Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, 1°) sous le n° 310452, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 novembre 2007 et 6 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMÉRO, dont le siège est 14 boulevard de la Madeleine à Paris (75008) ; la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMÉRO demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision n° 2007-0213 du 16 avril 2007 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) portant sur les obligations imposées aux opérateurs qui contrôlent l’accès à l’utilisateur final pour l’acheminement des communications électroniques à destination des services à valeur ajoutée, ensemble l’arrêté du 24 avril 2007 homologuant cette décision et la décision implicite par laquelle le ministre délégué à l’industrie a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté ;
Vu, 2°) sous le n° 310454, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 novembre 2007 et 6 février 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000, dont le siège est 14 boulevard de la Madeleine à Paris (75008) ; la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000 demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision n° 2007-0213 du 16 avril 2007 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) portant sur les obligations imposées aux opérateurs qui contrôlent l’accès à l’utilisateur final pour l’acheminement des communications électroniques à destination des services à valeur ajoutée, ensemble l’arrêté du 24 avril 2007 homologuant cette décision et la décision implicite par laquelle le ministre délégué à l’industrie a rejeté son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la directive 2202/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002 ;
Vu la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002 ;
Vu le code des postes et des communications électroniques ;
Vu la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 ;
Vu la décision n° 05-0571 de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes du 27 septembre 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Cyril Roger-Lacan, Maître des Requêtes,
– les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMERO et de la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000,
– les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
– la parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMERO et de la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000 ;
Considérant que les deux requêtes sont dirigées contre une même décision ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 juin 2009, présentée pour la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMERO et la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000 ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.37-2 du code des postes et des communications électroniques : L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes fixe en les motivant : / 1° Les obligations prévues au III de l’article L.34-8 ; qu’aux termes du III de l’article L.34-8 du même code : Les opérateurs qui contrôlent l’accès aux utilisateurs finals peuvent se voir imposer des obligations en vue d’assurer le bon fonctionnement et l’interconnexion de leurs réseaux ainsi que l’accès aux services fournis sur d’autres réseaux. ; qu’enfin, aux termes de l’article D.99-11 de ce code : En application du III de l’article L.34-8 et de l’article L.37-2, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut, dans la mesure de ce qui est nécessaire, imposer aux opérateurs qui contrôlent l’accès aux utilisateurs finals des obligations destinées à assurer la connectivité de bout en bout, notamment l’obligation d’assurer l’interconnexion de leurs réseaux ainsi que l’interopérabilité des services fournis sur ces réseaux ou sur d’autres réseaux. / Ces obligations sont proportionnées, objectives, transparentes et non discriminatoires et adoptées dans le respect des procédures prévues aux articles L.32-1 (III) et L.37-3. Elles sont imposées de façon à donner effet aux objectifs définis à l’article L.32-1 et en particulier à promouvoir l’efficacité économique, à favoriser une concurrence durable ou à procurer un avantage maximal aux utilisateurs finals. Elles s’appliquent sans préjudice des autres obligations en matière d’accès et d’interconnexion susceptibles d’être imposées aux opérateurs en application du présent code ;
Considérant que la décision attaquée, qui fixe les obligations imposées aux opérateurs qui contrôlent l’accès à l’utilisateur final pour l’acheminement des communications à destination des services à valeur ajoutée, impose notamment aux opérateurs de départ d’appel, d’une part, de faire droit aux demandes raisonnables des entreprises proposant des services à valeur ajoutée visant à rendre leurs numéros accessibles par les utilisateurs dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires et, d’autre part, de faire droit aux demandes raisonnables de ces entreprises, ayant pour objet le reversement d’une partie des sommes facturées à l’utilisateur final appelant au titre des communications à destination de leurs numéros, dans des conditions objectives et non discriminatoires ;
Sur la légalité externe de la décision attaquée :
Sur le moyen tiré de la violation des règles de procédure et de compétence :
Considérant, d’une part, que si seul le collège de l’Autorité de régulations des communications électroniques et des postes (ARCEP) est compétent pour prendre des décisions en application des dispositions précitées des articles L.37-2 et D.99-11 du code des postes et des communications électroniques, il n’en résulte pas qu’il doive se prononcer dans les mêmes formes sur les documents préparatoires et les projets qui sont soumis à une consultation publique dans le cadre de la préparation de ces décisions ; qu’il ressort des pièces du dossier que le collège, qui en était tenu informé, s’est prononcé sur les différentes étapes de la consultation conduite par ses services préalablement à la décision attaquée ; qu’il suit de là que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la décision attaquée est entachée d’un vice de forme tenant à la méconnaissance du caractère collégial des décisions rendues par l’Autorité ;
Sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée :
Considérant que la décision attaquée présente l’ensemble des analyses et des raisonnements qui ont conduit l’ARCEP à imposer aux différents opérateurs concernés les obligations instituées par la décision attaquée ; que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, elle indique également les raisons pour lesquelles certaines solutions ont été retenues de préférence à d’autres options suggérées par certains opérateurs lors des consultations publiques qui ont précédé cette décision ; que, par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
Sur la légalité interne de la décision attaquée :
Sur les moyens tirés de ce que la décision attaquée ne permettrait pas d’atteindre certains des objectifs fixés par l’article L.32-1 du code des postes et des communications électroniques, favoriserait la pratique de tarifs excessifs par les opérateurs de départ d’appel contrôlant l’accès aux utilisateurs finals appelants, permettrait des abus de position dominante par ces opérateurs ou créerait une distorsion de concurrence en leur faveur, et aurait pour effet de constituer au profit de ceux d’entre eux qui proposent également des services à valeur ajoutée un monopole de fait :
Considérant qu’aux termes de l’article L.32-1 du code des postes et des communications électroniques : (…) II.- Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prennent, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées aux objectifs poursuivis et veillent : / 1° A la fourniture et au financement de l’ensemble des composantes du service public des communications électroniques ; / 2° A l’exercice au bénéfice des utilisateurs d’une concurrence effective et loyale entre les exploitants de réseau et les fournisseurs de services de communications électroniques ; / (…) 4° A la définition de conditions d’accès aux réseaux ouverts au public et d’interconnexion de ces réseaux qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l’égalité des conditions de la concurrence ; / (…) 9° A l’absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans le traitement des opérateurs ; / (…) 12° A un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d’informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d’utilisation des services de communications électroniques accessibles au public ;
Considérant, en premier lieu, que la nature même des services téléphoniques à valeur ajoutée impose aux sociétés qui les fournissent de trouver un accord avec les opérateurs de départ d’appel contrôlant l’accès aux utilisateurs finals de leurs services ; que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, la décision attaquée ne donne pas à ces opérateurs le pouvoir de fixer seuls les prix de ces services, mais leur fait obligation de faire droit aux demandes raisonnables d’interconnexion présentées notamment par les sociétés qui proposent ces services, et aux demandes de reversement raisonnables qui leur sont associées ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort de l’ensemble des dispositions législatives applicables à la décision attaquée, et aux décisions individuelles susceptibles d’être prises sur son fondement, que le caractère raisonnable d’une demande d’accès ou de reversement doit être apprécié notamment au regard de la nature et de la réalité des besoins de l’entreprise qui la présente et de la capacité technique de l’opérateur auquel cette demande est présentée à la satisfaire ; qu’il renvoie également, s’agissant des tarifs des deux composantes du service rendu aux utilisateurs et de la prestation de reversement qui incombe à l’opérateur contrôlant l’accès aux utilisateurs finals, qui effectue la facturation, à un partage reflétant la contribution de chacune des deux entreprises concernées au service rendu à l’utilisateur final et aux coûts afférents à cette contribution ; qu’enfin, il doit également être apprécié au regard de l’ensemble des objectifs fixés par le paragraphe II de l’article L.32-1 du code des postes et des communications électroniques précité ; que ce caractère raisonnable peut, en cas de litige ou de désaccord entre le fournisseur de services qui a présenté la demande et l’opérateur de réseau contrôlant l’accès à l’utilisateur final appelant, faire l’objet d’un recours devant l’ARCEP en application de l’article L.36-8 du code des postes et des communications électroniques ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la décision attaquée ne saurait avoir pour effet de conférer aux opérateurs de réseau contrôlant l’accès aux utilisateurs finals la possibilité d’imposer des prix excessifs en abusant de la position qu’ils occupent, de tirer avantage de celle-ci pour fausser en leur faveur la concurrence lorsqu’ils proposent eux-mêmes de tels services, ou de constituer à leur profit un monopole de fait sur ces services ; que l’ARCEP a fait une exacte application des pouvoirs qu’elle tient des dispositions du III de l’article L.34-8 et de l’article D.99-11 précités en estimant qu’elle était de nature à permettre d’atteindre les objectifs fixés par l’article L.32-1 et leur était proportionnée ;
Sur le moyen tiré de la violation du II de l’article L.34-8 du code des postes et des communications électroniques et du droit des opérateurs qui présentent une demande d’interconnexion à se la voir accorder dès lors qu’elle respecte les conditions fixées par cet article :
