Conflits entre associés : décision du 2 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/09914

Conflits entre associés : décision du 2 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/09914

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-4

ARRÊT AU FOND

DU 02 NOVEMBRE 2023

N° 2023/173

Rôle N° RG 21/09914 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BHXOF

[J] [E] veuve [T]

SCI GAMA

C/

[W] [T] épouse [G]

[P] [T]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Sébastien BADIE

Me Stéphanie BAGNIS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire d’Aix en Provence en date du 31 Mai 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/04033.

APPELANTES

Madame [J] [E] veuve [T]

née le [Date naissance 7] 1941 à [Localité 13] (ITALIE), demeurant [Adresse 11]

représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

SCI GAMA prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 16]

représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMES

Madame [W] [T] épouse [G]

née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 17] (13), demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Stéphanie BAGNIS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Monsieur [P] [T]

né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 12] (13), demeurant [Adresse 18]

représenté par Me Stéphanie BAGNIS, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 12 Septembre 2023 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, magistrat rapporteur

Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Novembre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Novembre 2023,

Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte notarié du 10 juin 1991, M. [R] [T] et son épouse, Mme [J] [E], ont constitué entre eux la société civile immobilière Gama.

Différents apports ont été consentis par les époux [T] à la SCI Gama dont notamment :

– une petite propriété rurale comprenant une maison à usage d’habitation avec terrain attenant sise sur la commune de [Adresse 16]), cadastrée section A n° [Cadastre 9],

– une maison à usage d’habitation avec terrain attenant sise sur la commune de [Adresse 16]), cadastrée section A n° [Cadastre 10],

– un chalet avec terrain attenant situé sur la commune de [Localité 15] cadastré section A n° [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6].

Les 2801 parts sociales de la SCI Gama étaient alors réparties entre M. [T] et son épouse de la manière suivante:

– 300 parts, numérotées de 1 à 300, attribuées à Mme [J] [E],

– 2501 parts, numérotées de 301 à 2801, attribuées à M. [R] [T].

M. [R] [T] est décédé le [Date décès 8] 2000, laissant pour lui succéder :

– son épouse, Mme [J] [E],

– et leurs deux enfants, Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T].

Suivant acte notarié du 5 décembre 2000, Mme [J] [E] veuve [T] a opté pour l’usufruit de la totalité des biens dépendant de la succession du défunt.

Aux termes d’un acte reçu le 2 septembre 2005, Mme [J] [E] veuve [T] a fait donation à ses deux enfants de la nue-propriété, à chacun, de 340 parts de la SCI Gama, représentant la totalité en nue-propriété des parts appartenant au donateur.

Après donation aux enfants, le capital social de la SCI Gama, se répartissait comme suit :

– Mme Mme [J] [E] veuve [T] :

* 870,50 parts en pleine propriété,

* 1930,50 parts en usufruit,

– Mme [W] [T]: 965,25 parts en nue-propriété,

– M. [P] [T]: 965,25 parts en nue-propriété,

total: 2801 parts.

Mme [J] [E] veuve [T] est, par ailleurs, la gérante de la SCI Gama.

En 2018, la SCI Gama a procédé à la vente du bien sis [Adresse 16].

Une difficulté est cependant née entre la gérante et ses deux enfants concernant la répartition des fonds issus de la vente.

Le prix de vente, soit 347.987, 46 € a finalement été viré sur le compte de la SCI Gama.

Le compte de cette société a été débité les 12 et 13 juin 2018 de deux virements, d’un montant respectif de 100.175 € et 139.824,44 € au bénéfice de Mme [J] [E] veuve [T] avec comme motif ‘ récupération des parts’.

Par acte du 24 juillet 2019, Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] ont fait assigner la SCI Gama et Mme [J] [E] veuve [T] devant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence aux fins d’obtenir à titre principal, la nullité des deux virements effectués par Mme [J] [E] veuve [T] et, à titre subsidiaire, sa condamnation à réparer le préjudice subi par la société du fait de ses agissements, outre, la révocation de Mme [J] [E] veuve [T] en sa qualité de gérante de la SCI Gama et la désignation d’un administrateur provisoire.

