Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 05/07/2022, 460047

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Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 05/07/2022, 460047

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. et Mme C… E… ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1608454 du 13 mars 2019, ce tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 19VE01636 du 18 novembre 2021, la cour administrative d’appel de Versailles a prononcé la décharge des impositions et pénalités en litige, réformé en conséquence le jugement du tribunal de Cergy-Pontoise et rejeté le surplus des conclusions d’appel présentées par M. et Mme E….

Par un pourvoi, enregistré le 31 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de M. et Mme E….

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. et Mme C… E… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. E… a acquis de la société Tocqueville Finance, les 13 mars et 24 juin 2008, respectivement 7 200 actions et 7 800 actions de la société OTC Asset Management, société de gestion de portefeuilles dont il était salarié. Le 18 juillet 2013, il a cédé à la SAS Backbone, devenue OTC Holding, 13 700 actions de la société OTC Asset Management, pour un montant global de 814 734 euros. Il a déclaré la plus-value résultant de cette cession, d’un montant de 485 806 euros, au titre de ses revenus de 2013 en appliquant l’abattement renforcé de 65 % prévu au 2° du A du 1 quater de l’article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable. M. E… a également reçu, au titre de cette cession, un complément de prix de 19 626 euros. A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a partiellement remis en cause le bénéfice de cet abattement en estimant non remplie, pour 7 200 des titres cédés, l’une des conditions auquel il était subordonné, tenant à ce que l’actionnaire ne se voit accorder aucune garantie en capital par la société émettrice des titres cédés. Après le rejet de la réclamation qu’ils avaient formée contre les impositions supplémentaires et pénalités mises à leur charge en conséquence de ce contrôle, M. et Mme E… ont porté le litige devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a rejeté leur demande en décharge par un jugement du 13 mars 2019. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 18 novembre 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles, statuant sur appel des contribuables, a prononcé la décharge des impositions et pénalités en litige.

2. Aux termes de l’article 150-0 A du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige :  » I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, (…), les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement (…), de valeurs mobilières (…) sont soumis à l’impôt sur le revenu. (…) / (…) « . Aux termes de l’article 150-0 D du même code, dans sa rédaction alors applicable :  » 1. Les gains nets mentionnés au I de l’article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d’acquisition par celui-ci (…). / Les gains nets de cession à titre onéreux d’actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l’article 150-0 A (…) sont réduits d’un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. / (…) / 1 quater. / A.- Par dérogation au 1 ter, lorsque les conditions prévues au B du présent 1 quater sont remplies, les gains nets sont réduits d’un abattement égal à : / (…) / 2° 65 % de leur montant lorsque les actions, parts ou droits sont détenus depuis au moins quatre ans et moins de huit ans à la date de la cession ; / (…) / B.- L’abattement mentionné au A s’applique : / 1° Lorsque la société émettrice des droits cédés respecte l’ensemble des conditions suivantes : / a) Elle est créée depuis moins de dix ans et n’est pas issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes. Cette condition s’apprécie à la date de souscription ou d’acquisition des droits cédés ; / (…) / b) Elle répond à la définition prévue au e du 2° du I de l’article 199 terdecies-0 A. (…) / c) Elle respecte la condition prévue au f du même 2° ; / (…) / Les conditions prévues aux quatrième à avant-dernier alinéas du présent 1° s’apprécient de manière continue depuis la date de création de la société ; / (…) « . L’article 199 terdecies-0 A du code dispose au f) du 2° de son I que  » la société n’accorde aucune garantie en capital à ses associés ou actionnaires en contrepartie de leurs souscriptions « .

3. Il résulte de ces dispositions que le bénéfice de l’abattement de 65 % prévu par les dispositions du 2° du A du 1 quater de l’article 150-0 D du code général des impôts, qui tend notamment à favoriser l’investissement dans les petites et moyennes entreprises et les jeunes entreprises innovantes, est subordonné à la condition que la société émettrice des actions, parts ou droits cédés n’ait accordé aucune garantie en capital à ses associés ou actionnaires en contrepartie de la souscription ou de la détention de ses titres et que le respect de cette condition s’apprécie de manière continue pendant toute la durée de cette détention.

4. La cour administrative d’appel de Versailles a relevé que, concomitamment à l’acquisition le 13 mars 2008 des 7 200 actions de la société OTC Asset Management en cause, M. E… avait signé une promesse unilatérale de cession de ces actions au bénéfice de M. D… A…, directeur général de la société OTC Asset Management, lequel était partie, avec la société financière OTC Securities et la société de gestion d’actifs Tocqueville Finance, à un pacte d’actionnaires conclu le 28 novembre 2006, en vertu duquel cette dernière société s’était elle-même engagée à céder aux futurs collaborateurs d’OTC Asset Management des actions de cette société, sous réserve que les cessionnaires signent une telle promesse. La cour a également relevé qu’aux termes de la promesse de vente, M. E… s’engageait, d’une part, à céder ses actions à M. A…, si ce dernier lui en faisait la demande et, d’autre part, à ne pas se défaire de ses actions au profit d’un tiers autre que ce dernier ou une personne désignée par lui jusqu’au terme de la promesse, lequel interviendrait à la fin du sixième mois suivant la cessation de ses fonctions de salarié au sein d’OTC Asset Management ou, au plus tard, le 13 mars 2020, le prix de cession ne pouvant, dans cette hypothèse, en vertu des stipulations de l’article 4 de la promesse de vente, être inférieur au prix d’acquisition des actions par M. E…. La cour a enfin relevé qu’indépendamment de toute cessation de fonctions, M. E… s’obligeait, en vertu de la promesse de vente, à céder ses titres dans l’hypothèse d’une offre de rachat de la société OTC Asset Management portant sur 95 % au moins de ses titres, acceptée par 50 % au moins des associés, cette cession intervenant alors  » au prix, termes et conditions de l’offre reçue et décrite dans la notification de cession « .

5. Pour juger que l’administration n’était pas fondée à soutenir, pour remettre en cause le bénéfice de l’abattement renforcé pour la plus-value de cession des 7 200 titres acquis par M. E… le 13 mars 2008, que la conclusion de la promesse de vente mentionnée au point 4 traduisait l’octroi par la société OTC Asset Management à M. E… d’une garantie en capital au sens et pour l’application des dispositions du f du 2° du I de l’article 199 terdecies-0 A du code général des impôts, auquel renvoie le c) du 1° du B du 1 quater de l’article 150-0 D du même code, la cour administrative d’appel de Versailles s’est fondée sur ce que cette promesse unilatérale de vente ne comportait aucune obligation pour son bénéficiaire, M. A…, de l’exercer, de sorte que M. E… n’était pas assuré de vendre, en toute hypothèse, ses titres pour un prix égal à celui auquel il les avait acquis.

6. En statuant ainsi, la cour administrative d’appel, qui a porté sur les faits de l’espèce, et notamment les stipulations contractuelles en cause, une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n’a pas inexactement qualifié ces mêmes faits en jugeant que la société OTC Asset Management ne pouvait être regardée comme ayant consenti, au travers de M. A…, une garantie en capital à M. E…, au sens et pour l’application des dispositions citées au point 2. La cour n’a, contrairement à ce que soutient le ministre, pas davantage entaché son arrêt d’erreur de droit en ne déduisant pas l’existence d’une telle garantie de la seule circonstance que M. E… avait effectivement cédé les actions litigieuses dans des conditions favorables.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de la relance n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. et Mme E… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l’économie, des finances et de la relance est rejeté.

Article 2 : L’Etat versera à M. et Mme E… la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. et Mme C… E….

Délibéré à l’issue de la séance du 15 juin 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Mathieu Herondart, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, conseillers d’Etat, Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes et M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 5 juillet 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Sébastien Ferrari

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

ECLI:FR:CECHR:2022:460047.20220705


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