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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général
N° RG 23/06662 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHN3T
Décision déférée à la cour
Jugement du 27 février 2023-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 22/81974
APPELANTS
Monsieur [H] [R]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
S.A.R.L. LENA ET RUBEN PARTICIPATIONS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentés par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Plaidant par Me Martin VALLUIS de l’AARPI MIGUERES MOULIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R016 et par Me Emmanuel MOULIN de l’AARPI MIGUERES MOULIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R016
INTIMEE
S.A.R.L. COMPAGNIE DE PHALSBOURG
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Plaidant par Me Stéphane DAYAN de la SELAS SELAS ARKARA AVOCATS SDPE, avocat au barreau de PARIS, toque : P418
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 25 octobre 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
Déclarant agir en vertu d’une ordonnance sur requête rendue par le juge de l’exécution de Paris le 3 juin 2022, la société Compagnie de Phalsbourg a mis en place :
– le 7 juin 2022 une saisie conservatoire de droits d’associé à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la société Foncière Brive, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 14 juin 2022.
– le 7 juin 2022 une saisie conservatoire de droits d’associé à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la société Foncière Portet, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 14 juin 2022.
– le 7 juin 2022 une saisie conservatoire à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la Société Générale, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 14 juin 2022.
– le 8 juin 2022 une saisie conservatoire à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 14 juin 2022.
– le 8 juin 2022 une saisie conservatoire à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la banque CIC, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 14 juin 2022 ;
– le 10 juin 2022 une saisie conservatoire à l’encontre de la société Lena et Ruben Participations et entre les mains de la banque Populaire Alsace Lorraine Champagne, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée à la débitrice le 20 juin 2022.
– le 14 juin 2022 une saisie conservatoire à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la Société Générale, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros ; cette mesure a été dénoncée au débiteur le 21 juin 2022.
Déclarant agir en vertu d’une ordonnance sur requête rendue par le juge de l’exécution de Paris le 29 juin 2022, la société Compagnie de Phalsbourg a, le 6 juillet 2022, mis en place une saisie conservatoire à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la société Foncière Portet, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros.
Le 13 octobre 2022, M. [R] a cédé à la SCI Foncière Buchelay sa créance à l’encontre de la société Foncière Portet.
Déclarant agir en vertu d’une ordonnance sur requête rendue par le juge de l’exécution de Paris le 3 novembre 2022, la société Compagnie de Phalsbourg a, le 14 novembre 2022, mis en place une saisie conservatoire à l’encontre de M. [R] et entre les mains de la société Foncière Portet, pour conservation de la somme de 2 157 596,77 euros.
Saisi de contestations par assignation datée du 28 novembre 2022, le juge de l’exécution de Paris a, par jugement daté du 27 février 2023 :
– débouté M. [R] et la société Lena et Ruben Participations de leur demande de caducité et de mainlevée des saisies conservatoires des 7, 8, 10 juin et 6 juillet 2022 ;
– cantonné les effets de ces mesures à hauteur de 967 446,03 euros pour M. [R] et à hauteur de la même somme pour la société Lena et Ruben Participations ;
– débouté M. [R] et la société Lena et Ruben Participations de leur demande de cantonnement des mesures à la seule saisie conservatoire des parts sociales de M. [R] dans la société Foncière Brive ;
– débouté M. [R] et la société Lena et Ruben Participations de leur demande de dommages et intérêts ;
– débouté M. [R] et la société Lena et Ruben Participations de leur demande en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum M. [R] et la société Lena et Ruben Participations à payer à la société Compagnie de Phalsbourg la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [R] et la société Lena et Ruben Participations aux dépens.
