Conflits entre associés : décision du 9 février 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/17650

Conflits entre associés : décision du 9 février 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/17650

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 09 FEVRIER 2024

N°2024/ 25

RG 19/17650

N° Portalis DBVB-V-B7D-BFFST

SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON

C/

[A] [C] épouse [F]

Copie exécutoire délivrée

le 9 Février 2024 à :

– Me Caroline GIRAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

– Me Charles REINAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

V110

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 06 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/02690.

APPELANTE

SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Caroline GIRAUD de l’AARPI BARBIER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [A] [C] épouse [F], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Charles REINAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Février 2024.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

La société Les Ateliers de l’Image et du Son dite AIS dont le siège social est à [Localité 3] est une société ayant, aux termes de ses statuts, une activité de centre de formation et d’école dans les domaines de l’image et du son, et applique la convention collective nationale de l’enseignement privé.

Cette société a embauché Mme [A] [F] née [C] selon un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel du 7 septembre 2010, en qualité de secrétaire administrative.

Par avenant du 1er juillet 2011, la salariée a bénéficié d’un temps complet.

L’assemblée générale extraordinaire de la société réunie le 22 juin 2011 a décidé de mettre fin au mandat de gérance de Mme [I] [X]-[G] au 30 juin 2011 et de la nomination de Mme [A] [F] au poste de gérante à compter du 1er juillet 2011, celle-ci ne percevant aucune rémunération ni indemnisation liée à cette fonction, et cumulant son statut de salariée et ce mandat social de gérance sous subordination des associés.

Le 29 juin 2012, les statuts de la société ont été mis à jour, Mme [F] ayant acquis 10% des parts.

Le 10 janvier 2017, la salariée a été victime d’un accident de la circulation (accident de trajet) et le 7 mars 2017, a repris son emploi en mi-temps thérapeutique.

Le 29 mai 2017, lors de l’assemblée générale ordinaire organisée par un mandataire ad hoc nommé par ordonnance de référé à la demande de trois associés, Mme [F] a vu son mandat révoqué et a été remplacée par Mme [I] [V] [X] [G], épouse de M.[D], l’un des associés, et précédente gérante.

En arrêt maladie depuis le 7 juillet 2017, Mme [F] a saisi le 22 novembre 2017 le conseil de prud’hommes de Marseille aux fins notamment d’obtenir la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur.

Lors de la visite de reprise du 12 décembre 2017, la médecine du travail après étude du poste le 7 décembre, a rendu un avis d’inaptitude, précisant que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Après un entretien préalable au licenciement tenu le 16 janvier 2018, Mme [F] a été licenciée pour inaptitude par lettre recommandée du 22 janvier 2018.

Selon jugement du 6 novembre 2019, le conseil de prud’hommes a statué ainsi :

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [F] aux torts exclusifs de l’employeur, en date du 22 janvier 2018.

Condamne la société AIS à payer à Mme [F] les sommes suivantes :

– 5 828 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 582,80 euros au titre des congés payés afférents,

– 17 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 1 000 euros au titre d le’article 700 du code de procédure civile.

Déboute Mme [F] du surplus de ses demandes.

Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s’élève à la somme de 2 914 euros.

Condamne la société AIS aux entiers dépens.

Le conseil de la société a interjeté appel par déclaration du 19 novembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 16 juin 2021, la société demande à la cour de :

«Réformer le jugement

Dire et Juger que Madame [A] [F] née [C] ne justifie pas de manquements contractuels graves.

Débouter Madame [A] [F] née [C] de sa demande de résiliation judiciaire.

Confirmer le jugement qui avait débouté Madame [F] au titre du harcèlement moral et de la discrimination

Dire et juger que l’employeur n’est pas à l’origine de l’inaptitude et que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Débouter Madame [A] [F] née [C] de ses demandes, fins et conclusions.

La condamner à payer à la société LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.

