Conflits entre associés : décision du 8 juin 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/01160

Conflits entre associés : décision du 8 juin 2022 Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/01160

ARRÊT N°

N° RG 21/01160 – N° Portalis DBVH-V-B7F-H7SE

CC

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MENDE

20 janvier 2021

RG:2015000696

[I]

C/

Me [X] [R] – Mandataire liquidateur de S.A.S. HDM

[O]

[D]

S.A. BANQUE DEGROOF PETERCAM FRANCE

Grosse délivrée le 08 juin 2022 à :

– Me GOUSSEAU

– Me HARNIST

– Me VAJOU

COUR D’APPEL DE NÎMES

4ème CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 08 JUIN 2022

APPELANT :

Monsieur [S] [I]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 11]

[Adresse 9]

48000 MENDE

Représenté par Me Luc etienne GOUSSEAU, Postulant, avocat au barreau de LOZERE

Représenté par Me Nadine BELZIDSKY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Me [R] [X] (SELEURL SELARLU [R]) – Mandataire liquidateur de S.A.S. HDM

[Adresse 5]

[Localité 6]

n’ayant pas constitué avocat

Monsieur [K] [O]

né le [Date naissance 2] 1953 à [Localité 14]

11 Novembre

48000 MENDE

Représenté par Me Sonia HARNIST de la SCP RD AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Isabelle MOLINIER de la SCP CBMT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Monsieur [W] [D]

né le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 13]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Sonia HARNIST de la SCP RD AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Isabelle MOLINIER de la SCP CBMT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

S.A. BANQUE DEGROOF PETERCAM FRANCE, Société anonyme immatriculée au RCS de PARIS sous le n° 353 894 363, poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité en son siège social

[Adresse 7]

[Localité 10]

Représentée par Me LAPLACE-TREYTURE Lina, substituant Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me BOPP Tilia, substituant Me Isabelle WEKSTEIN de l’AARPI WAN Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Mme Corinne STRUNK, Conseillère,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

À l’audience publique du 21 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Juin 2022.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 08 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSÉ

Vu l’appel interjeté le 23 mars 2021 par Monsieur [S] [I] à l’encontre du jugement prononcé le 20 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Mende dans l’instance n°2015000696.

Vu l’appel interjeté le 25 mars 2021 par Monsieur [S] [I] à l’encontre du jugement prononcé le 20 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Mende dans l’instance n°2015000696.

Vu l’ordonnance de jonction de ces deux procédures sous le n°21/01160.

Vu la signification des deux déclarations d’appel, de l’ordonnance de jonction et des conclusions de l’appelant délivrée le 16 juin 2021 à la SELARL [R] [X] pris en sa qualité de liquidateur de la société HDM, par acte laissé au domicile de son destinataire.

Vu la dénonciation d’appel avec assignation à comparaître, signification des conclusions de MM. [O] et [D] délivrée le 14 septembre 2021 à la SELARL [R] [X] es qualités, par acte laissé à une personne, qui s’est déclarée habilitée à le recevoir pour son destinataire.

Vu la dénonciation d’appel avec assignation à comparaître, signification des conclusions de la SA Banque Degroof Petercam France délivrée le 6 octobre 2021 à la SELARL [R] [X] es qualités, par acte laissé à une personne, qui s’est déclarée habilitée à le recevoir pour son destinataire.

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 mars 2022 par l’appelant et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 30 mars 2022 par la banque Degroof Petercam France, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 31 mars 2022 par Messieurs [K] [O] et [W] [D], intimés, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu l’ordonnance du 2 décembre 2021 de clôture de la procédure à effet différé au 7 avril 2022.

* * *

En 2011, une SCI détenue à 100% par Monsieur P’ et son épouse, a fait l’acquisition, moyennant le prix de 110 000 euros, financé en grande partie par un emprunt, d’un terrain situé en bordure de l’autoroute A75, dans le but d’y créer une aire commerciale.

A cet effet, le dirigeant de la SCI et 8 autres actionnaires, dont les intimés (personnes physiques) constituaient le 11 juin 2014 une société holding ayant pour but « d’exercer une activité de commerce de gros et de détail de produits alimentaires et non alimentaires et de prendre, pour y parvenir, des participations dans diverses sociétés ».

Monsieur B’ était désigné président de la société holding, puis en août 2015, Monsieur G’ lui succédait.

Plus précisément, cette société holding était à la tête d’un groupe dont la SCI détenait des parts et dont l’objet était d’exploiter un concept de restauration sur place et à emporter situé au niveau de l’autoroute A75 dans le sens sud-nord et une franchise d’une chaîne de restauration rapide. Ces deux activités étaient exercées par des filiales de la société holding, la station-service, se trouvant sur cette même aire étant locataire d’une société détenue par les membres de la SCI. Le droit au bail détenu par la société sera ensuite confié à une autre société.

Le financement du projet, estimé à la somme de 3 126 681 euros, est assuré au moyen de deux emprunts partiellement débloqués à hauteur de 2 990 000 euros.

Le site ouvrait ses portes le 20 juin 2015. Les résultats de la saison estivale s’avéraient moindres que ceux escomptés.

Le 16 octobre 2015, trois procédures de redressement judiciaire étaient ouvertes à l’égard de la société holding et de ses deux filiales. Un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire étaient désignés par le tribunal de commerce.

Estimant avoir été lésé par les agissements de ses co-actionnaires, l’appelant a intenté en septembre 2015 une action sociale ut singuli et une action individuelle à l’encontre du dirigeant de droit de la société holding jusqu’au mois d’août 2015 et du dirigeant de droit qui lui a succédé, étant précisé que ce dernier aurait selon l’appelant exercé une gestion de fait auparavant.

L’appelant a ensuite fait assigner les organes de la procédure collective et la banque D.. au motif que celle-ci était l’employeur du dirigeant de fait puis de droit de la société holding, ce dernier n’étant donc que le préposé et le mandataire de ladite banque. L’intéressé démissionnait de son emploi à la banque le 13 octobre 2016 et son contrat de travail prenait fin le 14 janvier 2017, à l’issue de son préavis.

Par jugement avant-dire-droit du 28 juillet 2017, le tribunal de commerce a ordonné une expertise comportant la mission suivante :

– Examiner les comptes, pièces comptables et bancaires de la société holding et de ses filiales,

– Donner son avis sur la situation financière de la société holding et de ses filiales au moment de la déclaration de cessation des paiements,

– Dire si la société holding et ses filiales disposaient à ce moment-là d’une trésorerie mobilisable susceptible d’éviter le dépôt de bilan,

– Donner son avis sur le schéma des baux commerciaux souhaité par chacune des parties ; en décrire les avantages et les inconvénients ;

– Donner son avis sur le montant des loyers estimé et souhaité par chacune des parties devant être assumé par la société holding, ses filiales et la société détenant la station- service,

– Donner son avis sur les investissements réalisés par la société holding et ses filiales par rapport au prévisionnel établi,

– Renseigner le tribunal sur les polices d’assurance souscrites par la société holding et ses filiales,

– Rechercher les éléments constitutifs d’une direction de fait par la société holding,

– Signaler, s’il y a lieu, toute opération contraire à l’intérêt social,

– De manière générale, renseigner le tribunal sur la viabilité du projet au regard de l’environnement géographique et économique.

Le rapport définitif de l’expert a été adressé aux parties le 23 décembre 2019.

L’appelant a alors conclu au fond, au visa des articles L.227-1 et suivants, L.225-249 et suivants du code de commerce, 1382 à 1384 du code civil devenus 1240 à 1242 de ce code pour obtenir la condamnation solidaire des dirigeants de droit et de fait, ainsi que de la banque à réparer le préjudice financier de la société holding à hauteur de 250 000 euros, son préjudice financier personnel à hauteur de 597 834 euros et son préjudice moral pour un montant de 100 000 euros. L’appelant a aussi sollicité la condamnation du dernier dirigeant de droit et de la banque à payer à la société holding la somme de 500 000 euros au titre de son préjudice financier.

Le tribunal, par jugement du 20 janvier 2021 déféré à la cour, a débouté l’appelant de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions, l’appelant demande à la cour, au visa des mêmes articles qu’en première instance de :

 condamner solidairement les dirigeants de droit et de fait, ainsi que la banque à réparer le préjudice financier de la société holding à hauteur de 250 000 euros, son préjudice financier personnel à hauteur de 597 834 euros et son préjudice moral pour un montant de 100 000 euros,

condamner le dirigeant de droit à compter d’août 2015 et la banque à payer à la société holding la somme de 500 000 euros au titre de son préjudice financier de l’automne 2015 à l’été 2016 et la somme supplémentaire de 500 000 euros au titre du caractère volontaire d’une gestion commerciale carencée et des conditions de la cessation des fonctions,

condamner solidairement les intimés à payer la somme de 25 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

les condamner encore aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

Les prétentions de l’appelant s’inscrivent, comme en première instance, dans le cadre de l’action sociale ut singuli pour indemniser le préjudice subi par la société et de l’action personnelle pour réparer son propre préjudice.

En ce qui concerne l’action ut singuli, l’appelant expose que son action était recevable au moment de l’assignation, étant actionnaire d’une société holding in bonis en ce qu’elle était sous plan de continuation. Ce n’est que depuis le jugement de liquidation judiciaire du 17 mai 2021, qu’elle est représentée par un liquidateur judiciaire. Par conséquent, le tribunal de commerce ne pouvait s’étonner de l’absence de soutien à son action de la part des organes de la procédure collective, et celle-ci est recevable au visa de l’article L.225-252 du code de commerce.

L’actionnaire appelant liste ensuite les diverses fautes dont il fait grief au dirigeant de droit jusqu’à la cessation de ses fonctions en août 2015 :

une occupation sans droit ni titre par la société holding et ses deux filiales des locaux de la SCI sans versement d’une quelconque indemnité,

une gestion financière fautive en ne procédant pas au paiement des loyers dus à la SCI, alors qu’il pouvait trouver des solutions permettant de pallier aux difficultés financières de la société holding, notamment en mettant en ‘uvre le pacte d’associés qui prévoyait l’apport de capitaux propres,

les modalités de sa démission qui ne respectent pas les conditions prévues par les statuts (durée du préavis non respecté) parce que le dirigeant de droit savait que des difficultés financières s’annonçaient et a préféré partir sans en faire état auprès des autres associés, tandis que le nouveau dirigeant débutait ses fonction par des congés annuels,

une complaisance fautive à l’égard de son successeur qui était d’ores et déjà dirigeant de fait de la société holding, comme les multiples correspondances avec les banques, les partenaires commerciaux et même la rédaction d’un faux bail le démontrent,

un défaut de surveillance et d’information des associés quant à la situation économique et financière de la société holding dont les investissements restaient inemployés, alors que le chiffre d’affaires prévisionnel n’était pas atteint et que la gestion des filiales était inadéquate.

L’actionnaire appelant en déduit que le préjudice commercial et financier subi par la société peut être chiffré au montant du chiffre d’affaires qui lui manque. Quant à son préjudice personnel, il s’élève au montant de ses apports en capital dans la société holding, dans le compte courant d’associé de cette même société, de son engagement de caution au profit de la SCI emprunteuse, de son apport en compte courant d’associé de la SCI.

