Contexte de l’affaireM. [H] [E] et Mme [F] [L] épouse [E] ont contracté un prêt personnel de regroupement de crédits d’un montant de 53.700 euros auprès de la société Créatis le 17 avril 2018. Ce prêt était remboursable en 144 mensualités avec un taux débiteur annuel fixe de 4,31 %. Déchéance du terme et assignationEn raison d’échéances impayées, la société Créatis a prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit après une mise en demeure datée du 28 avril 2023. Le 7 septembre 2023, Créatis a assigné M. et Mme [E] devant le juge des contentieux de la protection pour obtenir le paiement d’une somme de 45.330,87 euros, incluant une indemnité de clause pénale. Jugement du tribunal de BourgesLe 6 décembre 2023, le juge des contentieux de la protection a prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la société Créatis, condamnant M. et Mme [E] à payer 26.780,90 euros sans intérêts au taux légal. La demande d’indemnité au titre de la clause pénale et la demande de capitalisation des intérêts ont été rejetées. Appel de la société CréatisLa société Créatis a interjeté appel de cette décision le 8 janvier 2024, demandant l’infirmation du jugement et la condamnation des emprunteurs à payer la somme totale de 45.330,87 euros, incluant les intérêts et l’indemnité conventionnelle. Arguments de la société CréatisCréatis a soutenu que le contrat de crédit était valide et que les emprunteurs avaient reçu toutes les informations précontractuelles nécessaires. Elle a également demandé la capitalisation des intérêts et le paiement des frais de recouvrement. Décision de la cour d’appelLa cour a confirmé la déchéance du droit aux intérêts de Créatis, mais a infirmé la condamnation à payer 26.780,90 euros, ordonnant plutôt le paiement de 27.353,16 euros au titre du capital restant dû. Le taux d’intérêt applicable a été fixé à 1 % à compter du 7 septembre 2023. Conclusion sur les frais et dépensLa cour a rejeté la demande de Créatis concernant les frais de recouvrement et a condamné la société aux entiers dépens de l’instance d’appel. La demande d’exécution par un commissaire de justice a également été déclarée irrecevable. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COPIE OFFICIEUSE
à :
– SCP ROUAUD & ASSOCIES
Expédition TJ
LE : 24 OCTOBRE 2024
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2024
N° – Pages
N° RG 24/00021 – N° Portalis DBVD-V-B7I-DTSC
Décision déférée à la Cour :
Jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de BOURGES en date du 06 Décembre 2023
PARTIES EN CAUSE :
I – S.A. CREATIS agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social:
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]
N° SIRET : 419 446 034
Représentée par la SCP ROUAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES
timbre fiscal acquitté
APPELANTE suivant déclaration du 08/01/2024
II – M. [H] [E]
né le [Date naissance 4] 1981 à [Localité 8] (ROUMANIE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Non représenté
Suivants déclaration d’appel et conclusions signifiées par commissaire de justice les 27 février 2024 et 19 avril 2024 transformées en procès-verbal de recherches infructueuses
INTIMÉ
III – Mme [F] [L] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 7] (ROUMANIE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Non représentée
Suivants déclaration d’appel et conclusions signifiées par commissaire de justice les 27 février 2024 et 19 avril 2024 transformées en procès-verbal de recherches infructueuses
INTIMÉE
24 OCTOBRE 2024
N° /2
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Septembre 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. PERINETTI, Conseiller chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Odile CLEMENT Présidente de Chambre
M. Richard PERINETTI Conseiller
Mme Marie-Madeleine CIABRINI Conseillère
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme SERGEANT
***************
ARRÊT : RENDU PAR DEFAUT
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE
Suivant acte sous seing privé en date du 17 avril 2018, M. [H] [E] et Mme [F] [L] épouse [E] ont contracté auprès de la société Créatis un prêt personnel de regroupement de crédits d’un montant de 53.700 euros, remboursable en 144 mensualités, au taux débiteur annuel fixe de 4,31 %.
Se prévalant d’échéances impayées et non régularisées malgré une mise en demeure du 28 avril 2023, la société Créatis a prononcé la déchéance du terme du contrat de crédit.