La condamner aux entiers dépens. »

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 15 juillet 2021, Mme [F] demande à la cour de :

« CONFIRMER la décision rendue en date du 6 novembre 2019 par le Conseil des Prud’Hommes quant à la résiliation judiciaire du Contrat de travail de Madame [A] [F] en date du 22 janvier 2018 aux torts et griefs exclusifs de son employeur la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A. I. S ) prise en la personne de sa représentante légale, la gérante, Madame [I] [D] née [X]-[G],

CONFIRMER que la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S), prise en la personne de sa représentante légale, a usé de pressions et violences morales relevant de harcèlement moral à l’encontre de Madame [A] [F],

CONFIRMER l’exécution fautive et déloyale du contrat de travail par l’employeur, la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S), prise en la personne de sa représentante légale, CONFIRMER que la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S), prise en la personne de sa représentante légale, a manqué à mains titres à l’obligation de sécurité qui lui incombe entravant de ce fait l’exécution normale du contrat de travail de Madame [A] [F] mais également son état de santé,

CONFIRMER que tout ou partie des griefs relevés à l’encontre de la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S.) prise en la personne de sa représentante légale, sont établis répétés et suffisamment graves,

JUGER de ce que la dame [F] a saisi le Conseil des Prud’hommes aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, en date du 22 novembre 2017, avant l’étude de poste, des conditions de travail, de l’échange avec l’employeur du 7 décembre 2017, avant la décision d’inaptitude du 12 décembre 2017 et avant la notification de son licenciement du 22 janvier 2018,

CONFIRMER que cette résiliation judiciaire produit nécessairement les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONFIRMER la rupture du contrat de travail à la date du 22 janvier 2018, date de la lettre de licenciement notifiée à la salariée,

EN CONSEQUENCE,

SUR LE LICENCIEMENT ultérieurement notifié à la salariée en cours d’instance le 22 anvier 2018,

CONFIRMER que l’inaptitude physique de Madame [A] [F] trouve sa cause dans des violentes pressions et sanctions et faits de harcèlement moral de son employeur,

CONFIRMER que le licenciement pour inaptitude physique de Madame [A] [F] est entaché de nullité car consécutif à des faits de harcèlement moral, ou à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse,

CONFIRMER la condamnation à la somme de 5 828,00 € brut au titre d’indemnités compensatrice de préavis,

CONFIRMER la condamnation à la somme de 5 82,00 € brut au titre de congés payés sur préavis,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

SUITE A L’APPEL INCIDENT DE LA DAME [F],

REFORMER la décision du 6 novembre 2019 en ce qu’elle n’a alloué à la dame [F] que la somme de 17 500 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, (d’où son appel incident)

ET CONDAMNER la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S) prise en la personne de son représentant légal, à régler à la dame [F] la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

REFORMER la décision du 6 novembre 2019 en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande de la dame [F] relative à l’indemnité compensatrice d’un montant de 1 700,3 € brut du solde des congés payés au titre de l’année 2016, (d’où son appel incident)

ET CONDAMNER la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S) prise en la personne de son représentant légal, à régler à la dame [F] la somme de 1 700,3 € brut à titre d’indemnité compensatrice du solde des congés payés au titre de l’année 2016,

REFORMER la décision du 6 novembre 2019 en ce que la dame [F] a été déboutée de la réparation de ses préjudices (d’où son appel incident) au titre :

la somme de l’indemnité spéciale de licenciement et ce, avec intérêts de droit à compter de la décision de justice ,

des dommages et intérêts pour préjudice moral ,

de la réparation du préjudice subi du fait de la discrimination dont elle a été victime, fondé sur l’article L.1132-1 du Code du travail.

de la réparation du préjudice subi fondé sur l’article L. 1152-1 du Code du travail, constitué par l’atteinte à sa santé et à sa dignité résultant du harcèlement moral qu’elle subissait et l’ayant conduite à l’inaptitude.

ET CONDAMNER la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S) prise en la personne de son représentant légal, à régler à la dame [F] les sommes suivantes :

– la somme de 10 000 € au titre de l’indemnité spéciale de licenciement et ce, avec intérêts de droit à compter de la décision de justice ,

– la somme de 10 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination dont elle a été victime, fondé sur l’article L. 1132-1 du Code du travail.

– la somme de 10 000 € au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral et ce, avec intérêts de droit à compter de la décision de justice.

REFORMER la décision du 6 novembre 2019 en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande de la dame [F] relative à la réparation du préjudice subi du fait de la violation de l’employeur à l’obligation de sécurité qui est la sienne (d’où l’appel incident sur ce point),

ET CONDAMNER la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S.) pris en la personne de son représentant légal à verser à Madame [F] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de prévention des actes de harcèlement moral.

REFORMER la décision du 6 novembre 2019 en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande de la dame [F] relative à la capitalisation des intérêts (d’où l’appel incident)

ET ORDONNER la capitalisation des intérêts des sommes sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil.

