Conflits entre associés : décision du 24 novembre 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 22/01382

Conflits entre associés : décision du 24 novembre 2023 Cour d’appel de Toulouse RG n° 22/01382

24/11/2023

ARRÊT N°2023/436

N° RG 22/01382 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OXDW

CB/AR

Décision déférée du 14 Mars 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULOUSE ( 20/00474)

Section agriculture – BECANNE V.

[Y] [G] [V] [A]

C/

S.C.E.A. PONEY CLUB DE [Localité 3]

confirmation

Grosse délivrée

le 24 11 23

à Me Vincent BOUILLAUD

Me Sophie DEJEAN

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 2

***

ARRÊT DU VINGT QUATRE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [Y] [G] [V] [A]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Vincent BOUILLAUD, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.C.E.A. PONEY CLUB DE [Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal , domicilié ès qualités audit siège sis [Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Sophie DEJEAN, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. BRISSET, présidente chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BRISSET, présidente

F.CROISILLE-CABROL, conseillère

E.BILLOT, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : A. RAVEANE

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

– signé par C. BRISSET, présidente, et par A. RAVEANE, greffière de chambre

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCEA Poney Club de [Localité 3] a été constituée par acte sous seing privé le 20 mars 2009.

Elle comptait jusqu’au 30 juin 2019 trois associés : M. [U] [Z], Mme [O] [D]-[Z] et Mme [Y] [A].

La convention collective nationale applicable est celle des centres équestres.

Son capital social est divisé en 1050 parts sociales, dont une moitié est attribuée à M. [U] [Z], et l’autre moitié à Mme [O] [D]-[Z].

Quant à Mme [A], elle figurait aux statuts comme apporteur en industrie en qualité de monitrice diplômée d’État.

Aux termes du procès-verbal de l’assemblée générale extraordinaire constitutive en date du 20 mars 2009, il était convenu que le début d’activité de la société serait rétroactivement fixé au 6 septembre 2008.

M. [Z] était désigné en qualité de gérant.

Le 30 juin 2019, Mme [A] démissionnait de la société en sa qualité d’associée et y cessait toute activité professionnelle.

Le 28 avril 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse aux fins de solliciter la requalification de son contrat d’apport à la SCEA Poney Club de [Localité 3] en contrat de travail à durée indéterminée et condamner son adversaire au paiement de diverses sommes et indemnités.

Par jugement du 14 mars 2022, le conseil a :

– débouté Mme [Y], [G], [V] [A] de l’ensemble de ses demandes,

– dit, pour des motifs tirés de l’équité, n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leur demandes plus amples ou contraires,

– condamné Mme [A] qui succombe à l’instance, aux dépens de celle-ci.

Le 8 avril 2022, Mme [A] a interjeté appel du jugement, énonçant dans sa déclaration les chefs critiqués de la décision.

Dans ses dernières écritures en date du 23 décembre 2022, auxquelles il est fait expressément référence, Mme [A] demande à la cour de :

infirmant le jugement dont appel

– dire et juger que Mme [Y] [A] était liée à la société Poney Club de [Localité 3] par un contrat de travail à durée indéterminée,

– dire et juger que Mme [A] est par conséquent en droit de se prévaloir des dispositions de la convention collective nationale applicable,

– dire et juger que Mme [A] aurait dû bénéficier d’un niveau de classification catégorie 4, coefficient 167 de la convention collective nationale applicable,

– condamner la société le Poney Club de [Localité 3] à verser à Mme [A] un rappel de salaire de 10 696,53 euros bruts, outre la somme de 1 069,65 euros bruts correspondant aux droits à congés payés,

– constater que Mme [A] produit des éléments précis de nature à étayer sa demande en paiement d’heures supplémentaires,

– constater que la société le Poney Club de [Localité 3] ne produit aucun élément de nature à remettre en cause cette demande ; que sur le fondement des dispositions de l’article 146 du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de pallier cette carence en ordonnant une mesure d’expertise,

– condamner la société Poney Club de [Localité 3] à verser à Mme [A] un rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires qu’elle a réalisées et qui n’ont pas été rémunéré d’un montant de 35 887,82 euros bruts, outre la somme de 3 588,72 euros bruts correspondant aux droits à congés payés y afférents,

– constater que Mme [A] a effectué des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel d’heures supplémentaires légalement prévues,

– constater que la société Poney Club de [Localité 3] n’a jamais informé Mme [A] de ses droits à repos compensateur,

– condamner la société Poney Club de [Localité 3] à verser à Mme [A] une somme 9 061,84 euros titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier résultant de ce manquement,

– constater que la société Poney Club de [Localité 3] n’a pas respecté les dispositions de la convention collective nationale applicable,

– condamner la société Poney Club de [Localité 3] à verser à Mme [A] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

– constater que la société Poney Club de [Localité 3] s’est volontairement soustrait à l’ensemble des obligations découlant de l’existence d’un contrat de travail,

– condamner la société Poney Club de [Localité 3] à verser à Mme [A] une somme de 21 519,72 euros à titre de dommages et intérêts,

– débouter la société Poney Club de [Localité 3] de sa demande de compensation entre les condamnations qui viendraient à être prononcées et le montant des rémunérations versées à Mme [A] pour la période antérieure au 1er novembre 2017,

– débouter la société Poney Club de [Localité 3] de sa demande de compensation entre les condamnations qui viendraient à être prononcées et le montant des charges sociales acquittées pour le compte de Mme [A] à la Mutualité Sociale Agricole,

– débouter à titre principal la société Poney Club de [Localité 3] de sa demande de compensation entre les condamnations qui viendraient à être prononcées et le montant des cotisations retraite acquittées au profit de Mme [A] ; limiter à titre subsidiaire la compensation aux sommes acquittées postérieurement au 1er novembre 2017,

– condamner la société Poney Club de [Localité 3] à verser à Mme [A] une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Poney Club de [Localité 3] aux frais et dépens.

Elle soutient que son activité ne constituait pas un apport en industrie mais qu’elle exécutait en réalité ses tâches dans le cadre d’un lien de subordination relevant d’un travail salarié. Elle en déduit des rappels de salaire sur la base de minima conventionnels en tant que cadre. Elle invoque des heures supplémentaires non rémunérées dans les conditions d’un travail dissimulé et excédant le contingent annuel.

Dans ses dernières écritures en date du 30 septembre 2022, auxquelles il est fait expressément référence, la société Poney Club de [Localité 3] demande à la cour de :

– y venir Mme [A]-[P],

– rejeter toutes conclusions contraires comme injustes ou en tout cas mal fondées,

– confirmer en tous points le jugement du conseil des prud’hommes de Toulouse du 14 mars 2022.

Si par extraordinaire la cour d’appel de Toulouse devait considérer que Mme [A]-[P] était liée par un contrat de travail avec la SCEA Poney Club de [Localité 3],

– dire que la classification de Mme [A]-[P] est catégorie 2 coefficient 130,

– dire que Mme [A]-[P] n’apporte pas la preuve qu’elle effectuait des heures supplémentaires,

– rejeter les demandes de Mme [A]-[P] :

– de paiement d’heures supplémentaires,

– de constat qu’elle a effectué des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel,

– de paiement de dommages et intérêts au titre du repos compensateur,

– de paiement de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé,

– de paiement de dommages et intérêts au titre du non-respect de la convention collective.

A titre infiniment subsidiaire, avant dire droit, sur les demandes relatives aux heures supplémentaires :

– ordonner une expertise afin que soit vérifié la réalité des heures supplémentaires dont Mme [A]-[P] sollicite le paiement.

Dans tous les cas :

– dire que toute condamnation de la société Poney Club de [Localité 3] viendra en compensation,

– avec les rémunérations du travail versées à Mme [A]-[P] en qualité d’associée exploitante sur la période du 1er janvier 2017 au 2 juillet 2019 pour un montant total de 54 000 euros,

– les charges sociales MSA personnelles de Mme [A]-[P] prises en charges par la société Poney Club de [Localité 3] soit 11 440 euros,

– les cotisations retraite facultative « [W] » de Mme [A]-[P] prises en charges par la société Poney Club de [Localité 3] soit 9 409 euros,

– condamner Mme [A]-[P] à 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle conteste l’existence d’un contrat de travail et soutient que les prestations de l’appelante relevaient de son apport en industrie. Subsidiairement, elle discute les sommes demandées, contestant le coefficient revendiqué, l’existence d’heures supplémentaires et invoquant une compensation.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 26 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est constant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle.

Il n’existe en l’espèce aucun contrat de travail apparent ou présomption de salariat dont Mme [A] pourrait se prévaloir. Il lui incombe donc de rapporter la preuve de ce que l’activité qu’elle exerçait et dont la réalité n’est pas discutée relevait non d’un apport en industrie mais d’un travail salarié.

L’existence d’un contrat de travail suppose la réunion de trois conditions cumulatives à savoir : la fourniture d’un travail, le paiement d’une rémunération et l’existence d’un lien de subordination. Les deux premières conditions ne font pas difficulté puisqu’elles sont également remplies dans le cadre d’un apport en industrie relevant de l’affectio societatis. C’est ainsi la seule question du lien de subordination qui doit être envisagée puisqu’il est exclusif de l’affectio societatis.

Il est par ailleurs constant que l’apport en industrie suppose une véritable participation à la direction de la société ainsi qu’un apport ne se limitant pas à des tâches d’exécution mais relevant de véritables compétences techniques, des relations ou du crédit de l’associé.

En l’espèce, il n’est pas contesté que Mme [A] est titulaire du diplôme d’État de monitrice d’équitation indispensable à l’exercice de l’activité. Elle revendique d’ailleurs avoir au quotidien fait fonctionner le club hippique.

Si Mme [A] fait valoir qu’elle n’a participé qu’à un nombre réduit d’assemblées générales et qu’elle signé certains procès-verbaux a posteriori, il n’en demeure pas moins qu’elle produit certains de ces documents. En particulier, elle produit le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive du 20 mars 2009. Il y était expressément prévu sa rémunération avec la mention que celle-ci serait réglée en fonction de la trésorerie et en cas de difficulté par inscription en compte courant d’associé. Il y était encore prévu qu’elle se verrait attribuer 33,33% du résultat de l’entreprise, et ce en valorisation de son apport en industrie. Il est produit par la société différents procès-verbaux d’assemblée générale actant cette distribution selon cette même clé de répartition. Il est possible que les assemblées générales postérieures n’aient pas été convoquées ou même ne se soient pas déroulées dans le respect des statuts. Mais il s’agirait là d’un problème pouvant relever d’un conflit entre associés. Son retrait de la société a été acté en assemblée générale extraordinaire le 29 juillet 2019. Il figure au procès-verbal une résolution selon laquelle la société et Mme [A] s’engagent à arrêter le compte courant d’associé.

Mme [A] admet que le gérant n’était que peu présent au sein de l’entreprise et revendique d’ailleurs, ainsi que rappelé ci-dessus, avoir fait fonctionner le club au quotidien y compris en gérant les imprévus.

Elle soutient qu’elle était tenue de justifier de ses horaires et se prévaut d’échanges où elle informait le gérant de ses disponibilités. Mais il s’agit précisément d’une information qu’elle donnait au gérant de la société sur ses disponibilités pour une rencontre. Il ne s’agissait en aucun cas d’un contrôle de ses horaires.

L’intimée produit un échange entre le gérant de la société et un client d’où il résulte très manifestement que des contrats de demi-pension pour les chevaux avaient été mis en place sans concertation avec lui ce qui correspondait bien à une initiative de gestion de Mme [A].

Les pièces 28 et 29 produites par Mme [A] ne peuvent être retenues puisqu’il s’agit de documents présentés comme des attestations mais sans être accompagnés d’un quelconque document d’identité de sorte que l’identité du témoin est invérifiable.

Des pièces produites, il résulte que le gérant et Mme [A] étaient co titulaires d’un compte dans les livres du Crédit agricole. Il apparaît certes que dans le dernier état, Mme [A] ne disposait plus des moyens de paiement de la société mais cela relevait manifestement de difficultés économiques rencontrées par la société et éventuellement d’un conflit entre associés, alors que ce n’est que postérieurement à son retrait que son accès au compte courant de la SCEA a été retiré (pièce 60 intimée). Cela ne modifiait pas la possibilité pour la salariée de prendre des initiatives de gestion. Ainsi, le fait que le gérant n’ait pas validé la location d’un camion pour une compétition n’a pas remis en cause l’initiative de la salariée. Il n’est d’ailleurs à aucun moment soutenu que le gérant ait exercé une forme de pouvoir disciplinaire sur Mme [A].

Il n’est pas davantage démontré ou même invoqué que Mme [A] ait soumis ses congés au gérant de la société.

En revanche, il est produit des conventions signées par Mme [A] en qualité de dirigeante de la structure. M. [H] qui a livré le foin au centre atteste par ailleurs que Mme [A] se présentait toujours comme associée et qu’ils étaient trois sur la structure. Le statut d’associé n’est certes pas incompatible avec un contrat de travail mais à la condition que le lien de subordination soit établi.

Alors que la plupart des difficultés entre Mme [A] et le gérant a pour origine le fait que le projet de rachat des parts de la société par Mme [A] n’a pas abouti, la confrontation de l’ensemble des éléments produits ne permet pas de caractériser l’existence d’un lien de subordination entre la société et Mme [A]. Celle-ci travaillait bien en tant qu’associée en industrie et ce avec un véritable affectio societatis.

Toutes ses demandes découlant d’un contrat de travail qui n’est pas reconnu, elle ne pouvait qu’en être déboutée.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

L’appel étant mal fondé, Mme [A] sera condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes du 14 mars 2022 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [A] à payer à la SCEA Poney club de [Localité 3] la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [A] aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Catherine Brisset, présidente, et par Arielle Raveane, greffière.

La greffière La présidente

A. Raveane C. Brisset.

 


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