L’actionnaire expose ensuite qu’il ne fait aucun doute ‘ cela ayant été retenu par l’expert et le tribunal de commerce ‘ que le dirigeant de droit à compter d’août 2015 assurait préalablement la gestion de fait de la société holding.

Il impute diverses fautes de gestion à ce dirigeant, la première d’entre elles étant d’avoir assuré une gestion de fait. La liste des autres fautes est la suivante :

en tant que dirigeant de fait,

établissement -par lui seul avec l’assistance d’un cabinet d’expertise comptable- d’un budget prévisionnel lourdement erroné, tant sur le chiffre d’affaires escompté que sur les marges professionnelles,

décision unilatérale de modifier l’architecture des baux commerciaux, sans mandat de la SCI,

modification unilatérale du montant des loyers initialement prévus, ce qui a créé un conflit entre associés,

dénigrement à son encontre, et immixtion dans le fonctionnement de la station service de nature à nuire aux intérêts du groupe, en sollicitant un groupe pétrolier alors que l’appelant avait l’habitude de travailler avec un autre groupe,

procédure de révocation de gérance engagée à son encontre et parvenue à son terme puisque ce dirigeant a fini par prendre la gérance de la SCI,

décision prise en pleine période estivale de couper l’électricité à la station-service, ce qui a abouti à une décision de condamnation du dirigeant de fait par le tribunal judiciaire,

signature d’un faux bail de sous-location pour les locaux occupés par une filiale, en attente d’audiencement devant le tribunal correctionnel,

en tant que dirigeant de droit,

absence de la société holding dès le début de sa gérance de droit, étant précisé que l’intéressé était dès l’origine président des deux filiales, laissées aussi sans direction pendant la période estivale,

une déclaration de cessation des paiements hâtive, sans en aviser préalablement les associés,

disparition de la comptabilité ou à tout le moins comptabilité incomplète et irrégulière, ce qui est démontré par l’absence de communication des pièces comptables à l’expert qui les réclamait,

une gestion financière et comptable gravement irrégulière, avant de quitter brutalement ses fonctions, ce qu’a mis en évidence l’expert,

une gestion commerciale anormale, les investissements faits par la société étant inutilisés et l’état sanitaire des locaux sanctionné par la justice,

un acte anormal de gestion consistant à aménager des locaux sur le modèle des supermarchés en vue de s’approprier ensuite les investissements faits à travers une nouvelle société reprenant des dettes de la société holding, tandis que la nouvelle société obtenait des réductions de la part des fournisseurs,

la signature, le 16 décembre 2016, de baux contraires à l’intérêt du groupe – et non pas seulement de la SCI – en ce qu’ils étaient trop modiques,

la tenue d’assemblées irrégulières ne respectant pas le droit des associés, à qui n’étaient pas communiqués les annexes des documents comptables, qui ont dû souscrire à une augmentation de capital par séquences et non globale et se sont vus infliger une prolongation de la durée de l’exercice social, le dirigeant quittant ses fonctions en cours de la période de prolongation,

une démission fautive en ce qu’elle a eu lieu du jour au lendemain, contrairement à ce que prévoient les statuts,

la volonté manifeste de conduire toutes les sociétés du groupe, dont la SCI, à la cessation des paiements en étant absent pendant la période estivale 2015, en ne faisant pas l’apport en compte courant annoncé dans le compte courant de la SCI , mais au contraire en demandant le remboursement de ce compte courant, en exonérant la société holding et ses filiales du paiement des loyers échus, dont le montant était de surcroît d’un montant insuffisant pour assurer l’équilibre financier de la SCI,

comptabilisations frauduleuses de dettes de loyer dans les comptes de la société holding et des filiales et de ces mêmes créances de loyer dans les comptes de la SCI dont il est devenu le gérant,

défaut d’information des associés sur la situation de la société holding et de ses filiales préférant déclarer de son propre chef un état de cessation des paiements, alors qu’il pouvait demander aux associés de procéder par voie d’augmentation de capital, ou à des apports en compte courant,

remise en cause de la structuration des baux, irrégularité de l’occupation des locaux de la SCI et organisation de la dissension entre associés,

une intervention nuisible auprès des partenaires sociaux.

Enfin l’actionnaire invoque de la part de ce dirigeant de droit et de fait une capacité de nuire aux intérêts du groupe, en faisant en sorte de faire signer un faux bail dans le but d’obtenir un accord de franchise sur un site, en coupant l’électricité à la station-service, ce qui a conduit à une procédure judiciaire avec condamnation de la SCI au paiement d’une astreinte et à entraver les activités du groupe. Il soutient encore que ce dirigeant a voulu s’approprier les investissements collectifs en créant la discorde entre les associés, en créant une nouvelle société en vue de s’approprier les actifs de la société holding et des filiales etc

L’ensemble de ces fautes a causé un préjudice commercial et financier à la société holding qui peut être chiffré au montant du chiffre d’affaires qui lui manque. Quant à son préjudice personnel, il s’élève au montant de ses apports en capital dans la société holding, dans le compte courant d’associé de cette même société, de son engagement de caution au profit de la SCI emprunteuse, de son apport en compte courant d’associé de la SCI.

Le montant des sommes ainsi définies doit être solidairement mis à la charge des deux dirigeants mais en ce qui concerne le dirigeant de fait puis de droit, il convient, selon l’actionnaire, d’ajouter les préjudices subis durant les 3ème et 4ème exercices sociaux puiqu’il a démissionné (fautivement) le 30 novembre 2017.

L’actionnaire soutient que ce dernier dirigeant était un préposé de la banque en ce qu’il exerçait l’emploi de directeur de mission et qu’il se prévalait de cette qualité de sorte que la banque a la qualité de commettant et de mandant. Il fait valoir que tous le courriels de ce dirigeant émanaient de sa messagerie professionnelle dans lequel était mentionné sa qualité de directeur de mission de la banque et que, par conséquent, tous ses interlocuteurs croyaient légitimement que la banque était partie prenante de l’opération, d’autant que les multiples réunions de travail, travaux de gestion du projet avaient lieu pendant les horaires de travail et que des partenaires habituels de son employeur sont également intervenus. L’actionnaire relève aussi que le contrat de travail excluait toute autre activité que celle pour laquelle le préposé était engagé et que le projet litigieux s’inscrivait bien dans sa mission de développement et de suivi de la clientèle. Enfin, le préposé a obtenu un prêt de la part de cette banque afin de financer son investissement personnel, ce qui démontre qu’il a agi dans le cadre de « son environnement bancaire habituel ». Disposant d’une autonomie et d’une liberté d’action liée au caractère spécifique de sa mission, l’absence de toute lettre de mission de la part de la banque est sans incidence sur le rattachement du fait dommageable au lien de préposition selon l’actionnaire qui invoque toutefois, au subsidiaire, l’existence d’un mandat apparent.

Les préjudices de la société holding et le préjudice personnel de l’actionnaire doivent donc être également réparés intégralement par la banque.

***

Les intimés, associés personnes physiques, demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté l’actionnaire de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux entiers dépens, y compris les frais d’expertise. En tant que de besoin, ils demandent à la cour de :

juger que le dirigeant de droit jusqu’en août 2015 n’a commis aucune faute de gestion dans l’exercice de son mandat de président, qu’il n’a pas manqué aux dispositions statutaires,

juger que le dirigeant de droit qui lui a succédé n’a pas exercé de gérance de fait et en toute hypothèse n’a pas commis de faute de gestion,

débouter en conséquence l’actionnaire de l’ensemble de ses demandes,

le condamner aux entiers dépens, y compris les frais d’expertise,

Au cas où la cour réformerait sur la question des responsabilités, les intimés demandent la cour de :

juger que l’actionnaire ne caractérise aucun préjudice de la société holding en lien avec ses prétentions et ne justifie pas des montants qu’il avance,

juger nouvelle en cause d’appel la demande d’indemnisation de 500 000 euros « au titre du caractère volontaire d’une gestion commerciale carencée et des conditions de cessation des fonctions »,

juger infondées si ce n’est irrecevables les demandes d’indemnisation des préjudices personnels de l’actionnaire,

juger qu’en toute hypothèse, il ne justifie pas des montants qu’il avance,

le débouter en conséquence de l’ensemble de ses demandes,

Ils ajoutent une demande de condamnation de l’actionnaire à leur payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de l’appel.

Ils font valoir que :

le rapport d’expertise établit que l’état de cessation des paiements était constitué au moment de la déclaration du dirigeant,

le remboursement des comptes courant a bénéficié à l’ensemble des associés qui avaient unanimement pris cette décision et il a été effectué après que la société ait obtenu des déblocages bancaires, de sorte que le lien entre cette décision collective et la déconfiture n’est pas établi,

une augmentation de capital a eu lieu durant le plan de continuation, le pacte d’associés ne comportant aucune contrainte calendaire,

le prévisionnel, ainsi que le montage global résultent de décisions prises unanimement ce qui exclut une quelconque responsabilité des dirigeants,

l’occupation illégale des locaux de la SCI ne cause un préjudice qu’à la seule SCI et n’est de toute façon pas démontrée ; il était effectivement prévu au départ un bail unique mais ce projet a ensuite évolué comme le sait pertinemment l’actionnaire qui était en relation avec le cabinet conseil en charge du projet des baux commerciaux ; des divergences de points de vue sont apparues, ce qui a retardé la signature des baux mais l’ensemble des associés était d’accord pour ne retarder l’ouverture des commerces durant la saison estivale 2015,

le non-paiement des loyers ne cause un préjudice qu’à la SCI,

le procès-verbal d’assemblée générale du 30 juillet 2015 acte l’accord de l’ensemble des associés sur la réduction du délai de préavis du dirigeant à 2 mois au lieu de 3 et il a été immédiatement remplacé par un nouveau dirigeant ‘ qui n’est pas parti en congés – outre le fait que la société holding disposait d’un directeur général,

ce nouveau dirigeant n’a jamais été le dirigeant de fait de la société, il a seulement été, compte tenu de ses compétences, chargé du montage financier du projet, et ce à titre personnel et sans aucune intervention de la banque intimée ; il n’a jamais pris de décision avant le 1er août 2015, se limitant à participer aux discussions en tant que président des deux filiales,

l’actionnaire était parfaitement informé de la situation économique et financière de la société, ainsi que le démontrent plusieurs courriels et l’assemblée générale du 30 juillet 2015,

les contacts pris avec les exploitants de la station-service avaient pour unique but de comprendre les accords pris par le gérant de la SCI, dès lors que cette station-service était le commerce moteur du projet ; ces prises de contact servaient donc l’intérêt du groupe et n’avaient pas pour objet le dénigrement de l’actionnaire,

il n’y a pas de faux bail car il n’a pas été signé pour le compte de la SCI, s’agissant d’un bail de sous-location signé entre la société holding et la filiale, sous la condition suspensive de prise d’effet du bail principal SCI/société holding encore en discussion,

non seulement le dirigeant nommé à compter du 1er août 2015 a suivi l’activité de la société durant la saison estivale mais il n’a pas empêché son directeur général de prendre des vacances car ce dernier était en congés-maladie, de sorte que la prise de fonctions n’est pas fautive et que la présidence n’a pas été en déshérence,

la comptabilité a été tenue et validée par le commissaire aux comptes ; elle n’a pas été remise en cause par les organes de la procédure, le ministère public ou le tribunal dans le cadre de la procédure collective, il n’y a pas eu de procédure d’alerte non plus,

la création d’une nouvelle société rachetant une partie des créances d’une filiale afin de réduire son passif dans le cadre de l’adoption du plan n’était pas contraire à l’intérêt des sociétés, étant précisé que cette société avait pour associés tous les associés de la société holding à l’exception de l’appelant.

