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ARRÊT N°23/
CO
N° RG 22/00057 – N° Portalis DBWB-V-B7G-FU3D
[L]
S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
S.A. MMA IARD
C/
[J]
COUR D’APPEL DE SAINT – DENIS
ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2023
Chambre civile TGI
Appel d’une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-PIERRE en date du 29 OCTOBRE 2021 suivant déclaration d’appel en date du 14 JANVIER 2022 RG n° 19/01227
APPELANTES :
Madame [Z] [L]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentant : Me Jean maurice NASSAR LI WOUNG KI de la SCP MOREAU -NASSAR – HAN-KWAN, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Jean maurice NASSAR LI WOUNG KI de la SCP MOREAU -NASSAR – HAN-KWAN, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
S.A. MMA IARD
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Jean maurice NASSAR LI WOUNG KI de la SCP MOREAU -NASSAR – HAN-KWAN, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
INTIMÉE :
Madame [T] [N] [D] [J] épouse [O]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Bernard VON PINE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
DATE DE CLÔTURE : 9 février 2023
DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 Juin 2023 devant Monsieur Cyril OZOUX, Président de chambre, qui en a fait un rapport, assisté de Madame Marina BOYER, Greffière, les parties ne s’y étant pas opposées.
Ce magistrat a indiqué, à l’issue des débats, que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 22 septembre 2023. A cette date, le délibéré a été prorogé au 27 Octobre 2023.
Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Monsieur Cyril OZOUX, Président de chambre
Conseiller : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Nathalie BRUN, Présidente de chambre
Qui en ont délibéré
greffiere lors des débats : Madame Marina BOYER, Greffière.
greffiere lors de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 27 Octobre 2023.
* * * *
LA COUR :
EXPOSÉ DU LITIGE :
1- Par acte notarié des 27 et 28 janvier 2015, reçu par maître [Z] [L], notaire à [Localité 9], avec la participation de maître [W] [A], notaire au [Localité 10], assistant la venderesse, Mme [C] [D] [J], a vendu à la S.A.R.L. ELITE PROPERTY, trois parcelles, sises lieu-dit [Localité 6] à [Localité 9], cadastrées section [Cadastre 8], [Cadastre 3] et [Cadastre 4].
2- La vente a été consentie moyennant le prix de 450 000 €, payable comptant à concurrence de la somme de 90 000 €, à terme, à hauteur de la somme de 20 000 €, en une seule fois sans intérêts, au plus tard dans un délai de 6 mois à compter de l’acte de vente, le solde, soit la somme de 340 000 €, étant converti en l’obligation pour l’acquéreur de faire édifier au profit de la venderesse, pour une valeur équivalente, deux villas de type F4 sur le terrain cadastré section [Cadastre 7] resté sa propriété.
3- Le délai d’achèvement des travaux concernant les villas était fixé à 12 mois à compter de l’acte de vente et le délai de livraison des ouvrages à 15 mois sauf force majeure, suspension du délai de livraison ou causes légitimes.
4- Les deux villas n’ont pas été livrées.
5- La S.A.R.L. ELITE PROPERTY a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Saint-Pierre en date du 28 décembre 2016.
6- Le redressement judiciaire de la S.A.R.L. ELITE PROPERTY a été converti en liquidation judiciaire par un jugement du 24 mai 2017 du tribunal de grande instance de Saint-Pierre.
7- Par acte d’huissier du 27 mars 2019, Mme [T] [M] [J] a fait assigner maître [Z] [L] en responsabilité délictuelle devant le tribunal de grande instance de Saint-Pierre.
8- Les assureurs du notaire, les MMA IARD, sont intervenus volontairement par acte remis au greffe le 13 juin 2019, notifié le 19 juin 2019 par le RPVA.
9- Par jugement du 29 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Pierre a :
– Déclaré recevables les interventions volontaires des MMA IARD ;
– Débouté maître [Z] [L] de l’ensemble de ses prétentions;
– Condamné maître [Z] [L] à payer à Mme [T] [M] [J], la somme de 300 000 € au titre de la perte de chance;
– Condamné maître [Z] [L] à payer à Mme [T] [M] [J], épouse [O], la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté Mme [T] [M] [J] du surplus de ses prétentions ;
– Rejeté la demande d’exécution provisoire ;
– Condamné maître [Z] [L] aux dépens.
