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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 4
ARRET DU 17 MAI 2023
(n° 97 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/04296 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHGZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Février 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2020009090
APPELANTE
G.I.E. TOURCOM agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 399 451 822
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant
Assistée de Maître Robin CASTEL, de la SELARL ARDENS, avocat au barreau de PARIS, toque B1161, avocat plaidant
INTIMEE
S.A.R.L. RETAILS SOLUTIONS agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 488 089 244
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Maître Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque B1055, avocat postulant
Assistée de Maître François LOUBIERES de la SELARL LMP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque P0489, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre,
Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère
Monsieur Julien RICHAUD, Conseiller
Greffière, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre et par Monsieur MARTINEZ, greffier auquella minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Le groupement d’intérêt économique Tourcom (ci-après le ‘GIE Tourcom’) est un réseau d’agences de voyages regroupant de nombreuses agences en France et en Europe.
La société Retails Solutions est une agence de communication en marketing opérationnel dans le secteur du tourisme.
Les parties ont conclu trois contrats :
– le 4 juillet 2007, un contrat d’agent donnant pour mission à la société Retails Solutions de prospecter, commercialiser, recueillir et promouvoir la publicité à insérer dans les supports de communication vitrine du réseau d’agence de voyages Tourcom. Ce contrat faisait l’objet d’une facturation forfaitaire à chaque début de semestre.
-le 4 juillet 2007, un contrat de communication vitrines donnant pour mission à la société d’organiser et de mettre en ‘uvre la communication vitrine des agences de voyages du réseau. Les prestations de campagne d’affichage faisaient l’objet de factures mensuelles adressées par la société Retails Solutions au GIE Tourcom, calculées à partir des campagnes réalisées à la demande des Tour-opérateurs. Ce contrat représentait une part majoritaire (environ 45%) du volume d’affaires existant entre les parties, soit 145 000 euros de chiffre d’affaires.
– le 8 janvier 2011, un contrat portant sur l’accompagnement et le soutien du service commercial et marketing de Tourcom. Ce contrat faisait l’objet d’une facturation forfaitaire mensuelle.
Le 14 janvier 2020, la société Tourcom a dénoncé par lettres recommandées avec accusé de réception les trois contrats la liant avec la société Retails Solutions, en s’engageant à respecter un préavis de 12 mois, soit:
– au 28 février 2021 pour les contrats communication vitrines et agent,
– au 31 janvier 2021 pour le contrat d’accompagnement et de soutien du service commercial et marketing,
Constatant qu’aucune commande n’était intervenue dans l’exécution du contrat vitrine depuis novembre 2019 et qu’aucune des factures forfaitaires émises depuis le mois de janvier 2020 n’étaient réglées, la société Retails Solutions a, par acte du 6 février 2020, assigné le GIE Tourcom devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir la réparation de son préjudice sur le fondement de l’article L.442-I II du code de commerce.
Par jugement du 1er février 2021 le tribunal de commerce de Paris a :
– Condamné Tourcom à régler à la Retails Solutions la somme de 165.482 euros en réparation du préjudice lié à la perte de marge sur coûts variables des contrats ;
– Débouté Retails Solutions de sa demande de condamnation à des intérêts de retard et des indemnités forfaitaires ;
– Débouté Retails Solutions de sa demande de condamnation à hauteur de 60.000 euros en raison de la mauvaise foi abusive de Tourcom ;
– Débouté Tourcom de sa demande de condamnation de Retails Solutions à des dommages intérêts de 30.000 euros ;
– Condamné Tourcom à payer à Retails Solutions la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, débouté pour le surplus ;
– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement ;
– Condamné Tourcom aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 5 mars 2021 le GIE Tourcom a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 26 janvier 2023, le GIE Tourcom demande au visa des articles L.442-1 II du code de commerce et 1104 du code civil, à la Cour de’:
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er février 2021 en ce qu’il a :
-Débouté la société Retails Solutions de sa demande de condamnation à des intérêts de retard et des indemnités forfaitaires,
-Débouté la société Retails Solutions de sa demande de condamnation à hauteur de 60.000 euros en raison de la mauvaise foi abusive du GIE Tourcom,
Reformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er février 2021 en ce qu’il a :
-Jugé que le GIE Tourcom se serait rendu coupable d’une rupture brutale des contrats conclus avec la société Retails Solutions,
-Condamné le GIE Tourcom à régler à la société Retails Solutions la somme de 165.482 euros en réparation du préjudice lié à la perte de marge sur coûts variables des contrats,
Débouté le GIE Tourcom de sa demande de condamnation de la société Retails Solutions à des dommages et intérêts de 30.000,
-Condamné le GIE Tourcom à payer la somme de 5.000′ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires, mais uniquement lorsqu’il déboute le GIE Tourcom de ses demandes,
-Condamné le GIE Tourcom aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA,
Et, statuant à nouveau :
A titre principal :
-Déclarer que le GIE Tourcom n’a pas rompu brutalement les relations contractuelles qui le liait à la société Retails Solutions au sens de l’article L. 442-1 II du code de commerce,
En conséquence :
-Débouter la société Retails Solutions de l’ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions,
A titre subsidiaire, et dans l’hypothèse où la Cour retiendrait que le GIE Tourcom aurait brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société Retails Solutions :
-Juger que l’évaluation du préjudice indemnisable au titre de la brutalité de la rupture devra nécessairement tenir compte des circonstances dans lesquelles les préavis auraient pu être exécutés en 2020,
En conséquence :
-Juger que le préjudice indemnisable ne peut être supérieur à la somme de 58.109 euros, correspondant à la marge brute sur coûts variables que la société Retails Solutions aurait pu escompter au titre de l’exécution des contrats durant une période de préavis de 12 mois,
En tout état de cause et y ajoutant :
-Débouter la société Retails Solutions de l’ensemble des demandes formulées dans le cadre de son appel incident et de toute autre demande plus ample ou contraire au présent dispositif,
-Condamner la société Retails Solutions à payer au GIE Tourcom la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts,
-Condamner la société Retails Solutions à payer la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 21 février 2022, la société Retails Solutions, au visa des articles L. 442-1, L. 442-4 II, et L. 441-10 du code de commerce 1104 et suivants du code civil, 1226 et 1313-1 du code civil, demande à la Cour de’:
Déclarer le GIE Tourcom irrecevable et mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l’en débouter ;
Déclarer la société Retails Solutions recevable et bien fondé en son appel incident ;
En conséquence,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
-n’a pas fait droit à la totalité de la demande indemnitaire de la société Retails Solutions au titre de l’article L 442-1 II du Code de commerce (en retenant un durée de préavis raisonnable de seulement un an d’une part, et en évaluant la marge brute sur coût variable liée au contrat communication vitrines à seulement 60% du chiffre d’affaire d’autre part);
-a débouté Retails Solutions de sa demande de paiement au titre des factures émise en 2020 et non réglées par Tourcom (en rejetant ses demandes de condamnations au paiement d’intérêts de retard et indemnités forfaitaires) ;
-a débouté la société Retails Solutions de sa demande de publication du jugement par le GIE Tourcom et à ses frais, dans Les Echos, dans un délai de 10 jours à compter de sa signification et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
-a débouté la société Retails Solutions de sa demande de publication du jugement par le GIE Tourcom et à ses frais, dans Les Echos, dans un délai de 10 jours à compter de sa signification et sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Et, statuant à nouveau :
-S’agissant de la réparation du préjudice lié à la rupture du Contrat Vitrine :
Condamner Tourcom à verser à Retails Solutions, au titre de la réparation du préjudice lié à la rupture du Contrat Vitrine, la somme de 210.373,89 euros, correspondant à un taux de marge sur coûts variables de 65,19% calculé sur 18 mois, avec intérêt au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, soit le 17 décembre 2019 ;
-S’agissant des Contrats d’Agent et Marketing :
A titre principal,
Condamner Tourcom à verser à la société Retails Solutions :
-la somme de 40.800 euros, correspondant aux factures forfaitaires émises par Retails Solutions au titre des Contrats d’Agent et de Marketing sur l’année 2020 ;
-ainsi que les intérêts de retard (trois fois le taux de l’intérêt légal) et indemnités forfaitaires contractuellement prévus, exigibles le jour post-réception de chaque facture impayée émise depuis le mois de janvier 2020 ;
