Constitution d’avocat : décision du 7 février 2024 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 21/01412

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Constitution d’avocat : décision du 7 février 2024 Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion RG n° 21/01412
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ARRÊT N°2024/17

PC

R.G : N° RG 21/01412 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FTEL

[P]

C/

[M] NEE [N]

RG 1èRE INSTANCE : 20/00837

COUR D’APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 07 FEVRIER 2024

Chambre civile TGI

Appel d’une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-PIERRE en date du 11 JUIN 2021 RG n°: 20/00837 suivant déclaration d’appel en date du 28 JUILLET 2021

APPELANTE :

Madame [L] [G] [B] [E] [P]

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentant : Me Ben Ali AHMED, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

INTIMEE :

Madame [E] [L] [K] [M] NEE [N] épouse [M]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentant : Me Georges-andré HOARAU de la SELARL GEORGES-ANDRE HOARAU ET ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/7116 du 19/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Saint-Denis)

CLÔTURE LE : 11 mai 2023

DÉBATS : en application des dispositions de l’article 779 alinéa 3 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état à la demande des parties, a autorisé les avocats à déposer leur dossier au greffe de la chambre civile avant le 03 Novembre 2023.

Le président a avisé les parties que l’affaire était mise en délibéré devant la chambre civile de la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller : Monsieur Eric FOURNIE, Conseiller

qui en ont délibéré

et que l’arrêt serait rendu le 07 Février 2024 par mise à disposition au greffe.

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 07 Février 2024.

Greffier lors des débats : Sarah HAFEJEE.

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE

Par acte authentique du 14 décembre 2005, les consorts [O] ont vendu à M. [R]-[X] [P] et à son épouse, Madame [L] [G] [T], une parcelle de terre cadastrée section ER, numéro [Cadastre 1], située [Adresse 3] à [Localité 6].

Cette parcelle section ER n° [Cadastre 1] jouxte la parcelle section ER n° [Cadastre 2] qui a été acquise par acte authentique du 22 novembre 1972 par Monsieur [A] [S], lequel est décédé le 22 décembre 1998 laissant pour lui succéder notamment sa veuve, Mme [E] [N].

Par acte d’huissier du 12 mars 2013, Madame [E] [N], épouse [M], a assigné les époux [P] aux fins de bornage des parcelles ER [Cadastre 2] et ER [Cadastre 1].

Par jugement du 14 octobre 2013, le tribunal d’instance de Saint-Pierre (La Réunion), a, avant dire droit, ordonné une expertise et désigné Monsieur [J] [V] pour y procéder.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 22 septembre 2014, et par jugement en date du 26 octobre 2015 le tribunal d’instance de Saint-Pierre de la Réunion a entériné les conclusions de l’expert, retenu qu’il existait entre les propriétés en cause un chemin d’exploitation de 2,5 mètres de large et dit que la ligne divisoire des propriétés passe par les points BTSU.

Par déclaration du 10 novembre 2015, les époux [P] ont interjeté appel de ce jugement, et par arrêt du 19 mai 2017, la cour d’appel de Saint-Denis a confirmé le jugement du 26 octobre 2015.

Par un arrêt du 28 mars 2019, la troisième chambre civile de la cour de cassation a cassé cet arrêt au visa de l’article 455 du code de procédure civile en ce qu’il avait jugé que les dépens seraient partagés par moitié.

Le 13 mars 2020, M. [H] [W], géomètre-expert, a procédé, à la demande des consorts [M], au bornage de la limite entre les parcelles cadastrées ER-[Cadastre 2] et ER-[Cadastre 1].

Suivant exploit du 28 avril 2020, Madame [L] [G] [T], veuve [P], a assigné devant le tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion, Madame [E] [N], épouse [M], afin de voir juger que le chemin litigieux fait partie intégrante de la parcelle ER [Cadastre 1] et obtenir des dommages intérêts.