Pour statuer ainsi, il a relevé :
– que selon acte sous seing privé du 16 octobre 2014, valant protocole, M. [R] et la société Lena et Ruben Participations avaient reconnu devoir à la société Compagnie de Phalsbourg la somme de 1 166 476 euros qui leur était prêtée à titre d’avance de trésorerie ; qu’il n’existait pas de terme conventionnel alors que la mise en demeure qui avait été adressée par la créancière ne visait que les intérêts dus ; que la prescription n’était donc pas acquise ;
– qu’une créance paraissant fondée en son principe était donc mise en évidence, si ce n’est que M. [R] et la société Lena et Ruben Participations n’étaient redevables que de la moitié de la dette chacun, faute de clause de solidarité dans la reconnaissance de dette ;
– que les mesures conservatoires en cause n’étaient pas caduques car la créancière avait délivré aux débiteurs une assignation en paiement devant le Tribunal judiciaire de Paris, laquelle avait bien été placée ;
– que des circonstances menaçaient le recouvrement de la dette, dans la mesure où le capital social de la société Lena et Ruben Participations ne s’élevait qu’à 1 000 euros, alors que M. [R] avait vendu ses parts de la société Foncière Portet, et avait cédé à la SCI Foncière Buchelay la créance qu’il détenait contre ladite société ; que les parts de M. [R] dans la société Foncière Brive faisaient l’objet d’un nantissement ; que ce dernier ne justifiait pas de la valorisation des parts de ladite société.
Selon déclaration en date du 6 avril 2023, M. [R] et la société Lena et Ruben Participations ont relevé appel de ce jugement.
En leurs conclusions notifiées le 18 octobre 2023, M. [R] et la société Lena et Ruben Participations font valoir :
– que M. [G] et M. [R] sont à l’origine d’un projet d’aménagement d’un centre commercial à [Localité 4], et ont créé à cet effet plusieurs sociétés ;
– que M. [G] a commis diverses irrégularités et a usé de représailles en tentant de le faire révoquer de ses fonctions ; qu’une action en responsabilité à son encontre est actuellement pendante devant le Tribunal judiciaire de Paris ;
– que s’agissant de la saisie conservatoire du 14 novembre 2022, elle ne peut avoir d’effet, car M. [R] a le 13 octobre 2022 cédé sa créance à l’encontre la société Foncière Portet à la SCI Foncière Buchelay, cette cession étant notifiée le jour même au débiteur cédé ; que la SCI Foncière Buchelay, qui ne parvient pas à obtenir libération des fonds, a intérêt à ce que la mainlevée de ladite mesure conservatoire soit ordonnée ;
– que les saisies conservatoires litigieuses sont caduques en vertu de l’article R 511-7 du code des procédures civiles d’exécution, l’assignation en paiement devant le Tribunal judiciaire de Paris qui leur avait été délivrée le 5 juillet 2022 par la société Compagnie de Phalsbourg n’ayant pas été placée ; que le greffe du Tribunal a bien confirmé le 5 octobre 2022 que cette assignation n’avait pas été enrôlée ; que le Tribunal judiciaire de Paris n’étant pas saisi il ne pouvait rendre de décision de caducité ; que la constitution d’avocat des défendeurs s’est faite sur l’attribution d’un numéro de RG provisoire et non pas définitif ;
– que la société Compagnie de Phalsbourg ne justifie pas d’une créance paraissant fondée en son principe ; que le prêt est un contrat réel qui suppose la remise de la chose à savoir le capital ; qu’il n’existe pas de preuve du versement des sommes en cause ; que l’article L 511-5 du code monétaire et financier interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement de concéder des prêts à titre habituel ; que le prétendu prêt n’a jamais été déclaré ou enregistré auprès de l’administration fiscale ;
– que la prescription de cinq ans est acquise ; qu’en effet ce prêt devait être remboursé au plus tard le 1er janvier 2014, alors qu’une demande en paiement a été faite par la société Compagnie de Phalsbourg le 29 juin 2015 ;
– qu’aucun acte interruptif de prescription ne peut être retenu, car ils n’ont pas reconnu devoir la dette, et que sur ce point il ne saurait être tenu compte des écritures qui avaient été prises par la SCI Foncière Buchelay ; qu’en effet, pour être interruptive de prescription, la reconnaissance de dette doit émaner du débiteur lui-même et non pas d’un tiers ;
– qu’il n’existe pas de péril sur le recouvrement de la prétendue créance ; qu’en effet M. [R] est un professionnel de l’immobilier qui détient des parts dans une dizaine de sociétés pour la somme de 40 millions d’euros environ ; qu’il est en outre titulaire de comptes courants dans ces sociétés pour plus de 2 millions d’euros ; qu’il détient 99 % des parts de la SCI Foncière Buchelay ;
– que s’agissant de la SCI Foncière Brive, ses parts ont été nanties en 2011 mais la dette objet du nantissement s’est beaucoup réduite, passant de 7 384 066,78 euros à 3 129 853,43 euros ; que ses actifs sont évalués entre 8,6 et 9,4 millions d’euros ; que M. [R] détient 450 parts dans cette société ;
– que la cession de créance opérée par ce dernier n’avait nullement pour but de créer son insolvabilité.