Suivant acte de commissaire de justice en date du 7 septembre 2023, la société Créatis a fait assigner M. et Mme [E] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bourges aux fins de voir, en l’état de ses dernières demandes,
condamner solidairement M. et Mme [E] à lui payer la somme de 45.330,87 euros dont la somme de 3.156,17 euros d’indemnité de clause pénale, outre intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure,
à titre subsidiaire, constater les manquements graves et réitérés des défendeurs à leur obligation de remboursement et prononcer la résolution judiciaire du contrat sur le fondement des articles 1224 à 1229 du code civil, et condamner alors solidairement les défendeurs au paiement de la somme de 45.330,87 euros avec intérêts au taux contractuel à compter de la mise en demeure,
plus subsidiairement, en cas de déchéance du droit aux intérêts conventionnels, limiter la sanction aux seuls intérêts contractuels échus et non payés,
en tout état de cause, ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année entière, sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil,
dire qu’à défaut de règlement spontané par le débiteur, l’exécution forcée serait réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice et que le montant des sommes retenues par l’huissier par application de l’article 10 du décret du 22 mai 2008 devrait être supporté par les débiteurs en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner in solidum M. et Mme [E] aux entiers dépens et au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [E] n’ont pas comparu ni été représentés devant le juge des contentieux de la protection.
Par jugement réputé contradictoire du 6 décembre 2023, le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Bourges a :
prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la société Créatis au titre du prêt portant sur un regroupement de crédits à hauteur de 53.700 euros, souscrit par M. et Mme [E] le 17 avril 2018, à compter de cette date ;
écarté l’application des articles 1231-6 du code civil et L313-3 du code monétaire et financier ;
condamné solidairement M. et Mme [E] à payer à la société Créatis la somme de 26.780,90 euros au titre du contrat de crédit 17 avril 2018 ;
dit que cette somme ne porterait pas intérêts au taux légal ;
débouté la société Créatis de sa demande d’indemnité au titre de la clause pénale;
rejeté la demande de capitalisation des intérêts ;
rappelé que l’exécution provisoire de la décision était de droit ;
rappelé que le jugement serait non avenu s’il n’était pas notifié dans les six mois de sa date ;
condamné in solidum M. et Mme [E] à payer à la société Créatis la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
rejeté la demande de la société Créatis tendant à faire supporter à M. et Mme [E] les droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement ;
condamné in solidum M. et Mme [E] aux entiers dépens.
Le juge des contentieux de la protection a notamment retenu que la société Créatis ne rapportait pas la preuve de la remise préalable aux emprunteurs de la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne et que cette carence entraînait sa déchéance intégrale du droit aux intérêts conventionnels.
La société Créatis a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 8 janvier 2024.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 mars 2024, auxquelles il conviendra de se reporter pour un exposé détaillé et exhaustif des prétentions et moyens qu’elle développe, la société Créatis demande à la Cour de :
Déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté,
Y faisant droit,
Infirmer le jugement rendu le 6 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de Bourges en ce qu’il a :
– Prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la société Créatis au titre du prêt portant sur un regroupement de crédits à hauteur de 53.700 € souscrit par M. et Mme [E] le 17 avril 2018, à compter de cette date,
– Écarté l’application des articles 1231-6 du code civil et L313-3 du code monétaire et financier,
– Condamné solidairement M. et Mme [E] à payer à la société Créatis la somme de 26.780,90 € au titre du contrat de crédit du 17 avril 2018,
– Dit que cette somme ne portera pas intérêts,
– Débouté la société Créatis de sa demande d’indemnité au titre de la clause pénale,
– Rejeté la demande de capitalisation des intérêts,
En conséquence, et statuant de nouveau :
Condamner solidairement M. et Mme [E] à payer à la Société Créatis les sommes suivantes, arrêtées au 12 juillet 2023 :
Capital restant dû 39.452,17 €
Intérêts 1.690,04 €
Assurance 1.032,49 €
Indemnité conventionnelle 3.156,17 €
—————
Total 45.330,87 €
Outre frais et intérêts de retard au taux contractuel à compter de la mise en demeure et jusqu’à parfait paiement.
– Ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil,
– Les condamner in solidum à payer et porter à la société Créatis la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Les condamner in solidum aux entiers dépens,
– Ordonner que, dans l’hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le Jugement à intervenir, l’exécution devra être réalisée par l’intermédiaire d’un Commissaire de Justice, le montant des sommes retenues par le Commissaire, en application de l’article R444-55 du Code de Commerce et son tableau 3-1 annexé, devra être supporté par le débiteur, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’article L111-8 du code des procédures civiles d’exécution ne prévoyant qu’une simple faculté de mettre à la charge du créancier les dites sommes.
M. et Mme [E] n’ont pas constitué avocat devant la cour.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 août 2024.
Sur la demande en paiement présentée par la SA Créatis
Les articles 1103 et 1104 du code civil posent pour principe que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
L’article 1353 du même code impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver.
En l’espèce, la SA Créatis verse aux débats, au soutien de sa demande en paiement,
un exemplaire du contrat de regroupement de crédits souscrit par M. et Mme [E] le 17 avril 2018, portant sur la somme de 53.700 euros remboursable selon 144 mensualités de 478,28 euros, hors assurance, au taux annuel effectif global de 5,88 %,
une fiche de dialogue relative aux revenus et charges de M. et Mme [E] paraphée sur chaque page et signée par ceux-ci et une fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées en matière de crédit aux consommateurs non signée par les emprunteurs,
un document d’information propre au regroupement de créances non signé par les emprunteurs,
une notice d’information sur l’assurance des emprunteurs non signée par M. et Mme [E]
un tableau d’amortissement,
un décompte de créance au 12 juillet 2023,
un historique de compte arrêté au 30 mai 2023,
la copie d’une mise en demeure de régler sous 30 jours la somme de 5.562,36 euros, datée du 28 avril 2023, adressée par courrier recommandé à M. [E] et présentée au destinataire le 5 mai suivant,
la copie d’une mise en demeure de régler sous 30 jours la somme de 5.562,36 euros, datée du 28 avril 2023, adressée par courrier recommandé à Mme [E] et distribuée à la destinataire le 5 mai suivant,
la copie d’une notification de déchéance du terme du contrat exigeant le règlement immédiat de la somme de 45.130,55 euros, datée du 30 mai 2023, adressée par courrier recommandé à M. [E], retournée à l’expéditeur avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse »,
la copie d’une notification de déchéance du terme du contrat exigeant le règlement immédiat de la somme de 45.130,55 euros, datée du 30 mai 2023, adressée par courrier recommandé à Mme [E], assortie d’une édition informatique de suivi de recommandé mentionnant, au 2 juin 2023, un événement « retourné à l’expéditeur pour cause de boîte aux lettres non identifiable ».
Il ressort de l’examen des pièces produites par la SA Créatis que celle-ci peut se prévaloir d’une déchéance du terme régulièrement prononcée à l’égard de M. et Mme [E].
Sur le droit aux intérêts conventionnels de la SA Créatis
L’article L312-12 du code de la consommation prévoit que, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur ou l’intermédiaire de crédit fournit à l’emprunteur, sous forme d’une fiche d’informations, sur support papier ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l’emprunteur, compte tenu de ses préférences, d’appréhender clairement l’étendue de son engagement.
La liste et le contenu des informations devant figurer dans la fiche d’informations à fournir pour chaque offre de crédit ainsi que les conditions de sa présentation sont fixés par décret en Conseil d’Etat.
Cette fiche comporte, en caractères lisibles, la mention indiquée à l’article L. 312-5.
Lorsque le consommateur sollicite la conclusion d’un contrat de crédit sur le lieu de vente, le prêteur veille à ce que la fiche d’informations mentionnée au premier alinéa lui soit fournie, sur le lieu de vente, sur support papier, ou tout autre support durable.
Lorsque le prêteur offre à l’emprunteur ou exige de lui la souscription d’une assurance, le prêteur ou l’intermédiaire de crédit informe l’emprunteur du coût de l’assurance en portant à sa connaissance les éléments mentionnés à l’article L. 312-7.
L’article L341-1 alinéa 1er du même code énonce que sous réserve des dispositions du second alinéa, le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer à l’emprunteur les informations précontractuelles dans les conditions fixées par l’article L. 312-12 ou, pour les opérations de découvert en compte, à l’article L. 312-85 est déchu du droit aux intérêts.
Il est constant que la signature par l’emprunteur d’une clause type, figurant au contrat de prêt, selon laquelle il reconnaît avoir reçu la fiche d’information précontractuelle normalisée européenne, ne peut être considérée que comme un simple indice non susceptible, en l’absence d’élément complémentaire, de prouver l’exécution par le prêteur de son obligation d’information (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1ère, 5 juin 2019, n°17-27.066).
Il est par ailleurs admis que la signature par l’emprunteur de l’offre préalable de crédit comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur, qui doit rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations, lui a remis la fiche précontractuelle d’information normalisée européenne, constitue seulement un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires et qu’un document émanant de la seule banque, même renseigné notamment des chefs de l’identité du prêteur, de la description des principales caractéristiques du crédit et du coût du crédit et de la référence le numéro du contrat de prêt, ne peut utilement corroborer la clause type de l’offre de prêt (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1ère, 7 juin 2023, n°22-15.552).
En l’espèce, la SA Créatis produit, au soutien de ses demandes, un exemplaire du contrat de regroupement de crédits signé par M. et Mme [E] et daté du 17 avril 2018, mentionnant que ceux-ci reconnaissent « après avoir pris connaissance de la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées, des conditions particulières et générales du contrat de crédit, [‘] rester en possession d’un exemplaire de ce contrat de crédit doté d’un formulaire détachable de rétractation ».
Contrairement à ce qui est soutenu par l’appelante, l’apposition de la signature des emprunteurs à la suite ou au-dessus de ces mentions pré-imprimées ne vaut nullement aveu extrajudiciaire mais constitue simplement un indice qu’il revient à la SA Créatis de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
Si la SA Créatis produit des liasses contractuelles comportant une fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées (FIPEN), il ne peut qu’être observé que ces deux documents ne comportent ni le paraphe ni la signature des emprunteurs. Or, s’agissant de documents édités par la SA Créatis elle-même et imprimables et modifiables à loisir par celle-ci, la preuve de leur communication aux emprunteurs, et par surcroît dans un état conforme à celui des exemplaires versés aux débats, pourrait par exemple être rapportée par la signature des intéressés, mais ne l’est nullement en l’état. La preuve d’une communication aux emprunteurs de la FIPEN préalablement à la conclusion du contrat, ainsi que l’impose l’article L312-12 précité, s’en trouve d’autant moins établie.
Il sera rappelé qu’il ne s’agit pas là pour la juridiction d’imposer au prêteur une obligation non prévue par la loi mais d’apprécier la valeur probante des documents qu’il produit au soutien de ses demandes.
Il n’appartient pas aux emprunteurs, contrairement à ce que soutient la SA Créatis, de démontrer que la reconnaissance qu’impliquerait la mention précitée est erronée ou mensongère mais bien au prêteur d’être en état de démontrer qu’il a respecté l’ensemble des obligations lui incombant en vertu des dispositions d’ordre public du code de la consommation, une position contraire ne pouvant qu’opérer un renversement de la charge de la preuve.
Il résulte de ces éléments que la remise à M. et Mme [E] de la FIPEN, préalablement à la conclusion du contrat de crédit, n’est pas démontrée, et que le premier juge a fait une exacte application du droit à la cause en prononçant la déchéance du droit aux intérêts conventionnels au titre du contrat de prêt conclu le 17 avril 2018 entre la SA Créatis et M. et Mme [E].
À titre surabondant, il peut enfin être observé que l’exemplaire du contrat de regroupement de crédits signé par M. et Mme [E] produit aux débats est dépourvu de bordereau détachable de rétractation et qu’aucun élément ne permet de démontrer que la notice d’information sur l’assurance ait été remise aux emprunteurs, ce qui constituerait deux motifs supplémentaires de déchéance du prêteur de son droit aux intérêts conventionnels, en application des articles L312-21, L312-29 et L341-4 du code de la consommation.
Sur les sommes restant dues
Aux termes de l’article L341-8 du code de la consommation, lorsque le prêteur est déchu du droit aux intérêts dans les conditions prévues aux articles L341-1 à L341-7, l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu.
Les sommes déjà perçues par le prêteur au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû.