-ainsi que la somme de 17.000 euros, correspondant à 6 mois de marge perdue au titre des Contrats d’Agent et de Marketing (2.000 euros au titre du Contrat d’Agent, et 15.000 euros au titre du Contrat Marketing), avec intérêt au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, soit le 17 décembre 2019 ;
A titre subsidiaire,
Condamner Tourcom à verser à la société Retails Solutions la somme de 51.000 euros, correspondant à 18 mois de marge perdue au titre des Contrats d’Agent et de Marketing, avec intérêt au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, soit le 17 décembre 2019 ;
En tout état de cause,
– Ordonner la publication de la décision à intervenir, par le GIE Tourcom et à ses frais, dans Les Echos, dans un délai de 10 jours à compter de sa signification et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, la Cour restant saisi pour statuer sur l’astreinte définitive ;
– Ordonner la publication de la décision à intervenir sur la page d’accueil du site Internet du GIE Tourcom, dans un délai de 10 jours à compter de sa signification et sous astreinte de 500 euros par jour de retard, la Cour restant saisi pour statuer sur l’astreinte définitive ;
– Condamner le GIE Tourcom à payer à la société Retails Solutions la somme de 10.574 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 février 2023.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1. Sur les demandes en réparation de préjudices fondés sur une rupture brutale des relations commerciales
L’article L.442-1 II du code de commerce dispose qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
Les relations entretenues depuis 2007 entre les parties se sont inscrites dans le cadre de trois contrats et leur caractère établi au sens de l’article précité n’est pas contesté.
Sur les circonstances de la rupture
Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l’absence de préavis écrit ou son insuffisance. Le délai de préavis doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
Sur la durée du préavis nécessaire
La société Tourcom fait valoir que le préavis de 12 mois notifié par lettre de rupture des contrats du 14 janvier 2020 était suffisant en considération de la durée de la relation, de l’absence d’exclusivité des contrats, de la connaissance depuis 2017 par la société Retails Solutions de l’arrêt des commandes de campagnes vitrines papiers à compter de 2020 et de leur baisse continue depuis 2015, ainsi que de la nature de l’activité de conseil en communication ne présentant aucun obstacle à une reconversion en raison de l’absence de coûts d”entrée en relation ni d’investissement particulier et de la diversité des clients pouvant solliciter ce type de service.
La société Retails Solutions conclut au bénéfice d’un préavis nécessaire de 18 mois, au regard des 12 années d’ancienneté de la relation commerciale, du comportement du GIE Tourcom ayant confirmé à un mois de la rupture la poursuite des contrats en cours, et de son état de dépendance économique, rendant difficile pour la société Retails Solutions de se réorganiser.
Sur ce’:
Compte tenu de l’ancienneté des relations depuis 2007, de la part significative de chiffre d’affaires réalisé par la société Retails Solutions avec le GIE Tourcom (près de 65%) et du fait que l’activité de conseil en communication et marketing sur la place de [Localité 5] n’est pas une activité qui présente une spécificité particulière, un préavis d’une année était nécessaire et suffisant.
Sur la non-exécution du préavis donné
Le GIE Tourcom soutient que l’arrêt des commandes et paiements pendant la durée de préavis annoncée ne lui est pas imputable, mais est une conséquence de la crise que connait le secteur du voyage depuis le début de l’année 2020 et qui a gravement impacté la situation financière du GIE Tourcom, des tours opérateurs et des agences membres du réseau. Il relève à cet effet une baisse de 71% de son volume d’affaires et une baisse consécutive de 40,31% de son chiffre d’affaires entre les années 2019 et 2020. Il ajoute que l’exécution du préavis annoncé a également été empêché par le comportement déloyal de la société Retails Solutions, qui a assigné le GIE Tourcom seulement trois semaines après l’annonce du préavis, et ce alors même que la société Retails Solutions n’avait de son côté exécuté aucune de ses prestations au titre des contrats. Il soutient encore que la société Retails Solutions était parfaitement informée de la disparition à compter du 1er janvier 2020 de l’objet de ses prestations au titre du contrat communication vitrine, la communication papier étant vouée à évoluer vers une communication digitale.
La société Retails Solutions réplique que les préavis annoncés n’ont pas été effectifs, aucune commande sur aucun des contrats n’étant intervenue à partir de janvier 2020. Elle se serait retrouvée privée de 60% de son chiffre d’affaires compte tenu de sa dépendance économique à l’égard du GIE Tourcom, et que ce dernier a fait preuve de mauvaise foi dans les circonstances de la rupture.
