Conflits entre associés : décision du 20 septembre 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 23/00553

Conflits entre associés : décision du 20 septembre 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 23/00553

COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

JOUR FIXE

ARRET N°386

DU : 20 Septembre 2023

N° RG 23/00553 – N° Portalis DBVU-V-B7H-F7I6

VTD

Arrêt rendu le vingt Septembre deux mille vingt trois

Sur APPEL d’une décision rendue le 07 Mars 2023 par le Président du Tribunal Judiciaire de MOULINS (RG N°22/00074)

Procédure à jour fixe : ordonnance sur requête rendue le 06 Avril 2023 par La Présiente de la Chambre commerciale agissant sur délégation de la première présidente de la cour d’appel de Riom et assignation à jour fixe adressé par la comminication électronique au greffe le 18 Avril 2023

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l’appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [V] [T]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Paul YON de la SELARL PAUL YON, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)

Groupement FORESTIER DES BOIS DE [Localité 1]

groupement forestier au capital social de 83.846,96 euros, inscrit au RCS de CUSSET sous le numéro 398 377 523

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Paul YON de la SELARL PAUL YON, avocat au barreau de PARIS (avocat plaidant)

APPELANTS

ET :

Société LYONNAISE DE BANQUE

inscrite au RCS de LYON sous le numéro 954 507 976

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Me Valérie DAFFY de la SELAS ALLIES AVOCATS, avocat au barreau de MONTLUCON

INTIMÉE

DEBATS : A l’audience publique du 07 Juin 2023 Madame THEUIL-DIF a fait le rapport oral de l’affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l’article 785 du CPC. La Cour a mis l’affaire en délibéré au 20 Septembre 2023.

ARRET :

Prononcé publiquement le 20 Septembre 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Le Groupement Forestier (GF) des Bois de [Localité 1] a souscrit une convention de compte courant auprès de la société Lyonnaise de Banque depuis le 24 octobre 2018 sous le numéro 10096 18249 000497 15 201.

[Z] [P] était alors le gérant du groupement, il est décédé le [Date décès 5] 2021.

M. [C] [P] disposait depuis le 9 octobre 2019 d’une procuration générale sur les comptes du GF des Bois de [Localité 1].

Par courriel du 4 août 2022, M. [C] [P] a écrit à la Lyonnaise de Banque pour indiquer qu’il était en attente de l’extrait K-bis le désignant comme gérant du GF, et a informé la banque qu’un actionnaire minoritaire avait convoqué une assemblée générale.

En parallèle, la Lyonnaise de Banque a été contactée par M. [V] [P] par courriel du 3 août 2022, l’informant d’une assemblée générale du 8 juillet 2022 le désignant comme nouveau responsable légal du GF. Il a fourni à la banque le procès-verbal d’assemblée générale du GF et un extrait K-bis en date du 3 août 2022. Il a sollicité que les futurs relevés de compte du GF soient adressés à son adresse personnelle, la copie des chèques d’un montant supérieur à 700 euros, la révocation de l’accès internet de l’ancien utilisateur, et de faire opposition au chéquier existant pour perte.

M. [V] [P] a fait délivrer à la Lyonnaise de Banque le 11 août 2022, une sommation interpellative afin d’obtenir la copie des relevés bancaires et copie des chèques.

Par courrier du 16 août 2022, la Lyonnaise de Banque a indiqué au GF des Bois de [Localité 1] que suite à un désaccord sur la nomination en qualité de gérant de l’un comme de l’autre, elle était contrainte de bloquer les comptes dans l’attente de la désignation d’un mandataire ad’hoc.

Par courriel du 19 août 2022, M. [V] [P] a sollicité la révocation de tout mandat bancaire sur le compte du GF.

Par acte d’huissier du 29 novembre 2022, M. [V] [T] et le GF des Bois de [Localité 1] ont fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de Moulins statuant en référé, la société Lyonnaise de Banque afin de voir :

– ordonner à la banque de leur communiquer l’intégralité des documents bancaires concernant le GF, et en particulier la copie des chèques supérieurs à 700 euros, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir;

– ordonner à la banque de débloquer le compte bancaire du GF, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir ;

– condamner la banque à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ordonnance de référé du 7 mars 2023, le président du tribunal judiciaire de Moulins a débouté M. [V] [P] et le GF de l’intégralité de leurs demandes, les a déboutés de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.

Le juge des référés a considéré, au visa de l’article 835 du code de procédure civile, que l’appréciation de la qualité de gérant dans une société n’entrait pas dans le champ de compétence du juge des référés, juge de l’évidence, et nécessitait des débats qu’il appartenait seulement au juge du fond de trancher ; que s’agissant de la transmission des documents bancaires par la Lyonnaise de Banque, et au vu du conflit existant quant à l’identité du représentant légal du GF, il ne saurait être retenu que l’obligation dont il était sollicité l’exécution n’était pas sérieusement contestable.

Suivant déclaration électronique reçue au greffe de la cour en date du 27 mars 2023, M. [V] [T] et le Groupement Forestier des Bois de [Localité 1] ont interjeté appel de la décision.

Par ordonnance du 6 avril 2023, la présidente de la troisième chambre civile et commerciale agissant sur délégation de la première présidente de la cour d’appel de Riom, a autorisé les appelants à assigner à jour fixe la SA Lyonnaise de Banque, pour l’audience du 7 juin 2023 devant la troisième chambre civile de la cour d’appel de Riom, pour statuer sur les mérites de l’appel.

Par acte d’huissier du 12 avril 2023, M. [V] [P] et le GF des Bois de [Localité 1] ont fait assigner la société Lyonnaise de Banque à jour fixe devant la chambre désignée par l’ordonnance précitée.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 5 Juin 2023, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 835, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

– infirmer l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Moulins le 7 mars 2023 en ce qu’elle :

‘ les a déboutés de l’intégralité de leurs demandes ;

‘ les a déboutés des demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘ a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens;

– débouter la SA Lyonnaise de Banque de l’ensemble de ses demandes ;

– ordonner à la SA Lyonnaise de Banque de leur communiquer l’intégralité des documents bancaires concernant le GF et en particulier la copie des chèques supérieurs à 700 euros, ce à quoi elle s’était engagée, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir ;

– ordonner à la SA Lyonnaise de Banque de débloquer le compte bancaire du GF des Bois de [Localité 1], et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de l’ordonnance à intervenir;

– condamner la SA Lyonnaise de Banque à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la SA Lyonnaise de Banque au paiement des entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Me Sophie Lacquit, avocat au barreau de Clermont-Ferrand, qui pourra les recouvrer conformément à l’article 699 du code de procédure civile

Ils font valoir que M. [V] [T] a été régulièrement nommé gérant du GF des Bois de [Localité 1] par l’assemblée générale du 8 juillet 2022 ; que cette qualité de gérant a été confirmée par le tribunal judiciaire (TJ) de Cusset dans deux ordonnances de référé du 28 septembre 2022 et que le 1er mars 2023, un jugement rendu par le TJ de Cusset a consacré la qualité de gérant de l’intéressé.

Ils soutiennent en outre que peu importe que la qualité de gérant de M. [V] [P] soit contestée puisqu’il est le gérant et doit pouvoir avoir accès au compte de la société qu’il gère.

Ils se prévalent d’un trouble manifestement illicite puisque le gérant M. [V] [P] ne peut exercer la gestion du GF du fait du blocage des comptes bancaires, soit une somme de 100000 euros bloquée. Trois chèques sont en attente d’encaissement pour un montant total de 105749,94 euros. De surcroît, il ne peut ni procéder au règlement de ses fournisseurs ni même exercer son objet social (la planification des coupes est une mission facturée). Ils ajoutent que les terrains du GF ne peuvent être entretenus en raison du financement bloqué.

Dans ses conclusions déposées et notifiées le15 mai 2023, la SA Lyonnaise de Banque demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance entreprise ;

– statuer ce que de droit concernant les demandes formées en cause d’appel par les appelants en lui donnant acte de sa position quant à la véritable représentation du GF des Bois de [Localité 1];

– lui donner acte de ce qu’elle appliquera la décision à venir de la cour d’appel passé un délai raisonnable que fixera la cour, sans astreinte ;

– débouter les appelants de leur demande de condamnation financière, et ce compris une demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu’elle n’a pas bloqué les comptes du GF, elle est à la disposition du représentant désigné sans contestation pour effectuer toute opération bancaire, mais elle doit avoir cette désignation avec assurance. Elle soutient que les membres de la famille [P] ne peuvent lui imputer leurs difficultés de gestion actuelles, ils auraient pu faire désigner un administrateur provisoire.

Elle a rappelé les différentes procédures judiciaires opposant les membres de la famille [P], notamment devant les juridictions de Cusset. S’agissant des décisions rendues les 1er et 7 mars 2023 versées en appel, elle constate qu’elles ne comprennent pas dans leur dispositif la désignation de M. [T] comme gérant.

Il sera renvoyé pour l’exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Selon l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, dans les limites de sa compétence, peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Selon procès-verbal d’assemblée générale du 8 juillet 2022 du Groupement Forestier des Bois de [Localité 1], trois résolutions ont été adoptées :

– M. [C] [T] et Mme [K] [T] ont été révoqués de leur qualité de gérant et de co-gérant, l’assemblée générale du 26 mars 2022 au cours de laquelle ils avaient été nommés, étant annulée ;

– M. [V] [T] a été nommé en qualité de gérant en remplacement de [Z] [T] décédé le [Date décès 5] 2021, investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom du GF, sous réserve des pouvoirs attribués par la loi et par les statuts aux associés ;

– un expert-comptable a été nommé ayant pour mission d’examiner les documents comptables et de procéder à un audit.

Il ressort de plusieurs décisions judiciaires qu’il existe un conflit entre les associés du GF et un conflit quant à la désignation du gérant du groupement.

Ainsi par ordonnance de référé du 28 septembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Cusset a notamment débouté Mme [B] [P], Mme [G] [P] et M. [C] [T] de leur demande de nomination d’un mandataire ad hoc, de leur demande de nomination d’un mandataire commun à l’indivision, et a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur.

Dans sa motivation, le juge des référés a relevé qu’il existait manifestement un conflit entre les associés du GF des Bois de [Localité 1] concernant l’identité du gérant dudit groupement : M. [C] [P] à l’initiative de la procédure ou bien M. [V] [P], conformément à l’assemblée générale du 08 juillet 2022 ; que de surcroît, les différentes parties mettaient en lumière des conflits relatifs à la simple qualité d’associé dans le GF.

Par jugement du 17 novembre 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Cusset a confirmé une ordonnance du 17 juin 2022 autorisant des mesures de saisie conservatoire, la requête ayant été déposée par Mme [W] [P] et Mme [F] [P], en s’appuyant sur un rapport du Cabinet Auditis, expert-comptable, faisant ressortir une dette de 479 446 euros de M. [C] [T] à l’égard du groupement.

Par jugement du 1er mars 2023, le tribunal judiciaire de Cusset a constaté que M. [C] [P] ne pouvait opposer sa qualité d’associé du GF des Bois de [Localité 1] à la suite des actes d’échange et de donation des 1er mars et, 1er et 02 mars 2013, mais que M. [C] [P] et Mme [B] [P] avaient justifié auprès de la gérance de leur qualité d’associés du GF par succession, suite au décès de [Z] [P]. Le tribunal a enjoint à M. [V] [P] de convoquer une assemblée générale de tous les associés avec l’ordre du jour notifié par lettre du 19 octobre 2022, et a enjoint à toutes les parties de rencontrer un médiateur qui aurait pour mission d’informer les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation, notamment en vue de s’accorder sur un mandataire commun qui représenterait les propriétaires indivis auprès du GF des Bois de [Localité 1].

La SA Lyonnaise de Banque qui a été destinataire des deux décisions d’assemblée générale des 26 mars 2022 et 8 juillet 2022 et des demandes contradictoires de M. [C] [P] et de M. [V] [P] à quelques jours d’intervalle, a adressé un courrier au GF des Bois de [Localité 1] le 16 août 2022 indiquant que suite au désaccord sur la nomination en qualité de gérant de l’un comme de l’autre, elle était contrainte de bloquer les comptes dans l’attente de la désignation d’un mandataire ad hoc.

Elle fait valoir qu’elle était à la disposition du représentant désigné sans contestation pour effectuer toute opération bancaire ; qu’elle doit avoir cette désignation avec assurance ; qu’elle n’est pas opposée à redonner l’accès aux comptes et à fournir les copies de chèques demandées au GF des Bois de [Localité 1], et ce, auprès du dirigeant non contesté.

En l’état, M. [V] [T] est le gérant du GF, nommé par assemblée générale du 8 juillet 2022, le K-bis de la personne morale est clair sur ce point. Aucune juridiction ne s’est prononcée sur la validité de cette assemblée générale ou a invalidé cette résolution.

En raison du blocage du compte, il est justifié qu’il est impossible d’exercer la gestion du GF alors même que des chèques attendent d’être encaissés, ou que des fournisseurs doivent être réglés. Il s’agit là d’un trouble manifestement illicite.

Aussi, même en présence d’une contestation sérieuse, en l’espèce un conflit entre associés et une contestation quant à la désignation du gérant, le juge des référés peut prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Il sera donc fait droit aux demandes des appelants, sans qu’il ne soit nécessaire d’assortir les condamnations de la banque d’astreintes.

Succombant à l’instance, la société Lyonnaise de Banque sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, dont la distraction sera ordonnée au profit de Me Sophie Lacquit.

L’équité commande néanmoins de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Infirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Ordonne à la SA Lyonnaise de Banque de communiquer à M. [V] [T] et au Groupement Forestier des Bois de [Localité 1] l’intégralité des documents bancaires concernant le groupement, et en particulier la copie des chèques supérieurs à 700 euros ;

Ordonne à la SA Lyonnaise de Banque de débloquer le compte bancaire du Groupement Forestier des Bois de [Localité 1] ;

Déboute M. [V] [T] et le Groupement Forestier des Bois de [Localité 1] de leurs demandes d’astreinte ;

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne la SA Lyonnaise de Banque aux dépens de première instance et d’appel ;

Ordonne la distraction des dépens au profit de Me Lacquit, avocat.

Le Greffier La Présidente

 


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