10- Par déclaration déposée sur le RPVA le 14 janvier 2022, la SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, la SA MMA IARD et maître [Z] [L] ont interjeté appel du dit jugement.
11- Aux termes de leurs dernières écritures transmises par le RPVA le 8 novembre 2022 (conclusions d’appelants n° 3), les appelants demandent à la cour:
– DÉCLARER recevable et bien fondés maître [L], les M.M.A IARD ASSURANCES MUTUELLES, et les M.M.A. IARD SA en leur qualité d’assureur de maître [Z] [L], en leur appel à l’encontre du jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de SAINT-PIERRE DE LA RÉUNION en date du 29 octobre 2021 ;
– INFIRMER le jugement du 29 octobre 2021 en ce qu’il a condamné maître [Z] [L], notaire au sein de la SCP [Y] [K] et [R] [S], à payer à Madame [C] [D] [J] la somme de 300.000 € au titre de la perte de chance ;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné maître [Z] [L], notaire au sein de la SCP [Y] [K] et [R] [S], à payer à Madame [C] [D] [J] la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné maître [Z] [L], notaire au sein de la SCP [Y] [K] et [R] [S] aux entiers dépens;
– DÉCLARER irrecevable la demande de Madame [T] [M] [J] formulée en appel aux termes de ses conclusions en appel N°1 contenant appel incident tendant à voir déclarer irrecevable l’intervention volontaire de l’assureur M.M.A ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
– CONFIRMER le jugement du 29 octobre 2021 en ce qu’il a déclaré recevable l’intervention volontaire des M.M.A. IARD ;
– REJETER toutes les demandes de condamnation formulées par Madame [T] [J] à l’encontre de maître [L] et des M.M.A ;
– DIRE ET JUGER que Madame [T] [M] [J] ne rapporte pas la preuve d’une faute imputable à maître [L] ;
– DIRE ET JUGER que Madame [T] [M] [J] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice actuel et certain, ayant un lien de causalité direct avec la faute reprochée au notaire ;
EN CONSÉQUENCE,
– LA DÉBOUTER de toutes ses demandes ;
– CONDAMNER Madame [T] [M] [J] à payer à maître [Z] [L] ainsi qu’aux MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD SA, une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d’appel ;
– LA CONDAMNER aux entiers dépens.
12- pour l’essentiel, les appelants font valoir :
– que la fin de non recevoir portant sur l’intervention volontaire des assureurs constitue une demande nouvelle qui ne peut être reçue en cause d’appel ;
– que Madame [T] [M] [J] était assistée lors de la vente de son propre conseil, lui-même notaire ;
– qu’aucune faute ne peut être reprochée à maître [L] ;
– que Madame [T] [N] [D] [J] s’est abstenue de mobiliser en temps utiles les garanties prévues au contrat de vente et de déclarer sa créance au passif de la société, que son inertie est fautive ;
– que les préjudices dont il est demandé réparation ne sont pas établis ou se trouvent sans lien de cause à effet direct avec une faute du notaire.
13- Aux termes de ses dernières écritures communiquées sur le RPVA le 12 octobre 2022 (conclusions n° 2 d’appel et d’appel incident), Madame [T] [M] [J] demande à la cour de :
– DÉBOUTER les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions;
– RECEVOIR Madame [T] [N] [D] [J] en son appel incident ;
Ce fait,
– CONFIRMER en toutes ses dispositions la décision querellée ;
– CONFIRMER la décision querellée en ce qu’elle a débouté maître [Z] [L], Notaire Associé au sein de la Société Civile Professionnelle « [Y] [K] et [R] [S] » de l’ensemble de ses prétentions ;
– CONFIRMER la décision qui a condamné maître [Z] [L], Notaire Associé au sein de la Société Civile Professionnelle « [Y] [K] et [R] [S] » à la somme de 300.000 euros au titre du préjudice subi par Madame Madame [C] [D] [J] ;
– CONDAMNER maître [Z] [L], Notaire Associé au sein de la Société Civile Professionnelle « [Y] [K] et [R] [S] » à la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
– RECEVOIR Madame [T] [N] [D] [J] en son appel incident ;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il n’a pas statué sur l’irrecevabilité des conclusions des appelants en première instance ;
Ce fait,
STATUANT À NOUVEAU,
– CONSTATER l’irrecevabilité des conclusions des MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et des MMA IARD SA ;
– CONSTATER la faute du Notaire pour défaut à son obligation de devoir de conseil ;
– CONDAMNER le Notaire instrumentaire, maître [Z] [L], Notaire Associé au sein de la Société Civile Professionnelle « [Y] [K] et [R] [S] », à verser à Madame [C] [D] [J] les sommes suivantes :
‘ Au titre de la vente : 340.000,00 €,
‘ Au titre de la construction des VILLAS : 300.000,00 €,
‘ Au titre du préjudice moral : 200.000,00 €,
‘ Au titre de la perte des loyers : 104.000,00 €
‘ Au titre du solde : Pour mémoire
‘ Au titre des impôts : 43.061 €
‘ Au titre de la CGSS : 1.105,67 €
—————————————–
Soit au total : 988.166,67 €
– CONDAMNER la même à la somme de 10.000, 00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
ORDONNER l’exécution provisoire.
