Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 19 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE, dont le siège social est situé 15, allée Léon Gambetta, BP 2129, à Marseille (13205) ; l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE demande au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l’exécution de la décision par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a refusé de l’autoriser à exploiter un service de radio par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence dans le ressort du comité technique radiophonique de Marseille ;
2°) de suspendre l’exécution de la décision n° 2008-18 du 5 février 2008 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel a autorisé la SARL Groupe Norsucom à exploiter un service de radio de catégorie D par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence dénommé France Maghreb 2 dans le ressort du comité technique radiophonique de Marseille ;
3°) d’enjoindre au Conseil supérieur de l’audiovisuel de l’autoriser à exploiter un service de radio par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence dans le ressort du comité technique radiophonique de Marseille dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat et du Conseil supérieur de l’audiovisuel la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que l’urgence résulte de la perte de l’autorisation dont elle était titulaire depuis 1981, affectant sa situation de façon directe et immédiate ; que Radio Gazelle employait six salariés, aujourd’hui au chômage ; qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu’en effet, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a méconnu les critères énumérés à l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, en particulier le critère imposant qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité ; qu’il ressort d’un rapport parlementaire accompagnant la modification de la loi de 1986 dont résulte l’article 29 que l’objectif fixé par la loi est respecté lorsque 25 à 30 % des fréquences sont attribuées à des radios associatives ; que sur 40 fréquences attribuées dans la zone de Marseille, 6 seulement le sont à des radios associatives ; que l’objet et le fonctionnement de Radio Gazelle répondent parfaitement aux objectifs fixés par l’article 29 de la loi ; que France Maghreb 2 qui occupe désormais la fréquence dont bénéficiait Radio Gazelle est une radio commerciale parisienne dont le responsable est très proche de la majorité actuelle ; que la décision attaquée est entachée de détournement de pouvoir ;
Vu la copie de la requête au fond présentée le 19 février 2008 pour l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE ;
Vu, enregistré le 4 mars 2008, le mémoire en défense présenté par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui conclut, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête aux motifs qu’elle n’est pas accompagnée de la copie de la décision de rejet attaquée ; que l’autorisation du service France Maghreb 2 ne vaut pas rejet de la candidature de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE ; qu’à titre subsidiaire, les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au Conseil supérieur de l’audiovisuel de délivrer une autorisation à la requérante sont irrecevables, dès lors que celle-ci n’a pas d’intérêt à agir pour obtenir une autorisation dans une zone autre que celle où elle a soumis sa candidature ; que la délivrance d’une telle autorisation se ferait en contradiction avec la procédure d’appel aux candidatures prévue par la loi du 30 septembre 1986 modifiée et se heurterait à l’absence d’autres fréquences disponibles ; qu’au fond, la requête doit être rejetée au motif qu’il n’est pas satisfait à la condition d’urgence ; qu’en effet, l’autorisation de la requérante est régulièrement arrivée à son terme le 6 février 2008 à minuit et que la décision d’autorisation de France Maghreb 2 est régulièrement entrée en vigueur le 7 février 2008 à quatre heures ; que la seule circonstance que la candidature d’un service de radio est rejetée ne saurait créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision, dès lors que la procédure d’appel aux candidatures comprend intrinsèquement le rejet de candidatures du fait du nombre supérieur de candidats au nombre de fréquences disponibles ; que l’instruction du dossier de candidature a révélé de nombreuses anomalies dans la gestion de Radio Gazelle et a permis d’avoir des doutes sur le respect par la radio du pluralisme des courants de pensée et d’opinion ; que le seul bilan comptable des services autorisés en catégorie A ne saurait permettre d’avoir un doute sérieux quant à la légalité de la décision, en l’absence d’une méconnaissance du pluralisme des courants d’expression qui résulte de la combinaison d’un ensemble de critères de droit et d’éléments de fait ; qu’eu égard à la richesse de la ressource en fréquences dans la zone de Marseille, le CSA a privilégié les services s’adressant à un public communautaire ciblé plutôt qu’à un service multi communautaire comme celui que proposait la requérante ; qu’il est demandé en tout état de cause au juge des référés de ne pas prononcer la suspension de la décision contestée afin de ne pas priver les auditeurs de Marseille d’un service de radio ; qu’aucun élément probant n’établit un détournement de pouvoir ;
Vu, enregistré le 7 mars 2008, le mémoire en réplique, présenté pour l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la décision de refus d’autorisation se déduit de l’existence des autorisations délivrées dans le ressort du Comité technique radiophonique de Marseille ; que des moyens de légalité ont été présentés à l’appui des conclusions à fin de suspension ; que les motifs tirés d’anomalies dans le fonctionnement de l’association sont nouveaux ; que le document émanant prétendument de l’ Eglise de Scientologie est un faux ; que les critères de sélection dont fait état le CSA qui a privilégié une approche communautariste du paysage radiophonique sont extrêmement discutables et incompatibles avec ceux qui sont fixés par l’article 29 de la loi de 1986 ; que l’on peut s’interroger sur l’intérêt du programme diffusé par France Maghreb 2 qui consiste uniquement en séquences de musique entrecoupées de publicités ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE et d’autre part, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
Vu le procès-verbal de l’audience publique du lundi 10 mars 2008 à 15h00 au cours de laquelle ont été entendus :
– Me Monod, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association requérante ;
– les représentants de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE ;
– les représentants du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que, par une décision du 27 mars 2007, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a lancé un appel aux candidatures pour l’exploitation de services de radio par voie hertzienne terrestre dans le ressort du centre technique radiophonique de Marseille ; que l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE qui, en vertu d’autorisations plusieurs fois renouvelées ou prorogées, exploite depuis 1981 un service de radio sur la fréquence 98 MHz, a présenté sa candidature, laquelle a été déclarée recevable par une décision du 19 septembre 2007 ; que, toutefois, l’association ne figure pas sur la liste des candidats présélectionnés par zone arrêtée par le CSA le 27 novembre 2007 alors que, pour la fréquence qu’elle était autorisée à exploiter jusqu’au 6 février 2008, a été autorisée l’exploitation par la SARL Groupe Norsucom d’un service de radio dénommé France Maghreb 2 ; que l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-1 précité du code de justice administrative, de suspendre à la fois la décision du CSA rejetant sa candidature que celle du même conseil autorisant le service France Maghreb 2 ;
Sur les conclusions à fin de suspension de la décision du CSA rejetant la candidature de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE pour l’exploitation d’un service radiophonique dans la zone de Marseille :
Considérant que si la décision du CSA rejetant la candidature de l’association ne lui a pas encore été notifiée, l’existence même de cette décision, qui a eu pour objet et pour effet de mettre fin, à compter du 6 février 2008 à 24h00, à la diffusion de cette radio, aussitôt remplacée sur la fréquence 98 MHz par les programmes de France Maghreb 2 , n’est pas contestée par le CSA qui n’est, par suite, pas fondé à soutenir que, faute pour l’association de produire la décision dont elle demande la suspension, ses conclusions ne seraient pas recevables ;
Considérant que la décision rejetant la candidature de l’association gestionnaire du service dénommé Radio Gazelle qui, après 26 ans de fonctionnement continu, a dû cesser ses émissions, affecte de façon grave et immédiate ses intérêts et ceux de ses six salariés désormais privés d’emploi ; que la condition d’urgence est ainsi satisfaite ;
Considérant que l’article 29 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication fixe les conditions dans lesquelles le CSA délivre les autorisations d’usage des fréquences pour la diffusion de services de radio par voie hertzienne terrestre ; que cet article dispose notamment que : Le conseil accorde les autorisations en appréciant l’intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels, la diversification des opérateurs, et la nécessité d’éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence. / Il tient également compte : 1° De l’expérience acquise par le candidat dans les activités de communication ; 2° Du financement et des perspectives d’exploitation du service (…) ; / Le Conseil supérieur de l’audiovisuel veille, sur l’ensemble du territoire, à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion. / Le conseil veille également au juste équilibre entre les réseaux nationaux de radiodiffusion, d’une part, et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants, d’autre part (…) ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier ainsi que des éléments recueillis à l’audience que, dans la zone considérée, où le nombre total de fréquences attribuées à l’issue de l’appel à candidatures lancé en septembre 2007 a augmenté de 4 unités, le nombre de radios à caractère associatif autorisées a été ramené de 8 à 6 et, à l’inverse, celui des services thématiques à vocation nationale porté de 4 à 8 ; que les programmes de l’association requérante, élaborés localement, s’adressent en premier lieu à la communauté d’origine maghrébine résidant à Marseille mais aussi à d’autres communautés présentes dans sa zone de diffusion et qu’elle emploie 6 salariés ; que France Maghreb 2 , gérée par une société commerciale, diffuse à l’intention exclusive de la communauté d’origine maghrébine, un programme national dont une partie provient d’émissions élaborées dans les pays du Maghreb consistant principalement dans la diffusion de musique orientale et de séquences publicitaires ;
Considérant que, dans son mémoire en défense devant le juge des référés, le CSA a fait état d’anomalies et de difficultés dans la gestion de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE et déclare s’être interrogé sur les garanties que pourrait présenter l’association quant au respect du caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion notamment dans le domaine religieux ; que les difficultés de gestion qu’a rencontrées l’association et qu’elle ne conteste pas remontent à l’année 2005 et paraissent à présent surmontées ; que les soupçons quant à l’absence de respect par l’association du caractère pluraliste des courants de pensée et d’opinion ne reposent sur aucun commencement de preuve ; qu’il a d’ailleurs été reconnu à l’audience par le CSA que ces éléments n’avaient pas été déterminants dans la décision prise ;
Considérant que le CSA justifie sa décision par le fait que la ressource en fréquences dans la zone de Marseille étant riche, il a privilégié des services de formats spécifiques, s’adressant à un public communautaire ciblé, plutôt que des services qui, par leur axe pluricommunautaire, s’adressent à un large public sans répondre plus particulièrement aux attentes de chacune des communautés auxquelles ils s’adressent ; que, sur le fondement de ces critères, le CSA a autorisé à Marseille sept services communautaires dont deux à destination de la communauté franco-maghrébine, Radio Soleil et France Maghreb 2 ;
Considérant qu’au vu de l’ensemble des éléments du dossier et en l’état de l’instruction, les moyens tirés par l’association requérante de la méconnaissance par le CSA des dispositions précitées de l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986 en ce qui concerne notamment la part des services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité et le choix des critères ayant présidé à la délivrance des autorisations sont propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de prononcer la suspension de la décision du CSA rejetant la candidature de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE à l’exploitation d’un service de radio dans la zone de Marseille et d’enjoindre au CSA de réexaminer cette candidature dans le délai de quinze jours ;
Sur les conclusions tendant à la suspension de l’autorisation délivrée pour l’exploitation du service de radio France Maghreb 2 :
Considérant, en revanche, que la décision du CSA autorisant l’exploitation du service dénommé France Maghreb 2 ne porte pas, par elle-même, aux intérêts de l’association requérante une atteinte constitutive d’une situation d’urgence ; que, dès lors, les conclusions tendant à la suspension de cette décision ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions relatives aux frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner le CSA à verser à l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
——————
Article 1er : La décision du CSA rejetant la candidature de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE pour l’exploitation d’un service de radio par voie hertzienne terrestre dans la zone de Marseille est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au CSA de réexaminer la candidature de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : Le CSA versera à l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l’ASSOCIATION RENCONTRE AMITIE RADIO GAZELLE et au Conseil supérieur de l’audiovisuel.