Par jugement contradictoire en date du 31 mai 2021, le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence a :

– débouté Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] de l’ensemble de leurs prétentions,

– rejeté les demandes de Mme [J] [E] veuve [T] et la SCI Gama,

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– rejeté les demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] aux dépens.

Le tribunal a retenu que :

– la SCI Gama, société familiale, ne tenait aucune assemblée générale et que le principe même de la vente du bien n’avait fait l’objet d’aucune assemblée générale mais que l’accord sur cette vente, absent, n’est toutefois pas discuté,

– au regard de l’objet statutaire de la SCI Gama, la vente des immeubles gérés par la SCI Gamma se rattache à l’objet social normal et les sommes dégagées, après paiement des frais, constituent des bénéficies sociaux,

– si Mme veuve [T] n’a pas sollicité l’avis d’une assemblée générale pour voter la répartition des bénéfices comme le précise l’article 30-1 des statuts, les enfants font eux-mêmes l’aveu judiciaire, dans leur assignation, que ‘ ces sommes devaient effectivement lui revenir à raison des parts qu’elle possède dans la SCI’,

– par cet aveu, ils reconnaissaient que leur mère possédait l’ensemble des droits de vote en qualité d’usufruitière pour la répartition des bénéfices et avait donc droit aux sommes qu’elle a virées sur son compte le 13 juin 2018 en sa qualité d’usufruitière de l’intégralité des parts sociales,

– la demande de révocation du mandat de la gérante n’est pas davantage justifiée en l’absence de toute démarche amiable justifiée avant l’assignation,

– la demande reconventionnelle de Mme veuve [T] de condamnation de M. [P] [T] et de Mme [W] [T] à lui rembourser respectivement les sommes de 26.000 € et 80.000 € correspondant aux règlements adressés à ses enfants au titre du prix de vente du bien litigieux ne peut être accueillie, la cause et les destinataires des chèques étant ignorés au regard des pièces produites.

Par déclaration en date du 1er juillet 2021, la SCI Gama et Mme [J] [E] veuve [T] ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 17 novembre 2021 et signifiées au RPVA le 17 novembre 2021, la SCI Gama et Mme [J] [E] veuve [T] demandent à la cour de:

Vu la donation des parts sociales en nue-propriété en 2005,

Vu les statuts,

Vu les articles 582, 1302, 1844 alinéa 3, 1383-2 et 1851 alinéa 2 du code civil,

Vu l’aveu judiciaire,

Vu les chèques établis au profit [W] et [P] [T],

A titre principal,

– réformer le jugement du 31 mai 2021 en ce qu’il a débouté Mme [T] de sa demande de restitution des sommes de 26.000 € et 80.000 €,

En conséquence,

– débouter les enfants [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner M. [P] [T] à restituer la somme de 26.000 € sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,

– condamner Mme [W] [T] à restituer la somme de 80.000 € sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,

Subsidiairement et dans l’hypothèse où Mme [J] [E] veuve [T] serait allée au-delà de ses droits,

– constater qu’il existera une dette de restitution à l’extinction de l’usufruit d’un montant de 47.641,71 € après déduction du compte courant d’associé de Mme [J] [E] veuve [T] d’un montant de 11.216,18 €,

– condamner M. [P] [T] et Mme [W] [T] à rapporter dans la succession future de Mme [J] [E] veuve [T] sa dette de restitution d’un montant de 47.641,71 €,

En tout étant de cause,

– condamner M. [P] [T] et Mme [W] [T] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [P] [T] et Mme [W] [T] aux entiers dépens.