14- Pour l’essentiel, Madame [C] [D] [J] fait valoir :
– que le contradictoire n’a pas été respecté lors de l’intervention des assureurs et que celle-ci avait pour seule finalité de permettre au notaire de conclure postérieurement à la clôture de la procédure ;
– qu’elle n’était pas assistée d’un conseil lors de la signature de l’acte et qu’en tout état de cause l’intervention d’un conseiller notaire auprès d’une partie ne dispense pas le notaire instrumentaire de son devoir de conseil;
– que le notaire a manqué à son devoir de prudence et à ses obligations de conseil et d’information.
15- La procédure a été clôturée par une ordonnance du 09 février 2023.
16- La cause est venue à l’audience du 16 juin 2023.
MOTIFS
Sur l’intervention volontaire des assureurs :
17- La fin de non recevoir que soulève Mme [T] [N] [D] [J] s’agissant de l’intervention volontaire des assureurs MMA IARD tend simplement à faire écarter les prétentions adverses et à voir infirmer un chef du jugement critiqué.
18- Cette fin de non recevoir ne peut donc pas s’analyser comme une demande nouvelle qui serait irrecevable en application des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile même si elle ne figurait pas au nombre des prétentions énoncées dans le dispositif des écritures de Mme [T] [M] [J] en première instance.
19- Sur la question du contradictoire, il est établi par les pièces versées aux débats que la constitution d’avocat des MMA IARD a été dénoncée à Mme [T] [M] [J] par notification effectuée sur le RPVA.
20- Contrairement à ce que soutient Mme [T] [M] [J], l’ordonnance rendue le 14 juin 2019 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Pierre se borne à révoquer l’ordonnance de clôture et à renvoyer la cause à la mise en état, sans se prononcer sur la recevabilité de l’intervention volontaire des assureurs.
21- La décision du tribunal déclarant recevable l’intervention des assureurs est ensuite survenue après l’échange de plusieurs jeux de conclusions entre les parties.
22- Aucun manquement au principe du contradictoire n’est donc caractérisé.
23- Pour sa part, la fraude ne se présume pas et Mme [T] [M] [J] ne démontre pas que l’intervention volontaire des assureurs avait pour seule finalité, ainsi qu’elle le soutient, de contourner la clôture prononcée par le juge de la mise en état et permettre à maître [L] de conclure à un moment où elle n’était plus dans les délais pour le faire.
24- Le moyen sera par conséquent écarté.
25- Au-delà des moyens opposés par Mme [T] [N] [D] [J], les MMA IARD, dont la qualité d’assureur de responsabilité professionnelle du notaire n’est pas contestée, ont un intérêt légitime évident à intervenir dans la procédure pour la sauvegarde de leurs droits.
27- C’est par conséquent à juste titre que le premier juge a déclaré recevables l’intervention volontaire des assureurs du notaire.
Sur la responsabilité du notaire :
Sur le manquement du notaire à son devoir de conseil :
28- Le notaire est tenu à l’égard de ses clients d’une obligation de conseil et de mise en garde afin que les droits et obligations réciproques contractés par les parties répondent aux finalités qu’elles poursuivent, soient adaptés à leurs capacités ou facultés respectives et soient assortis des stipulations propres à leur conférer leur efficacité.
