Conseil d’Etat, 7 / 8 SSR, du 22 février 1989, 70252, inédit au recueil Lebon

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Conseil d’Etat, 7 / 8 SSR, du 22 février 1989, 70252, inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 6 juillet 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jean-Louis Y…, demeurant 5, Grand’rue, Orschwihr à Guebwiller (68500) et tendant à ce que le Conseil d’Etat :

1°) annule le jugement en date du 25 avril 1985 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en décharge des impositions supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1976, 1977, 1978 et 1979 dans les rôles de la ville de Guebwiller (Haut-Rhin) ;

2°) lui accorde la décharge des impositions supplémentaires contestées ainsi que des pénalités y afférentes ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu la loi n° 62-917 du 8 août 1962 ;

Vu la loi du 11 juillet 1979 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

– le rapport de M. Querenet B… de Breville, Conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des mentions du jugement attaqué que M. Jean-Louis Y… a été convoqué à l’audience du 5 mars 1985 au cours de laquelle le tribunal administratif a examiné sa demande ; que le requérant ne justifie pas de son allégation selon laquelle, contrairement à cette mention, aucune convocation à l’audience ne lui aurait été adressée ; que, dès lors, il n’est pas fondé à soutenir que, faute pour le tribunal de l’avoir convoqué à l’audience, le jugement attaqué aurait été rendu sur une procédure irrégulière ;

Considérant, en second lieu, qu’il ressort tant des mentions du jugement attaqué que des pièces du dossier de première instance qu’en admettant même que le commissaire du gouvernement aurait conclu à un supplément d’instruction, le tribunal administratif a délibéré au vu des seuls mémoires produits par l’administration fiscale avant l’audience, lesquels avaient été régulièrement communiqués à M. Jean-Louis Y… ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les premiers juges n’auraient pas respecté le caractère contradictoire de la procédure ne saurait être accueilli ;

Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient M. Jean-Louis Y…, le tribunal administratif a suffisamment répondu à l’ensemble des moyens articulés à l’appui des conclusions dont il était saisi ;

Sur le régime d’imposition applicable aux bénéfices agricoles réalisés par M. Jean-Louis Y… en 1976, 1977 et 1978 :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 69-A du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l’année 1976 : « Les exploitants agricoles dont les recettes annuelles de deux années consécutive dépassent 500 000 F pour l’ensemble de leur exploitation sont obligatoirement imposés d’après leur bénéfice réel à compter de la deuxième année » ; qu’aux termes du même article, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 1977 : « Lorsque les recettes d’un exploitant agricole, pour l’ensemble de ses exploitations, dépassent une moyenne de 500 000 F mesurée sur deux années consécutives, l’intéressé est obligatoirement imposé d’après son bénéfice réel à compter de la seconde de ces deux années » ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 62-917 du 8 août 1962 : « Les groupements agricoles d’exploitation en commun sont des sociétés civiles de personnes régies par les articles 1832 et suivants du code civil et par les dispositions de la présente loi. Ils ont pour objet de permettre la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial … » ; qu’aux termes de l’article 7 de cette même loi : « La participation à un groupement agricole d’exploitation en commun ne doit pas avoir pour effet de mettre ceux des associés qui sont considérés comme chefs d’exploitation et leur famille, pour tout ce qui touche leurs statuts économique, social et fiscal, dans une situation inférieure à celle des autres chefs d’exploitation agricole, et à celle des autres familles de chefs d’exploitation agricole » ;

Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour déterminer quel est le régime d’imposition applicable aux associés d’un groupement agricole d’exploitation en commun, il convient de comparer, pour chacun d’eux, la part des recettes dudit groupement qui correspond à ses droits dans ce groupement au plafond de recettes fixé à l’article 69-A précité du code général des impôts ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) « François Y… et ses fils », constitué à Orschwihr (Haut-Rhin) pour l’exploitation d’un domaine viticole, comprenait depuis 1974, outre M. Jean-Louis Y…, sa femme, Mme Joséphine X…, et son frère, M. François Y… ; que chacun des trois membres du groupement disposait de parts d’intérêts en contrepartie de ses apports en nature, lesquels, s’agissant de chacun des époux Jean-Louis Y…, provenaient de biens de la communauté et de biens propres ; qu’il n’est pas contesté que les trois membres du groupement participaient au travail en commun ; que, dès lors, M. Jean-Louis Y… est fondé à soutenir que c’est à tort que, pour la détermination du régime d’imposition qui lui était applicable à raison de sa participation personnelle à ce groupement agricole d’exploitation en commun, l’administration fiscale a refusé de regarder Mme Joséphine Y… comme associée du groupement agricole d’exploitation en commun ;

Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction que les bénéfices du groupement agricole d’exploitation en commun étaient, à compter du 1er mars 1974, répartis entre les trois associés, pour une moitié, par parts égales, sur la base du travail, et, pour l’autre moitié, au prorata des parts d’intérêts de chaque associé ; que, compte tenu de ces règles, la part de M. Jean-Louis Y… dans ces bénéfices a été pendant les années 1975 à 1978 de 39,78 % et de 39,09 % en 1979 ;

Considérant qu’il est constant que les recettes du groupement agricole d’exploitation en commun ont été de 1 103 715 F en 1975, 1 065 280 F en 1976, 1 342 338 F en 1977 et 1 380 827 F en 1978 ; que, dès lors, pour la détermination du régime d’imposition de M. Jean-Louis Y…, la part de ces recettes qui doit être réputée avoir été réalisée par lui s’élève à 439 057 F en 1975, 423 768 F en 1976, 533 982 F en 1977, 549 292 F en 1978 et 622 248 F en 1979 ; que, par suite, en vertu des dispositions de l’article 69-A du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 1976, M. Jean-Louis Y… dont la part dans les recettes du groupement agricole d’exploitation en commun de chacune des deux années 1975 et 1976 était inférieure au plafond du régime d’imposition forfaitaire, relevait au titre de l’année 1976 du régime du forfait ; que la moyenne de sa part dans les recettes du groupement mesurée sur deux années consécutives n’a excédé le plafond de 500 000 F que sur l’ensemble des années 1977-1978 ; qu’il s’ensuit qu’en application de la règle posée à l’article 69-A du code général des impôts dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 1977, M. Jean-Louis Y… continuait à relever, au titre de l’année 1977, du régime du forfait et ne devait être soumis au régime du bénéfice réel qu’à compter du 1er janvier 1978 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Jean-Louis Y… est seulement fondé à soutenir qu’il a été imposé au titre des années 1976 et 1977 selon un régime d’imposition qui ne lui était pas applicable et à demander, pour ce motif, la décharge des suppléments d’impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti de ce chef au titre de ces deux années ;

Sur l’interprétation administrative de la loi fiscale qui ferait échec aux impositions établies au titre des années 1978 et 1979 :

Considérant, que sur le fondement des dispositions de l’article 1649 quinquies E du code général des impôts reprises à l’article L.80-A du livre des procédures fiscales, M. Jean-Louis Y… fait valoir que les impositions méconnaissent les termes de la réponse que le ministre chargé du budget a donnée, le 3 avril 1987, à une lettre d’un parlementaire, M. Z… ; que, toutefois, il ressort des termes de cette lettre que le ministre chargé du budget s’est borné à faire état de ce qu’il lui avait paru possible d’abandonner, en raison de circonstances locales exceptionnelles, les redressements dont certains viticulteurs alsaciens avaient fait l’objet du fait de l’évaluation du vin en stock lors du passage du régime forfaitaire au régime réel d’imposition ; que cette lettre ne contient aucune interprétation des dispositions législatives et réglementaires applicables en matière de détermination des bénéfices agricoles ; que, par suite, le requérant ne peut utilement s’en prévaloir devant le juge de l’impôt à l’appui d’une demande en décharge ou en réduction ;

Sur la détermination des bases d’imposition au titre des années 1978 et 1979 :

Considérant qu’il est constant que M. Jean-Louis Y… s’est abstenu de souscrire les déclarations auxquelles il était tenu sous le régime réel d’imposition qui lui était applicable pour l’année 1978 et, ainsi qu’il ne le conteste pas, pour l’année 1979 ; que, dès lors, il se trouvait, pour ces deux années, en situation d’évaluation d’office de son bénéfice ; que, par suite, il supporte, devant le juge de l’impôt, la charge de prouver l’exagération des bases d’imposition ;

Considérant que, pour apporter cette preuve, M. Jean-Louis Y… soutient que, dans l’appréciation, au 1er janvier 1978, de la valeur de la part des stocks de vin du groupement agricole d’exploitation en commun lui revenant, l’administration fiscale a fait une inexacte application des dispositions en vigueur, sans tenir compte de la qualité de la production viticole du groupement et des conditions dans lesquelles il la commercialise ;

Considérant qu’aux termes de l’article 38 sexdecies O A de l’annexe III au code général des impôts, issu de l’article 13 du décret n° 77-1521 du 31 décembre 1977 pris pour l’application de l’article 69 quater de ce code,  » – En cas de passage du régime du forfait au régime d’imposition d’après le bénéfice réel : … les produits de la viticulture en stock à la date du changement de régime d’imposition sont évalués au cours du jour à la même date, sous déduction d’une décote forfaitaire ; un arrêté du ministre de l’économie et des finances fixe les taux de cette décote en fonction de l’âge des produits » ; qu’aux termes de l’arrêté du 15 mars 1978, pris sur ce fondement légal et codifié sous l’article 4. O de l’annexe IV de ce code : « – En cas de passage d’un exploitant agricole du régime du forfait à un régime d’imposition d’après le bénéfice réel, les produits de la viticulture en stock à la date de changement de régime sont évalués en appliquant au cours du jour à la même date une décote calculée comme suit : – 1° Décote applicable aux vins : – Vins provenant de la dernière récolte levée à la date du changement de régime : 0 % ; – Vins provenant de la deuxième et de la troisième récoltes antérieures au changement de régime : 8 % ; – Vins provenant de la quatrième, de la cinquième et de la sixième récoltes antérieures au changement de régime : 20 % ; – Vins provenant de récoltes plus anciennes : 30 % … ;

Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, M. Jean-Louis Y… est passé du régime du forfait au régime d’imposition d’après le bénéfice réel à compter du 1er janvier 1978 ; que, dès lors, les dispositions précitées de l’article 38 sexdecies O A de l’annexe III de l’article 4. O de l’annexe IV au code général des impôts, qui étaient en vigueur à la date de clôture de l’exercice du groupement agricole d’exploitation en commun au 31 décembre 1978, sont, pour la détermination des bases d’imposition de M. Jean-Louis Y…, applicables à l’évaluation du stock du groupement agricole d’exploitation en commun au 1er janvier 1978 ;

Considérant que, pour l’application de ces dispositions, le cours du jour s’entend du prix de vente, à la date du changement de régime d’imposition, des vins en vrac et des vins en bouteillles figurant à cette date dans les stocks de l’exploitant agricole ;

Considérant que, l’état du dossier ne permettant pas au Conseil d’Etat de procéder à l’évaluation, dans les conditions susindiquées, du stock du groupement agricole d’exploitation en commun au 1er janvier 11978, il y a lieu d’ordonner, à la charge du ministre chargé du budget, un supplément d’instruction contradictoire, en vue de fournir au Conseil d’Etat tous éléments d’appréciation nécessaires à la fixation des bénéfices imposables compte tenu de la valeur des stocks, M. Jean-Louis Y… devait supporter pour sa part toutes justifications utiles pour ventiler, à cette date, entre vins en vrac et vins en bouteilles, les quantités de vin en stock, par année de récolte ainsi que pour déterminer le prix de vente à cette date de chacune de ces catégories du stock ;

Sur les pénalités appliquées aux droits dus au titre des années 1978 et 1979 :

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables que les concernent. – A cet effet doivent être motivées les décisions qui : … – Infligent une sanction … » ; que les pénalités pour mauvaise foi prévues à l’article 1729 du code général des impôts sont au nombre des sanctions auxquelles s’appliquent les dispositions précitées ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’administration, qui a, sur le fondement des dispositions de l’article 1729 du code général des impôts, majoré les cotisations d’impôt sur le revenu assignées à M. Jean-Louis Y… au titre des années 1978 et 1979 des pénalités prévues en cas de mauvaise foi, a omis de faire connaître au requérant les motifs de sa décision ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que ces pénalités ont été établies sur une procédure irrégulière et à en demander pour ce motif la décharge ;

Considérant qu’il y a lieu toutefois d’y substituer, en ce qui concerne les droits qui resteront dus, le cas échéant, à l’issue du supplément d’instruction ordonné par le Conseil d’Etat, les intérêts de retard prévues aux articles 1727 et 1734 du code général des impôts dont le montant, en tout état de cause, devra être limité au montant de la majoration indument apppliquée à ces mêmes droits ;

Article 1er : M. Jean-Louis Y… est déchargé des suppléments d’impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1976 et 1977 ainsi que des pénalités dont ces suppléments ont été majorés.

Article 2 : Avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. Jean-Louis Y…, il sera procédé, par les soins du ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et du budget, chargé du budget, contradictoirement avec le requérant, à un supplément d’instruction aux fins : 1°/ de déterminer, conformément aux règles rappelées dans les motifs de la présente décision et au vu des justifications que devra apporter M. Jean-Louis Y… sur les points précisés dans ces mêmes motifs, la valeur globale du stock du groupement agricole d’exploitation en commun « François Y… et ses fils » au 1er janvier 1978 ; 2°/ de déterminer par voie de conséquence, en fonction de la part de M. Jean-Louis Y… dans les bénéfices de ce groupement, soit 39,78 % au titre de l’année 1978 et de 39,09 % au titre de l’année 1979, le montant qui, pour l’imposition de ce dernier à l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices agricoles, selon le régime réel à compter de l’année 1978, doit être réputé correspondre à la valeur de son stock au 1er janvier 1978. 3°/ De fournir tous éléments utiles à la détermination des impositions de M. A… à l’impôt sur le revenu au titre des années 1978 et 1979.

Article 3 : Il est accordé au ministre délégué auprès du ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et du budget, chargé du budget, un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision pour faire parvenir au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’Etat les résultats du supplément d’instruction.

Article 4 : M. Jean-Louis Y… est déchargé de la majoration de 50 % qui a été appliquée aux suppléments d’impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1978 et 1979, sans préjudice des intérêts de retard dont seront assortis, le cas échéant, les droits qui pourraient être maintenus à la charge du requérant lorsqu’il sera statué sur sa demande au vu des résultats du supplément d’instruction.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Louis Y… et au ministre délégué auprès du ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et du budget, chargé du budget.


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