Sur la demande de nullité des actes formée par les consorts [T], elles font, pour l’essentiel, valoir que :

– la SCI Gama est une société familiale, dont le fonctionnement est resté empirique et n’a été que très rarement formalisé par un acte juridique, de sorte qu’il n’existe ni assemblée générale, ni approbation des comptes, ni quitus récents,

– faute d’actes juridiques justifiant d’un accord ou d’un désaccord sur la vente, le prix ou sa distribution, il convient de se reporter aux statuts de la société qui définissent les limites des pouvoirs du gérant au regard de son objet social,

– à la lecture des statuts ( articles 2 et 17), aucune stipulation ne limite les pouvoirs du gérant ou les actes qu’il accomplit au regard de l’objet social,

– l’unanimité n’est requise que dans des cas limitativement énumérés, étant souligné que les consorts [T] ne contestent pas le bien fondé de la décision de vendre le bien de [Localité 14] même en l’absence d’assemblée générale,

– Mme veuve [T] est usufruitière de la totalité des parts détenus par ses enfants, l’acte de donation de 2005 précisant à cet égard que les donataires n’auront la jouissance de leurs parts qu’à compter du décès du donateur,

– en vertu des articles 582 et 1844 alinéa 3 du code civil, les enfants [T] ne disposent d’aucun droit de vote en assemblée générale pour ce qui concerne l’affectation des bénéfices, les statuts de la SCI ne dérogeant pas à ces dispositions,

– quelle que soit l’origine des bénéfices pouvant être mis ne distribution, les dividendes distribués reviennent intégralement à l’usufruitière, sauf vote contraire de cette dernière,

– l’usufruitier perçoit donc les sommes distribuées et peut en disposer librement, à charge pour lui, de restituer le cas échéant aux nus- propriétaires des parts à la fin de l’usufruit, de sorte que les enfants [T] ne peuvent prétendre à aucune répartition des bénéfices du vivant de leur mère à moins qu’elle n’en décide autrement.

Elles ne partagent pas l’analyse des intimés qui considèrent, au visa de l’article 30-1 des statuts, que faute de vote sur la distribution des bénéfices, l’usufruitier n’aurait droit à aucune distribution, que ces derniers, dans leur assignation, ont invoqué uniquement une distribution insuffisante, affirmant également que ‘ ces sommes devaient effectivement lui revenir à raison des parts qu’elle possède dans la SCI’ , ce qui constitue un aveu judiciaire au sens de l’article 1383-2 du code civil,

Mme veuve [T] soutient, en outre, avoir établi deux chèques à ses enfants d’un montant respectif de 80.000 € et 26.000 € lesquels ont bien été encaissés, et correspondant à une partie du prix de vente du bien querellé, versements pourtant effectués en violation de ses droits d’usufruitière, de sorte qu’elle est fondée à leur en réclamer le remboursement.

Elle souligne la parfaite inertie de ses associés, nu-propriétaires, qui en leur qualité de porteurs de parts sociales, bénéficient intrinsèquement de tous les droits attachés à la qualité d’associé, qu’elle a financé elle-même sur ses fonds propres les frais générés par le fonctionnement de la SCI Gama et conteste avoir commis la moindre faute de gestion.

Elle s’oppose à la révocation de son mandat et à la désignation d’un administrateur provisoire, que les intimés ne justifient d’aucune cause légitime permettant de faire droit à une telle demande, que l’absence de reddition des comptes, qui n’avait jamais été réclamée auparavant, ne constitue pas en soi un péril imminent, ni des circonstances rendant impossible le fonctionnement de la société.

Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T], suivant leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 21 août 2023, demandent à la cour de:

Vu l’article 56 du code de procédure civile dans sa rédaction en vigueur au 24 juillet 2019,

Vu les articles 1844 et suivants du code civil,

Vu les statuts de la SCI Gama,

Réformer je jugement rendu le 31 mai 2021 en ce qu’il a condamné les concluants aux dépens et débouté Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] de l’ensemble de leurs prétentions, à savoir:

A titre principal,

– prononcer la nullité des opérations réalisées par Mme veuve [T] les 12 et 13 juin 2018, depuis le compte de la SCI Gama vers son compte personnel,

– condamner Mme veuve [T] à verser à SCI Gama la somme de 239.999, 44 €,

A titre subsidiaire,

– condamner Mme veuve [T] à payer à la SCI Gama la somme de 60.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manoeuvres frauduleuses opérées par cette dernière,

En tout état de cause,

– ordonner la révocation de Mme veuve [T] en sa qualité de gérante de la SCI Gama,

– désigner tel administrateur qu’il plaira à l’effet de convoquer une assemblée générale des associés pour procéder à la nomination d’un nouveau gérant,

– condamner Mme veuve [T] à payer à Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] la somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles de première instance ainsi qu’aux dépens,

Le confirmer pour le surplus notamment en ce qu’il a débouté Mme veuve [T] et la SCI Gama de leurs prétentions.

