Conseil d’Etat, 2 / 1 SSR, du 28 juillet 2000, 202566, mentionné aux tables du recueil Lebon

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Conseil d’Etat, 2 / 1 SSR, du 28 juillet 2000, 202566, mentionné aux tables du recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 décembre 1998 et 6 avril 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998, dont le siège social est …, représentée par son président en exercice ; l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998 demande :

1°) l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l’abrogation du décret n° 93-274 du 25 février 1993 portant création du Conseil supérieur de la télématique et du comité de la télématique anonyme ;

2°) qu’il soit enjoint au Premier ministre d’abroger ce décret ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le code des postes et télécommunications ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée ;

Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée ;

Vu le décret n° 93-274 du 25 février 1993 ;

Vu l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

– le rapport de Mlle Verot, Auditeur,

– les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998 et de Me Delvolvé, avocat de France Télécom,

– les conclusions de M. Martin Laprade, Commissaire du gouvernement ;

Sur l’intervention de France Télécom :

Considérant que France Télécom a intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu’ainsi, son intervention est recevable ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet du Premier ministre résultant du silence gardé sur la demande de l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998 en date du 11 juin 1998 tendant à l’abrogation du décret du 25 février 1993 :

Considérant que l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Sur le moyen tiré de l’incompétence du pouvoir réglementaire :

Considérant que le décret du 25 février 1993 crée un Conseil supérieur de la télématique, chargé notamment de formuler des recommandations de nature déontologique et de donner un avis sur les projets de contrats-types souscrits entre France Télécom, le fournisseur de services télématiques et éventuellement le fournisseur de moyens télématiques, ainsi que sur les projets de modification de ces contrats ; qu’il peut être saisi de toute réclamation concernant le respect des recommandations de nature déontologique et qu’il peut saisir le comité de la télématique anonyme de tout manquement au respect des recommandations déontologiques dont il a connaissance ; qu’il peut également saisir le procureur de la République lorsque les faits sont de nature à motiver des poursuites pénales ;

Considérant que France Télécom a la faculté mais non l’obligation d’inclure les recommandations de nature déontologique formulées par le Conseil supérieur de la télématique dans les contrats qu’il souscrit avec les fournisseurs de services ou de moyens télématiques ; que si les manquements aux recommandations de nature déontologique insérées dans ces contrats sont susceptibles d’engager la responsabilité civile des parties aux contrats, le seul fait que le Conseil supérieur de la télématique puisse saisir le procureur de la République des faits dont il est informé et de nature à motiver des poursuites pénales, ne donne pas à ce conseil le pouvoir d’édicter de nouvelles incriminations ; que les recommandations et avis formulés par le Conseil supérieur de la télématique ne constituent pas des décisions et sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la responsabilité pénale des intéressés ; que, dès lors, le décret du 25 février 1993 ne méconnaît ni l’article 34 de la Constitution qui réserve à la loi la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et la détermination des crimes et délits, ni l’article 21 de la Constitution qui attribue au Premier ministre l’exercice du pouvoir réglementaire ;

Sur le moyen relatif au respect des droits de la défense :

Considérant que le décret du 25 février 1993 crée un comité de la télématique anonyme chargé de veiller au respect des recommandations de nature déontologique formulées par le Conseil supérieur de la télématique, qui peut être saisi par France Télécom ou les fournisseurs de services ou de moyens télématiques en cas de différend à ce sujet, ou par un fournisseur de services télématiques auquel a été refusé un accès télématique, et qui est consulté par France Télécom avant toute décision de résiliation ou de suspension d’un contrat passé avec un fournisseur de services ou de moyens télématiques ; que si le décret se borne à prévoir que le comité de la télématique anonyme émet un avis après avoir recueilli les observations écrites des parties et que l’avis ainsi formulé est motivé et notifié aux intéressés, ces dispositions ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que les parties, si elles le demandent, reçoivent communication des observations écrites produites et soient convoquées à la séance ; que le décret du 25 février 1993 ne peut, dès lors, être regardé comme permettant une méconnaissance par le comité du principe du respect des droits de la défense ;

Sur le moyen tiré de ce que le décret permettrait un abus de position dominante par France Télécom :

Considérant qu’aux termes de l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 modifiée : « Est prohibée ( …) l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises : 1. D’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ; 2. De l’état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente ( …) » ;

Considérant le décret litigieux, en prévoyant la consultation par France Télécom du Conseil supérieur de la télématique sur ses projets de contrats-types et leurs modifications et la consultation du comité de la télématique anonyme avant toute décision de résiliation ou de suspension d’un contrat passé avec un fournisseur de services ou de moyens télématiques, dans le cas d’un manquement aux recommandations de nature déontologique insérées dans ce contrat, n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de placer France Télécom en situation d’abuser de l’état de dépendance économique dans lequel se trouvent les fournisseurs de services ou de moyens télématiques à son égard, mais, au contraire, d’instituer une procédure auprès d’organismes composés de personnalités indépendantes, de représentants des intérêts en cause ainsi que de l’administration, qui favorise la conciliation des parties et garantit la protection de leurs intérêts ; qu’en tout état de cause, le Conseil supérieur de la télématique et le comité de la télématique anonyme ne disposant que d’une compétence consultative et leurs avis ne préjugeant ni des poursuites pénales éventuellement intentées à l’encontre des fournisseurs de moyens ou de services télématiques dans le cas de faits de nature à les motiver, ni de l’appréciation portée par le juge civil sur les décisions prises par France Télécom quant à la résiliation ou la suspension d’un contrat en cas de manquement par le cocontractant à une obligation de nature déontologique insérée dans ce contrat, la participation de France Télécom au Conseil supérieur de la télématique et la possibilité pour France Télécom d’être appelé comme expert auprès du comité de la télématique anonyme, n’ont pu lui donner le pouvoir d’imposer aux fournisseurs de services ou de moyens télématiques avec lesquels il contracte des conditions et des prix abusifs pour l’accès aux installations télétel et audiotel ; qu’ainsi le décret litigieux ne peut être regardé comme empêchant, restreignant ou faussant le jeu de la concurrence sur le marché des services télématiques ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le Premier ministre a pu légalement refuser de déférer à la demande de l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998 tendant à l’abrogation du décret du 25 février 1993 ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au Premier ministre d’abroger le décret du 25 février 1993 :

Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions de l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998 tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet du Premier ministre née du silence gardé sur la demande de cette association tendant à l’abrogation du décret du 25 février 1993, n’appelle aucune mesure d’exécution ; que, par suite, les conclusions susanalysées ne sont pas recevables ;

Article 1er : L’intervention de France Télécom est admise.

Article 2 : La requête de l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998 est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION PREMIER JANVIER 1998, au Premier ministre, au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, au ministre de la justice, au ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, au ministre de la culture et de la communication et à France Télécom.


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