REFORMER la décision du 6 novembre 2019 en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande de la dame [F] en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 n°96/1080 (tarif des Huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus de l’application de l’article 700 ( d’où l’appel incident).

ET ORDONNER ET CONDAMNER dans l’hypothèse ou à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l’exécution forcée devrait êtreréalisée par l’intermédiaire d’un Huissier de Justice, le montant des sommes retenues par l’Huissier en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 n°96/1080 (tarif des Huissiers) devra être supporté par le débiteur en sus de l’application de l’article 700.

CONDAMNER la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S) prise en la personne de son représentant légal à verser la somme de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC dans le cadre de la présente procédure.

ENTENDRE CONDAMNER la SARL LES ATELIERS DE L’IMAGE ET DU SON (A.I.S) prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de Maître Charles REINAUD. »

Pour l’exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la résiliation judiciaire

La cour relève qu’à l’appui de sa demande, Mme [F] expose de façon redondante, les mêmes manquements de la part de l’employeur, tant pour le harcèlement moral que pour la discrimination et l’obligation de sécurité, lesquels sont qualifiés de fautifs et graves pour justifier la rupture à l’initiative de la salariée, et qui sont résumés page 50 de ses conclusions ainsi :

Mme [F] est devenue, du jour au lendemain, la salariée à évincer (« mise au placard », plus de clés d’accés, plus de bureau, privée de son outil de travail habituel à savoir son ordinateur, avec un nombre importants de fichiers sur lesquels elle travaillait depuis toujours, ne pouvant plus assumer ses fonctions de secrétaire administrative à compter du 1er juin 2017).

Elle se déclare victime de pressions, d’agissements inadmissibles constitutifs de harcèlement moral, exercés du jour au lendemain, dans l’unique but qu’elle mette fin à son contrat de travail sans qu’il soit pris en compte son état de santé (un suivi médical avec des rendez-vous précis).

1- Sur le harcèlement moral

Selon l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, la salariée soutient que dès fin mai 2017, soit le jour de la nomination de la nouvelle gérante, elle a subi des actes répétés de harcèlement moral, des pressions ayant entraîné une dégradation de ses conditions de travail provoquant une situation de stress, et ayant porté atteinte à sa santé.

Elle invoque les faits suivants :

– un retrait des clefs du bureau, considéré comme une mesure vexatoire

– une modification de la répartition de ses horaires, selon le bon vouloir de la gérante, sans respect du délai de prévenance

– des tâches subalternes imposées constituant un déclassement

– la suppression de ses outils de travail : bureau et ordinateur

– une période de congés payés d’été imposée sans respect du délai de prévenance

– une discrimination directe,

– une violation de la prévention des risques professionnels et de l’obligation de sécurité par un abus du pouvoir de direction.

Elle produit les pièces suivantes :

– un échange par sms du 01/06/2017 à 7h33 et 8h11 avec la gérante, celle-ci lui indiquant ne pas être disponible ce matin, demandant à Mme [F] de venir de 14h à 17h30, et la réponse négative de la salariée indiquant qu’elle a rendez-vous avec le kiné puis la réponse de la gérante «vous prenez un certificat de vos heures de kiné et après vous venez. le kiné est compte dans votre temps de travail» (19-20)

– son mail du 01/06/2017 à 21h40 adressée à la gérante, dénonçant une modification d’horaires faite le matin même, et étant venue quand même le matin, déclarant avoir eu la désagréable surprise de voir la gérante à cette heure-là, ne plus avoir accès à son bureau et à l’ordinateur, ayant été obligée de s’installer dans le hall d’entrée et n’avoir eu aucune tâche assignée (21)

– son mail du 11/06/2017 à 12h29, rappelant ses horaires de 9h à 12h30 suite au mi-temps thérapeutique, et dénonçant leur modification intervenue dès le vendredi 02/06 et de nouveau pour la semaine du 12 au 16/06, lui demandant de venir l’après-midi, se plaignant qu’on lui demande du jour au lendemain de solder ses congés, indiquant qu’elle a été dépossédée des clefs du bureau alors qu’elle les a toujours eu depuis septembre 2011, reprochant à la gérante d’avoir repris toutes les tâches qui lui avaient été assignées en tant que secrétaire, ne lui laissant que du classement et des photocopies, et estimant être victime de brimades, dénigrement et discrimination (22)

– la main courante déposée le 12/06/2017, précisant que l’accès à son bureau lui a été refusé aujourd’hui, expliquant être en conflit avec les associés et la gérante qui la pousse vers la sortie (23)

