Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 26/07/2018, 420112

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Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 26/07/2018, 420112

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 avril et 9 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Union des importateurs de Polynésie française et l’Union de la distribution alimentaire de Polynésie française demandent au Conseil d’Etat :

1°) de déclarer illégaux les articles LP 9, LP 14, LP 17 et LP 23 de la  » loi du pays  » n° 2018-15 LP/APF adoptée le 14 mars 2018 portant modification de la partie législative du code de la concurrence en Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement à chacune de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;

– la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

– la  » loi du pays  » n° 2014-15 LP/APF du 25 juin 2014 relative à la concurrence ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Richard Senghor, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. L’assemblée de la Polynésie française a adopté le 14 mars 2018, sur le fondement de l’article 140 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, une  » loi du pays  » portant modification de la partie législative du code de la concurrence en Polynésie française. Agissant sur le fondement des dispositions du II de l’article 176 de la même loi organique, l’Union de la Polynésie française (UIPF) et l’Union de la distribution alimentaire de Polynésie française (UDAPF) ont saisi le Conseil d’Etat d’une requête tendant à ce que les articles LP 9, LP 14, LP 17 et LP 23 de cette  » loi du pays  » soient déclarés non conformes au bloc de légalité défini au III de cet article.

Sur le désistement de l’Union de la distribution alimentaire de Polynésie française :

2. L’Union de la distribution alimentaire de Polynésie française déclare se désister des conclusions de sa requête. Son désistement d’instance est pur et simple. Rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

3. Aux termes du II de l’article 176 de la loi organique du 27 février 2004 :  » A l’expiration de la période de huit jours suivant l’adoption d’un acte prévu à l’article 140 dénommé « loi du pays » (…), l’acte prévu à l’article 140 dénommé « loi du pays » est publié au Journal officiel de la Polynésie française à titre d’information pour permettre aux personnes physiques ou morales, dans le délai d’un mois à compter de cette publication, de déférer cet acte au Conseil d’Etat. Le recours des personnes physiques ou morales est recevable si elles justifient d’un intérêt à agir (…) « .

4. Le délai ainsi imparti pour déférer au Conseil d’Etat la  » loi du pays  » attaquée, publiée pour information au Journal officiel de la Polynésie française le 22 mars 2018, a commencé à courir le 23 mars 2018 à 0 heure 00, heure de Papeete pour expirer le 23 avril 2018 à 00 heure 00, heure de Papeete, soit le 24 avril à 12 heures, heure de Paris. La requête a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 24 avril 2018 à 3 heures 46, heure de Paris, soit dans le délai fixé par le II de l’article 176 de la loi organique du 27 février 2004, cité au point 3. Elle n’est, dès lors, pas tardive, contrairement à ce que soutient la Polynésie française.

Sur la légalité de la  » loi du pays  » attaquée :

5. Aux termes de l’article 30-1 de la loi organique du 27 février 2004 :  » La Polynésie française peut, pour l’exercice de ses compétences, créer des autorités administratives indépendantes, pourvues ou non de la personnalité morale, aux fins d’exercer des missions de régulation dans le secteur économique. /L’acte prévu à l’article 140 dénommé « loi du pays » créant une autorité administrative indépendante en définit les garanties d’indépendance, d’expertise et de continuité. / Il peut lui attribuer, par dérogation aux dispositions des articles 64, 67, 89 à 92 et 95, un pouvoir réglementaire ainsi que les pouvoirs d’investigation, de contrôle, de recommandation, de règlement des différends et de sanction, strictement nécessaires à l’accomplissement de ses missions « . La  » loi du pays  » n° 2014-15 LP/APF du 25 juin 2014 relative à la concurrence a créé, par son article LP 1, un code de la concurrence en Polynésie française. Le livre VI de ce code a institué une autorité administrative indépendante dénommée « Autorité polynésienne de la concurrence » dont la mission est, aux termes de l’article LP 610-1 de ce code, de veiller  » au libre jeu de la concurrence et au bon fonctionnement du marché. Elle peut apporter son concours à la régulation sectorielle dans les domaines ressortissant à la compétence de la Polynésie française en accompagnant l’évolution de secteurs monopolistiques ou fortement réglementés vers un régime concurrentiel « . La  » loi du pays  » n° 2018-15 du 14 mars 2018 contestée procède à des modifications de ce code de la concurrence.

En ce qui concerne l’article LP 9 :

6. Cet article crée dans le code de la concurrence en Polynésie française un nouvel article LP 310-7-1 aux termes duquel :  » I. Dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l’Autorité ou en a été informé en vertu de l’article LP 310-5, le Président de la Polynésie française peut demander à l’Autorité polynésienne de la concurrence un examen approfondi de l’opération dans les conditions prévues aux articles LP 310-6 et LP 310-7 ; / II- Dans un délai de cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l’Autorité ou en a été informé en vertu de l’article LP 310-7, le Président de la Polynésie française peut évoquer l’affaire pour des motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échéant, compensant l’atteinte portée à cette dernière par l’opération. /Le Président de la Polynésie française statue alors sur l’opération en cause après agrément du conseil des ministres dans le délai de vingt jours ouvrés à compter de l’évocation de l’affaire. /Les motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence pouvant conduire le Président de la Polynésie française à évoquer l’affaire sont, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou la pérennisation de l’emploi. /Lorsqu’en vertu du présent II le Président de la Polynésie française évoque une décision de l’Autorité, il prend une décision motivée statuant sur l’opération en cause après avoir entendu les observations des parties à l’opération de concentration. Cette décision peut éventuellement être conditionnée à la mise en oeuvre effective d’engagements. /Cette décision est transmise sans délai à l’Autorité. / Si le Président de la Polynésie française estime que les parties n’ont pas exécuté dans les délais fixés un engagement figurant dans sa décision, il peut prendre les décisions prévues aux 1° à 3° du IV de l’article LP 310-8. « . Ces dispositions confèrent ainsi au président de la Polynésie française un pouvoir d’évocation des décisions prises par l’Autorité polynésienne de la concurrence (APC), l’autorisant à statuer après agrément du conseil des ministres.

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l’exposé des motifs du projet de la  » loi du pays  » contestée ainsi que le rapport présenté à l’Assemblée de la Polynésie française précisent les raisons pour lesquelles un tel pouvoir d’évocation est introduit dans le code de la concurrence en Polynésie française. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d’adoption de l’article LP 9 aurait été entachée d’irrégularité, faute d’une information suffisante des élus, doit être écarté.

8. En second lieu, le contrôle des concentrations relevant de la compétence du pouvoir administratif, il était loisible au législateur du pays de confier cette mission à l’APC tout en prévoyant de réserver un pouvoir d’évocation au président de la Polynésie française. Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, il a pu, sans porter atteinte à l’indépendance de l’APC, créer un dispositif permettant, sur agrément du conseil des ministres et sous le contrôle du juge, au président de la Polynésie française d’évoquer une décision de l’APC puis, le cas échéant, de statuer dans les conditions définies au II de l’article LP 310-7-1 du code de la concurrence en Polynésie française.

En ce qui concerne l’article LP 14 :

9. L’article LP 14 de la  » loi du pays  » contestée procède à des modifications de l’article LP 610-3 du code de la concurrence en Polynésie française relatif aux incompatibilités et règles déontologiques applicables aux membres du collège de l’APC. Le I de cet article établit une liste d’activités et de situations interdisant de pouvoir être membre de cette autorité. Son III prévoit par ailleurs qu’  » Un arrêté pris en conseil des ministres après avis de l’Autorité détermine les autres activités incompatibles avec les fonctions de membre du collège « .

10. Les dispositions de l’article 30-1 de la loi organique du 27 février 2014 cité au point 5, habilitent l’assemblée de la Polynésie, agissant par la voie d’une  » loi du pays « , tant à créer une autorité chargée de veiller au libre jeu de la concurrence et au bon fonctionnement du marché en Polynésie française qu’à investir cette autorité de pouvoirs dérogeant à la répartition des compétences déterminée par la loi organique et à fixer les règles d’organisation et de fonctionnement de cette autorité, au nombre desquelles figure notamment la détermination des incompatibilités applicables à ses membres. Dès lors, sans préjudice de la faculté attribuée à l’APC elle-même de pouvoir fixer des règles particulières dans son règlement intérieur conformément à l’article LP 610-11 du code de la concurrence en Polynésie française, la  » loi du pays  » n’a pu prévoir, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, de renvoyer à un arrêté pris en conseil des ministres la possibilité d’étendre la liste de ces incompatibilités. Cette disposition, qui est divisible des autres dispositions de l’article LP 14, doit, dès lors, être déclarée illégale.

En ce qui concerne l’article LP 17 :

11. Aux termes de l’article LP 17 de la  » loi du pays  » attaquée,  » L’Autorité polynésienne de la concurrence établit son règlement intérieur qui précise les droits et les obligations de ses membres et agents, ainsi que les règles applicables aux documents produits devant elle dans le cadre de la procédure de contrôle des pratiques anticoncurrentielles, de la procédure de contrôle des concentrations et des procédures consultatives. Il précise également les règles relatives à la procédure d’instruction, à la procédure devant le collège et aux délibérations, décisions et avis de l’Autorité polynésienne de la concurrence. Il est publié, après son homologation par le conseil des ministres, au Journal officiel de la Polynésie française.  »

12. En prévoyant l’homologation par le conseil des ministres du règlement intérieur de l’APC, l’article LP 17 de la  » loi du pays  » contestée n’a, contrairement à ce que soutient la requérante, ni pour objet ni pour effet de permettre au conseil des ministres de donner des instructions à l’APC. Par suite, le moyen tiré de ce que cet article LP 17 méconnaîtrait l’indépendance de cette autorité en violation de l’article 30-1 de la loi organique du 27 février 2004 doit être écarté.

En ce qui concerne l’article LP 23 :

13. Le dispositif fixé par les I et II de l’article LP 641-3 du code de la concurrence en Polynésie française prévoit l’intervention de l’APC sous forme d’injonctions structurelles lorsque des entreprises soit se trouvent placées en situation d’exploitation abusive de position dominante, soit se trouvent de fait en situation de position dominante. L’article LP 23 de la  » loi du pays  » contestée supprime le paragraphe II, pour ne plus prévoir d’intervention de l’APC que dans les hypothèses d’exploitation abusive de position dominante.

14. Il ressort des pièces du dossier que, si l’APC a pour mission de veiller au droit de la concurrence en Polynésie française, notamment en luttant contre les abus de position dominante, le législateur du pays avait initialement choisi, au vu du contexte économique local, de lui conférer également le pouvoir d’agir dans les situations de position dominante de fait. Toutefois, dès lors que ces dernières ne sont pas constitutives de pratiques anticoncurrentielles, le législateur du pays a pu, sans commettre d’erreur de droit, supprimer le pouvoir d’intervention de l’APC en pareilles circonstances, dès lors qu’il ne saurait être regardé comme ayant porté atteinte à l’une de ses missions essentielles.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l’Union des Importateurs de Polynésie Française n’est fondée qu’à demander que soit déclarée illégale la seule mention  » Un arrêté pris en conseil des ministres après avis de l’Autorité détermine les autres activités incompatibles avec les fonctions de membre du collège  » introduite par l’article LP 14 de la  » loi du pays  » du 14 mars 2018 au III de l’article L. 610-3 du code de la concurrence en Polynésie française.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 1 500 euros à verser à l’Union des importateurs de Polynésie française au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Il est donné acte du désistement d’instance de l’Union de la distribution alimentaire de Polynésie française.

Article 2 : La mention  » Un arrêté pris en conseil des ministres après avis de l’Autorité détermine les autres activités incompatibles avec les fonctions de membre du collège  » introduite par l’article LP 14 au III de l’article L. 610-3 du code de la concurrence est déclarée illégale et ne peut être promulguée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La Polynésie française versera à l’Union des importateurs de Polynésie française la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’Union des importateurs de Polynésie française, à l’Union de la distribution alimentaire de Polynésie française et au président de la Polynésie française.

Copie en sera adressée à la ministre des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

ECLI:FR:CECHR:2018:420112.20180726


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