elles soutiennent qu’elles sont également fondées à rechercher la responsabilité de la société MSC, en qualité de transporteur maritime, sur le fondement de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement. Elles exposent que, certes, en l’absence de réserves faites dans les trois jours suivant la livraison, il revient effectivement, en vertu de l’article 3 paragraphe 6 de la convention de Bruxelles du 25 août 1924, aux intérêts marchandises de prouver que le dommage est survenu pendant le transport mais que cette preuve peut être fournie par tous moyens. Ainsi, s’agissant d’une présomption simple, il suffit pour le demandeur de démontrer que les dommages existaient au moment de la livraison ou qu’ils sont survenus au cours du transport maritime, par exemple en raison d’un défaut du conteneur ce qui est le cas en l’espèce. En conséquence, elles sollicitent la condamnation des sociétés Geodis et MSC au paiement du prix des marchandises et frais annexes ainsi qu’aux frais de dépollution de l’entrepôt Kariban.

La société Geodis fait valoir qu’elle est intervenue en qualité de commissionnaire de transport, dont la responsabilité est régie par les articles L.132-4 et suivants du code de commerce et les dispositions du contrat-type commission de transport, annexé à l’article D.1432-3 du code des transports. A ce titre, elle est donc responsable de ses fautes personnelles prouvées et présumée responsable des fautes et omissions de ses substitués, à charge pour elle de démontrer l’existence d’une cause exonératoire de responsabilité. Elle expose que lorsque sa responsabilité en tant que garant est recherchée, le commissionnaire de transport ne peut pas être plus responsable que ses substitués et bénéficie des causes d’exonération et de limitation de responsabilité dont ils bénéficient. Elle soutient que la société MSC, transporteur maritime, est présumée responsable des dommages et pertes résultant du transport maritime en vertu des dispositions de la convention de Bruxelles du 25 août 1924. Elle précise que la fourniture du conteneur par le transporteur maritime est accessoire au contrat de transport et de ce fait, le rend responsable des dommages résultant de la fourniture d’un conteneur défectueux. Elle soutient qu’aucune faute personnelle ne peut lui être reprochée, puisque sa responsabilité n’est recherchée qu’au titre des fautes de ses substitués. Elle fait valoir que l’appréciation de sa responsabilité à titre de garant doit conduire la cour à vérifier, en premier lieu, si la responsabilité de la société MSC est engagée. Elle soutient que la présomption de livraison conforme joue en faveur des intervenants au transport et qu’en l’espèce les appelantes ne rapportent pas la preuve que la pollution des vêtements transportés est survenue pendant le transport. La société Geodis sollicite la confirmation du jugement qui a débouté les appelantes de leurs demandes.

La société MSC fait valoir que les dispositions de l’article 3 6. de la convention de Bruxelles du 25 août 1924 prévoient qu’ ‘A moins qu’un avis de pertes ou dommages et de la nature générale de ces pertes dommages ne soit donné par écrit au transporteur ou à son agent au port de déchargement, avant ou au moment de l’enlèvement des marchandises, et de leur remise sous la garde de la personne ayant droit à la délivrance sous l’empire du contrat de transport, cet enlèvement constituera jusqu’à preuve du contraire, une présomption que les marchandises ont été délivrées par le transporteur telles qu’elles sont décrites au connaissement. Si les pertes ou dommages ne sont pas apparents, l’avis doit être donné dans les trois jours de la délivrance’. La société MSC soutient qu’en l’espèce l’absence de notification de réserves dans les trois jours a fait disparaitre la présomption d’imputabilité et de responsabilité qui pèse sur le transporteur maritime au profit de la présomption inverse. Elle soutient également, au visa de l’article 4. 2 de cette convention, que ni le transporteur ni le navire ne seront responsables de pertes ou dommages résultant du ‘vice caché, nature spéciale ou vice propre de la marchandise’. Elle soutient que la preuve d’une faute qu’elle aurait pu commettre incombe aux appelantes lesquelles succombent à la rapporter, de sorte qu’elle sollicite la confirmation du jugement.

Sur ce,

Des éléments versés aux débats, il résulte que les marchandises litigieuses ont été polluées par de la naphtalène au point que sa destruction sera ordonnée pour toxicité à la suite de l’expertise contradictoire menée par l’expert de la société Tokio Marine, assureur (pièce 6 – MSC, rapport d’expert M. [E] du 22 avril 2016).

Les sociétés Kariban et Tokio Marine considèrent la société Geodis, commissionnaire de transport, et la société MSC, transporteur maritime, responsables de cette contamination ce que ces dernières contestent.

Selon la convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, amendée, (article 3.6), le transporteur maritime bénéficie lors de l’enlèvement des marchandises transportées d’une présomption de livraison conforme au connaissement en l’absence d’avis de pertes ou dommages avec la précision que si ceux-ci ne sont pas apparents cet avis doit être donné dans les trois jours de la délivrance.

Les parties s’accordent pour considérer qu’en l’absence de déclaration du sinistre effectuée par la société Kariban, dans le délai de trois jours prévu par l’article 3.6 de la convention précitée, les sociétés Kariban et Tokio Marine supportent la charge de la preuve de l’imputabilité et de la responsabilité du transporteur dans la pollution de la marchandise.

A cette fin, les sociétés Kariban et Tokio Marine produisent les éléments suivants :

– une pièce (n°5) intitulée ‘Lettre de réserves de Kariban à Geodis du 5 octobre 2015″ qui se présente sous forme d’un courriel du 5 octobre 2015 selon les termes essentiels suivants : ‘Nous avons réceptionné en date du 21/9 le container MEDU4079264 en provenance de [Localité 8]. Nous venons de constater une odeur très marquée sur la marchandise transportée dans ce container rendant la vente impossible'(souligné par la cour). Le courriel prévoyait un courrier de confirmation par recommandé qui n’a jamais été envoyé.

La cour relève que ce courriel n’a été envoyé que 14 jours après la réception des marchandises litigieuses dans les entrepôts de la société Kariban alors que cette dernière indique dans son courriel précité n’avoir constaté que le 5 octobre 2015 (‘nous venons de constater’) une odeur sur la marchandise à ce point prégnante qu’elle affirme que sa vente est impossible de sorte qu’il est surprenant que la présence de cette forte odeur n’ait pas été détectée par la société Kariban dès la livraison le 21 septembre 2015 lors du dépotage du conteneur et de l’entreposage des colis sur le quai de livraison de la société Kariban.

– un rapport d’expertise amiable et contradictoire (pièce 6) établi le 22 avril 2016 par M. [E] (AM Group), expert de la société d’assurance Tokio Marine.

En substance, cet expert exclut la possibilité de présence de ce produit naphté ‘inhérente’ aux marchandises dans la mesure où celles-ci proviennent de quatre fournisseurs différents. Il conclut à la présence de naphtalène imprégné sur les joints caoutchoutés des portes du conteneur de groupage à l’exclusion des parois métalliques et du plancher de bois de ce dernier. Cette imprégnation serait la résultante d’un transport de sacs de granulés issus de la distillation du pétrole précédemment effectué entre l’Espagne et le Bangladesh avec le container qui servira au transport de la marchandise litigieuse. L’expert indique que l’odeur de naphtalène n’a affecté que les joints en caoutchouc des portes du container à l’exclusion des parois métalliques et du plancher de bois de ce dernier. A l’intitiative de cet expert, une analyse d’échantillons de vêtements issus de la marchandise litigieuse a été conduite par un laboratoire spécialisé qui conclut à ‘la mise en évidence des (sic) quantités importantes de composés naphtés dans l’échantillon….’ et à sa contamination par ceux-ci.

La cour observe que l’expert a conduit son expertise le 9 octobre 2015 dans les locaux de la société Kariban, sur les marchandises litigieuses remisées en colis placés sur le quai de déchargement (photographies – page 7 du rapport) et sur le container encore présent. Cet expert constate que les vêtements, ‘préalablement enveloppés d’une sache en plastique, étaient conditionnés dans des colis cartonnés à double cannelure…’. L’expert n’explique pas comment la naphtalène présente, selon lui, uniquement sur les caoutchoucs des gonds des portes du container, a pu imprégner la totalité des vêtements ensachés sous plastique, placés dans des cartons, et dont le container était entièrement empli à la suite du groupage.