Se prévalant des articles 1853 et 1854 du code civil, ils concluent, à titre principal, à la nullité des actes passés par Mme veuve [T] en violation de l’article 30-1 des statuts de la SCI Gama, que le bénéfice des associés ne naît qu’à compter du jour où l’organe compétent a décidé de leur distribution et que Mme veuve [T] ne pouvait prélever des sommes directement sur le compte de la SCI pour se les attribuer en dehors de toute décision collective des associés l’autorisant à y procéder, quand bien même ces sommes devaient effectivement lui revenir en raison des parts qu’elle possède dans la SCI. Ils estiment que la circonstance que la SCI Gama soit une société familiale ayant fonctionné de manière empirique n’exonère pas le gérant de ses obligations et notamment de convoquer une assemblée générale afin qu’il soit statué sur la répartition des bénéfices et contestent enfin tout aveu judiciaire de leur part, retenu à tort par le premier juge.

A titre subsidiaire et au visa des articles 1843-5 et 1848 du code civil, ils sollicitent la condamnation de Mme veuve [T] à payer à la SCI Gama la somme de 60.000 € à titre de dommages et intérêts du fait des manoeuvres frauduleuses que celle-ci a accomplies au détriment de l’intérêt de la société les 12 et 13 juin 2018 lesquelles s’apparentent plus à un abus de confiance qu’à un acte de gestion, puisque elle a procédé au versement sur son compte personnel des fonds appartenant à la SCI Gama sans avoir reçu le moindre mandat à cet effet. Ils soulignent que les fonds de la vente litigieuse devaient non seulement servir à désintéresser les associés, à hauteur de leurs droits respectifs dans la société, mais surtout assurer le paiement des charges éventuelles de la SCI Gama, que cette contrariété à l’intérêt social est d’autant plus caractérisée qu’il existe, désormais un risque important pour la société de ne jamais pouvoir récupérer ces sommes.

Ils réclament, en tout état de cause, la révocation de Mme [E] veuve [T] en qualité de gérant et la nomination d’un administrateur provisoire en faisant valoir que:

– en application de l’article 1851 du code civil, le gérant peut être révoqué par les tribunaux, pour cause légitime, à la demande de tout associé, possibilité également prévue par les statuts de la SCI Gama,

– la cause légitime existe en l’espèce compte tenu d’une part, d’une mésentente évidente entre la gérante et les autres associés et d’autre part, des virements bancaires effectués par Mme veuve [T] au cours du mois 2018 et objets du présent litige,

– cette dernière, contrairement à ses affirmations, n’était pas fondée à procéder à ces versements, que si vendre un bien appartement à la société rentre dans le cadre de sa fonction de gérante, elle les avait consultés pour accord alors que s’agissant de l’affectation des bénéfices, les règles statutaires et légales n’ont pas été respectées,

– si l’usufruitier a droit aux bénéfices afférents aux droits sociaux qu’il détient , la notion de bénéfice s’entend du bénéfice distribué, à savoir la décision de distribution prise par les associés qui fait naître le droit de l’usufruitier, lequel ne peut faire valoir aucun droit sur les bénéfices en

instance d’affectation ou mis en réserve,

– Mme veuve [T] n’a jamais rendu compte de sa gestion aux associés, a toujours refusé de convoquer une assemblée générale et de redistribuer la part des bénéfices devant revenir aux deux autres associés de la SCI.

Ils s’opposent aux demandes reconventionnelles adverses, que si les chèques litigieux ont bien été émis à leur profit, les sommes ont été versées en vertu des droits qu’ils détiennent dans le capital de la SCI, de sorte qu’ils n’ont pas à les restituer.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 29 août 2023.