Considérant qu’aux termes de l’article L.34-8 du code des postes et des communications électroniques : (…) II.- Les exploitants de réseaux ouverts au public font droit aux demandes d’interconnexion des autres exploitants de réseaux ouverts au public, y compris ceux qui sont établis dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen, présentées en vue de fournir au public des services de communications électroniques. / La demande d’interconnexion ne peut être refusée si elle est justifiée au regard, d’une part, des besoins du demandeur, d’autre part, des capacités de l’exploitant à la satisfaire. Tout refus d’interconnexion opposé par l’exploitant est motivé ;
Considérant que, si ces dispositions imposent aux exploitants de réseaux ouverts au public de faire droit aux demandes d’interconnexion justifiées au regard, d’une part, des besoins du demandeur, d’autre part, de la capacité de l’exploitant à les satisfaire, elles ne préjugent pas la nature de la prestation de facturation qui est associée au service dont cette interconnexion a pour objet de permettre la fourniture ; qu’ainsi, elles n’ont pas pour objet d’imposer aux opérateurs de réseaux ouverts au public d’accepter une forme particulière de facturation de ce service, dès lors que celle-ci n’est pas la condition nécessaire de l’interconnexion et que d’autres modalités de facturation sont également envisageables ; qu’il suit de là qu’en imposant aux opérateurs de départ d’appel contrôlant l’accès aux utilisateurs finals appelants de faire droit aux demandes raisonnables de reversement aux sociétés exploitant des numéros de services à valeur ajoutée d’une partie des sommes facturées à ces utilisateurs au titre des communications à destination de ces numéros, l’ARCEP n’a pas méconnu les dispositions du II de l’article L.34-8 du code des postes et des communications électroniques ;
Sur les moyens tirés de ce que la décision attaquée aurait pour effet d’imposer un modèle contractuel unique pour la facturation des services à valeur ajoutée, en violation du III de l’article L.34-8 du code des postes et des communications électroniques :
Considérant, d’une part, que la décision attaquée n’a pas pour objet d’exclure la possibilité pour un opérateur contrôlant l’accès aux utilisateurs finals appelants de proposer à un fournisseur de services à valeur ajoutée une prestation de facturation pour compte de tiers, ou d’accepter une demande ayant cet objet ; que si l’obligation qui est faite à ces opérateurs d’accepter les demandes raisonnables de reversement associées aux demandes d’accès présentées par les fournisseurs de services à valeur ajoutée aux opérateurs contrôlant l’accès aux utilisateurs finals appelants diffère, par sa nature, de l’obligation qui pourrait leur être faite de proposer une prestation de facturation pour compte de tiers, et ne leur impose pas spécifiquement d’accepter les demandes ayant cet objet, il appartiendra à l’ARCEP, saisie le cas échéant des litiges nés du refus opposé à de telles demandes, d’en apprécier le caractère raisonnable en prenant en compte l’ensemble des dispositions et des principes qui viennent d’être rappelés ;
Considérant, d’autre part, que les obligations imposées par l’ARCEP en application du III de l’article L.34-8 précité doivent être proportionnées et raisonnables, et se limiter à ce qui est nécessaire pour assurer le respect des objectifs fixés par le II de l’article L.32-1 précité ; que les requérantes n’établissent pas qu’il soit nécessaire d’imposer aux opérateurs de départ d’appel d’accepter spécifiquement les demandes de facturation pour compte de tiers associées à une demande d’accès pour permettre le respect des objectifs fixés par le législateur, et favoriser notamment la connectivité de bout en bout sur l’ensemble de la chaîne qui permet d’acheminer l’appel de l’utilisateur final vers le service auquel il a recours, l’accès de tous les utilisateurs à l’ensemble des services à valeur ajoutée offerts sur le marché, et l’exercice sur ce marché d’une concurrence efficace ; que notamment il ne ressort pas des pièces du dossier, et plus particulièrement des analyses menées par le Conseil de la concurrence, que la mention sur un volet distinct des factures envoyées aux abonnés des sommes dues au titre des communications à destination des services à valeur ajoutée soit nécessaire au respect de la transparence des tarifs et des conditions d’utilisation des services de communications électroniques auquel il appartient à l’ARCEP de veiller en application des dispositions du 12° du II de l’article L.32-1 précité ;
Sur le moyen tiré de ce qu’aucune obligation de transparence n’est imposée aux opérateurs de départ d’appel concernant les modalités de reversement, en méconnaissance de l’article D.99-11 du code des postes et des communications électroniques :
Considérant que, si la décision attaquée impose aux opérateurs de départ d’appel de faire droit aux demandes raisonnables de reversement dans des conditions objectives et non discriminatoires, sans reprendre explicitement la condition de transparence posée par les dispositions des articles L.34-8 et D.99-11 précités, il n’en résulte pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, que la transparence requise par ces dispositions de l’article D.99-11 fasse défaut à l’obligation ainsi instituée ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de la décision attaquée ;
Sur les conclusions de l’ARCEP tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMERO et de la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000 le versement à l’ARCEP de la somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes des sociétés 118218 LE NUMÉRO et TÉLÉGATE 118000 sont rejetées.
Article 2 : Les sociétés 118218 LE NUMERO et TÉLÉGATE 118000 verseront chacune à l’ARCEP la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIÉTÉ 118218 LE NUMÉRO, à la SOCIÉTÉ TÉLÉGATE 118000, à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi.