Conseil d’État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 28/12/2007, 297405

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Conseil d’État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 28/12/2007, 297405

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 14 septembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES, dont le siège est 17 place des Vins de France, à Paris (75012) ; le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêté du 13 juillet 2006 pris pour l’application de l’article L. 226-9 du code rural :

2°) d’annuler l’arrêté du 17 juillet 2006 relatif au mode de calcul et au tarif de la taxe d’abattage et modifiant l’article 159 A de l’annexe IV au code général des impôts ;

3°) de prendre toute mesure d’instruction nécessaire afin d’évaluer l’adéquation de la taxe d’abattage aux besoins réels de financement du service public ;

4°) de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, à titre préjudiciel de questions relatives, d’une part, à l’interprétation de l’article 88 § 3 du traité instituant la Communauté européenne en ce qui concerne la modification des taux de la taxe et, d’autre part, à la validité de la décision de la commission européenne du 30 mars 2004 relative à la taxe d’abattage au regard des articles 88 § 2 et 87 du traité ;

5°) de suspendre l’application des arrêtés attaqués jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de justice ;

6°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 10 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le code rural ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Claire Legras, Maître des Requêtes,

– les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant, d’une part, que l’article 1609 septvicies du code général des impôts, qui institue une taxe d’abattage à laquelle sont assujettis les abattoirs et qui est destinée à financer le service public de l’équarrissage défini à l’article L. 226-1 du code rural, ainsi que le transport, le stockage et l’élimination des farines d’origine animale, renvoie à un arrêté du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l’agriculture le soin de fixer le taux de cette taxe pour chaque espèce animale, dans les limites fixées par le législateur ; que, sur le fondement de cette habilitation, un arrêté du 17 juillet 2006 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et du ministre de l’agriculture et de la pêche a fixé le mode de calcul et les tarifs d’imposition de la taxe d’abattage ;

Considérant, d’autre part, que l’article L. 226-9 du code rural dispose, dans sa rédaction issue de l’article 151 de la loi de finances pour 2006, qui est entrée en vigueur le 16 juillet 2006 : Les propriétaires ou détenteurs de certaines catégories de cadavres d’animaux dont la destruction relève du service public de l’équarrissage supportent une partie du montant de cette destruction./ Les catégories d’animaux concernées ainsi que le montant et les modalités de détermination et de facturation de cette participation sont précisés par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’économie et des finances et du budget (…) ; que, pour l’application de ces dispositions, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et le ministre de l’agriculture et de la pêche ont pris, le 13 juillet 2006, un arrêté fixant la participation des éleveurs de porcs, volailles, lapins, ratites et gibiers d’élevage non ruminants aux coûts de destruction des cadavres d’animaux relevant du service public de l’équarrissage ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté du 17 juillet 2006 fixant les tarifs d’imposition de la taxe d’abattage :

Considérant qu’il résulte des stipulations des articles 87 et 88 du traité instituant la Communauté européenne que, s’il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes, si une aide de la nature de celles visées par l’article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l’invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l’obligation, qu’impose aux Etats membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l’article 88 du traité, d’en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l’exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées instituent ou modifient des aides d’Etat au sens de l’article 87 du traité ;

Considérant que par une décision du 30 mars 2004, la Commission européenne a donné son approbation au dispositif de financement du service public de l’équarrissage mis en place par la France, qui lui avait été notifié conformément aux stipulations du § 3 de l’article 88 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’après examen du dispositif, la Commission a relevé dans cette décision que ce financement d’une part, ne comportait aucune aide en faveur des entreprises d’abattage et, d’autre part, apportait aux éleveurs de bovins et de petits ruminants ovins une aide d’Etat de 100% pour l’élimination des cadavres d’animaux et garantissait la participation des éleveurs des autres espèces, à hauteur de 25% au moins, aux coûts de transformation et d’incinération des animaux ; que la commission a indiqué que cette aide, financée par des prélèvements et contributions limités au secteur de la viande, n’affectait pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun et était compatible avec l’article 57 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant que si, en application de l’arrêté du 17 juillet 2006, la part que les abattoirs de la filière porcine prennent dans le financement de la taxe d’abattage diminue et se situe en dessous de la part qu’ils représentent dans les coûts du service public de l’équarrissage, tandis que les abattoirs de la filière bovine connaissent une évolution inverse, cela résulte de l’ajustement des tarifs de la taxe rendu nécessaire par l’évolution des dépenses de ce service public ; que ces évolutions n’emportent pas de modification des éléments structurels du système de financement qui a fait l’objet de la décision de la Commission européenne du 30 mars 2004 et ne créent notamment pas une aide nouvelle au profit des abattoirs ; qu’en outre, les variations des taux de la taxe d’abattage qui résultent de l’arrêté du 17 juillet 2006, prévues, dans leur principe, dans le dispositif notifié, ne sont pas de nature à modifier substantiellement l’équilibre de celui-ci ; qu’ainsi, l’arrêt attaqué du 17 juillet 2006 ne peut être regardé comme instituant ou modifiant une aide au sens de l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’il suit de là que le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES n’est pas fondé à soutenir que cet arrêté aurait dû être notifié à la Commission européenne préalablement à sa signature, en application de l’article 88 du traité ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de cet article ne peut qu’être écarté, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, à titre préjudiciel, de questions relatives, d’une part, à l’interprétation de l’article 88, paragraphe 3, du traité en ce qui concerne la modification des taux de la taxe et, d’autre part, à la validité de la décision de la Commission du 30 mars 2004 relative à la taxe d’abattage au regard des articles 88, paragraphe 2 et 87 du traité, dont l’arrêté attaqué n’est pas une mesure d’application ;

Considérant, en deuxième lieu, que le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES soutient que l’arrêté du 17 juillet 2006 fixant les taux de la taxe d’abattage méconnaîtrait l’obligation de coopération loyale figurant à l’article 10 du traité instituant la Communauté européenne et conforterait un abus de position dominante des deux principales entreprises d’équarrissage en France se traduisant par une surfacturation des prestations du service public de l’équarrissage et donc par des tarifs trop élevés de la taxe d’abattage qui les financent, en violation de l’article 82 du même traité ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les pratiques anti-concurrentielles auxquelles les entreprises d’équarrissage se livreraient à les supposer établies résulteraient des dispositions mêmes de l’arrêté attaqué ; que, par suite, le moyen tiré de la violation de ces stipulations du traité ne peut qu’être écarté ;

Considérant, en troisième lieu, que les conditions de réquisition des entreprises d’équarrissage et de passation de marchés avec ces entreprises sont sans incidence sur la légalité de la fixation, par l’arrêté attaqué, des tarifs de la taxe d’abattage ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 17 juillet 2006 ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté du 13 juillet 2006 fixant la participation de certains éleveurs au coût du service public de l’équarrissage :

Considérant, en premier lieu, les dispositions précitées de l’article L. 226-9 du code rural, n’imposent pas que la participation au financement du service public de l’équarrissage soit perçue auprès de toutes les catégories d’éleveurs ; qu’il suit de là que le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES n’est pas fondé à soutenir que l’arrêté du 13 juillet 2006 méconnaît les dispositions de l’article L. 226-9 du code rural au motif qu’il n’impose aux éleveurs de bovins et de petits ruminants aucune participation au financement de ce service ; que si les abattoirs de bovins sont davantage mis à contribution que les abattoirs porcins au titre de la taxe d’abattage, notamment du fait que les éleveurs de bovins ne participent pas au financement du service public de l’équarrissage, cette différence de traitement doit être mise en rapport avec la différence de situation qui caractérise les différentes filières animales au regard du service public de l’équarrissage, les enjeux sanitaires liés à la bonne exécution des prestations d’équarrissage faisant peser des obligations particulières sur la filière bovine ; qu’ainsi, cette différence de traitement, qui n’est pas manifestement excessive, n’emporte aucune violation du principe d’égalité devant l’impôt ;

Considérant, en deuxième lieu, que les éleveurs de bovins et de petits ruminants prennent en charge directement les prestations d’équarrissage qui ne font pas partie du service public de l’équarrissage défini à l’article L. 226-1 du code rural ; que, quant aux prestations qui relèvent de ce service, si leur coût ne pèse pas sur les éleveurs de bovins et de petits ruminants, qui bénéficient d’une aide de 100 %, cette aide est financée par des prélèvements et des contributions limités au secteur de la viande ; qu’ainsi, le moyen tiré par le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES de la méconnaissance du principe pollueur-payeur inscrit au 3° du II de l’article L. 110 du code de l’environnement doit être écarté ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 13 juillet 2006 ;

Sur les conclusions à fin de suspension :

Considérant que la présente décision rend sans objet les conclusions à fin de suspension des arrêtés attaqués présentées par le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES ; qu’il n’y a dès lors plus lieu d’y statuer ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 7611 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
————–

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES à fin de suspension.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT NATIONAL DE L’INDUSTRIE DES VIANDES, au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et au ministre de l’agriculture et de la pêche.


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