Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Property Investment Holding (PIH) France a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2006 et 2007 en sa qualité de société mère d’un groupe fiscal intégré, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1109190 du 26 février 2013, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 13PA01636 du 13 mai 2014, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par la société PIH France contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juillet et 16 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société PIH France demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange de la Burgade, avocat de la société Property Investment Holding (PIH) France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit français Property Investment Holding France (PIH France), dont le capital est détenu indirectement par la société de droit néerlandais Property Investment Holding BV (PIH BV), exerce une activité de holding immobilière dont l’activité principale est la prise de participations dans d’autres sociétés immobilières, notamment la SARL Foncière le Charlebourg. A l’issue de la vérification de comptabilité dont cette dernière a fait l’objet, l’administration fiscale a remis en cause la déduction de la fraction des honoraires versés par celle-ci à la société PIH France en 2006 et 2007, correspondant à la refacturation des honoraires que cette dernière a elle-même versés à la société PIH BV, dans le cadre de conventions d’assistance administrative et financière ainsi que la déduction d’une somme de 450 000 euros facturée directement par la société PIH BV à la SARL Foncière le Charlebourg en 2007, correspondant à un honoraire dit » de résultat » facturé à la suite de la cession de l’immeuble que celle-ci détenait, au motif que le paiement de ces honoraires correspondait à un transfert indirect de bénéfices à l’étranger au sens de l’article 57 du code général des impôts.
2. La société PIH France, société mère du groupe fiscalement intégré dont est membre la SARL Foncière le Charlebourg, a contesté les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de cotisations additionnelles à cet impôt résultant de ces rectifications, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2006 et 2007. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 13 mai 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, confirmant un jugement du 26 février 2013 du tribunal administratif de Paris, a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur l’étendue du litige :
3. Par décision du 17 décembre 2015, postérieure à l’introduction du pourvoi, l’administration, renonçant à la réintégration de la fraction des honoraires versés par la SARL Foncière le Charlebourg à la société PIH France dans le cadre des conventions d’assistance administrative et financière, a prononcé le dégrèvement total des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles la société PIH France a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2006, ainsi que des pénalités correspondantes, et le dégrèvement, à hauteur de 65 273 euros, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles la société PIH France a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2007. Les conclusions du pourvoi relatives à ces impositions, dirigées contre l’arrêt de la cour administrative de Paris sont, dans cette mesure, devenues sans objet. Il n’y a, par suite, plus lieu d’y statuer.
Sur le surplus des conclusions du pourvoi :
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que seule reste en litige la facturation d’un honoraire complémentaire » de résultat » à la suite de la cession de l’immeuble dont la SARL Foncière Le Charlebourg était propriétaire. Pour juger que cette somme était constitutive d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du code général des impôts, la cour, après avoir relevé que les décisions relatives au principe même des investissements et aux orientations stratégiques et financières de la SARL Foncière le Charlebourg étaient prises par des personnes représentant d’autres sociétés du groupe, en particulier par M.A…, représentant de la société de droit anglais EPIC, filiale de la société PIH BV, s’est bornée à indiquer, de manière générale, que les prestations correspondantes étaient rendues, non dans l’intérêt de la SARL Foncière Le Charlebourg, mais dans l’intérêt du groupe de sociétés auquel elle appartient et devaient être qualifiées de » frais d’actionnaire » conformément au guide relatif aux prix de transfert édité par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).
5. En statuant ainsi, sans distinguer selon la nature pourtant différente des prestations concernées et sans répondre notamment à l’argumentation développée devant elle selon laquelle la facturation d’un honoraire complémentaire, dont le montant était modeste par rapport aux pratiques du marché, était justifié par le caractère exceptionnel de la plus-value réalisée lors de la cession de l’immeuble détenue par la SARL Foncière Le Charlebourg, laquelle n’avait pas de personnel lui permettant de réaliser elle-même les prestations correspondantes, la cour a insuffisamment motivé son arrêt. Par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, cet arrêt doit être annulé.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Aux termes du premier alinéa de l’article 57 du code général des impôts, applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : » Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l’égard des entreprises qui sont sous la dépendance d’une entreprise ou d’un groupe possédant également le contrôle d’entreprises situées hors de France (…) « . Il résulte de ces dispositions que, lorsqu’elle constate que les prix payés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres fournisseurs dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des fournisseurs dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s’explique par la situation différente de ces fournisseurs, l’administration doit être regardée comme établissant l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d’avoir procédé à de telles comparaisons, l’administration n’est, en revanche, pas fondée à invoquer une présomption de transfert de bénéfices mais doit établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.
8. Or, l’administration n’a pas procédé à des comparaisons attestant que le prix payé en contrepartie de ces prestations était supérieur à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement avec des fournisseurs dépourvus de liens de dépendance.
Au surplus, il résulte de l’instruction que l’intervention de M.A…, représentant de la société de droit anglais EPIC, filiale de la société PIH BV, dans la cession de l’immeuble dont la SARL Foncière le Charlebourg était propriétaire, a permis à cette dernière de trouver un acquéreur dans les meilleures conditions et de réaliser une plus-value importante de 8,632 millions d’euros. Par suite, ces prestations, qui ne pouvaient être réalisées ni par son unique salariée, employée à temps partiel pour assurer essentiellement des fonctions de représentation, ni par les prestataires extérieurs tels la société Saggel Gestion et le cabinet NSK, auxquels étaient confiées des prestations distinctes relatives respectivement à la gestion et l’administration de cet immeuble et la gestion comptable et financière, présentaient un intérêt propre pour l’exploitation de la SARL Foncière le Charlebourg.
9. Enfin, l’administration n’a produit aucun élément de nature à établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix payé en contre partie des prestations et la valeur vénale du service rendu.
10. Dans ces conditions, l’administration ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de ce que la somme de 450 000 euros restant en litige, facturée directement par la société PIH BV à la SARL Foncière le Charlebourg en 2007, était constitutive d’un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du code général des impôts.
11. La société PIH France, seule redevable de l’impôt en sa qualité de société mère du groupe fiscalement intégré, est, dès lors, fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a refusé de faire droit à sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles résultant de la réintégration de cette somme dans ses résultats imposables de l’exercice clos en 2007.
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à ce titre à la charge de l’Etat, pour l’ensemble de la procédure, la somme de 5 000 euros.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi de la société PIH France à concurrence des dégrèvements prononcés en cours d’instance.
Article 2 : L’arrêt du 13 mai 2014 de la cour administrative d’appel de Paris et le jugement du 26 février 2013 sont annulés en tant qu’ils ont rejeté la demande, présentée par la société PIH France, tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle au titre de l’exercice clos en 2007 correspondant à la réintégration, dans ses bases imposables, des honoraires d’un montant de 450 000 euros facturés par la société PIH BV à la SARL Foncière le Charlebourg.
Article 3 : La société PIH est déchargée des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle mises à sa charge au titre de l’exercice clos en 2007 et correspondant à la réintégration, dans ses bases imposables, des honoraires d’un montant de 450 000 euros facturés par la société PIH BV à la SARL Foncière le Charlebourg.
Article 4 : L’Etat versera à la société PIH France la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Property Investment Holding France et au ministre de l’économie et des finances.
ECLI:FR:CECHR:2016:382733.20160921