En ce qui concerne l’évaluation des préjudices subis par la société holding, les intimés prétendent que le raisonnement qui tend à considérer le prévisionnel et le taux de marge brute de 50% comme obligation de résultat n’est pas sérieux, ni fondé. Aucune explication n’est donnée sur le chiffrage du préjudice financier et la demande supplémentaire de dommages intérêts d’un montant de 500 000 euros est nouvelle en appel et doit être rejetée.

En ce qui concerne l’évaluation des préjudices personnels, les intimés soutiennent que les pertes financières d’investissement sont irrecevables car non indemnisables, s’agissant d’un aléa. De même, le préjudice moral d’un investisseur malchanceux n’est pas indemnisable. Au demeurant, les préjudices allégués ne sont pas fondés.

***

La banque intimée conclut à la confirmation du jugement déféré, au débouté de l’ensemble des demandes de l’actionnaire et sollicite le paiement d’une somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile par l’actionnaire, lequel devra en outre supporter les dépens de première instance et d’appel.

La banque expose n’avoir aucun lien avec le projet « gravitant » autour de la société holding, le fait qu’un associé puis dirigeant soit son salarié étant insuffisant à caractériser ce lien.

Elle fait valoir que les fautes reprochées à ce dirigeant sont étrangères à ses fonctions de préposé. En effet, les deux contrats de travail signés entre le préposé et la banque prévoyaient une mission de développement, de suivi et de conseil de la clientèle de la banque, mais non une prise de participation dans une société ou l’exercice des fonctions de dirigeant au sein d’une société qui n’a pas été sa cliente (non plus ses filiales).

Elle en déduit que son préposé a commis les faits qui lui sont reprochés hors du cadre de ses fonctions et sans autorisation donnée par la banque. Aucun élément autre que l’utilisation de sa messagerie professionnelle ne peut relier la banque aux autres associés, or son utilisateur a reconnu que ces courriels avaient été envoyés à titre personnel et ils étaient le plus souvent émis en-dehors des horaires de travail, et du lieu de travail, qui se trouve à [Localité 12]. Quant au dossier prévisionnel, il n’a pas été réalisé par le préposé mais mais par une société conseil, mandatée par la société holding. Quant à l’utilisation par la société holding d’un cabinet conseil, parfois mandaté par la banque pour sa propre activité ne prouve rien, ce cabinet étant connu dans plusieurs régions françaises. La banque a effectivement accordé un prêt personnel à son préposé mais il s’agit d’un financement privé. Il n’est démontré aucune relation contractuelle entre la banque et le dirigeant de la société holding, qui n’a reçu aucune instruction de la banque dans le cadre de ce projet purement personnel. En tout état de cause, son préposé n’a pas été un dirigeant de fait de la société holding et n’a pas commis de faute, de sorte que la responsabilité du commettant ne saurait être engagée. La banque, à la lecture des écritures de l’actionnaire, retient en effet que « le litige en question semble moins démontrer des fautes commises par Monsieur ( ‘) que révéler l’existence d’un différend patent entre les associés de la société » (holding). Elle en conclut que l’actionnaire tente d’imputer l’échec commercial du groupe à la gestion de la société par un dirigeant qui n’a exercé ses fonctions que pendant deux mois et demi.

La banque soutient enfin que la théorie du mandat apparent n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre de cette action en responsabilité extra-contractuelle intentée par un tiers à l’encontre d’une personne qu’elle considère comme son mandant. En tout état de cause, cette croyance n’est pas fondée car l’actionnaire a vérifié les pouvoirs de l’associé devenu dirigeant, un an après la création de la société holding.

S’agissant de l’évaluation du préjudice faite par l’actionnaire au titre de l’action ut singuli, la banque réfute tout lien de causalité entre les faits imputés et le préjudice prétendument subi, lequel n’est de toute façon pas démontré.

S’agissant de l’évaluation du préjudice personnel, la banque fait valoir que la demande de réparation faite par l’actionnaire au titre des pertes en capital revient en réalité à demander réparation pour dépréciation des titres qu’il détenait au sein de la société. Il s’agit donc d’un préjudice qui est le corollaire de celui subi par la société et il ne peut être fait droit à cette demande. En ce qui concerne les autres demandes de réparation, elles ne reposent sur aucun élément tangible et doivent être rejetées.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Plutôt que de reprendre la liste des fautes énumérées par l’appelant, de manière parfois redondante, il sera privilégié un examen chronologique de la courte période d’activité in bonis de la société holding, créée en juin 2014, en redressement judiciaire en octobre 2015, sous plan de continuation résolu et en liquidation judiciaire depuis le 17 mai 2021

Le rapport d’expertise indique que le plan de financement initial date du 17 septembre 2014 et qu’un deuxième prévisionnel a été établi en février 2015. Le plan de financement initial permettait uniquement le financement du projet immobilier. Les hypothèses retenues pour l’exploitation commerciale étaient très optimistes alors même que la société ne disposait, avant son lancement, d’aucun fonds de roulement, du fait des remboursements des comptes courants effectué le 24 avril 2015. Dès lors, l’exploitation des sociétés commerciales devait être rentable dès le premier jour d’activité et générer la trésorerie suffisante pour constituer le fonds de roulement permanent nécessaire au fonctionnement de la société. Ce qui n’a pas été le cas.

Contrairement à ce que soutiennent les dirigeants, l’étude prévisionnelle a été effectuée après la constitution de la société, le 11 juin 2014. Si elle est qualifiée de non prudente par l’expert judiciaire, elle n’a été critiquée par personne lors de sa communication et une étude de la CCI relève qu’un point fort de la société holding et de ses filiales consiste en ses éléments prévisionnels « qui tendent à démontrer la viabilité du projet » et qu’au vu des éléments fournis par les porteurs du projet (décrits comme une équipe composée de professionnels reconnus et aguerris), « il semble que les prévisions soient prudentes et que les risques soient relativement limités. De même, il semble que l’équipe constituée par les associés soient en mesure d’assurer pleinement ses fonctions managériales ».

Par conséquent, cette étude prévisionnelle, si elle s’est avérée fausse, n’était pas irréaliste, que ce soit du point de vue des associés « professionnels reconnus et aguerris » qui ont reçu le dossier prévisionnel par courriel du dirigeant de fait, le 21 septembre 2014 (sa pièce 39) ou du regard extérieur de la CCI. Aucune faute ne peut donc être imputée à un dirigeant du fait de la non réalisation adéquate d’un projet, de nature par définition, aléatoire.

L’expert relève que le dirigeant de droit n’est jamais cité lors de ce montage financier et que c’est son successeur qui était d’ores et déjà l’interlocuteur naturel de tous les partenaires. Celui-ci admet que le montage financier ressortait de sa compétence mais réfute avoir été le dirigeant de fait de la société. Cependant, l’intimé, qui signait tous ses messages de son nom et de sa fonction de directeur de mission au sein d’une banque d’affaires, a non seulement établi le business plan mais l’a aussi communiqué à l’expert-comptable pour validation, a rencontré le cabinet-conseil d’avocat, les organismes financiers, le cabinet-comptable etc. S’il informait les associés (dont le dirigeant de droit) de son activité, aucun de ses échanges ne démontre une quelconque directive du dirigeant de droit dont l’expert a noté l’absence d’intervention dans le dossier de montage.

Ce même rapport d’expertise énumère les différents courriels adressé par l’intéressé aux différents associés, sans passer par le filtre du dirigeant de droit : courriel du 18 septembre 2014 validant la valorisation des parts de la SCI pour établir l’acte de cession au profit de la holding, courriel du 24 septembre 2014, organisant une réunion de rencontre entre les associés et les partenaires financiers, courriel d’information aux associés sur l’état d’avancement du projet le 4 décembre 2014, courriel d’information du 11 février 2015 relatif aux ressources humaines et à l’embauche du directeur général, point sur la trésorerie le 26 avril 2015 adressé aux associés, communication d’un projet de bail le 24 mai 2015, communication le 31 mai 2015 du processus d’achat aux associés.

C’est donc à juste titre que le jugement relève l’existence, au début de l’activité de la société holding, de l’existence d’un dirigeant de droit et d’un dirigeant de fait, que sont les deux personnes physiques intimées.

Ces nombreux courriels vont aussi à l’encontre des allégations de l’appelant selon lesquelles les associés n’étaient pas tenus informés de la situation économique et financière de la société holding : le courriel du 26 avril 2015 fait notamment le point sur le montant des ressources, les besoins en fonds de roulement et un besoin de financement, après remboursement des comptes courants pour 130 000 euros.

Il se déduit aussi de ces nombreux courriels que tous les associés, dont l’appelant, savaient qu’il y avait un dirigeant de fait, qu’ils échangeaient avec lui et personne n’a songé à cette époque à demander au dirigeant de droit de jouer un rôle plus actif.

***

En novembre 2014, le cabinet conseil d’avocats émet une proposition d’assistance sur les projets de baux commerciaux qu’il adresse tant à l’appelant (pièce 14 de la banque) qu’au dirigeant de droit (pièce 23 de l’appelant).

Il ressort du rapport d’expertise établi dans le cadre d’un litige de la SCI que le chantier de construction a duré d’août 2014 à juin 2015. Par conséquent aucun loyer ne pouvait être perçu durant cette période et l’étude prévisionnelle permettait le financement du projet immobilier. De même, l’appelant ne peut se prévaloir jusqu’à cette date d’une occupation illégale de locaux qui étaient encore en cours de construction.

Le 22 juin 2015, se tient une assemblée générale mixte, durant laquelle le dirigeant de droit fait son rapport de gestion. Le nombre de résolutions rejetées démontre les dissensions existant entre les associés. C’est à cette date que le dirigeant de droit démissionne.

Ces dissensions ne peuvent avoir été causées par le mauvais chiffre d’affaires du groupe car l’exploitation commerciale n’a débuté que le 20 juin précédent. Ce sont bien les projets de rédaction des baux qui sont la cause des crispations pour des raisons qui seront examinées ultérieurement.

Les chiffres d’affaire de la 1ère et de la 2ème semaine d’exploitation sont communiqués par le dirigeant de fait selon courriel transmis à l’ensemble des associés le 6 juillet 2015

Dans un autre courriel adressé au directeur général, le dirigeant de fait pointe la médiocrité du chiffre d’affaires, demande à ce qu’il soit augmenté. Il fait également état de la nécessité de baisser la charge salariale et à cet égard, l’expert judiciaire relève dans son rapport que la masse salariale était effectivement trop importante. Le diagnostic du dirigeant de fait était donc exact.

Une nouvelle assemblée générale se tient le 30 juillet 2015, au cours de laquelle l’associé (et jusqu’alors dirigeant de fait) est désigné dirigeant à compter du 1er août 2015. L’ensemble des associés, dont l’appelant, a donné son accord à une réduction du délai de préavis prévu aux statuts. Par conséquent, l’appelant ne peut aujourd’hui arguer d’une démission fautive du premier dirigeant de droit.

Il ne démontre l’existence d’aucune faute préjudiciable au groupe, ou à titre individuel pouvant être mise à la charge du dirigeant de droit et du dirigeant de fait sur cette période allant de la création de la société au 1er août 2015. Le remboursement des comptes courant, ainsi que le rappelle justement le jugement est un droit des associés, quel que soit l’état de la trésorerie de la société. Les documents comptables de l’exercice arrêté au 31 mars 2015 ont été établis, ainsi qu’en atteste l’AG mixte (même s’il n’y a pas eu quitus). Le procès-verbal fait état également de la remise aux associés du rapport du commissaire aux comptes. Enfin, une direction de fait n’est pas en soi préjudiciable à la société.

En ce qui concerne la « désertion » du dirigeant nouvellement nommé en août 2015, l’appelant produit lui-même une pièce (60) qui démontre le contraire, puisque le dirigeant – nouvellement nommé pour la holding et dirigeant des deux filiales ‘ adresse le 20 août 2015 une note de synthèse à l’ensemble des associés de la holding , avec copie à l’expert-comptable, de l’activité des deux filiales. Il est constaté dans cette note que le groupe ne réalisera, pour son premier exercice, le plan financier qui a prévalu à sa création et que le groupe adapte en conséquence sa politique, tant en termes d’offre que de coûts. Il est également indiqué que les chiffres mentionnés dans la note doivent être confirmés à l’issue de l’inventaire du 31 août et des données comptables correspondantes.

***

La communication de l’évolution du chiffre d’affaires de l’été 2015 ne donne pas lieu à d’abondants commentaires de la part des associés, appelant y compris. Celui-ci se focalise sur le sujet fondamental de divergence, à savoir la signature des baux commerciaux.

Il ressort du rapport d’expertise établi dans le cadre du litige relatif à la SCI que lors de la présentation du concept, le 19 février 2014, les loyers affichés étaient fixés à 336 000 euros. Leur montant a ensuite été augmenté à 400 000 euros dans un courriel du 3 janvier 215 adressé par le dirigeant de fait à l’appelant, au dirigeant de droit et au directeur général. Une discussion s’est alors engagée entre les parties prenantes, portant sur la nécessité, admise par tous, de couvrir les emprunts.

Toujours est-il qu’un seul bail était signé le 5 juin 2015 par la SCI sans que les associés de la holding ne soient au courant, ainsi que le démontre le PV de l’assemblée générale du 22 juin 2015. Ce bail remet en cause le projet initial de « concept store » c’est-à-dire plusieurs commerces ouverts sur un hall commun, ce qui méritait une étude d’ensemble, ne serait-ce que pour la répartition des charges communes. Surtout ce bail, donne le droit au preneur d’exploiter « tous commerces », tandis que le bailleur (la SCI) s’interdit, dans une clause d’exclusivité, d’exploiter dans l’immeuble dont font partie les lieux loués un commerce similaire à celui du preneur’

Ce qui cause un déséquilibre dans les relations contractuelles avec les autres preneurs potentiels et est contraire à l’intérêt social.

L’appelant et le dirigeant de droit se rendent chez le notaire le 6 juillet 2015 pour mettre au point la signature des baux à intervenir, compte tenu de cet élément nouveau. Une note est rédigée ce jour-là, comportant des montants de loyer. Elle est adressée par l’appelant aux deux dirigeants le 9 juillet 2015 (pièce 69 de l’appelant).

L’appelant adresse deux courriels les 3 et 4 août 2015 au dirigeant pour lui demander des pièces complémentaires et propose deux dates de rendez-vous le 12 ou 19 août 2015. Il n’adresse le bail notarié signé le 5 juin 2015 que le 16 septembre 2015. Le rendez-vous en l’étude notariale est finalement fixé le 26 septembre 2015, mais le notaire exige un paiement préalable des loyers du 1er juillet 2015 au 30 septembre 2015 pour un montant TTC de 32 820 euros. Les baux ne seront pas signés, malgré sommation par acte extra-judiciaire du 13 août 2015.

Ils ne le seront que fin 2016, avec rétroactivité au 1er juillet 2015 et première année de location gratuite.

Il faut maintenant revenir à l’expertise comptable qui expose que le schéma initial (baux établis entre la SCI et les différentes sociétés du groupe) permettait de centraliser l’activité immobilière au sein de la SCI et donnait une meilleure garantie aux établissements financiers, la SCI, dont c’est l’objet, ayant pour mission d’assurer la gestion des loyers.

Mais la présente action ut singuli est dirigée contre les dirigeants de la société holding, et c’est l’intérêt de cette société qu’il convient de rechercher.

Or le schéma présenté par le cabinet conseil d’avocats, dont l’appelant a été tenu informé comme on l’a vu précédemment, avait l’avantage d’interposer la société holding entre la SCI et les différents sous-locataires, de sorte que ces derniers ne répondaient de leurs obligations que devant la société holding.

L’expert note : « en proposant ce schéma, M. G’ obtenait ainsi la maîtrise de l’ensemble du projet ». Il poursuit en indiquant que le montant des loyers qui ont été finalement aménagés sont cohérents par rapport à la surface d’exploitation louée mais malgré cela l’activité économique de l’aire n’a pas permis de les assumer car le modèle économique est à revoir.

Il résulte de ce qui précède que l’intérêt de la société holding était bien d’aménager les loyers, en ne payant pas le montant initialement discuté, afin de tenter de poursuivre son activité en restructurant celle-ci.

Cette analyse était certes contraire aux intérêts de la SCI mais cela n’entre pas en ligne de compte dans la présente action.

Il ne peut dès lors être reproché une faute aux dirigeants consistant à ne pas payer les loyers tout en consentant à une exploitation commerciale qui était indispensable à la pérennité du groupe et à laquelle personne ne s’est opposé. L’appelant a essayé un coup de force en signant un bail le 5 juin 2015, sans prévenir les autres associés des modalités du contrat (bail tous commerces, clause d’exclusivité jusqu’en septembre 2015. Ce contrat étant contraire à l’intérêt de la SCI a d’ailleurs entraîné la révocation judiciaire du mandat de gérant de la SCI, par arrêt de la cour d’appel de Nîmes prononcé le 22 mars 2018.

***

Dans ce contexte houleux, la société holding, se prévalant d’un contrat de location signé avec la SCI le 1er juin 2015, a signé avec une de ses filiales un contrat de sous-location portant sur l’exploitation d’une activité de restauration rapide sous franchise.

L’appelant qualifie ce bail de « faux bail » car aucun contrat de location n’avait été conclu entre la SCI et la société holding. Toutefois, le contrat de sous-location est consenti sous la condition suspensive de la prise d’effet du bail principal et aucune partie n’a demandé à être relevée de ses engagements après le terme fixé au 30 juin 2015. Ce bail principal sera finalement signé le 16 décembre 2016 avec effet rétroactif au 1er juillet 2015 en même temps que le contrat de sous-location, avec le même effet rétroactif au 1er juillet 2015, le loyer étant gratuit la première année.

Dès lors, sans entrer dans la qualification de faux qu’il incombera à la juridiction pénale de trancher, force est de constater que le sous-locataire a contribué à générer du chiffre d’affaires à un groupe qui en avait bien besoin durant l’été 2015 et que sa situation locative a été finalement régularisée alors que la société holding avait toujours le même dirigeant, quand bien même elle était en redressement judiciaire à ce moment-là.

L’intérêt social du groupe a ainsi été préservé.

***

Le jugement déféré a, en ce qui concerne les autres fautes reprochées aux dirigeants répondu par la négative avec des moyens pertinents et exempts d’insuffisance : la mobilisation de capitaux supplémentaire résulte de la volonté des actionnaires, il n’y a pas de dénigrement de l’appelant mais une démarche maladroite du dirigeant dans ses tentatives d’approche d’un groupe pétrolier. A cet égard, le dirigeant indique dans sa déclaration de cessation des paiements, qu’il aurait souhaité un prix plus attractif du carburant, ce qui aurait incité ainsi à faire venir davantage de clients. Il s’en était d’ailleurs ouvert à l’appelant qui a simplement répondu par courriel qu’il n’avait pas de pouvoir d’intervention sur les prix définis par le fournisseur de carburants. La déclaration de cessation de paiements n’était pas hâtive mais justifiée au regard de la situation obérée du groupe qui ne pouvait payer les loyers – comme le fait remarquer avec insistance l’appelant ‘ qui a conduite à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

En ce qui concerne les fautes invoquées de :

décision unilatérale de modifier l’architecture des baux commerciaux, sans mandat de la SCI, la société holding étant un signataire des contrats avait aussi un avis à donner, y compris sur la modification du montant des loyers initialement prévus,

procédure de révocation de gérance de la SCI, le fait qu’elle soit arrivée à son terme démontre son bien-fondé,

décision prise en pleine période estivale de couper l’électricité à la station-service, ce qui a abouti à une décision de condamnation du dirigeant de fait par le tribunal judiciaire dans le cadre de l’action ut singuli exercée par l’appelant contre le dirigeant de la SCI , ce qui démontre que la faute reprochée au dirigeant de la société holding était en réalité une faute commise par cette même personne sous une autre qualité, celle de dirigeant de la SCI,

il en est de même des prétendues comptabilisations frauduleuses sur les comptes de la SCI.

Il sera encore ajouté que le jugement prononcé par le tribunal de commerce le 2 mars 2017 fait état , en ce qui concerne la société holding dotée du même représentant légal – d’une situation comptable établie sur la période du 1er avril 2016 au 31 décembre 2016, de sorte qu’il existait une comptabilité sur cet exercice (l’exercice 2015 étant quant à lui mentionné dans un PV d’AG). Le plan de continuation est adopté parce que des baux ont été signés en 2016, avec de nouvelles conditions de loyers, de nouveaux apports de capital ont été faits, des actionnaires ont été d’accord pour convertir leurs comptes courants en capital et des créances ont été rachetées par une nouvelle société pour 55 000 euros. L’ensemble de ces éléments était nécessaire à l’adoption du plan et l’appelant n’est pas fondé à considérer qu’il s’agit de fautes de gestion du dirigeant. Il ne démontre en outre aucunement son allégation d’enrichissement personnel.

Le dirigeant de droit a démissionné de ses fonctions en décembre 2017, de sorte qu’il ne peut lui être reproché des fautes postérieures à cette date.

Il s’ensuit que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il n’a retenu aucun acte contraire à l’intérêt social de la société holding, de sorte que l’appelant est débouté de ses demandes en réparation au bénéfice de la société et à titre personnel.

Par voie de conséquence, l’appelant est également débouté de ses demandes dirigées contre la banque, fondées sur la responsabilité des commettants et du mandat apparent.

L’équité commande de condamner l’appelant à payer la somme de 3 000 euros à chacun des dirigeants et celle de 5000 euros à l’égard de la banque.

Il supportera également les dépens d’appel, succombant en ses prétentions.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

Dit que Monsieur [S] [I] supportera les dépens d’appel et payera à Monsieur [O] une somme de 3 000 €, à Monsieur [D] une somme de 3 000 euros et à la banque Degroof Petercam France une somme de 5 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

La minute du présent arrêt a été signée par Madame Christine CODOL, Présidente, et par Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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