29- L’acte que le notaire construit doit permettre de réaliser exactement les buts poursuivis par ses clients et leurs conséquences doivent être pleinement conformes à celles qu’ils se proposaient d’atteindre.
30- Le devoir de conseil bénéficie, sans aucune distinction, à tous les clients du notaire.
31- La présence d’un conseiller, lui même notaire, auprès de l’une ou de l’autre des parties ne dispense donc pas le notaire instrumentaire de ses obligations de conseil et de mise en garde.
32- Le fait que Mme [T] [M] [J] ait pu être conseillée par un autre notaire, maître [A], ne peut par conséquent exonérer maître [L] de ses obligations.
33- En l’espèce, il est constant que Mme [T] [N] [D] [J] a consenti à un paiement pour l’essentiel différé puisque sur les 450 000 € fixé pour prix, 20 000 € étaient stipulés payables à terme et 340 000 € au moyen d’une dation en paiement portant sur deux villas qui étaient entièrement à construire lors de la signature de l’acte.
34- Ainsi, 80 % du prix convenu se trouvait payable à terme.
35- Ces modalités de paiement justifiaient qu’une attention particulière soit portée aux garanties susceptibles d’être concédées au vendeur et imposait au notaire une obligation de conseil renforcée.
36- L’acte de vente dressé par maître [L] comporte deux stipulations en ce qui concerne les garanties du vendeur.
37- Une première clause insérée dans la première partie de l’acte (partie normalisée) et intitulée réserve de privilège et de l’action résolutoire pose le principe de deux garanties au profit de Mme [T] [N] [D] [J] : le privilège du vendeur et l’action résolutoire.
38- Cette clause est rédigée de la façon suivante :
RÉSERVE DE PRIVILÈGE ET DE L’ACTION RÉSOLUTOIRE
Privilège
A la sûreté et garantie de la livraison des locaux sus désignés dans le délai sus indiqué, en compensation du paiement de la partie du prix de la présente vente, le bien présentement vendu, savoir les 3 parcelles de terrain à bâtir cadastrées section [Cadastre 8], [Cadastre 3] et [Cadastre 4] demeurera affecté par privilège spécial au vendeur indépendamment de l’action résolutoire appartenant au vendeur qui est expressément réservée.
Inscription avec réserve de l’action résolutoire
En conséquence, inscription de ce privilège avec réserve de l’action résolutoire sera requise lors de la publication des présentes au profit du vendeur aux frais de l’acquéreur qui consent à ce qu’il soit pris et renouvelé également à ses frais, toute inscription sur le bien vendu.
39- Cette première clause est cependant complétée par une seconde stipulation, insérée dans une deuxième partie de l’acte (partie développée), sous l’intitulé promesse de cession d’antériorité, qui vient poser deux obligations à la charge de Mme [T] [N] [D] [J].
40- Par cette seconde stipulation, Mme [T] [N] [D] [J]:
* s’interdit d’exercer l’action résolutoire dont elle (il) bénéficie sans l’accord du ou des établissements bancaires ou financiers intervenus qui fourniront tous concours financiers tant à la S.A.R.L. ELITE PROPERTY, acquéreur aux présentes, qu’aux sous-acquéreurs, tant que dureront les causes du ou des dits concours ;
* promet de céder le rang de son privilège, pris ci-dessus pour des montants respectifs de 20 000 € et de 340 000 €, au profit de tous établissements bancaires ou financiers qui fourniront tous concours financiers tant à la S.A.R.L. ELITE PROPERTY, acquéreur aux présentes, qu’aux sous-acquéreurs à concurrence du montant de ces concours, en principal, intérêts, frais et accessoires, et en outre sur toute indemnité d’assurance sur laquelle la loi du 13 juillet 1930 reconnaît des droits au créancier inscrits.
41- Soumettre l’exercice de l’action résolutoire de Mme [T] [N] [D] [J] à la condition d’un accord des banques susceptibles d’intervenir dans la réalisation du programme immobilier, pour financer l’acquéreur lors de la réalisation des ouvrages ou les sous-acquéreurs lors de leur revente, revient à priver la garantie de toute effectivité.
42- Faire renoncer le vendeur à un privilège de premier rang pour accepter de venir après les banques intervenues dans le financement de l’opération, c’est compromettre l’efficacité de la sûreté.