MOTIFS

Sur la nullité des actes passés par Mme [J] [E] veuve [T] les 12 et 13 juin 2018

Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] ont introduit la présente procédure, sollicitant à titre principal, au visa des articles 1852, 1853 et 1854 du code civil, la nullité des actes accomplis par leur mère et gérante de la SCI Gama en violation des statuts de cette société. Ils lui reprochent plus particulièrement d’avoir prélevé des sommes directement sur le compte de la société Gama et provenant de la vente d’un bien immobilier pour se les attribuer en dehors de toute décision collective des associés l’autorisant à y procéder.

Il n’est pas contesté que suite à l’acte de donation en date du 2 septembre 2005, Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] sont nus propriétaires de 965,25 parts sociales, chacun, leur mère détenant, quant à elle, l’usufruit sur 1.930,50 parts, outre la pleine propriété de 870,50 parts.

En vertu de l’article 1844 du code civil, dans sa version applicable au présent litige, ‘tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. Les copropriétaires d’une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d’eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent. Si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Les statuts peuvent déroger aux dispositions des deux alinéas qui précèdent’.

Les statuts ne dérogent aucunement à ses dispositions en ce qu’ils précisent ( page 13) que ‘ Si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire. Toutefois, le droit de vote appartient à l’usufruitier en ce qui concerne les décisions afférentes à la répartition des bénéfices’

S’agissant de l’objet social de la SCI Gama, l’article 2 rappelle que ‘ Cette société a pour objet:

– l’acquisition de tous biens immobiliers dont la société pourrait devenir propriétaire sous quelque forme que ce soit et notamment de ceux qui feront l’objet de l’apport ci-après,

– la gestion et l’administration de tous biens immobiliers dont la société pourrait devenir propriétaire sous quelque forme que ce soit et notamment de ceux qui feront l’objet de l’apport ci-après constaté,

– l’emprunt de tous les fonds nécessaires à la réalisation de ces objets,

– et plus généralement la réalisation de toutes les opérations se rattachant directement ou indirectement à cet objet, pourvu qu’elles aient un caractère civil ou qu’elles n’affectent pas le caractère civil de la société.’

L’article 17 relatif aux pouvoirs de la gérance énonce que:

‘ 17-1. Pouvoirs vis-à-vis des tiers:

Dans les rapports avec les tiers, le gérant jouit des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société et accomplir tous les actes contribuant à la réalisation de l’objet social, et il engage la société tout acte entrant dans cet objet (…)

17-2. Pouvoirs vis-à-vis des associés:

Dans les rapports entre associés, le gérant ou les gérants pourront accomplir tous les actes de gestion requis dans l’intérêt social (….) ‘.

A la lecture de ces dispositions, aucune stipulation ne limite les pouvoirs du gérant ou les actes qu’il accomplit au regard de l’objet social. De même, la vente d’un des immeubles gérés par la SCI Gama se rattache à l’objet social normal et les sommes dégagées, après paiement des frais, constituent des bénéfices sociaux.

Les intimés qui ne contestent pas le bien fondé de la décision de vente le bien litigieux, même en l’absence d’assemblée générale, ne sont pas davantage fondés à soutenir qu’en prélevant les sommes provenant de la vente de l’immeuble sur le compte de la SCI Gama pour se les attribuer en dehors de toute décision collective, Mme veuve [T] a commis une faute de gestion et exécuté à un acte contraire à l’objet social.

En effet, les intimés ne disposent d’aucun droit pour ce qui concerne l’affectation des bénéfices et leur mère possède l’ensemble des droits de vote en qualité d’usufruitière pour la répartition des bénéfices. En d’autres termes, les bénéfices distribués, qui constituent des fruits au sens civil du terme, lui reviennent intégralement sauf vote contraire de cette dernière. Les enfants [T], nus-propriétaires, ne peuvent prétendre à aucune répartition des bénéfices du vivant de leur mère, à moins que celle-ci n’en décide autrement.

L’acte de donation du 5 septembre 2005 rappelle clairement que le droit de vote est conféré à l’usufruitier en ce qui concerne l’affectation des bénéfices et que celui-ci aura droit aux bénéfices distribués et non aux bénéfices mis en réserve, attachés au nu-propriétaire.

Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] ne peuvent pas davantage soutenir que pour les actes querellés l’unanimité était requise, dès lors que :

– les statuts ne l’exigent que pour changer la nationalité de la société, pour transformer la société en une autre forme de société dans laquelle la responsabilité des associés se trouve aggravée ou pour augmenter les engagements d’un associés ( article 26-2)

– si en vertu l’article 1852 du code civil, les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises à l’unanimité, tel n’est pas le cas en l’espèce, le droit de vote concernant la répartition des bénéfices appartenant exclusivement à la gérante en sa qualité d’usufruitière qui n’a donc commis aucun acte excédant ses pouvoirs ou contraire à l’objet social de la SCI Gama.

L’article 30-1 des statuts invoqué par les intimés ne dérogent pas au fait qu’ils ne disposent d’aucun droit de vote en assemblée générale pour ce qui concerne l’affectation des bénéfices. Au demeurant, l’article 20 précise que les décisions collectives des associés ont notamment pour objet d’approuver les comptes sociaux, d’autoriser tout acte excédant les pouvoir de la gérance, de nommer et révoquer les gérants et de modifier les statuts de la société ou d’en transformer la forme juridique. Tel n’est pas le cas des opérations accomplies par Mme veuve [T] dont la nullité est réclamée. Celle-ci avait droit aux sommes qu’elle a virées sur son compte les 12 et 13 juin 2018 et n’avait pas à obtenir une décision collective des associés lesquels ne disposent d’aucun droit de vote sur cette question.

Le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] de leur demande principale en nullité des actes litigieux doit donc être confirmé.

La demande subsidiaire formée par les intimés tendant à la condamnation de leur mère à verser à la SCI Gama une somme de 60.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice social subi du fait des virements en date des 12 et 13 juin 2018 ne peut qu’entrer en voie de rejet, dès lors qu’au regard des développements qui précèdent, Mme [E] veuve [T] n’a commis aucune faute de gestion, ni aucun acte contraire à l’intérêt social. En effet, les opérations en cause ont été accomplis par elle par rapport aux droits qu’elle détient en vertu de ses parts sociales qui ne peuvent donc être qualifiées, comme le prétendent les intimés, de manoeuvres frauduleuses, aucune intention de nuire n’étant caractérisée, ni davantage un quelconque préjudice dès lors qu’en leur qualité de nus-propriétaires, ils ne peuvent prétendre à aucune répartition des bénéfices du vivant de leur mère.

Sur la révocation de Mme [J] [E] veuve [T] en qualité de gérante et la nomination d’un administrateur provisoire

Se prévalant de l’article 1851 du code civil, Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] sollicitent la révocation de Mme [E] veuve [T] en qualité de gérante.

En vertu de l’article 1851 alinéa 2 du code civil, le gérant est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.

Les statuts de la SCI Gama prévoient également cette possibilité de révocation du gérant par voie judiciaire dans les mêmes conditions ( article 16-5).

La cause légitime résulte de la violation de la loi ou des statuts par le gérant. Il peut également s’agir d’une mauvaise gestion de nature à compromettre l’intérêt social.

Il convient de rappeler que la cause légitime doit être appréciée en considération de l’intérêt de la société et non en raison d’un conflit entre associés qui n’affecte pas la société.

En l’occurrence, les intimés invoquent une mésentente entre la gérante et les deux autres de la SCI Gama. Cependant, ils ne justifient ni d’un blocage dans le fonctionnement de la société, ni d’une mauvaise gestion de Mme [E] veuve [T] compromettant l’intérêt social, les développements qui précèdent mettant en évidence qu’elle n’a accompli aucun acte contraire aux statuts ou à l’objet social de la société.

Ils font également grief à leur mère de ne pas avoir rendu compte de sa gestion au mépris de l’article 1856 du code civil. Il est toutefois établi qu’il s’agit d’une SCI familiale regroupant classiquement parents et enfants, que les intimés n’ont jamais réclamé ni la tenue d’une assemblée générale, ni des comptes à leur mère d’une manière ou d’une autre, celle-ci justifiant d’ailleurs qu’ils ne sont pas davantage inquiétés des dépenses générées par le fonctionnement de la SCI Gamma et qu’elle a financé les frais de changement du siège social et procédé au règlement des taxes foncières des biens de la société.