Il est constant que la déchéance du droit aux intérêts prononcée à l’encontre d’un prêteur, en limitant au capital restant dû les sommes que celui-ci est en droit de réclamer, lui interdit de conserver les frais, commissions et autres accessoires inscrits au compte de l’emprunteur (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1ere, 31 mars 2011, n°09-69.963).
Le montant des règlements effectués par les emprunteurs entre les mains de la SA Créatis s’élève à hauteur globale de 26.346,84 euros pour un capital emprunté de 53.700 euros.
Il sera enfin rappelé qu’en exécution du texte précité, la SA Créatis ne peut valablement exiger paiement de l’indemnité légale de 8 % prévue par l’article L312-39 alinéa 2 du code de la consommation.
En considération de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la société Créatis au titre du prêt portant sur un regroupement de crédits à hauteur de 53.700 euros, souscrit par M. et Mme [E] le 17 avril 2018, à compter de cette date, et l’a déboutée de sa demande d’indemnité au titre de la clause pénale.
Le jugement sera par ailleurs infirmé en ce qu’il a condamné solidairement M. et Mme [E] à payer à la société Créatis la somme de 26.780,90 euros au titre du contrat de crédit souscrit le 17 avril 2018. M. et Mme [E] seront solidairement condamnés à payer à la SA Créatis, en deniers et quittances, la somme de 27.353,16 euros au titre du capital restant dû.
Sur le taux d’intérêt
Aux termes de l’article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire.
Aux termes de l’article L313-3 du Code monétaire et financier, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.
Toutefois, le juge de l’exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.
L’article 23 de la directive 2008/48 CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs prévoit que les Etats membres définissent le régime de sanctions nationales applicables en cas de violation des dispositions nationales transcrivant ladite directive. Ils prennent toutes les mesures nécessaires à ce que les sanctions soient effectives, proportionnées et dissuasives.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que ce texte devait être interprété en ce sens que l’examen du caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions prévues à cette disposition, en cas, notamment, de non-respect de l’obligation d’examiner la solvabilité du consommateur prévue à l’article 8 de cette directive, devait être effectué en tenant compte, conformément à l’article 288, alinéa 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), non seulement de la disposition adoptée spécifiquement, dans le droit national, pour transposer ladite directive, mais également de l’ensemble des dispositions de ce droit, en les interprétant, dans toute la mesure possible, à la lumière du libellé et des objectifs de la même directive, de manière à ce que lesdites sanctions satisfassent aux exigences fixées à l’article 23 de celle-ci (CJUE, arrêt du 10 juin 2021, C-303/20).
Saisie plus particulièrement de la question de savoir si l’exigence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives prévue par l’article 23 de la directive 2008/48/CE, en cas de manquements des prêteurs aux obligations énoncées par celle-ci, s’opposait à l’existence de règles permettant au prêteur, sanctionné de la déchéance de son droit aux intérêts tel que le prévoit la législation française, de bénéficier, après le prononcé de la sanction, d’intérêts exigibles de plein droit à un taux légal, majoré de cinq points deux mois après une décision de justice exécutoire, sur les sommes restant dues par le consommateur, la CJUE a dit pour droit que l’article 23 de la directive 2008/48 devait être interprété en ce sens qu’il s’opposait à l’application d’un régime national de sanctions en vertu duquel, en cas de violation par le prêteur de son obligation précontractuelle d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur en consultant une base de données appropriée, le prêteur était déchu de son droit aux intérêts conventionnels, mais bénéficiait de plein droit des intérêts au taux légal, exigibles à compter du prononcé d’une décision de justice condamnant cet emprunteur au versement des sommes restant dues, lesquels étaient en outre majorés de cinq points si, à l’expiration d’un délai de deux mois qui suivait ce prononcé, celui-ci ne s’était pas acquitté de sa dette, lorsque la juridiction de renvoi constatait que, dans un cas tel que celui de l’affaire au principal, impliquant l’exigibilité immédiate du capital du prêt restant dû en raison de la défaillance de l’emprunteur, les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur à la suite de l’application de la sanction de la déchéance des intérêts n’étaient pas significativement inférieurs à ceux dont celui-ci aurait pu bénéficier s’il avait respecté son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur (CJUE, arrêt du 27 mars 2014, C-565/12).
Le raisonnement adopté par la CJUE au vu des éléments alors soumis à son appréciation (déchéance d’un prêteur de son droit aux intérêts pour violation de son obligation précontractuelle d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur en consultant une base de données appropriée) est transposable à l’hypothèse d’une déchéance du prêteur de son droit aux intérêts pour violation de son obligation d’information de l’emprunteur, telle que celle qui fait l’objet de la présente instance.
La Cour de cassation juge que la déchéance du droit aux intérêts conventionnels ne dispense pas l’emprunteur du paiement des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1e, 26 novembre 2002, n° 00-17.119 ; Cass. Civ. 1ère, 18 mars 2003, n° 00-17.761).
Cependant, afin de garantir l’effectivité des règles de protection des consommateurs prévues par la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs, il incombe au juge de réduire d’office, dans une proportion constituant une sanction effective et dissuasive du manquement du prêteur à son obligation légale d’information, le taux légal, lorsque celui-ci est supérieur ou équivalent au taux conventionnel (voir notamment en ce sens Cass. Civ. 1ère, 28 juin 2023, n°22-10.560).
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal majoré de cinq points, nonobstant la déchéance du droit aux intérêts contractuels, ne sont pas significativement inférieurs à ceux dont la SA Créatis pourrait bénéficier si elle avait respecté ses obligations découlant de cette directive, le taux d’intérêt contractuel étant fixé à 5,88 %. Il doit à cet égard être rappelé que le taux d’intérêt légal simple est passé de 0,76% au premier semestre 2022 à 4,92 % au second semestre 2024, le taux majoré étant encore supérieur de cinq points.
Dans ces conditions, l’application du taux légal simple et a fortiori majoré ne permettrait pas de sanctionner de manière effective et dissuasive le manquement de la banque à ses obligations précontractuelles, dans la mesure où le taux d’intérêt légal simple serait légèrement inférieur au taux contractuel et où le taux majoré lui serait très largement supérieur.
Il ne revient pas en outre à la Cour d’établir que les montants susceptibles d’être effectivement perçus par la SA Créatis au titre des intérêts au taux légal majoré de cinq points, nonobstant la déchéance du droit aux intérêts contractuels, ne seraient pas significativement inférieurs à ceux dont elle pourrait bénéficier si elle avait respecté ses obligations, mais de procéder à cette appréciation en fonction des éléments produits aux débats, notamment le capital emprunté, le taux d’intérêts contractuel, le taux d’intérêt légal et les montants sollicités par l’appelante.
Cette appréciation conduit à considérer que l’application du taux légal simple voire majoré ne constituerait pas, ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, une sanction appropriée aux manquements de la SA Créatis dans ses rapports contractuels avec les emprunteurs, quel que soit le montant des sommes auxquelles ces taux d’intérêts seraient susceptibles d’être appliqués.
Il convient en conséquence, par application directe des dispositions de l’article 23 de la directive 2008/48 du Parlement européen et du Conseil et de la jurisprudence en la matière et en cohérence avec la jurisprudence interne ci-dessus rappelée, d’écarter l’application des dispositions de l’article L313-3 du code monétaire et financier, considérant que celle-ci reviendrait à priver la sanction de la déchéance du droit aux intérêts de son caractère effectif et dissuasif. Cette application directe de la directive précitée, en ce qu’elle est de nature à assurer la protection effective des consommateurs prévue par cette directive, relève bien des attributions du juge du fond.
Par surcroît, dans la mesure où la mise à l’écart de l’article L313-3 du code monétaire et financier n’est pas faite en application des termes de celui-ci mais plus directement de l’application de la directive européenne sus énoncée et de la jurisprudence de la CJUE citée, il ne saurait être retenu une quelconque incompétence des juges du fond.
Le taux d’intérêt applicable à la somme totale due par M. et Mme [E] en vertu de la présente décision, soit 27.353,16 euros, sera en conséquence fixé à hauteur de 1 % et s’appliquera à compter du 7 septembre 2023, date de délivrance de l’acte introductif d’instance.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a écarté l’application des articles 1231-6 du code civil et L313-3 du code monétaire et financier et en ce qu’il a dit que la somme au paiement de laquelle il a condamné M. et Mme [E] ne porterait pas intérêts au taux légal.
Sur la capitalisation des intérêts
L’article 1343-2 du Code civil dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise.
Aux termes de l’article L312-38 du code de la consommation, aucune indemnité ni aucuns frais autres que ceux mentionnés aux articles L. 312-39 et L. 312-40 ne peuvent être mis à la charge de l’emprunteur dans les cas de défaillance prévus par ces articles.
Toutefois, le prêteur peut réclamer à l’emprunteur, en cas de défaillance de celui-ci, le remboursement des frais taxables qui lui ont été occasionnés par cette défaillance, à l’exclusion de tout remboursement forfaitaire de frais de recouvrement.
En cas de défaillance de l’emprunteur, seuls les modes de réalisation du gage autorisés par les articles 2346 et 2347 du code civil sont ouverts aux créanciers gagistes, à l’exclusion du pacte commissoire prévu à l’article 2348 du même code qui est réputé non écrit.
Ce dernier texte ne prévoit pas que l’emprunteur défaillant puisse voir prononcer à son encontre la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil précité.
La demande présentée par la SA Créatis tendant à voir ordonner la capitalisation des intérêts sera donc rejetée et le jugement entrepris confirmé en ce sens.
Sur l’article 700 et les dépens
L’équité et la prise en considération de l’issue du litige telle qu’elle est déterminée par la présente décision ne commandent pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. La demande indemnitaire formulée au titre des frais irrépétibles par la SA Créatis, qui succombe en l’essentiel des prétentions qu’elle a exposées en cause d’appel, sera donc rejetée.
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. La SA Créatis, partie succombante, devra supporter la charge des entiers dépens de l’instance d’appel.
Le jugement entrepris sera confirmé de ces chefs.
Il n’y a enfin pas lieu de dire qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement à intervenir, l’exécution devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice, ni que le montant des sommes retenues par l’huissier, en application de l’article R444-55 du code de commerce et son tableau 3-1 annexé, devra être supporté par la débitrice. En effet cette demande, s’inscrivant dans l’hypothèse où l’emprunteur ne réglerait pas spontanément les sommes dues et où la SA Créatis serait contrainte de recourir à des procédures d’exécution forcée, ne procède pas d’un intérêt né et actuel qui la rendrait recevable et relèvera, le cas échéant, du juge de l’exécution susceptible d’être saisi de telles difficultés. Elle sera donc écartée par application des dispositions de l’article 31 du code de procédure civile et jugée irrecevable. La décision entreprise, qui a jugé cette demande recevable mais en a débouté la SA Créatis, sera ainsi infirmée sur ce point.
La Cour,
– Infirme partiellement le jugement rendu le 6 décembre 2023 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bourges en ce qu’il a
condamné solidairement M. et Mme [E] à payer à la société Créatis la somme de 26.780,90 euros au titre du contrat de crédit 17 avril 2018 ;
rejeté la demande de la société Créatis tendant à faire supporter à M. et Mme [E] les droits proportionnels de recouvrement ou d’encaissement ;
– Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;
Et statuant de nouveau des seuls chefs infirmés,
– Condamne solidairement M. [H] [E] et Mme [F] [L] épouse [E] à payer à la SA Créatis, en deniers et quittances, la somme de 27.353,16 euros au titre du capital restant dû ;
– Dit que la condamnation solidaire de M. [H] [E] et Mme [F] [L] épouse [E] à payer à la SA Créatis en deniers et quittances la somme de 27.353,16 euros produira intérêts au taux de 1 % à compter du 7 septembre 2023, sans qu’aucune majoration ne puisse être appliquée ;
– Déclare irrecevable la demande de la SA Créatis tendant à voir dire que l’exécution de la décision devrait être réalisée par l’intermédiaire d’un commissaire de justice et que le montant des sommes retenues par celui-ci serait laissé à la charge des débiteurs ;
– Déboute la SA Créatis de sa demande indemnitaire fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires ;
– Condamne la SA Créatis aux entiers dépens de l’instance d’appel.
L’arrêt a été signé par O. CLEMENT, Président, et par S. MAGIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
S. MAGIS O. CLEMENT