Par jugement en date du 11 juin 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Pierre de la Réunion a statué en ces termes :

Déclare Mme [L] [G] [T], veuve [P], recevable en sa demande ;

Déboute Mme [L] [G] [T], veuve [P], de l’ensemble de ses prétentions ;

Condamne Mme [L] [G] [T], veuve [P], à payer à Mme [E] [N] la somme de 3.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [E] [N] de sa demande de dommages et intérêts ;

Condamne Mme [L] [G] [T], veuve [P], aux dépens et autorise le conseil de la défenderesse à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Par déclaration du 28 juillet 2021, Madame [L] [G] [P] a interjeté appel du jugement précité.

L’affaire a été renvoyée à la mise en état suivant ordonnance en date du 28 juillet 2021.

Madame [L] [G] [P] a notifié par RPVA ses premières conclusions le 28 octobre 2021.

Madame [E] [N] a notifié par RPVA ses conclusions d’intimée le 4 janvier 2022.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 11 mai 2023.

Par courrier adressé par RPVA le 6 novembre 2023, Maître [Y] a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture au motif qu’il se constituait pour l’appelante à la place de son ancien avocat.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 27 janvier 2023, Madame [L] [G] [P] demande à la cour de :

INFIRMER le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

FIXER au, bénéfice de la parcelle cadastrée n° ER [Cadastre 1] une servitude de passage d’une largeur de 4 mètres sur la parcelle cadastrée n° [Cadastre 2], sise [Adresse 4] à [Localité 6] (La Réunion), cette servitude s’exerçant en tout temps et à toute heure par les propriétaires de la parcelle cadastrée n° [Cadastre 2], ou toute personne de leur chef ;

ENJOINDRE à Madame [E] [N], épouse [M], de retirer les cornières métalliques, panneaux en bois et le poteau en béton ferraillé empêchant partiellement l’accès à la parcelle cadastrée n° ER [Cadastre 1] appartenant Madame [L] [G] [P] qu’elle a fait ériger en guise de clôture, en limite séparative de son fonds cadastré ER n° [Cadastre 2] [Adresse 4] à [Localité 6] (La Réunion), avec le fonds voisin, sis parcelle cadastrée ER n° [Cadastre 1], et appartenant à [L] [G] [P] ;

DIRE que ces travaux devront être réalisés dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt ;

DIRE que passé ce délai et à défaut d’exécution, une astreinte de 300 euros par jour de retard commencera de courir contre Madame [E] [N], épouse [M], et ce pendant une période de quatre mois ;

CONDAMNER Madame [E] [N], épouse [M], à payer à [L] [G] [T] veuve [P] la somme de 10.000€ à titre de dommages intérêts ;

CONDAMNER Madame [E] [N], épouse [M], à payer à [L] [G] [T] veuve [P] la somme de 6.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER Madame [E] [N], épouse [M], aux dépens de première instance et d’appel.

L’appelante sollicite la création d’une servitude de passage d’une largeur de 4 mètres faisant valoir, au visa de l’article 682 du code civil, qu’elle ne bénéficie pas sur la voie publique d’une issue suffisante, afin assurer la desserte complète de la parcelle.

Elle sollicite en outre la suppression des obstacles dont le poteau litigieux, implanté par les consorts [M] dès lors que ceux-ci gênent le passage tel qu’il est retenu et qu’ils ne présentent pour l’exploitation du terrain de Mme [M] aucune utilité.

Elle soutient, au visa de l’article 1240 du code civil, que les piquets, les panneaux en bois et le poteau ferraillé empêchant l’accès à sa propriété n’ont été érigés que dans l’unique but de lui nuire caractérisant un trouble anormal de voisinage donnant lieu à réparation.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 octobre 2022, Madame [N], épouse [M] demande à la cour de :

Déclarer les demandes de Mme [P] irrecevables et mal fondées ;

La débouter de l’ensemble de ses prétentions.

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris sauf le rejet des dommages intérêts sollicités par Mme [M].

Y statuant à nouveau de ce chef,

Condamner Mme [T] [L] [G] veuve [P], au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de dommages intérêts,

La condamner aux entiers dépens qui seront employés comme en matière d’aide juridictionnelle.

L’intimée fait valoir, au visa de l’article 564 du code de procédure civile, que la demande de Mme [P] en première instance portait non pas sur l’enclave de sa parcelle mais sur la revendication du chemin dont elle sollicitait la propriété sur le fondement des articles 544 et 2227 du code civil, de sorte que soumise pour la première fois en cause d’appel et ne tendant pas aux mêmes fins que sa demande en première instance, sa demande est irrecevable.

A titre subsidiaire, Madame [N], épouse [M], sur le fondement de l’article 815-3 du code civil, indique que le droit de réclamer un passage n’étant ouvert qu’aux titulaires de droits réels, Madame [L] [G] [P] n’a aucune qualité pour solliciter seule et en l’absence dans la cause des héritiers [P], un droit de passage.

Elle indique en outre que la parcelle de l’appelante n’est pas enclavée car sa propriété donne directement sur la voie publique, et qu’en tout état de cause la servitude légale n’intègre aucunement le bénéfice d’un droit de stationnement sur sa propriété. Par conséquent, faute d’enclave, l’appelante d’une part ne peut lui demander d’enlever sa clôture conformément à l’article 647 du code civil, et d’autre part ne peut solliciter des dommages et intérêts.

L’intimée fait valoir en outre que l’appelante ne peut prétendre à un passage sur une longueur de 4 mètres sur la propriété de la concluante, aux motifs que son titre indique clairement qu’elle n’est pas propriétaire du chemin litigieux et qu’il n’est nullement indiqué qu’elle dispose d’un passage conventionnel.

A titre incident, Madame [N], épouse [M], sollicite des dommages et intérêts aux motifs que l’appel de Mme [P] est abusif, dans la mesure où elle tente par le biais de cette procédure de revenir sur le bornage en faisant valoir l’enclave de son terrain alors que cela n’est pas le cas, et qu’elle est dans l’impossibilité de jouir paisiblement de son bien, ainsi que constamment agressée par la demanderesse.

***

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n’examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.

Sur la demande de révocation de l’ordonnance de clôture :

Aux termes de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ; la constitution d’avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Ainsi, le motif allégué au soutien de la demande de révocation de l’ordonnance de clôture ne constitue pas un motif justifiant l’accueil de cette demande.

Sur la recevabilité de la demande de Madame [P]

L’appelante a formé appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Pierre en date du 11 juin 2021 sollicitant la reconnaissance d’une servitude de passage et ne revendiquant plus la propriété de ce chemin.

L’intimée soutient que cette demande de Madame [P] est irrecevable pour être nouvelle précisant qu’en première instance sa demande portait non pas sur l’état d’enclave de sa parcelle mais sur la revendication du chemin dont elle sollicitait la propriété sur le fondement des articles 544 et 2227 du code civil.

Ceci étant exposé,

Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Devant les premiers juges, Madame [L] [G] [P] a demandé au tribunal de :

DIRE recevable et bien fondée l’action engagée par Madame [P] [L] [G]

A TITRE PRINCIPAL :

DIRE que le chemin litigieux fait partie intégrante de la parcelle cadastrée ER [Cadastre 1] appartenant à Madame [P] [L] [G]

DIRE que la limite séparative entre les parcelles cadastrées ER n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2] se situe à l’extrémité nord du chemin litigieux telle que cette limite est représentée par les points A-G-J-H-K-L-M-W sur le plan dressé par l’expert Monsieur [Z] figurant en annexe n°9 de son rapport ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

ORDONNER la création d’une servitude de passage aux frais de Madame [M] afin de permettre à Madame [P] [L] [G] d’accéder pleinement à sa parcelle cadastrée ER [Cadastre 1] sise au [Adresse 3] à [Localité 6] ;

En tout état de cause :

DIRE que Madame [P] [L] [G] a subi un préjudice en lien direct avec les agissements de Madame [M] ;

CONDAMNER Madame [M] à verser à Madame [P] [L] [G] la somme de 10.000,00 € à titre de dommages intérêts ;

CONDAMNER Madame [M] à verser à Madame [P] la somme de 4.000,00€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens ;

PRONONCER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans ses dernières conclusions, l’appelante sollicite la reconnaissance d’une servitude de passage sur le fondement de l’article 682 du code civil.

Toutefois, il apparait que cette demande de Madame [P] n’est pas nouvelle puisqu’elle l’avait déjà présenté en première instance à titre subsidiaire : « ORDONNER la création d’une servitude de passage [‘] ».

En tout état de cause, cette demande formée à hauteur d’appel par Madame [P] tend aux mêmes fins que la demande présentée en première instance, à savoir la reconnaissance d’un droit réel : une servitude en appel, un droit de propriété en première instance.

Par conséquent, la demande de l’appelante est déclarée recevable.

Sur la qualité à agir seule de Madame [P]

Par jugement en date du 11 juin 2021, la juridiction de première instance a rejeté le moyen tiré du défaut de qualité à agir seule de Madame [P] aux motifs que son action en justice constitue un acte d’administration afférent à la gestion de l’indivision et non un acte de disposition.

L’appelante n’a pas conclu sur le défaut de qualité à agir, elle est donc réputée s’approprier les motifs du jugement de première instance et en solliciter la confirmation, en application des dispositions de l’article 954 du code civil.

L’intimée fait valoir que le droit de réclamer un passage n’étant ouvert qu’aux titulaires de droits réels, Madame [P] n’a aucune qualité pour solliciter seule et en l’absence dans la cause des héritiers [P], un droit de passage sur le fondement de l’article 682 du code civil.

Ceci étant exposé,

Vu l’article 815-3 du code civil,

Il n’est pas contesté que M. [P] [R] [X] [D] [U] est décédé, et qu’il a laissé pour recueillir sa succession son épouse survivante mais aussi ses enfants.

Comme le relève à juste titre les juges du fond, il a y a lieu de relever que :

L’arrêt du 28 mars 2019 de la Cour de cassation énumère les personnes héritières de M. [P] qui ont formé le pourvoi en cassation,

L’action en justice de Madame [P] constitue un acte d’administration afférent à la gestion de l’indivision et non un acte de disposition.

Par conséquent, Madame [P] agit bien en qualité d’indivisaire se prévalant des mandats d’administration générale consentis par deux des trois enfants du couple, lui ayant donné au moins les deux tiers des droits indivis, de sorte qu’elle a bien qualité à agir seule.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de création d’une servitude de passage

Par jugement en date du 11 juin 2021, la juridiction de première instance a considéré que le chemin d’exploitation existant, dont l’appelante possède la moitié au droit de sa parcelle, lui permet déjà un accès sans qu’il soit utile de créer une quelconque nouvelle servitude.

L’appelant conteste indiquant qu’elle ne bénéficie pas sur la voie publique d’une issue suffisante, afin assurer la desserte complète de la parcelle.

L’intimée fait valoir que la parcelle de l’appelante n’est pas enclavée car sa propriété donne directement sur la voie publique, et qu’en tout état de cause la servitude légale n’intègre aucunement le bénéfice d’un droit de stationnement sur sa propriété.

Ceci étant exposé,

Vu l’article 682 du code civil,

Aux termes de ce texte, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner.

L’enclave se définit par rapport à la possibilité d’accès du fonds à la voie publique. Toutefois, un simple souci de commodité ou de convenance ne peut caractériser l’insuffisance de l’issue sur la voie publique.

Il n’est pas contestable qu’il existe entre les parcelles ER n° [Cadastre 1], appartenant à Madame [P], et ER n° [Cadastre 2], appartenant à Madame [N], un chemin d’exploitation de 2,5 mètres de large (pièces n° 4, 12, 18 et 20 de l’appelante).

Le 13 mars 2020, M. [H] [W], géomètre-expert, a d’ailleurs procédé, à la demande des consorts [M], au bornage de la limite entre les parcelles cadastrées ER-[Cadastre 2] et ER-[Cadastre 1].

Suite au bornage, Madame [N], épouse [M], a fait ériger un poteau en maçonnerie d’agglos pour une hauteur de 1.60 m suivi d’une clôture en cornière avec des claustras en bois sur 5.00 m environ, en limite séparative du fonds cadastré ER n° [Cadastre 2], appartenant à cette dernière, avec son propre fonds, sis parcelle cadastrée ER n° [Cadastre 1].

A hauteur d’appel, l’appelante revendique une servitude de passage pour cause d’enclave de sa parcelle du fait des constructions édifiées par Madame [E] [N], épouse [M].

A ce titre, elle verse aux débats :

Le rapport du 27 janvier 2021 dressé par la police de l’urbanisme de la Commune de [Localité 5] (pièce n° 29 appelante)

Le procès-verbal de constat dressé le 24 août 2021 par Maître [I] [C], huissier de justice (pièce n° 31 appelante)

Afin de démontrer que du fait des ouvrages édifiés par l’intimée, elle ne dispose que d’un passage étroit, d’environ un mètre soixante de large, lequel passage n’est pas suffisant pour conduire son véhicule jusqu’à la voie publique.

Or, il est de jurisprudence constante que l’état d’enclave doit être écarté lorsque les obstacles entravant l’accès ou empêchant de donner à l’issue un caractère suffisant peuvent être levés grâce à des travaux dont le coût ne serait pas disproportionné.

En l’espèce, Madame [N] épouse [M] a fait installer sur le chemin d’exploitation, un poteau en maçonnerie d’agglos pour une hauteur de 1.60m suivi d’une clôture en cornière avec des claustras en bois sur 5.00m environ.

Il résulte de ces constatations que l’absence d’accès par Madame [P] à la voie publique n’est due qu’à la configuration actuelle des lieux lesquels peuvent être modifiés grâce à des travaux.

Par conséquent, l’état d’enclave n’étant pas démontré, Madame [P] ne peut prétendre à la création d’une servitude de passage d’une largeur de 4 mètres sur la parcelle n° [Cadastre 2] appartenant à Madame [E] [N], épouse [M],

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de suppression des constructions édifiées par Madame [N]

L’appelante sollicite la suppression des constructions édifiées par Madame [E] [N], épouse [M], aux motifs qu’elles constituent un abus du droit de propriété.

L’intimée conteste indiquant disposer du droit de clore son héritage.

Ceci étant exposé,

Vu les articles 544 et 647 du code civil,

Le fait pour un propriétaire d’user de sa propriété non pas pour son agrément ou son profit personnel mais uniquement dans l’intention de nuire à son voisin constitue un abus de droit.

Il appartient à celui qui invoque cet abus d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, l’appelante soutient que les piquets, les panneaux en bois et le poteau ferraillé installés par Madame [N] épouse [M] en limite séparative des fonds ER n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2] ne présentent pour l’intimée aucune utilité pour l’exploitation de son terrain et ont été réalisées dans l’unique but de lui nuire.

A ce titre, elle verse aux débats un rapport du 27 janvier 2021 dressé par la police de l’urbanisme de la Commune de [Localité 5] (pièce n°29 appelante), lequel précise que « cet ouvrage qui se trouve sur la parcelle ER [Cadastre 2] propriété de Monsieur [M] de par son emplacement gêne considérablement l’accès aux deux parcelles ER [Cadastre 1] et [Cadastre 2] réduisant le passage [‘] à 1.64m pour Madame [P] laissant aux usagers qu’un passage piétonnier pour accéder à leurs habitations ».

Le procès-verbal de constat dressé le 24 août 2021 par Maître [I] [C], huissier de justice (pièce n°31 appelante) met en évidence l’ampleur d’une telle gêne : « l’accès au terrain de Madame [P] s’effectue par un passage situé entre le poteau précédemment constaté, et un ouvrage identique installé du côté opposé. La largeur entre ces deux points, qui est d’environ 1.60 mètres, est insuffisant afin de permettre l’entrée ou la sortie d’un véhicule léger. »

Les constats inscrits sur ce procès-verbal sont d’ailleurs corroborés par les photographies versées aux débats (pièce n°28 appelante) lesquelles montrent que l’édification des constructions empêche l’accès automobile à la parcelle de Madame [P]. Elle en fait état également dans ses différents courriers (pièces n°32 et 33 appelante) indiquant que sa propre voiture est immobilisée depuis le 13 mars 2020, jour de l’édification des constructions en limite séparative des fonds ER [Cadastre 1] et [Cadastre 2] par Madame [E] [N], épouse [M],

Dès lors, il est démontré que les édifications réalisées par Madame [N], épouse [M], empêchent Madame [P] d’accéder paisiblement à sa parcelle, n’ont aucune utilité à l’exploitation du fonds de l’intimée et ont été édifiées dans le seul but de nuire à l’appelante, de sorte que l’abus de droit est caractérisé.