Sur ce’:
Le 24 janvier 2020, lorsque le GIE Tourcom a dénoncé formellement les trois contrats, elle a notifié à la société Retails Solutions un préavis de 12 mois, soit une rupture au 28 février 2021 pour les contrats d’agent et de communication vitrines et au 31 janvier 2021 pour le contrat d’accompagnement et de soutien du service commercial et marketing. Il est cependant constant que sur l’année 2020 aucun flux d’affaires n’a été réalisé entre les parties, en sorte qu’est posée la question de l’imputabilité du non-respect du préavis donné.
* S’agissant du contrat de communication vitrines
Les prestations prévues dans le cadre du contrat de communication vitrines faisaient l’objet de factures mensuelles adressées par la société Retails Solutions au GIE Tourcom, calculées à partir des campagnes réalisées à la demande des Tour-opérateurs. Selon la société Retails Solutions, les commandes pour les campagnes de l’année 2020 auraient dû lui être communiquées au plus tard fin novembre, comme chaque année, ce qui n’est pas utilement contredit par le GIE Tourcom. Elle produit à cet effet un rappel du GIE Tourcom auprès de son réseau dès le mois d’avril 2018 pour la programmation des campagnes de l’année 2019, ainsi que divers bons de commandes passés par les tours opérateurs dès les mois d’avril et de mai pour l’année suivante et des échanges entre les parties concernant la mise en place d’un planning pour les différentes campagnes mensuelles (pièces n°17, 18 et 20 Retails Solutions). Dès lors l’absence de toute commande fin novembre 2019 pour la campagne de communication vitrines 2020, et ce malgré les relances de la société Retails Solutions, traduit l’intention du GIE Tourcom de ne pas générer de flux d’affaires au cours du préavis annoncé, tout en ne mettant pas clairement fin aux relations à la suite des interrogations de la société Retails Solutions dans ses courriers courant novembre et décembre 2019 sur l’avenir de leur relation (pièces 14 à 17). Il appartenait au GIE Tourcom de mettre fin au contrat dans des conditions permettant d’assurer le respect d’un préavis raisonnable, sans qu’il puisse valablement opposer à la société Retails Solutions sa connaissance du changement de stratégie opéré au sein du GIE.
Aussi, la non-exécution du préavis a été consommée dès la fin du mois de novembre 2019 pour la campagne vitrine 2020, sans que le GIE Tourcom ne puisse utilement se prévaloir de la crise sanitaire survenue au cours de l’année 2020 et qu’elle n’a jusqu’à alors opposé ni à la société Retails Solutions lors de la rupture ou de l’exécution du préavis ni devant les premiers juges à l’audience du 11 décembre 2020.
La société Retails Solutions ayant fait part de ses inquiétudes dès le mois de novembre 2019 quant à l’absence de commandes sur le contrat de communication vitrines pour l’année à venir, que ses demandes sont demeurées vaines et que la continuité des autres contrats a également été remise en cause par le non-paiement des factures, il ne peut être reproché à celle-ci d’avoir agit avec diligence pour faire valoir son droit à la bonne exécution du préavis.
* S’agissant du contrat d’agent et du contrat de marketing
Le tribunal a justement relevé que le contrat d’agent prévoyait notamment une facturation forfaitaire à chaque début de semestre, et le contrat d’accompagnement et de soutien du service commercial et marketing prévoyait une facturation forfaitaire mensuelle, que le principe d’un forfait est d’être appelé en facturation à des dates fixes et régulières, que le règlement de ces forfaits ne dépend pas du nombre ou du rythme des commandes passées au client. Même si le GIE Tourcom soutient à juste titre qu’en cas de difficultés économiques avérées ou de crise du secteur économique en cause, la responsabilité de l’auteur de la rupture peut être écartée, l’appelant ne s’est néanmoins jamais prévalu, ni auprès de la société Retails Solutions ni devant les premiers juges à l’audience du 11 décembre 2020, d’une chute de son chiffre d’affaires ou de l’existence d’une crise dans le secteur qui aurait fait obstacle à la bonne exécution du préavis. Il appartenait au GIE Tourcom d’établir l’impossibilité d’exécuter les deux contrats pendant cette période. Tout autant, le GIE Tourcom ne démontre pas avoir essayé d’obtenir l’exécution de certaines prestations de la part de la société Retails Solutions, que celle-ci aurait manqué ou refusé d’exécuter. L’assignation, s’il elle est tenue pour prématurée par l’appelant ne faisait pas obstacle au paiement des factures émises en exécution du préavis donné. Le GIE Tourcom n’ayant pas réglé les forfaits prévus aux deux contrats durant le mois de janvier et les périodes postérieures, la rupture de la relation commerciale n’a donc été assortie d’aucun préavis effectif.