– une attestation de Mme [P], coiffeuse, ayant vu Mme [F] le 12/06 vers 9h attendre devant les locaux de la société, puis à nouveau un quart d’heure plus tard, la salariée lui avouant attendre la gérante car n’ayant plus les clefs (36)

– un mail de la gérante du 23/06/2017, adressé à tous les salariés, leur rappelant le changement de gérance intervenu depuis le 29/05, leur indiquant que l’établissement serait fermé du 17/07 au 04/08 et invitant les permanents à prendre leur congé d’été pendant cette fermeture (25)

– un mail de la gérante du 23/06/2017 lui demandant de lui indiquer pour la semaine prochaine et celle du 3 juillet, ses rendez-vous médicaux (24)

– la réponse de Mme [F] par mail du même jour, se déclarant surprise de telles exigences relevant du secret médical et rappelant que c’est la médecine du travail qui détermine concrètement les aménagements nécessaires dans le cadre du mi-temps thérapeutique (26)

– le mail de la gérante du 24/06/2017 à 9h24, indiquant que pour la semaine du 26/06, le même emploi du temps sera appliqué mais que la salariée peut changer si elle a un problème

– la réponse de la salariée par mail du même jour à 17h44, indiquant que les horaires 9h-12h30 sont compatibles avec ses rendez-vous médicaux (28)

– la main courante déposée le 26/06/2017, indiquant que la gérante lui a retiré les clefs d’accès au bureau et faisant état de l’absence de cette dernière, lors de ses heures de prise de service (29)

– son mail du 27/06/2017 à 15h34, estimant que son écrit du 24/06 était explicite mais que ses différents mails sont restés lettre morte, demandant à nouveau à la gérante de lui remettre les clefs (30)

– son mail du 03/07/2017 à 16h15, dénonçant un emploi du temps de dernière minute, ses horaires fixés par la gérante entre 9h30 et 10h alors que la société ouvre à 9h, se révélant incompatibles avec des rendez-vous médicaux à 13h30, rappelant que tous les autres ont une clef, se plaignant de n’avoir plus qu’un petit ordinateur portable et de sa mise au placard constituant du harcèlement (31)

– la lettre de la gérante du 05/07/2017 rappelant que l’assemblée générale a mis fin à son mandat de gérante et reprochant à Mme [F] depuis lors, une attitude agressive exprimée à travers ses six courriers, précisant «nous vous confions les tâches de votre métier, nous respectons les termes de votre mi-temps thérapeutique et nous veillons sur les bonnes conditions de travail de tous nos salariés vous y compris. Je vous fais observer que vous n’hésitez pas à prendre sans arrêt des pauses café ou autres. Nous vous demandons de cesser ce harcèlement et de vous concentrer sur votre travail.» (34)

– la réponse de la salariée du 12/07/2017 (35)

– son arrêt de travail en maladie à compter du 07/07/2017 et les prolongations jusqu’au 07/12/2017, ce dernier précisant «burn out», délivrés par une psychiatre (14 à 18).

Les éléments présentés par la salariée, pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

L’employeur fait valoir que Mme [F] ne présente aucun fait pertinent, produit des courriers qu’elle a elle-même établis et une seule attestation qui est en outre en contradiction avec l’emploi du temps produit par la salariée. Il dénie tout manquement à l’obligation de sécurité, observant que Mme [F] n’a travaillé que 80 heures sous la gérance de Mme [X] [G].

Plus précisément sur les trois griefs venant au soutien de la résiliation judiciaire, il indique que :

– il n’y avait pas de préconisation sur la répartition du temps de travail, que les horaires étaient réfléchis et discutés, permettant à la salariée de se rendre à ses rendez-vous médicaux ; il indique qu’il y a eu moins de six modifications sur 4 mois et qu’à l’exception de 4 jours, elle a travaillé le matin

– concernant les clefs, il rappelle que leur détention n’est pas un attribut du contrat de travail et qu’elle les a restituées quand elle a été démise de son mandat, sa version concernant l’accès au lieu de travail étant contredite par des attestations

– il estime que la salariée mélange le conflit entre associés et règles régissant le contrat de travail,

précisant qu’elle disposait d’un ordinateur.

