Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 04/06/2012, 330088

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Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 04/06/2012, 330088

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 27 juillet 2009, 27 octobre 2009 et 26 février 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE AQUALON FRANCE BV, domiciliée…, ; la SOCIETE AQUALON FRANCE BV demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt n° 07VE00157 du 19 mai 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 9 novembre 2006 du tribunal administratif de Versailles rejetant sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, du prélèvement libératoire prévu à l’article 125 A du code général des impôts auquel elle a été assujettie au titre des années 1998 et 1999 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête d’appel en prononçant la décharge des impositions et pénalités en litige ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur les revenus du 10 mars 1964 ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Anne Berriat, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

– les observations de la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la SOCIETE AQUALON FRANCE BV,

– les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

– La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat de la SOCIETE AQUALON FRANCE BV ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE AQUALON FRANCE BV a conclu le 26 octobre 1992 avec la société belge Hercules Europe NV un contrat d’affacturage en vertu duquel elle procédait une fois par mois à la vente de ses créances commerciales pour leur valeur nominale, contre paiement avant la date d’exigibilité de ces créances ; qu’en application de ce contrat, la SOCIETE AQUALON FRANCE BV versait à la société Hercules Europe NV une commission d’affacturage dont le montant était fixé en considération des services administratifs assurés par l’acquéreur, du risque commercial et du risque de change supportés par lui, de la valeur des créances à la date de leur transfert, des taux d’intérêt en vigueur sur le marché monétaire du vendeur, des taux de marché applicables à des opérations d’affacturage similaires, des sommes déjà encaissées par l’acquéreur et des coûts annexes supportés par lui ;

Considérant qu’à l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a soumis à des prélèvements de 15 %, en application des dispositions de l’article 125 A III du code général des impôts et des stipulations de l’article 16 de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique le 10 mars 1964, le montant des sommes versées hors de France à la société Hercules Europe NV, que la SOCIETE AQUALON FRANCE BV avait comptabilisées en tant que charges financières, au titre des exercices clos en 1998 et 1999 ; que la SOCIETE AQUALON FRANCE BV se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 19 mai 2009 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 9 novembre 2006 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces prélèvements ;

Sur l’application du code général des impôts :

Considérant, qu’aux termes de l’article 124 du code général des impôts :  » Sont considérés comme revenus au sens du présent article, lorsqu’ils ne figurent pas dans les recettes provenant de l’exercice d’une profession industrielle, commerciale, artisanale ou agricole, ou d’une exploitation minière, les intérêts, arrérages, primes de remboursement et tous autres produits : / 1° Des créances hypothécaires, privilégiées et chirographaires, à l’exclusion de celles représentées par des obligations, effets publics et autres titres d’emprunts négociables entrant dans les prévisions des articles 118 à 123 ; / 2° Des dépôts de sommes d’argent à vue ou à échéance fixe, quel que soit le dépositaire et quelle que soit l’affectation du dépôt ; / 3° Des cautionnements en numéraire ; / 4° Des comptes courants ; / 5° Des clauses d’indexation afférentes aux sommes mises ou laissées à la disposition d’une société par ses associés ou ses actionnaires.  » ; qu’aux termes de l’article 125 A du même code, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige  » I. Sous réserve des dispositions du 1 de l’article 119 bis et de l’article 125 B, les personnes physiques qui bénéficient d’intérêts, arrérages et produits de toute nature de fonds d’Etat, obligations, titres participatifs, bons et autres titres de créances, dépôts, cautionnements et comptes courants, dont le débiteur est domicilié…, peuvent opter pour leur assujettissement à un prélèvement qui libère les revenus auxquels il s’applique de l’impôt sur le revenu. / La retenue à.ou établi en France / Celui-ci est effectué par le débiteur ou par la personne qui assure le paiement des revenus (…) / III. Le prélèvement est obligatoirement applicable aux revenus visés ci-dessus qui sont encaissés par des personnes n’ayant pas en France leur domicile fiscal ; la même disposition s’applique aux revenus qui sont payés hors de France ou qui sont encaissés par des personnes morales n’ayant pas leur siège social en France (…)  » ; qu’aux termes de l’article 131 quater du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige :  » Les produits des emprunts contractés hors de France par des personnes morales françaises avec l’autorisation du ministre de l’économie, des finances et de la privatisation sont exonérés du prélèvement prévu au paragraphe III de l’article 125 A.  » ;