L’expert rapporte que les ‘dommages ont été décelés après la livraison, le dépotage du conteneur et l’entreposage des colis sur les quais’. Il précise qu’ ‘il s’agit de dommages occultes décelés ultérieurement et après stockage dans une surface confinée’ sur les quais de déchargement. Pourtant, il indique s’être rendu avec les autres participants aux opérations d’expertise, sur le lieu d’entreposage du container litigieux désormais vide et avoir décelé en approchant de celui-ci, à ‘environ 3 mètres’, l’ ‘odeur caractéristique de naphtalène qui en émanait… similaire à celle dégagée’ par les vêtements. Cette forte odeur émanant du conteneur aurait dû appeler l’attention de la société Kariban dès le 21 septembre 2015 et la conduire à émettre des réserves immédiatement lors de la livraison du conteneur et a fortiori lors du dépotage.

Il n’est pas établi que les produits précédemment transportés entre l’Espagne et le Bangladesh aient présenté des caractéristiques identiques à ceux imprégnant les gonds ou les vêtements litigieux au point de rendre plausible une contamination de la totalité des marchandises dès leur chargement et pendant le transport malgré un nettoyage préalable du container effectué le 2 août 2015 par la société MSC (pièce 2 – MSC) avant le chargement des marchandises litigieuses.

L’expert de la compagnie d’assurance Helvetia dont la société Geodis est l’assurée a assisté aux opérations d’expertise menées par l’expert de la société Tokio Marine. Il a établi un rapport le 30 octobre 2015. Il y relève que le conditionnement (‘en carton d’oeufs’) des marchandises litigieuses est d”excellente qualité’. Il indique qu’une odeur émane des marchandises sans présenter d’autres ‘avaries’. Le container, selon cet expert, ne présente pas de ‘trace de pollution particulière à l’intérieur’, ni ne renferme d’odeur si ce n’est ‘une légère odeur au niveau des joints caoutchouc des portes’.

Ces constatations ne permettent pas de déterminer la date à laquelle la contamination s’est produite. Cette contamination a pu s’effectuer lors de l’empotage dans le container, ou lors du transport des marchandises, ou lors de ou après la livraison, étant précisé que ne figure aucune réserve sur la lettre de voiture du transporteur (annexe 6 – pièce 6 Kariban – rapport du 22 avril 2016 de M. [E] (AM Group)) ayant procécédé à la livraison du container dans l’entrepôt de la société Kariban alors que le container dégageait, selon l’expert M. [E], une odeur suffisamment forte pour être décelable à 3 mètres plus de 14 jours après la livraison.

Les sociétés Kariban et Tokio Marine ne rapportent pas la preuve certaine que la contamination s’est produite lors des opérations de transport maritime effectuées par la société MSC. Il en résulte que le transporteur maritime, la société MSC, doit bénéficier de la présomption de livraison conforme et qu’ainsi la responsabilité de la société Geodis en sa qualité de garant du transporteur maritime ne peut être mise en cause.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté les sociétés Kariban et Tokio Marine de leur demande respective de condamnation, in solidum, aux sommes de 122.152,58 € et 16.316,20 € des sociétés Geodis et MSC à l’occasion de la survenance du sinistre.

Sur la limitation de la réclamation de la société Tokio Marine

La société Geodis, sollicite, en tout état de cause, la limitation de la réclamation de la société Tokio Marine à la somme de 103.702 €.

La responsabilité de la société Geodis n’ayant pas été établie et aucune condamnation à paiement n’ayant été prononcée contre elle au bénéfice de la société Tokio Marine, cette demande est sans objet.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Kariban et Tokio seront condamnées, par moitié, aux dépens d’appel.

Les sociétés Kariban et Tokio seront condamnées, in solidum, à verser à la société Geodis et à la société MSC la somme de 3.000 €, chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement,

Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Pontoise du 13 novembre 2020,

Rejette toutes autres demandes,

Y ajoutant,

Condamne, par moitié, les sociétés Kariban France et Tokio Marine Europe SA aux dépens d’appel, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamne les sociétés Kariban France et Tokio Marine Europe SA à verser à la société Geodis Freight Forwarding France et la société MSC Mediterranean Shipping Company, la somme de 3.000 €, chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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