Il ressort de ces circonstances que le GIE Tourcom, en ne respectant pas le préavis annoncé, a brutalement rompu la relation commerciale et engagé sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l’article L.442-1 II précité.
Sur l’évaluation du préjudice
Le GIE Tourcom fait valoir que’:
– le chiffre d’affaires moyen des trois dernières années doit être réévalué à 215.136,5 euros
– un pourcentage total de 51,31% doit être imputé sur le chiffre d’affaires moyen des trois dernières années pour déterminer l’assiette de calcul de l’indemnisation sollicitée, d’une part du fait de la conjoncture économique défavorable qui serait intervenue pendant la durée d’exécution du préavis et qui doit nécessairement être prise en compte, et d’autre part la prise en considération de la diminution progressive des commandes des campagnes de publicité papier dont la société Retails Solutions avait connaissance
– il n’y a pas lieu de réévaluer la marge sur coûts variables de 60% retenue par le tribunal,
de ce fait, la société Retails Solutions aurait pu obtenir, au mieux, un chiffre d’affaires à hauteur de 104.749 euros durant l’exécution du préavis annoncé au titre du contrat communication vitrines, ce qui équivaut à une marge brute sur coûts variables de 62.849 euros.
– la société Retails Solutions a accepté un risque de dépendance économique en ne cherchant pas une solution de remplacement malgré les avertissements du GIE Tourcom, ce qui implique nécessairement une réduction de l’indemnité sollicitée. La part du risque accepté est évaluée à 40%.
– un pourcentage total de 60% doit être imputé sur le montant forfaitaire total de 34.000 euros pour évaluer la marge sur coûts variables que la société Retails Solutions aurait pu escompter au titre de l’exécution des contrats d’agent et d’accompagnement et de soutien du service commercial et marketing.
La société Retails Solution répond que’:
– au moment de la rupture, la conjoncture était favorable, la crise sanitaire n’étant survenue que quelques mois plus tard,
– l’évolution à la baisse du chiffres d’affaires du GIE Tourcom concernant le marché des campagnes vitrines papier est déjà comptabilisé dans le chiffre d’affaires des trois derniers exercices,
– il n’y a pas lieu d’appliquer au préjudice subi par la société Retails Solution un quelconque taux de «’part de risque accepté’» du fait de sa dépendance économique,
– le montant de l’indemnité doit être réévalué, le taux de marge brute moyen correspondant à 65,19% du chiffre d’affaires (et non 60%), et doit être appliqué sur une période de 18 mois.
Sur ce’:
Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privé sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture, en se basant sur la moyenne annuelle du chiffre d’affaires des trois années précédant la rupture.
Si la situation de dépendance économique du partenaire à l’égard de l’auteur de la rupture est prise en compte pour l’estimation du délai de préavis nécessaire, elle est sans emport sur le calcul de la perte de marge escomptée sur la période d’insuffisance de préavis.
* S’agissant du contrat de communication vitrines
Pour l’évaluation du préjudice, il convient en premier lieu de retenir un chiffre d’affaires annuel moyen de 215 136 euros calculé sur les trois exercices précédant la rupture notifiée le 14 janvier 2020, soit selon l’attestation de l’expert-comptable de la société Retails Solutions (pièce n°41) :
– 224 964 euros pour l’année 2017
– 220 736 euros pour l’année 2018
– 199 709 euros pour l’année 2019
La moyenne de ces chiffres prend en compte la baisse d’activité depuis 2017.