Il cite à l’appui les pièces suivantes :

– un emploi du temps du 05/06 au 16/06 (6)

– un emploi du temps du 05/06 au 09/06 avec des modifications manuscrites (pièces adverses 37-38)

– un tableau des heures de présence du 30/05 au 06/07 comptabilisant 80 heures (10)

– les mails échangés (pièces adverses 22-24-28)

– des attestations d’enseignant et d’assistantes administratives (19-20-21-23) relatant le professionnalisme, la disponibilité, l’attitude respectueuse de Mme [X] [G]

– l’attestation d’une assistante de production, indiquant que Mme [F] était installée dans le même bureau, qu’elle n’a noté aucun changement ni assisté à aucune inégalité ou subordination abusive (15)

– l’attestation d’une chargée de production, déclarant que la salariée a toujours eu un bureau et un ordinateur (16)

-l’attestation de Mme [Y], indiquant qu’elle a connu Mme [F] depuis 2008 et qu’elle était toujours sur le même poste au rez de chaussée (17)

– l’attestation de Mme [W], précisant que Mme [F] a continué à occuper le bureau (22)

– le témoignage de M. [J], responsable technique depuis 2008, indiquant s’être toujours assuré que le personnel disposait d’un espace de travail, d’un ordinateur avec suite bureautique Microsoft, d’une imprimante, d’un téléphone et d’une connexion, soulignant la bienveillance de Mme [X] [G] (18).

La cour relève que contrairement aux allégations de la salariée, l’aménagement du mi-temps thérapeutique ne relève pas de la médecine du travail, et ce dernier n’a pas à préconiser des horaires, lesquels font l’objet d’un accord entre l’employeur et le salarié, au besoin par un avenant.

En l’espèce, lorsque Mme [F] a repris le travail début mars 2017, elle était encore gérante, de sorte qu’elle a pu fixer ses horaires en fonction de ses besoins de rendez-vous médicaux.

Or, il est patent que la nouvelle gérante lui a imposé à plusieurs reprises à compter de juin 2017, des horaires l’après-midi, sans délai de prévenance suffisant et surtout sans avancer de raisons objectives, et au demeurant en s’immisçant dans la vie personnelle de la salariée, de façon plus que maladroite, avant de se raviser fin juin.

S’agissant des clefs, il résulte de la pièce 59 de la salariée que c’est elle qui a restitué spontanément son jeu de clefs à l’issue de l’assemblée générale l’ayant révoquée en sa qualité de gérante.

Si Mme [F] n’établit pas être la seule salariée à ne pas disposer de clefs, il résulte de ses écrits – auxquels la société n’a pas répondu – qu’au moins une fois, elle était présente à 9h mais que les locaux étaient fermés et qu’elle ne pouvait dès lors accéder à son poste de travail.

En tout état de cause, la société ne justifie d’aucun élément objectif pour n’avoir pas répondu favorablement à la demande de Mme [F], de remise d’un jeu de clefs.

Ces éléments sont suffisants à eux seuls pour caractériser une situation de harcèlement moral sur une brève période mais de façon intense, ayant eu pour effet de dégrader les conditions de travail de la salariée et de porter atteinte à ses droits et d’altérer sa santé.

Il convient de fixer son préjudice à la somme de 2 000 euros.

En revanche, la cour ne peut retenir la mise au placard, la suppression de ses outils de travail, et rappelle qu’il appartenait à Mme [F], en sa qualité de gérante jusqu’à fin mai 2017, de prévoir la période de congés d’été pour tous les salariés, ce qu’elle n’a pas fait, étant précisé en outre que la période «imposée» correspond à la fermeture de l’établissement.

La cour ajoute que les demandes relatives à la discrimination directe et à la violation de l’obligation de sécurité doivent faire l’objet d’un examen distinct, des demandes différenciées étant faites sur chacun de ces fondements et les règles de preuve n’étant pas les mêmes.

2- Sur la discrimination

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, «Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte « telle que définie à l’article 1er de la loi numéro 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap».

La salariée ne fonde sa demande sur aucun grief identifiable tel que formulé ci-dessus.

En l’état des explications et des pièces fournies déjà visées, la matérialité d’éléments de fait précis et concordants laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte au sens des articles n’est pas démontrée, étant précisé que la prise de congés payés à la date de fermeture de l’établissement concernait tous les salariés permanents et que la société justifie du fait que Mme [F] percevait un des plus forts salaires, de sorte qu’en tout état de cause, elle ne justifie d’aucun préjudice matériel et moral.

En conséquence, la demande indemnitaire faite à ce titre doit être rejetée

3- Sur l’obligation de sécurité

Le code du travail impose cette obligation à l’employeur par les articles L.4121-1 & suivants, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, en ces termes:

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1 Des actions de prévention des risques professionnels;

2 Des actions d’information et de formation ;

3 La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention prévus à l’article L.4121-2 du même code.

Il doit assurer l’effectivité de ces mesures .

En l’espèce, l’employeur informé par les alertes de Mme [F] quant à l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, n’a pas pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, de sorte qu’il convient de faire droit à la demande indemnitaire de la salariée à hauteur de 1 000 euros.

4- Sur la gravité des manquements

Ainsi que l’a reconnu le conseil de prud’hommes, la modification des horaires de la salariée, dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique constitue un manquement suffisamment grave dans l’exécution du contrat de travail pour justifier la rupture à l’initiative de la salariée, de sorte que la décision doit être confirmée en ce qu’elle a prononcé la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur, à la date du licenciement.

Sur les conséquences de la rupture

La salariée, concluant dans son dispositif comme dans ses motifs, à une rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, n’est pas fondée à solliciter l’application de l’article L.1235-3-1 du code du travail et le «déplafonnement» des indemnités.

En considération des éléments présentés, du salaire de référence fixé par le conseil de prud’hommes à 2 914 €, de l’ancienneté de la salariée (7 ans et 4 mois) et du montant maximal du barème, il convient de confirmer la décision qui a justement apprécié la situation de Mme [F], en lui allouant la somme de 17 500 euros.

Les indemnités de rupture telles que fixées par la décision déférée ne sont pas contestées dans leur montant.

S’agissant du solde des congés payés 2016, demande omise par les premiers juges, la salariée se contente d’affirmer que l’employeur est redevable de 17,5 jours de juin à décembre 2016, sans fournir le moindre décompte et la moindre pièce, alors que l’employeur a payé au titre du solde de tout compte en janvier 2018, une indemnité correspondant à 36 jours de congés payés.

La salariée ne justifie pas d’un préjudice moral distinct de ceux déjà indemnisés.

L’inaptitude est professionnelle lorsqu’elle est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, et ce, dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie, et que l’employeur a connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

En l’espèce, il ne résulte pas de l’avis d’inaptitude délivré par le médecin du travail que celle-ci avait une origine professionnelle ; si l’inaptitude peut être considérée comme consécutive à un manquement préalable de l’employeur à son obligation de sécurité, la seconde condition de la connaissance par l’employeur de cette origine n’est pas remplie, de sorte que la demande d’indemnité doublée de licenciement ne peut être accueillie.

Aux termes du premier alinéa de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Il convient d’appliquer d’office cette sanction, omise par les premiers juges.

Sur les autres demandes

Les sommes allouées par la cour étant de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal doivent courir à compter du prononcé de la présente décision.

Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du code civil, en complétant le jugement sur ce point.

La demande de délivrance des documents sociaux sous astreinte n’est pas reprise au dispositif des écritures de l’intimée et ne peut dès lors être examinée.

La société succombant au principal doit s’acquitter des dépens d’appel, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à Mme [F] la somme supplémentaire de 1 500 euros.

La demande visant à mettre à la charge  de la société le droit proportionnel de l’huissier prévu à l’article 10 du Décret tarifant les actes d’huissier, en date du 12/12/96 et modifié le 08/03/01, doit être rejetée.

En effet, dans le cas précis, la Loi a mis à la charge du créancier ce droit et a en outre prévu en son article 8 un autre droit à la charge du débiteur, de sorte que la demande a non seulement un caractère hypothétique mais est contraire à la loi.

En tout état de cause, la demande n’a pas d’objet en l’espèce, l’article 11 du même texte a exclu le droit proportionnel de l’article 10 pour les créances résultant de l’exécution d’un contrat de travail.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, en matière prud’homale,

Confirme le jugement déféré SAUF en ce qu’il a rejeté les demandes au titre du harcèlement moral et de l’obligation de sécurité,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Condamne la société Les Ateliers de l’Image et du Son à payer à Mme [A] [F] née [C], les sommes suivantes :

– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

– 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non respect de l’obligation de prévention de sécurité

– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts des sommes allouées en 1ère instance et appel, à condition qu’ils soient dûs au moins pour une année entière

Ordonne le remboursement par la société Les Ateliers de l’Image et du Son à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de 3 mois,

Dit qu’à cette fin, une copie certifiée conforme de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi, par le greffe,

Rejette le surplus des demandes des parties,

Condamne la société Les Ateliers de l’Image et du Son aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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