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté que les versements effectués par la SOCIETE AQUALON FRANCE BV et sur lesquels l’administration fiscale a procédé au prélèvement libératoire prévu par les dispositions précitées de l’article 125 A du code général des impôts et par les stipulations de l’article 16 de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique constituaient des revenus encaissés par une personne morale n’ayant pas son siège social en France ; qu’ainsi ces versements ne constituaient pas des revenus imposables à l’impôt sur le revenu sur le fondement des dispositions de l’article 124 du code général des impôts ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Versailles n’a entaché son arrêt ni d’irrégularité ni d’erreur de droit en ne répondant pas à la violation alléguée des dispositions de cet article qui étaient inopérantes ;

Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que la cour ait qualifié de cessions de créances les opérations d’affacturage ne faisait pas obstacle à ce qu’elle qualifiât d’intérêt la fraction des commissions versées au factor correspondant au prix du paiement immédiat des créances en vertu du contrat conclu le 26 octobre 1992 et jugeât ces sommes imposables en application de l’article 125 A III du code général des impôts ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en souscrivant une convention d’affacturage avec la société belge Hercules Europe NV, la SOCIETE AQUALON FRANCE BV, qui ne s’est pas engagée au remboursement d’une somme d’argent à une date déterminée, n’a pas contracté un emprunt ; que, dès lors, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, a pu juger, sans commettre d’erreur de droit ou d’erreur de qualification juridique et sans se contredire, que le contrat d’affacturage constituait une opération de crédit tout en écartant les dispositions de l’article 131 quater ;

Sur la compatibilité avec le droit de l’Union européenne :

Considérant qu’en vertu des stipulations des articles 43, 49 et 56 du traité instituant la Communauté européenne alors en vigueur, les restrictions aux libertés d’établissement, de prestation de services et de mouvement des capitaux à l’intérieur de l’Union européenne sont interdites ;

Considérant qu’en jugeant que les dispositions du III de l’article 125 A du code général des impôts, combinées avec les stipulations de l’article 16 de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique, assujettissant une personne morale n’ayant pas son siège social en France à un prélèvement libératoire de 15 % sur les intérêts qui lui sont payés depuis la France, n’est pas de nature à instituer une différence de traitement discriminatoire dès lors que les intérêts perçus par les sociétés résidentes, s’ils sont exemptés de cette retenue à…, ;

Considérant que les possibles différences d’assiette résultant de la non-déductibilité des charges sont sans incidence à cet égard, compte tenu de l’écart entre les taux d’imposition applicables aux intérêts versés aux sociétés résidentes, soumis à l’impôt sur les sociétés et ceux correspondant aux prélèvements sur les intérêts versés aux sociétés non résidentes, plafonnés à seulement 15 % des intérêts en vertu de l’article 16 de la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique ;

Considérant que, dans le cas d’une retenue à ou établi en Franceau titre de l’exercice où ses résultats redeviennent bénéficiaires procède d’une technique différente d’imposition, de sorte que le désavantage de trésorerie qui en résulte ne peut être regardé, à lui seul, comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction aux libertés d’établissement, de prestation de services et de mouvement des capitaux ;

Considérant que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la cour administrative d’appel aurait méconnu les stipulations du traité instituant la Communauté européenne ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi de la SOCIETE AQUALON FRANCE BV est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE AQUALON FRANCE BV et au ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur.

ECLI:FR:CESSR:2012:330088.20120604


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