Conseil d’État, 9ème – 10ème SSR, 11/05/2015, 365564, Inédit au recueil Lebon

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Conseil d’État, 9ème – 10ème SSR, 11/05/2015, 365564, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La SA Natixis banques populaires a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la réduction et la restitution partielle des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, auxquelles elle a été assujettie ou qu’elle a acquittées au titre des exercices clos en 1998 et en 1999, ainsi que les pénalités correspondantes, assorties des intérêts moratoires. Par un jugement n° 0601113 du 13 juillet 2010, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 10VE03020 du 6 novembre 2012, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la société Natixis, qui a succédé à la SA Natixis banques populaires, tendant, d’une part, à l’annulation de ce jugement en tant qu’il a rejeté ses conclusions aux fins de réduction et de restitution partielle des cotisations d’impôt sur les sociétés acquittées au titre de l’année 1999 du fait de l’intégration, dans ses bases d’impositions, des dividendes versés par la société Audley finance BV et, d’autre part, à ce que soit prononcée la restitution des impositions contestées, à titre principal, à hauteur d’une montant de 1 515 969 euros et, à titre subsidiaire, à hauteur de 1 077 243 euros.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 janvier et 29 avril 2013 et le 16 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la SA Natixis demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 8 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Natixis ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en 1989, le Crédit national, aux droits de laquelle vient la SA Natixis, a bénéficié, de la part d’une filiale située aux Antilles néerlandaises, de la rétrocession du produit d’une émission de titres, en contrepartie desquels il devait lui verser des intérêts les 25 février et 25 août de chaque année, jusqu’au 25 février 2004 ; qu’il a souscrit grâce à ces fonds 99,99 % du capital de la société Audley Finance BV, domiciliée… ; que cette dernière a consacré la totalité des sommes ainsi mises à sa disposition, diminuées des frais de constitution, à l’acquisition d’obligations émises par une institution financière américaine, à échéance du 24 février 2004, rémunérées au taux de 9,5 %, et dont les intérêts étaient versés les 25 février et 25 août de chaque année ; que le Crédit national a fait application aux dividendes perçus de la société Audley Finance BV du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts ; qu’à la suite de vérifications de comptabilité dont il a fait l’objet au titre des années 1990 à 1995, l’administration a remis en cause le bénéfice de ce régime au motif que la création de la société Audley Finance BV poursuivait un but exclusivement fiscal ; que la société Natixis, tirant les conséquences de cette remise en cause, n’a pas inclus dans son résultat imposable de l’exercice 1999 l’acompte sur dividende perçu au cours de cet exercice ; qu’elle a toutefois ultérieurement revendiqué le bénéfice du régime des sociétés mères au titre de ce même exercice, au motif que les bénéfices de la société Audley Finance BV avaient été soumis à l’impôt aux Pays-Bas, en raison d’une modification de la législation fiscale néerlandaise ; que sa réclamation tendant à la restitution partielle des cotisations d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt qu’elle a acquittées au titre de l’année 1999 à raison de l’inclusion dans ses bases d’imposition des dividendes qui lui ont été versés par la société Audley Finance BV ayant été rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, par un jugement du 13 juillet 2010, a rejeté sa demande ; qu’elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 6 novembre 2012 de la cour administrative d’appel de Versailles devant laquelle elle soutenait, à titre principal, qu’elle devait bénéficier du régime des sociétés-mères défini aux articles 145 et 216 du code général des impôts et, à titre subsidiaire, de l’avoir fiscal prévu par l’article 158 bis, alors en vigueur, du même code ;

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il se prononce sur l’application du régime des sociétés mères :

2. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l’administration tant qu’il n’a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l’administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d’obtenir l’application de dispositions de droit public, d’y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d’un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l’administration à ne pas tenir compte d’actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s’applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n’entre pas dans le champ d’application des dispositions particulières de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui, lorsqu’elles sont applicables, font obligation à l’administration fiscale de suivre la procédure qu’elles prévoient ; qu’ainsi, hors du champ de ces dispositions, l’administration, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu’elle établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur le principe rappelé plus haut pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

3. Considérant que pour juger que la société de droit néerlandais Audley Finance BV avait été créée dans un but exclusivement fiscal visant à permettre à la SA Natixis de bénéficier du régime des sociétés mères à raison des sommes qui, sans l’interposition de cette société, auraient été imposables en France, la cour s’est fondée sur ce que l’administration apportait la preuve de l’absence de substance économique de cette structure ; qu’elle a relevé, d’une part, que cette filiale, dont l’actif était constitué des obligations acquises initialement avec les sommes mises à disposition par le Crédit national, avait pour seule activité leur gestion patrimoniale, alors que ses recettes provenaient uniquement des intérêts et des plus-values résultant de ces obligations, d’autre part, que la politique de placement avait été définie une fois pour toutes lors de la création de la filiale, que le Crédit national, puis la SA Natexis Banques populaires, ne contrôlaient pas réellement la gestion de cette filiale et que le risque qu’ils supportaient ne se distinguait pas, le dividende versé étant seulement fonction des revenus du placement en obligations, de celui qu’ils auraient supporté s’ils avaient directement investi, sans interposition de la société Audley finance BV, dans l’acquisition de ces obligations les fonds correspondant à la rétrocession du produit de l’émission de titres obtenue en 1989, et enfin, que le changement de la législation fiscale aux Pays-Bas en 1999, conduisant à l’imposition au taux de 21,5 % des bénéfices de la société Audley Finance BV auparavant non imposés, s’il avait réduit l’intérêt fiscal du montage litigieux, était sans incidence, en l’absence de modification des modalités de gestion et de fonctionnement de cette société, sur la substance de celle-ci et sur l’intérêt poursuivi par ce montage ; que la cour a également relevé que la société ne faisait état d’aucun intérêt, autre que fiscal, à l’acquisition de cette filiale néerlandaise ; qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments qu’elle a souverainement appréciés sans les dénaturer, la cour a exactement qualifié les faits dont elle était saisie en en déduisant que l’acquisition de cette filiale néerlandaise était constitutive d’un montage, qui trouvait son origine dans la recherche d’une application littérale des articles 145 et 216 du code général des impôts à l’encontre des objectifs du législateur, et n’avait d’autre objectif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que la société requérante aurait supportées si elle avait acquis ces obligations sans passer par son intermédiaire ; qu’en statuant ainsi, par un arrêt suffisamment motivé, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;

Sur l’arrêt attaqué en tant qu’il se prononce sur le bénéfice de l’avoir fiscal :

4. Considérant qu’aux termes de l’article 158 bis du code général des impôts, alors en vigueur :  » I. Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d’un revenu constitué : / a) par les sommes qu’elles reçoivent de la société ; / b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. / Ce crédit d’impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. Il ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l’impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Il est reçu en paiement de cet impôt. (…) / II. Par exception aux dispositions prévues au I, ce crédit d’impôt est égal à 45 % des sommes effectivement versées par la société lorsque la personne susceptible d’utiliser ce crédit n’est pas une personne physique. (…)  » ; qu’aux termes de l’article 209 bis du même code, alors en vigueur :  » 1. Les dispositions des articles 158 bis et 158 ter sont applicables aux personnes morales ayant leur siège social en France, dans la mesure où le revenu distribué est compris dans la base de l’impôt sur les sociétés dû par le bénéficiaire. Le crédit d’impôt est reçu en paiement de cet impôt. Il n’est pas restituable  » ; qu’il ressort de l’ensemble des travaux préparatoires de l’article 1er de la loi du 12 juillet 1965 créant l’avoir fiscal, alors codifié à l’article 158 bis précité du code général des impôts, que le législateur a eu comme objectifs de favoriser l’actionnariat des entreprises ainsi que le développement de la place financière de Paris et d’éliminer à cet effet la double imposition qui frappait les dividendes ; qu’eu égard à l’objet de la loi, l’actionnaire, imposable à raison des dividendes qu’il perçoit, est en droit de prétendre à l’avoir fiscal qui leur est attaché sous peine de soumettre ces dividendes à une double imposition ; que, par suite, dès lors qu’une société a effectivement la qualité d’actionnaire, les dividendes qu’elle perçoit à raison des titres qu’elle détient ouvrent droit à son profit au bénéfice de l’avoir fiscal qui y est attaché ; que le fait qu’une prise de participation dans le capital d’une société présente un faible risque économique, compte tenu du contexte ou des circonstances dans lesquelles cette opération intervient, n’a pas pour effet en lui-même de supprimer le risque inhérent à la qualité d’actionnaire ;

5. Considérant que, pour juger que l’administration était en droit de refuser à la société le bénéfice de l’avoir fiscal alors prévu à l’article 158 bis du code général des impôts, la cour s’est fondée, d’une part, sur l’absence de substance de la société Audley Finance BV et sur la motivation exclusivement fiscale du montage résultant de l’acquisition de cette société par le Crédit national et, d’autre part, sur la circonstance que ce dernier ne supportait aucun risque d’actionnaire distinct du risque de défaut sur les obligations détenues par la société néerlandaise ; qu’en relevant ces circonstances, qui n’étaient pas, par elles-mêmes, de nature à établir que les opérations en cause procédaient de la recherche par le contribuable du bénéfice d’une application littérale des dispositions de l’article 158 bis du code général des impôts à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, la cour administrative d’appel a donné aux faits de l’espèce une qualification juridique erronée ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés à l’appui de ces conclusions, que la SA Natixis est seulement fondée à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant au bénéfice de l’avoir fiscal prévu à l’article 158 bis du code général des impôts alors en vigueur ;

Sur les conclusions de la SA Natixis présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 500 euros à verser à la SA Natixis au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 6 novembre 2012 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions de la requête de la SA Natixis tendant au bénéfice de l’avoir fiscal.

Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d’appel de Versailles.

Article 3 : L’Etat versera une somme de 3 500 euros à la SA Natixis au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la SA Natixis est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SA Natixis et au ministre des finances et des comptes publics.

ECLI:FR:XX:2015:365564.20150511


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