M. [R] et la société Lena et Ruben Participations demandent en conséquence à la Cour de :
– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a divisé la dette en deux parts égales entre eux ;
– prononcer la caducité des saisies conservatoires pratiquées par la société Compagnie de Phalsbourg ;
– subsidiairement, ordonner la mainlevée des saisies conservatoires autorisées les 3 et 29 juin 2022 ;
– très subsidiairement, cantonner les mesures conservatoires à celles portant sur les parts de M. [R] dans la SCI Foncière Brive ;
– dire que M. [R] et la société Lena et Ruben Participations sont redevables chacun d’une moitié de la dette et confirmer le jugement sur ce point ;
– condamner la société Compagnie de Phalsbourg à payer à M. [R] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
– condamner la société Compagnie de Phalsbourg à payer à M. [R] et la société Lena et Ruben Participations la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile chacun ;
– la condamner aux dépens qui seront recouvrés par Maître Teytaud.
Dans ses conclusions notifiées le 5 octobre 2023, la société Compagnie de Phalsbourg réplique :
– qu’elle est dirigée par M. [G] ; que M. [R] ne disposait pas, lors du lancement du projet immobilier, de liquidités suffisantes si bien que c’est elle qui a financé l’opération en ses lieu et place ; qu’un conflit a éclaté, ayant donné lieu à un protocole daté du 16 octobre 2014, M. [R] et la société Lena et Ruben Participations devant lui rembourser une partie des avances de trésorerie à eux concédées ; que les causes dudit protocole n’étant pas payées, une sommation de le faire a été délivrée le 28 avril 2022 ;
– qu’elle a mis en place diverses mesures conservatoires, notamment les 8 juin et 3 juillet 2022, qui n’ont pas été contestées par M. [R], puis une autre le 6 juillet 2022 qui est caduque ; qu’elle a ensuite délivré aux parties adverses une assignation en paiement le 5 juillet 2022, laquelle a été placée par RPVA au Tribunal judiciaire de Paris le 13 juillet suivant en vue d’une audience prévue le 5 octobre 2022 ; que le greffe de la juridiction a accusé réception de cette assignation ; que c’est à la suite d’une erreur dudit greffe ou d’un dysfonctionnement du RPVA que l’affaire n’a pas figuré au rôle de l’audience susvisée ; que cela n’est pas de son fait ; que M. [R] et la société Lena et Ruben Participations savaient pertinemment qu’une instance était en cours et ont d’ailleurs constitué avocat ; qu’aucun jugement n’a été rendu par le Tribunal judiciaire de Paris constatant la caducité de l’assignation en question ;
– que devant la cession frauduleuse de la créance de M. [R] à l’encontre de la société Foncière Portet, survenue le 13 octobre 2022, elle a d’une part sollicité une nouvelle saisie conservatoire, qui a été autorisée le 3 novembre 2022, d’autre part introduit une action en nullité de cette cession devant le Tribunal judiciaire de Paris ;
– qu’il existe bien une créance paraissant fondée en son principe ; que le protocole susvisé a été contesté en vain par la SCI Foncière Buchelay devant le Tribunal judiciaire puis devant la Cour d’appel de Paris ; qu’il a ainsi l’autorité de chose jugée ;
– que la prescription n’est pas acquise ; qu’en effet la dette n’était pas exigible au 29 juin 2015, date de la mise en demeure qui ne visait que les intérêts ; que pour sa part, M. [R] n’a pas contesté devoir cette dette ; que la prescription a été interrompue par les conclusions prises par la SCI Foncière Buchelay devant le Tribunal judiciaire de Paris le 25 avril 2018, reconnaissant devoir la dette ;
– que le juge de l’exécution a estimé à tort qu’elle devait se diviser en deux parts entre les débiteurs, la solidarité étant présumée ;
– qu’il existe un risque sur le recouvrement des sommes à elle dues ; qu’en effet l’activité du groupe a été réduite par l’épidémie de Covid 19 ; que ses sociétés sont en difficulté ; que M. [R] organise son insolvabilité alors que les parts sociales qu’il détient sont nanties et que ses créances au titre des comptes courants ne sont pas liquides ; qu’il ne produit pas de pièces comptables probantes ;
– que dans ses conclusions déposées devant le conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Paris, la SCI Foncière Buchelay a reconnu que les revenus de l’intéressé étaient faibles ;
– que le nantissement des parts de la SCI Foncière Brive serait insuffisant à garantir sa créance.
La société Compagnie de Phalsbourg demande en conséquence à la Cour de :
– confirmer le jugement sauf en ce qu’il a cantonné les effets des saisies conservatoires à hauteur de 967 446,03 euros pour M. [R] et de la même somme pour la société Lena et Ruben Participations ;
– le réformer sur ce point et dire qu’elle détient une créance paraissant fondée en son principe à hauteur de la totalité de la dette envers les deux débiteurs ;
– condamner solidairement M. [R] et la société Lena et Ruben Participations au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– les condamner solidairement aux dépens.
MOTIFS
S’agissant de la saisie conservatoire du 6 juillet 2022, en application de l’article R 522-5 alinéa 2 du code des procédures civiles d’exécution, à peine de caducité, elle devait être dénoncée au débiteur dans les huit jours. La société Compagnie de Phalsbourg reconnaît dans ses écritures que cette saisie conservatoire est caduque alors qu’aucun acte de dénonciation à M. [R] n’a été produit. Il convient, par infirmation du jugement, de déclarer cette saisie conservatoire caduque.
En vertu de l’article R 511-7 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution, si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.
Par acte en date du 5 juillet 2022, la société Compagnie de Phalsbourg a assigné M. [R] et la société Lena et Ruben Participations devant le Tribunal judiciaire de Paris en vue d’obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 1 166 476 euros avec intérêts au taux de 8,50 %, et 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Un litige demeure sur le point de savoir si cette assignation a été enrôlée ou non, les défendeurs s’étant constitués le 18 juillet 2022, mais la société Compagnie de Phalsbourg soutenant qu’ils ne l’ont fait que sur la foi d’un numéro de RG provisoire, lequel intervenait sur production d’une simple copie du projet d’assignation, et non pas d’un numéro de RG définitif. La Cour relève que la société Compagnie de Phalsbourg a réassigné les défendeurs le 29 novembre 2022, ce qui démontre qu’une difficulté est survenue, alors que par message RPVA du 5 octobre 2022, le greffe avait indiqué que la première assignation n’avait pas été placée. Le texte susvisé exige uniquement qu’une procédure soit introduite, et la seule délivrance de l’assignation, qui est un acte introductif d’instance, suffit à satisfaire aux exigences dudit texte, peu important que ladite assignation ait été enrôlée ou non. Les saisies conservatoires querellées ne sont donc pas caduques et le jugement sera confirmé sur ce point.
L’article R 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.