Par conséquent, Madame [N] sera condamnée à enlever les cornières métalliques, panneaux en bois et le poteau en béton ferraillé qu’elle a fait ériger en guise de clôture, en limite séparative des fonds ER [Cadastre 1] et [Cadastre 2], dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt. Passé ce délai et à défaut d’exécution, une astreinte de 300 euros par jour de retard commencera de courir contre Madame [E] [N], épouse [M], et ce pendant une période de quatre mois.

Sur la demande de dommages intérêts de Madame [L] [G] [P] pour trouble anormal de voisinage

L’appelante sollicite la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts aux motifs qu’elle se trouve empêchée d’utiliser son véhicule automobile et qu’elle loue moins bien ses studios, du fait de Madame [E] [N], épouse [M],

L’intimée conteste indiquant qu’il appartient à Madame [P] d’aménager son terrain, pour le stationnement de ses véhicules sur sa parcelle.

Ceci étant exposé,

Vu l’article 1240 du code civil,

Il a été démontré que Madame [P] a subi depuis l’édification des constructions, une gêne du passage tel qu’il avait été retenu, de sorte qu’elle n’a pas pu jouir de son bien.

En effet, Madame [L] [G] [P] se trouve empêchée, du fait de Madame [E] [N], épouse [M], d’utiliser son véhicule automobile.

Toutefois, elle ne rapporte aucune preuve justifiant que ses studios ont été moins bien loués, faute de disposer d’un lieu de stationnement.

Par conséquent, Madame [P] est fondée à solliciter la condamnation de Madame [N], épouse [M], à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts.

Sur l’appel incident de Madame [N], épouse [M], au titre de dommages intérêts pour procédure abusive

L’intimée a formé appel incident sollicitant une indemnisation de 10.000 € au titre de dommages intérêts pour procédure abusive en faisant valoir que la présente action de Madame [P] tente de remettre en cause un bornage définitif, qu’elle est dans l’impossibilité de jouir paisiblement de son bien et qu’elle est constamment agressée par Madame [P].

Ceci étant exposé,

L’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière.

En l’espèce, Madame [N] ne démontre pas en quoi Madame [P] était animée par de tels objectifs dans l’exercice de son action.

En effet, comme le relèvent à juste titre les juges de premières instance, lesquels ont eu a statuer sur la demande reconventionnelle de Madame [N], Madame [L] [G] [P] qui n’avait peut-être pas connaissance de l’existence des chemins d’exploitation et de la façon dont les titres de propriété les présentaient à La Réunion, a pu légitimement se méprendre sur la portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2019.

Par ailleurs, Madame [N] ne rapporte pas la preuve des agressions rapportées.

Par conséquent, Madame [N] sera déboutée de sa demande de dommages intérêts.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes au titre des frais irrépétibles et aux dépens :

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,

Les parties supporteront leurs propres dépens et leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par décision contradictoire, en matière civile et en dernier ressort, mis à disposition au greffe, conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de révocation de l’ordonnance de clôture

DECLARE Mme [L] [G] [T] veuve [P] recevable en sa demande

CONFIRME le jugement rendu le 11 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Pierre en toutes ses dispositions

ET, Y AJOUTANT :

ENJOINS à Madame [E] [L] [K] [N], épouse [M], de retirer les cornières métalliques, panneaux en bois et le poteau en béton ferraillé empêchant partiellement l’accès à la parcelle cadastrée n° ER [Cadastre 1] appartenant Madame [L] [G] [B] [E] [P] qu’elle a fait ériger en guise de clôture, en limite séparative de son fonds cadastré ER n° [Cadastre 2] [Adresse 4] à [Localité 6] (La Réunion), avec le fonds voisin, sis parcelle cadastrée ER n° [Cadastre 1], et appartenant à [L] [G] [P];

DIT que ces travaux devront être réalisés dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt ;

DIT que passé ce délai et à défaut d’exécution, une astreinte de 300 euros par jour de retard commencera de courir contre Madame [E] [N], épouse [M], et ce pendant une période de quatre mois ;

DEBOUTE Madame [N] de sa demande de dommages intérêts

REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile 

LAISSE les parties supporter leurs propres dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Sarah HAFEJEE, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

SIGNE

 


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