Dès lors que le préjudice né de l’insuffisance du préavis est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire à la date de la notification de la rupture, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture (Com., 4 octobre 2016, pourvoi n° 15-14.025 ; 1er juin 2022, pourvoi n° 20-18,960), il n’est pas question de procéder à une minoration du chiffre d’affaires annuel moyen à prendre en considération pour le calcul du préjudice au regard des circonstances économiques postérieures à la rupture invoquées par le GIE Tourcom. En toute hypothèse, ce dernier s’il justifie d’une baisse certaine de son chiffre d’affaires entre les années 2019 et 2020 (pièces n°21,24 et 25), il ne produit pas d’élément spécifique pour établir l’absence de commandes de campagnes publicitaires de la part des tours opérateurs au Gie Tourcom sur la période de préavis annoncé.
En second lieu, à partir des éléments comptables produits aux débats et des explications de chacune des parties (pièces Retails n°41 et Tourcom n°28), il y lieu de retenir sur les prestations du contrat communication vitrine un taux de marge de 60%.
Dès lors, le préjudice calculé sur une perte de marge escomptée sur la durée d’insuffisance de préavis d’une année s’élève à la somme de 129 081,60 euros (215 136 x 60 %).
* S’agissant du contrat d’agent et du contrat marketing
Dès lors que les contrats ont été résiliés, la société Retails Solutions ne peut tout à la fois réclamer l’exécution du contrat par le paiement des factures émises pour l’année 2020 et l’indemnisation d’une perte de marge sur la même période au titre d’une insuffisance de préavis. Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Retails Solutions de sa demande en paiement de factures.
Sur l’indemnisation de la brutalité de la rupture, le tribunal a justement relevé que la marge sur coûts variables de ce type de prestations est très proche du montant forfaitaire totale forfaitaire facturé dans la mesure où la prestation est de nature intellectuelle et ne nécessite aucun achat significatif. Le contrat d’agent prévoyait une rémunération annuelle de 4.000 euros HT et le contrat d’accompagnement et de soutien commercial et marketing une rémunération mensuelle de 2.500 euros HT. Il convient de retenir conformément à l’attestation d’expert-comptable versée aux débats (pièce n° 41 Retails) une marge sur coûts variables égale à la somme des forfaits escomptés sur la période, soit la somme totale de 34.000 euros.
En conséquence le GIE Tourcom sera condamné à verser à la société Retails Solutions la somme totale de 163 081,60 euros en réparation de son préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales et ce avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
Le jugement sera infirmé sur le montant de l’indemnité.
2. Sur la demande d’indemnisation du GIE Tourcom au titre du comportement déloyal de la société Retails Solutions
Le GIE Tourcom reproche à la société Retails Solutions de l’avoir assignée de manière prématurée, seulement 3 semaines après l’annonce par ce dernier des préavis qu’il entendait respecter, dans l’unique objectif de tenter d’obtenir une indemnisation supérieure à ce qu’elle pouvait espérer pendant l’exécution des préavis, compte tenu de la crise qui allait toucher le secteur. Il sollicite à ce titre l’octroi de 30.000 euros au titre de dommages-intérêts.
Sur ce :
Compte tenu du sens de la décision rendue, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le GIE Tourcom de ce chef de préjudice.
3. Sur la demande de publication de la décision
La société Retails Solutions estime que la publication de la décision dans les Echos et sur le site internet de Tourcom est nécessaire afin que le réseau des agences et les clients actuels ou potentiels de la société Retails Solutions soient informés des raisons pour lesquelles le partenariat qui unissait les parties a subitement pris fin.
Sur ce’:
Au regard des circonstances de l’espèce, le préjudice est réparé à suffisance par l’allocation de dommages-intérêts en sorte que la publication judiciaire n’est pas nécessaire et la société Retails Solutions sera déboutée de cette demande.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
4. Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné le GIE Tourcom aux dépens de première instance et à payer à la société Retails Solutions la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le GIE Tourcom, succombant partiellement en appel, sera condamné aux dépens.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le GIE Tourcom sera débouté de sa demande et condamné à payer à la société Retails Solutions une somme complémentaire de 5 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu’il a condamné le GIE Tourcom à régler à la société Retails Solutions la somme de 165 482 € en réparation du préjudice lié à la perte de marge sur coûts variables des contrats ;
Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
CONDAMNE le GIE Tourcom à payer à la société Retails Solutions la somme de 163 081,60 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement en réparation du préjudice subi à la suite de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
CONDAMNE le GIE Tourcom aux dépens d’appel ;
CONDAMNE le GIE Tourcom à payer à la société Retails Solutions la somme de 5 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE