Conseil d’État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 11/12/2009, 301503

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Conseil d’État, 8ème et 3ème sous-sections réunies, 11/12/2009, 301503

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 14 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Louisette A, demeurant au … ; Mme A demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 6 décembre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement en date du 8 novembre 2005 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1995, 1996 et 1997 et des pénalités correspondantes ;

2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Jérôme Michel, Maître des Requêtes,

– les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de Mme A,

– les conclusions de M. Laurent Olléon, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Peignot, Garreau, avocat de Mme A ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile immobilière (SCI) Aristide Briand exerce depuis 1972 une activité de location de locaux commerciaux nus ; qu’à l’issue d’un contrôle sur pièces ayant porté sur les années 1994, 1995 et 1996 et d’une vérification de la société ayant porté sur les exercices 1995 à 1997, l’administration fiscale a estimé que l’activité exercée était de nature commerciale et l’a soumise à l’impôt sur les sociétés ; qu’elle a notifié un redressement à Mme A procédant de la requalification des revenus fonciers déclarés au titre des années 1995, 1996 et 1997 en revenus de capitaux mobiliers imposables sur le fondement des dispositions du a de l’article 111 du code général des impôts ; que la cour administrative d’appel de Douai, par un arrêt du 6 décembre 2006, dont Mme A demande l’annulation, a confirmé le jugement en date du 8 novembre 2005 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu, de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1995, 1996 et 1997 et des pénalités correspondantes ;

Sur les motifs de l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur les conclusions tendant à la décharge des impositions en litige :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que Mme A, à l’appui de ses conclusions principales tendant à la décharge des impositions contestées, s’est bornée à se référer aux moyens de la requête d’appel présentée par la SCI Aristide Briand, sans joindre ce mémoire à sa propre requête ; que, par suite, c’est sans erreur de droit que la cour a rejeté ces conclusions ;

Sur les motifs de l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur les conclusions tendant au bénéfice de l’avoir fiscal :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A a entendu obtenir le bénéfice de l’avoir fiscal en se prévalant, à titre subsidiaire, devant la cour, de la réponse ministérielle à M. B, député, du 18 avril 1983 aux termes de laquelle lorsqu’une société à forme civile, dont les résultats ont été déclarés dans le cadre du régime fiscal des sociétés de personnes prévu à l’article 8 du code général des impôts, se trouve placée rétroactivement, à la suite d’un contrôle, en raison de la nature effective de ses opérations, sous celui des sociétés de capitaux en application de l’article 206-2 du même code, il y a lieu d’en tirer les conséquences, dans les limites de la prescription, tant en ce qui concerne le régime fiscal de la société que celui de ses membres en matière d’impôt sur le revenu, chacun des associés ayant rétroactivement vocation à se prévaloir des dispositions relatives à l’avoir fiscal dans la mesure où les sommes désinvesties de l’actif social, compte tenu de leur nature et de la forme officielle de la répartition, sont légalement assorties de l’avoir fiscal, sauf dans le cas où les bénéfices sont réputés distribués à la suite d’un redressement portant sur le montant des résultats déclarés par la société distributrice et non sur le seul régime fiscal applicable à celui-ci ; que, pour écarter ces conclusions subsidiaires, la cour a dénaturé les pièces du dossier en estimant que le montant des distributions pour lesquelles Mme A demandait le bénéfice de l’avoir fiscal, tel qu’il résultait de la notification de redressement adressée à la société, avait été arrêté sur une base différente de celle qui avait été retenue par les associés lors des assemblées générales ; que, dans cette mesure, Mme A est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 158 bis et 158 ter du code général des impôts, applicables aux années d’imposition 1995, 1996 et 1997, que l’avoir fiscal est exclusivement attaché aux produits distribués par une société à ses associés à titre de dividendes, en vertu d’une décision prise par l’assemblée générale de ses actionnaires ou porteurs de parts, dans les conditions prévues par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ; que les associés d’une société civile, dont le statut fiscal de société de personnes prévu à l’article 8 du code général des impôts a été remis en cause par l’administration et qui est devenue de ce fait assujettie à l’impôt sur les sociétés, sont fondés à demander le bénéfice de l’avoir fiscal dans la mesure où les sommes distribuées correspondent à celles dont la distribution a été décidée par l’assemblée générale des porteurs de parts ; qu’en revanche, ils ne peuvent prétendre au bénéfice de l’avoir fiscal pour les sommes réputées distribuées qui procèdent de rehaussements des résultats de l’entreprise ou qui excèdent par leurs montants leur quote-part de résultats telle qu’elle a été fixée par l’assemblée générale ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’au cours des assemblées générales des 9 mai 1996, 14 mars 1997 et 15 avril 1998, les associés de la SCI Aristide Briand ont arrêté le bénéfice comptable des années 1995, 1996 et 1997 aux sommes, respectivement, de 2 678 297 F, 2 812 202 F et 2 872 865 F et ont décidé de répartir ces bénéfices en proportion des droits respectifs des associés ; qu’à la suite de la vérification dont a fait l’objet la société, l’administration s’est bornée à remettre en cause le régime fiscal de cette dernière sans en rehausser les résultats ; que, par suite, les sommes distribuées à Mme A, dans les seules limites de cette répartition et à proportion des droits de Mme A dans la société doivent, en application de la loi précitée, bénéficier de l’avoir fiscal ; qu’il résulte de ce qui précède que, en l’absence de toute autre argumentation de l’administration et sans qu’il soit besoin de répondre au moyen de la requérante relatif à la doctrine administrative, Mme A est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant au bénéfice de l’avoir fiscal attaché aux dividendes perçus au titre des années 1995, 1996 et 1997 ; que l’imposition dont elle est redevable résulte de l’intégration dans son revenu imposable des dividendes majorés de l’avoir fiscal qui leur est attaché puis de l’imputation sur l’impôt calculé sur ces bases de cet avoir fiscal ; que, par suite, Mme A est fondée à demander que son imposition soit recalculée selon ces modalités et à obtenir, dans cette mesure, la réduction des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de ces dispositions ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 6 décembre 2006 est annulé en tant qu’il porte sur les conclusions de la requête relatives au bénéfice de l’avoir fiscal attaché aux revenus réputés distribués à Mme A au titre des années 1995, 1996, et 1997.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d’impôt sur revenu, de contribution sociale généralisée et de contribution au remboursement de la dette sociale auxquelles Mme A a été assujettie au titre des années 1995, 1996 et 1997 seront calculées en prenant en compte le bénéfice de l’avoir fiscal attaché aux dividendes versés par la SCI Aristide Briand au titre de chacune de ces années dans la mesure des répartitions décidées par les assemblées générales et compte tenu de la quote-part des droits de Mme A dans la SCI Aristide Briand.

Article 3 : Il est accordé à Mme A décharge de la différence entre les impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1995, 1996 et 1997 ainsi que des pénalités correspondantes et celles qui résultent des modalités de calcul défini à l’article 2.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de Mme A est rejeté.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 8 novembre 2005 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.

Article 6: L’Etat versera à Mme A une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme Louisette A et au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat.


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