Comme l’a relevé à juste titre le tribunal, aucune démarche amiable de la part des intimés n’est justifiée avant l’assignation et la justice a été saisie avant l’expression même d’un conflit entre les parties alors les éléments invoqués par Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] résultent en réalité d’une mauvaise compréhension de leur part du démembrement des droits sociaux de la SCI Gama et du fait qu’en tant que nus-propriétaires, ils ne détiennent pas les mêmes droits que leur mère.

La cause légitime invoquée par les intimés ne peut être retenue en ce qu’elle ne peut pas coïncider avec leurs seuls intérêts en tant qu’associés mais doit s’apprécier en considération du seul intérêt de la société en tant qu’entité économique et juridique.

S’agissant de la nomination d’un administrateur provisoire, Mme [W] [T] épouse [G] et M. [P] [T] s’appuie sur l’article 16-7 des statuts qui stipulent que ‘ un nouveau gérant devra être nommé par la collectivité des associés convoquée d’urgence par le gérant démissionnaire ou à défaut et dans les autres cas, par un mandataire de justice nommé à cet effet à la requête de l’associé le plus diligent.’

Or, cet article ne vise que la désignation d’un mandataire ad’hoc chargé de convoquer une assemblée générale en vue de la désignation d’un nouveau gérant contrairement à la désignation d’un administrateur provisoire qui est en charge d’un mandat général de gestion.

La désignation d’un administrateur provisoire, mesure exceptionnelle, suppose que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent.

Les intimés ne font pas la démonstration d’un tel péril imminent, se contentant d’invoquer les virements effectués par leur mère en juin 2018 et l’absence de reddition des comptes, qu’ils n’ont d’ailleurs jamais réclamée et qui ne caractérisent pas une circonstance rendant impossible le fonctionnement normal de la société puisque celle-ci a toujours fonctionné ainsi, sans aucune remarque, ni observation de quiconque jusqu’à l’introduction de la présente procédure.

Cette demande ne peut donc qu’entrer en voie de rejet.

Sur les demandes reconventionnelles de Mme [J] [E] veuve [T]

Sur le fondement de la répétition de l’indu, Mme [J] [E] veuve [T] sollicite la condamnation :

– de M. [P] [T] à lui restituer la somme de 26.000 € sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,

– de Mme [W] [T] à lui restituer la somme de 80.000 € sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,

correspondant aux règlements qu’elle a fait en faveur de ses enfants au titre du prix de vente du bien litigieux, alors que ces sommes ne leur revenaient pas dès lors qu’en sa qualité d’usufruitière, elle a droit à l’intégralité des fruits et bénéfices.

L’action en répétition de l’indu appartient à celui qui a effectué le paiement, à ses cessionnaires ou subrogés ou encore à celui pour le compte et au nom duquel il a été fait.

Mme [J] [E] veuve [T] communique en pièces 21 et 22, la photocopie de deux chèques en date du 25 mai 2019 d’un montant respectif de 80.000 € et 26.000 € mais émis au nom de la SCI Gama.

Elle produit la photocopie du relevé de compte de la SCI Gama attestant que lesdits chèques ont bien été encaissés.

Or, Mme veuve [T] réclame le remboursement de ces sommes à son profit et non au bénéfice de la SCI Gamma qui a effectué les paiements. Elle ne rapporte pas la preuve que les fonds versés proviennent de ses deniers personnels et verse au dossier uniquement un ordre de virement interne de son compte en faveur de celui de la SCI Gama d’un montant de 600 € avec la mention manuscrite de sa part ‘ virement du compte personnel de Mme [T]sur le compte de la SCI Gama en raison des deux chèques émis le 25 mai 2019 à [T] [P] et [T] [W]’.

Elle ne peut, dans ces conditions, qu’être déboutée de ses demandes reconventionnelles.

En définitive, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

L’équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Vu l’article 696 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Laisse les dépens de la procédure d’appel à la charge de la SCI Gama et Mme [J] [E] veuve [T].

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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