S’agissant de la créance paraissant fondée en son principe, il résulte des pièces produites que :
– un protocole d’accord conclu entre la SCI Unimetz 1, la SCI Unimetz 2, la SCI Mentor, la SCI Lucifer, la SCI Cristalina, la société Compagnie de Phalsbourg, la SCI Foncière Buchelay, la SCI Les Arches métropole, la société Lena et Ruben, M. [G] et la SCI Arnold promotion rappelait en son article 4 que la société Compagnie de Phalsbourg avait opéré pour le compte de M. [R] et de la société Lena et Ruben Participations une avance de trésorerie liée aux travaux de construction des cellules appartenant aux sociétés Lucifer, Mentor et Cristalina, dans lesquelles ils étaient associés, pour un montant de 1 166 476 euros, et qu’à ce titre, la société Compagnie de Phalsbourg décidait de consentir un prêt de ce montant au taux de 8,50 % à M. [R] et à la société Lena et Ruben, les intérêts devant être remboursés à effet rétroactif du 1er janvier 2014 et jusqu’à l’obtention du refinancement de la SCI Cristalina ;
– selon jugement daté du 20 novembre 2019, le Tribunal judiciaire de Paris, saisi de contestations par la SCI Foncière Buchelay au sujet de ce protocole, a déclaré l’intéressée irrecevable en sa contestation, après avoir relevé que les travaux de construction avaient été entièrement financés par la société Compagnie de Phalsbourg, laquelle avait demandé à ses associés d’honorer leurs apports en compte courant à due concurrence, que ce protocole avait pris en considération les diverses cessions de parts sociales intervenues et arrêté leurs conditions de remboursement, que M. [R], la société Lena et Ruben Participations et d’autres sociétés s’étaient vus octroyer un prêt au taux de 8,50 % par la société Compagnie de Phalsbourg, que cet accord du 16 octobre 2014 était définitif et valait transaction, que son économie générale portait sur les engagements financiers, et qu’il ne pouvait survivre à l’annulation de l’une des cessions de parts sociales ;
– par arrêt du 20 mai 2021, la Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions, après avoir relevé que M. [R] étant dans l’incapacité financière d’honorer les apports qui lui incombaient à raison de ses participations dans les diverses SCI impliquées dans le projet de centre commercial, et alors que l’avenir dudit projet était incertain eu égard au refus émis le 31 juillet 2014 par la Commission départementale d’aménagement commercial de la Moselle d’installer le centre commercial en question à Moulins-les-Metz, M. [R] avait accepté de céder ses parts dans la SCI Unimetz 1 à leur valeur nominale en échange de l’effacement de toutes les dettes dont il était redevable en sa qualité d’associé dans cette SCI, si bien qu’il existait des concessions réciproques au sens de l’article 2044 du code civil en sa version alors en vigueur ;
– un commandement de payer a été délivré les 28 et 29 avril 2022 par la société Compagnie de Phalsbourg aux débiteurs, à la suite de quoi M. [R] a contesté la dette tant en son principe qu’en son quantum, eu égard à l’absence de prêt.
Il importe peu que ce prêt n’ait jamais été déclaré ou enregistré auprès de l’administration fiscale. Les éléments sus-énoncés permettent de mettre en évidence à tout le moins une créance paraissant fondée en son principe, puisque la société Compagnie de Phalsbourg a avancé des fonds à M. [R] et à la société Lena et Ruben, que ceux-ci devaient rembourser moyennant le versement d’intérêts. Il sera rappelé qu’au stade de la contestation d’une mesure conservatoire, il n’y a pas lieu de faire les comptes entre les parties ni de statuer sur la totalité des contestations portant sur le montant de la créance qu’elles forment à ce sujet.
Les appelants soutiennent que la prescription est acquise. En vertu de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Le protocole ne stipulait aucun terme. Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 29 juin 2015, le conseil de la société Compagnie de Phalsbourg a mis en demeure la société Lena et Ruben Participations de régler la somme de 94 207 euros ; il résulte de la lecture de cette mise en demeure qu’il s’agissait uniquement des intérêts du prêt ; le paiement du principal n’ayant pas été réclamé, il faut considérer qu’il n’était pas requis à cette date, si bien que le délai de prescription n’a pas couru.
La société Compagnie de Phalsbourg poursuit l’infirmation du jugement en ce qu’il a cantonné les effets de la saisie conservatoire à 967 446,03 euros pour M. [R] et de la même somme pour la société Lena et Ruben, après avoir relevé que la dette dont s’agit ne revêtait pas de caractère solidaire. Aucune clause de solidarité n’a été insérée dans le protocole susvisé alors que la dette est d’une nature civile, et c’est d’ailleurs pour cette raison que la société Compagnie de Phalsbourg a assigné les débiteurs en paiement devant le Tribunal judiciaire de Paris et non pas le Tribunal de commerce, si bien que la solidarité n’est pas présumée. Le jugement sera confirmé de ce chef.
S’agissant des circonstances menaçant le recouvrement de la dette, il convient de déterminer si les craintes que l’intimée entretient à ce sujet sont légitimes, sans qu’il soit besoin de démontrer que M. [R] et/ou la société Lena et Ruben Participations se trouvent nécessairement en cessation des paiements ou dans une situation financière irrémédiablement compromise.
M. [R] détient des parts sociales dans de nombreuses SCI.
Toutefois le procès-verbal d’assemblée générale ordinaire de la SCI Arnold promotion, dont M. [R] est co-gérant, de l’année 2017, fait état d’une perte de 351 323 euros qui a dû être prise en charge par les associés, alors que ces pertes se sont élevées en 2018 à 639 837 euros, en 2019 à 705 174 euros, en 2020 à 705 174 euros, et en 2021 à 53 045 euros. Dans son vote par correspondance à l’assemblée générale susvisée, M. [R] avait voté ‘non’ à l’ensemble des résolutions en relevant que des dépenses excessives avaient été engagées dans cette société et qu’il existait des actes anormaux de gestion imputables à M. [G], qui du reste est le gérant de la société Compagnie de Phalsbourg. M. [R] a reproché à ce dernier de nombreuses et graves fautes de gestion.
La SCI Foncière Buchelay reste redevable, au mois d’octobre 2023, de la somme de 3 771 536,88 euros au titre d’un prêt en cours, à elle accordé par la société Locindus, d’un montant en capital de 4 500 00 euros. Il sera rappelé que M. [R] est caution de ce prêt. Les parts sociales que détient ce dernier dans la SCI Foncière Buchelay font l’objet d’un nantissement au profit de la société CMCIC Lease, et ce pour sûreté de la somme de 5 000 000 euros. Dans des conclusions sur incident déposées devant le conseiller de la mise en état dans le cadre d’un appel formé contre une décision du Tribunal judiciaire de Paris datée du 2 septembre 2019, la SCI Foncière Buchelay a longuement fait état, pour s’opposer à la demande de radiation qui était formée par les parties adverses, la SCI Mentor et M. [G], de sa situation financière difficile consécutive à la dégradation brutale de ses résultats, son manque de trésorerie, son endettement, la diminution des loyers par elle perçus et l’absence de perspectives positives.
La SCI Cristalina compte parmi ses associés la SCI Foncière Buchelay, dans laquelle M. [R] est lui-même associé. Elle est endettée au titre d’un contrat de crédit-bail à elle consenti le 29 juillet 2013 dans le cadre d’un investissement maximum hors taxes de 14 366 799 euros. Devant ses difficultés financières nées de l’épidémie de Covid 19, elle a dû solliciter du crédit-bailleur un report de paiement de loyers. M. [R] est d’ailleurs caution au titre de cet engagement. Le 25 septembre 2023, elle a été assignée en référé devant le président du Tribunal judiciaire de Paris par la SCI Foncière Buchelay, qui sollicite sa condamnation provisionnelle au paiement de la somme de 386 485,25 euros.
La SCI Lucifer, qui elle aussi compte parmi ses associés la SCI Foncière Buchelay dans laquelle M. [R] est lui-même associé, a également dû solliciter un report de paiement des échéances qu’elle a à régler au titre d’un contrat de crédit-bail immobilier. Elle a par ailleurs été assignée en référé le 25 septembre 2023 par la SCI Foncière Buchelay qui réclame sa condamnation au paiement d’une provision de 651 287,43 euros.
Dans un courrier daté du 22 septembre 2023, émanant des SCI Cristalina, Mentor et Lucifer, les intéressées ont reconnu que le chiffre d’affaires avait baissé de 25 % entre les exercices 2019 et 2020 du fait de l’épidémie de Covid 19 qui avait eu pour effet la fermeture du site durant quatre mois et des restaurants durant huit mois. Il sera rappelé que parmi les associés de ces SCI figure la SCI Foncière Buchelay, dont M. [R] et son épouse sont les seuls associés. Le fonctionnement de ces SCI ne peut qu’être perturbé en raison du conflit aigu survenant entre M. [R] et M. [G].
La SCI Mentor a, elle aussi, été assignée en référé par la SCI Foncière Buchelay qui réclame sa condamnation au paiement d’une provision de 934 283,49 euros.
S’agissant de la société Foncière Brive, M. [R] soutient, à titre subsidiaire, qu’une sûreté portant sur ses parts sociales serait suffisante pour garantir le recouvrement de la créance de la société Compagnie de Phalsbourg, mais il sera rappelé que lesdites parts sociales font l’objet d’un nantissement. En effet, la société Cicobail a, le 12 juillet 2011, consenti à la société Foncière Brive un crédit-bail immobilier. Le montant du loyer trimestriel est de plus de 140 000 euros à ce jour et les appelants reconnaissent dans leurs écritures que la dette de la société Foncière Brive s’élève à ce jour à 3 129 853,43 euros. Une sûreté sur les seules parts sociales de celle-ci serait donc notoirement insuffisante pour garantir le paiement des sommes présentement dues à la société Compagnie de Phalsbourg.
Le conseiller de la mise en état de cette Cour avait relevé, en son ordonnance sur incident en date du 18 février 2021, que M. [R] produisait des avis d’imposition montrant des revenus en grande partie absorbés par le paiement d’une pension alimentaire. Il ne justifie pas de ses ressources actuelles.
Lors de la mise en place de la saisie conservatoire du 8 juin 2022 à l’encontre de M. [R], la banque populaire Alsace Lorraine Champagne a indiqué que le compte était créditeur de seulement 2 793,39 euros. La banque CIC, pour sa part, a annoncé un solde saisissable de 1 345,61 euros. La Société générale a mentionné un solde saisissable de 3 246,36 euros.
Lors de la mise en place des saisies conservatoires à l’encontre de la société Lena et Ruben, a été déclaré un solde créditeur de 2 141,06 euros par la banque populaire Alsace Lorraine Champagne. Il sera rappelé que le capital social de la société Lena et Ruben, qui constitue le gage irréductible de ses créanciers, ne s’élève qu’à 500 euros, par l’effet d’une délibération de son assemblée générale du 23 mai 2022 ; l’intéressée a racheté ses propres parts sociales, si bien que M. [R] n’en détient plus aucune à ce jour.
En outre, selon acte sous seing privé du 13 octobre 2022, M. [R] a cédé à la SCI Foncière Buchelay la créance qu’il détenait à l’encontre de la société Foncière Portet ; la proximité de date avec les précédentes mesures conservatoires, ainsi que la circonstance que les deux associés de la SCI Foncière Buchelay ne sont autres que M. [R] et son épouse, laissent à penser que l’intéressé a voulu organiser son insolvabilité et éviter une nouvelle saisie conservatoire entre les mains de la société Foncière Portet. D’ailleurs, ledit acte de cession de créance faisait expressément référence à la saisie conservatoire du 6 juillet 2022 qui était caduque.
Les parts sociales que détient M. [R] dans ces diverses sociétés ne sont donc pas d’une valeur telle qu’elles puissent rassurer la créancière sur les conditions dans lesquelles elle pourra recouvrer son dû. Au vu du montant de la dette invoquée par la société Compagnie de Phalsbourg (2 157 596,77 euros), le patrimoine et les ressources de M. [R] ne sont pas suffisamment importants pour garantir le service de la dette. La prise de mesures conservatoires constitue pour l’intimée, concrètement, le seul moyen d’être assurée d’être payée sans être primée par des créanciers postérieurs.
Dans ces conditions, la société Compagnie de Phalsbourg invoque à juste titre des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de son dû.
Le jugement est confirmé en l’ensemble de ses dispositions à l’exception de celles concernant la saisie conservatoire du 6 juillet 2022.
L’équité ne commande pas d’allouer une indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile à la société Compagnie de Phalsbourg.
M. [R] et la société Lena et Ruben Participations seront condamnés in solidum aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
– CONFIRME le jugement en date du 27 février 2023 ;
– REJETTE la demande de la société Compagnie de Phalsbourg en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNE in solidum M. [R] et la société Lena et Ruben Participations aux dépens d’appel.
Le greffier, Le président,