43- En définitive, il apparaît que Mme [T] [N] [D] [J] s’est retrouvée, par l’effet de la deuxième clause insérée à l’acte, dépourvue de toute réelle garantie, alors même que 20 % seulement du prix convenu lui avait été payé par la S.A.R.L. ELITE PROPERTY.
44- Maître [L] évoque les impératifs de la commercialisation qui impliquaient, selon elle, d’offrir des garanties aux banques.
45- Il est indéniable que ces impératifs sont réels mais ils ne doivent pas conduire pour autant à un effacement des garanties du vendeur surtout lorsque la part du prix payable à terme représente, comme en l’espèce, 80 % du montant convenu.
46- Dans le cadre de son obligation de conseil, le notaire doit rechercher des solutions équilibrées permettant d’assurer la nécessaire protection des intérêts du vendeur.
47- Une meilleure protection du vendeur n’aurait d’ailleurs pas manqué d’encourager la S.A.R.L. ELITE PROPERTY à exécuter ses propres obligations et ainsi d’assurer une plus grande efficacité à l’acte.
48- A cet égard, maître [L] ne justifie pas avoir envisagé la possibilité d’une consignation d’une partie du prix lors des ventes en l’état futur d’achèvement réalisées par la S.A.R.L. ELITE PROPERTY alors même qu’il n’est pas contesté qu’elle est intervenue dans la rédaction des actes liés à la commercialisation du programme.
49- Surtout, maître [L] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu’elle a averti Mme [T] [M] [J] du risque très élevé que la seconde stipulation insérée à l’acte lui faisait encourir.
50- Au vu de ces différents éléments, c’est par conséquent à bon droit que le premier juge a considéré que maître [L] avait manqué à ses obligations.
Sur les demandes de dommages et intérêts de Mme [T] [N] [D] [J] :
51- Aux termes des dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En ce qui concerne le solde du prix de la vente
52- Il est établi par le constat réalisé par Me [X] le 03 janvier 2019 que les villas que la S.A.R.L. ELITE PROPERTY s’était engagée à édifier dans la perspective d’une dation en paiement n’ont pas été réalisées, la première restant inachevée, les travaux de la seconde n’ayant jamais seulement commencé.
53- Il n’est pas contesté que la S.A.R.L. ELITE PROPERTY a fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
54- Mme [C] [D] [J] subit par conséquent un premier préjudice à hauteur des 340 000 € correspondant à la partie du prix de vente dont elle a été privée.
55- Il ne peut être tenu pour acquis que Mme [T] [M] [J] n’aurait pas contracté avec la S.A.R.L. ELITE PROPERTY si elle avait été convenablement informée par le notaire du risque qu’elle encourait.
56- Elle n’est donc pas fondée à obtenir la condamnation du notaire à lui verser à titre de dommages et intérêts la partie du prix qui ne lui a pas été payé.
57- En manquant à son obligation de conseil, maître [L] a cependant privé Mme [T] [M] [J] d’une éventualité favorable de contracter selon des dispositions plus protectrices et ainsi d’obtenir le paiement des 340.000 € que la S.A.R.L. ELITE PROPERTY restait à lui devoir avant que celle-ci ne se trouve placée en liquidation judiciaire.
58- La probabilité que cet événement favorable serait survenu est importante dans la mesure où il est établi que le programme immobilier que la S.A.R.L. ELITE PROPERTY a réalisé sur le terrain acheté à Mme [T] [M] [J] a été largement commercialisé avec pas moins de 12 ventes en l’état futur d’achèvement, 7 villas étant complètement achevées à la date du 19 mars 2019 selon constat de Me [X], huissier de justice.
59- Il n’est pas établi que Mme [T] [M] [J] a contribué par son comportement à la survenue de son dommage.
60- Les parties appelantes ne rapportent pas la preuve qui leur incombe du caractère fautif de l’inertie qu’elles prêtent à Mme [T] [M] [J] dans le cadre de la liquidation judiciaire de la S.A.R.L. ELITE PROPERTY.
61- Il n’est pas démontré non plus qu’une déclaration de créance auprès des organes de la procédure collective lui aurait permis à Mme [T] [N] [D] [J] d’obtenir tout ou partie du prix que la S.A.R.L. ELITE PROPERTY restait à lui verser.
62- Mme [C] [D] [J] est par conséquent fondée à être indemnisée par son notaire, au titre de la perte de chance, à concurrence de 90 % du préjudice plein, soit la somme de 306 000 €.
En ce qui concerne les travaux nécessaires pour achever les villas :
63- Il est établi que les villas destinées à la dation en paiement n’ont pas été réalisées, la première restant inachevée, les travaux de la seconde n’ayant jamais seulement commencé.
64- S’agissant d’une simple modalité du paiement, l’inachèvement des ouvrages prévus ne cause par lui même aucun préjudice à Mme [T] [N] [D] [J].
65- Il ne peut donc lui être alloué une quelconque réparation au titre des travaux restant à exécuter.
En ce qui concerne les impôts et les cotisations sociales :
66- Il n’y a pas de lien de cause à effet entre les différents impôts et cotisations auxquels Mme [T] [N] [D] [J] s’est trouvée soumise et le manquement de maître [L] à son devoir de conseil.
67- Il ne saurait par conséquent être alloué une quelconque indemnisation de ce chef à Mme [T] [M] [J], y compris au titre d’une perte de chance.
En ce qui concerne la perte de loyers :
68- Mme [T] [M] [J] ne produit aucun élément qui permette d’établir que les villas que la S.A.R.L. ELITE PROPERTY s’était engagée à construire étaient destinées à la location ni qu’elles étaient susceptibles de trouver preneur, chacune, pour un loyer mensuel de 1000 €.
69- La preuve du préjudice allégué n’est donc pas rapportée.
70- Il ne peut par conséquent être alloué de dommages et intérêts de ce chef.
En ce qui concerne le préjudice moral :
71- Mme [C] [D] [J] a nécessairement subi un préjudice moral en raison des tracas et des soucis qui lui sont causés depuis plusieurs années par les manquements de son notaire à ses obligations.
72- Elle a assisté, impuissante, à l’aménagement puis à la commercialisation des parcelles issues de la division de son fonds alors qu’elle n’avait été payée qu’à hauteur de 20 % du prix convenu.
73- Elle verse aux débats un certificat médical établi le 07 mars 2019 par le Docteur [G] qui fait ressortir un syndrome dépressif réactionnel.
74- En l’état de ce seul élément, l’évaluation de ce chef de préjudice ne saurait excéder la somme de 6000 euros.
75- En manquant à son obligation de conseil, la notaire a privé Mme [T] [N] [D] [J] d’une chance d’éviter ces soucis.
76- La probabilité que cet événement favorable serait survenu est importante compte tenu du niveau de commercialisation du programme immobilier (7 villas achevées sur 12).
77- Mme [C] [D] [J] est par conséquents fondée à être indemnisée par la notaire au titre de la perte de chance à concurrence de 90 % du préjudice plein soit la somme de 5400 €.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
78- Maître [L], partie succombante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
79- En tant qu’elle supporte les dépens, maître [L] n’est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l’article700 du code de procédure civile.
80- Il serait inéquitable de laisser Mme [T] [N] [D] [J] supporter la charge des frais irrépétibles qu’elle a été conduite à exposer.
81- La décision du premier juge sera confirmée en ce qui concerne les frais irrépétibles de première instance.
82- Maître [L] sera en outre condamnée à verser à Mme [C] [D] [J] une somme de 2500 € au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, en matière civile, par voie de mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 29 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Saint-Pierre en ce qu’il déclare recevables les interventions volontaires des MMA IARD et condamne maître [L] à verser à Mme [C] [D] [J] une indemnité pour frais irrépétibles d’un montant de 3000 € outre la prise en charge des dépens ;
Statuant à nouveau,
Dit que maître [L] a manqué à son devoir de conseil ;
Condamne maître [L], notaire associé au sein de la société civile professionnelle ‘[Y] [K] et [R] [S]’, à verser à Mme [C] [D] [J], à titre de dommages et intérêts, les sommes de :
‘ 306 000 € pour la perte de chance d’obtenir un complet paiement sur la vente de ses terrains ;
‘ 5 400 € en réparation de son préjudice moral ;
Condamne maître [L], notaire associé au sein de la société civile professionnelle ‘[Y] [K] et [R] [S]’, à verser à Mme [C] [D] [J] la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Condamne maître [L], notaire associé au sein de la société civile professionnelle ‘[Y] [K] et [R] [S]’, aux dépens de l’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Cyril OZOUX, Président de chambre, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT