Conflits entre associés : décision du 19 janvier 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/01123

Conflits entre associés : décision du 19 janvier 2023 Cour d’appel de Poitiers RG n° 22/01123

PC/PR

ARRÊT N° 31

N° RG 22/01123

N° Portalis DBV5-V-B7G-GRB6

S.A.R.L. PLANTEVIGNE-DUBOSQUET

C/

[T]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 19 JANVIER 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 mars 2022 rendu par le Conseil de Prud’hommes de SAINTES

APPELANTE :

S.A.R.L. PLANTEVIGNE-DUBOSQUET

N° SIRET : 342 817 111

[Adresse 3]

[Localité 2]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Olivier LOPES de la SELARL P. BENDJEBBAR- O. LOPES, avocat au barreau de SAINTES

INTIMÉ :

Monsieur [S] [T]

né le 01 avril 1991 à [Localité 5] (16)

[Adresse 4]

[Localité 1]

Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Patrick LAVAUD, avocat au barreau de SAINTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 28 septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 24 novembre 2022. A cette date le délibéré a été prorogé au 19 janvier 2023.

– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 1er octobre 2014, M. [S] [T] a signé avec la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet (exploitant une activité d’exploitation de propriétés rurales, de distillation de vins et de commerce de vins et spiritueux) un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’assistant de direction, moyennant une rémunération forfaitaire de 1 966 € brut par mois.

La S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet détient 90 % des parts sociales de la S.A.S. Premiers Grands Crus exploitant une activité de négoce de vins sur Internet, les 10 % restants étant détenus par M. [T] qui en était le gérant.

M. [T] s’est vu notifier son licenciement pour faute lourde par le gérant de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, par une LRAR du 5 mai 2020 ainsi motivée :

J’ai été amené à constater de graves manquements dans l’exercice de vos fonctions d’assistant de direction, poste que vous occupez au sein de la société Plantevigne-Dubosquet depuis le 1er octobre 2014.

J’ai d’abord fait l’amer constat que vous utilisez vos fonctions de gérant de la société Premiers Grands Crus, société fille de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, pour nuire aux intérêts de cette dernière.

Je vous rappelle en effet que la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet effectue des prestations de service pour la société Premiers Grands Crus dont elle détient 90 % du capital social.

Plus précisément, la société Premiers Grands Crus commercialise pour le compte de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet des vins et spiritueux en assurant l’animation et la maintenance technique de son site Internet, la logistique, le stockage et les livraisons de ses produits.

La rémunération des services rendus par la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet est calculée notamment sur la base des salaires de ses salariés affectés à l’activité de la société Premiers Grands Crus. Ainsi la société mère met à la disposition de la société fille ses forces commerciales, marketing et administratives et son expertise financière, qui sans celles-ci la société Premiers Grands Crus ne pourrait fonctionner.

La société Premiers Grands Crus n’a d’ailleurs pas de salarié.

Une convention entre les deux sociétés en date du 11 avril 2016 a ainsi été signée.

La somme due par la S.A.S. Premiers Grands Crus à la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet a atteint récemment 72 000 € représentant le coût des prestations de services assurées au cours des mois d’octobre 2019 à mars 2020 inclus, somme que vous refusiez de régler.

En votre qualité de gérant non salarié de S.A.S. Premiers Grands Crus, vous ne pouvez ignorer cette situation.

A plusieurs reprises, j’ai attiré votre attention sur la nécessité d’un règlement au plus vite des sommes dues à S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet afin de pouvoir assurer le paiement des salaires.

Par des courriels des 16 mars et 9 avril 2020 notamment, j’évoquais la situation particulièrement difficile de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet accentuée par l’actuelle crise sanitaire.

D’ailleurs, le 14 mars dernier, vous annonciez devant témoins le crash prochain des deux sociétés.

En outre la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet a procédé au recrutement à compter du 9 mars 2020 de M. [C] [I] en qualité de supply chain manager (gestionnaire de la chaîne logistique). Ses fonctions sont notamment de procéder aux achats de renouvellement, gérer le stock, coordonner la logistique.

Vous avez plusieurs fois exprimé votre désaccord avec cette embauche, l’estimant inutile, remettant même en cause les compétences de M. [I].

Ce recrutement est pourtant entièrement justifié, vous vous êtes plaint à plusieurs reprises d’avoir trop de travail et de ne pas pouvoir prendre de congés tout en menaçant de quitter l’entreprise.

Vous avez refusé que M. [I] prenne part à la préparation des commandes de la S.A.S. Premiers Grands Crus en lui ordonnant de sortir de l’entrepôt.

Vous avez aussi interdit à M. [I] l’accès au site de la S.A.S. Premiers Grands Crus en refusant de lui communiquer les codes d’accès.

Je vous ai moi-même demandé plusieurs fois ces codes.

Vraisemblablement vous refusiez de communiquer ces codes pour conserver votre capacité de nuisance, pour ne pas dire de chantage sur votre propre employeur.

Un an auparavant, en avril 2019, la société E-Brand avait dû rompre le contrat car vous refusiez de donner les codes d’accès au site commercial de la S.A.S. Premiers Grands Crus.

De manière générale vous manifestez une mauvaise volonté délibérée dans l’exécution de vos tâches.

Vous vous accaparez et ne transmettez pas l’ensemble des informations nécessaires au bon fonctionnement de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, en filtrant à votre profit exclusif les informations en provenance de l’extérieur (fournisseurs, agents, clients, rendez-vous…) en ne répercutant au gérant de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet qu’à votre bon vouloir.

De même, pendant quelques semaines, vous avez supprimé les codes d’accès à la banque LCL de la S.A.S. Premiers Grands Crus l’empêchant ainsi de suivre la trésorerie consolidée des deux sociétés, tâche indispensable pour le gérant que je suis et tâche que j’exerce depuis le 1er octobre 2014.

Par conséquent je vous notifie par la présente votre licenciement pour faute lourde car je ne peux pas m’empêcher de déduire de votre comportement que vous étiez animé d’une véritable intention de nuire…

M. [T] a, par acte reçu le 7 septembre 2020, saisi le conseil de prud’hommes de Saintes d’une action en contestation de son licenciement et en requalification de son statut professionnel.

Par jugement du 28 mars 2022, le conseil de prud’hommes de Saintes s’est déclaré matériellement compétent pour connaître du litige, a renvoyé l’affaire à une audience ultérieure et réservé les dépens.

La S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet a interjeté appel de cette décision selon déclarations transmises au greffe de la cour les 11 avril et 3 mai 2022 (instances enrôlées sous les n° 22-978 et 22-1123).

Par ordonnance du 13 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des deux instances sous le n° 22-1123.

L’affaire a, en application de l’article 85 alinéa 2 du C.P.C., été fixée à l’audience du 28 septembre 2022 à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions transmises les 22 septembre 2022 (S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet) et 26 septembre 2022 (M. [T]).

Au terme de ses conclusions remises et notifiées le 22 septembre 2022, la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet demande à la cour, réformant la décision entreprise en ce que le conseil s’est déclaré matériellement compétent pour connaître du litige qui lui était soumis, de dire qu’elle n’a pas été liée à M. [T] par un véritable contrat de travail, de débouter M. [T] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et la somme de 3 000 € au titre des frais exposés en cause d’appel, outre les entiers dépens.

Elle soutient, pour l’essentiel :

– qu’antérieurement à la signature du contrat de travail, M. [T] (petit-fils de l’épouse du gérant actuel de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet que ce dernier considérait comme son successeur) s’est vu céder, par acte authentique du 18 juin 2014, la nue-propriété de l’intégralité du capital social de la société dont il avait été nommé gérant par décision d’assemblée générale extraordinaire du 10 juin 2014,

– que M. [T] est ainsi actuellement plein propriétaire de 4 215 parts de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et nu-propriétaire des 12 185 autres parts, sous l’usufruit des époux [E],

– que par ailleurs, M. [T] dirige, depuis sa création en 2013, la S.A.S. Premiers Grands Crus ayant pour activité le commerce de vins, spiritueux, boissons et denrées alimentaires, société créée par la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et dont celle-ci détient 90 % du capital social,

– que le 11 avril 2016 a été signée une convention de prestation de services par laquelle la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet s’engageait à mettre au service de la S.A.S. Premiers Grands Crus ses forces commerciales et marketing, administratives et expertise financière, cette prestation devant faire l’objet de deux factures semestrielles d’un montant de 20 000 € par semestre, révisable à chaque début d’exercice,

– qu’un désaccord est apparu concernant le montant de la rémunération de ces prestations de services, en suite duquel M. [T] a décidé de paralyser le fonctionnement des deux sociétés, contraignant le gérant de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet à procéder à son licenciement pour faute lourde,

– que cependant, cette décision n’a été prise qu’à titre conservatoire et préventif dès lors qu’il n’existe en réalité aucune relation de travail entre M. [T] et la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, à défaut de caractérisation d’un quelconque lien de subordination,

– qu’une lettre de licenciement ou même les fonctions qu’occupaient M. [T] ne font pas en soi la démonstration d’un contrat de travail, non plus que les mentions du certificat de travail alors que le seul fait pour M. [E] d’être le seul responsable de la direction générale de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet n’implique pas ipso facto que M. [T] lui soit subordonné,

– que M. [T] occupait une place et des fonctions particulières au sein de la société dont il détenait l’intégralité du capital social et dont il avait été désigné gérant par délibération d’assemblée générale du 10 juin 2014,

– qu’il n’a été recouru au salariat qu’en vue pour M. [T] de disposer de revenus fixes et suffisants pour rembourser le prêt-vendeur ayant permis l’acquisition des parts sociales et conclure un prêt immobilier, M. [T] étant en réalité co-dirigeant de fait de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet,

– que la saisine du conseil de prud’hommes ne révèle rien d’autre qu’une querelle entre associés sur fond de querelle familiale au sujet de la gestion d’un patrimoine, M. [T] étant impatient de prendre l’entière direction de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et n’ayant pas accepté le projet d’augmentation du capital social de la S.A.S. Premiers Grands Crus, ni l’externalisation de la gestion du site internet ayant conduit au licenciement de son père, en suite duquel ce dernier a refusé de transmettre les codes d’accès nécessaires à la transformation et l’animation du site,

– que des négociations étaient alors engagées en vue d’un protocole d’accord dans le cadre desquelles M. [T] sollicitait attribution du droit de vote en assemblée générale extraordinaire pour se protéger d’une éventuelle augmentation de capital au sein de la S.A.S. Premiers Grands Crus et l’achat d’une voiture à son nom pour facturer des indemnités kilométriques et ainsi rembourser l’achat de la nue-propriété selon le plan établi, M. [T] précisant que cela est moins coûteux que d’augmenter son salaire pour rembourser la nue-propriété.

– que parmi les dépenses engagées par M. [T] dans l’intérêt de la société dont il a demandé le remboursement figurent des notes de restaurant, de téléphone et des indemnités kilométriques pour près de 27 000 €, ce qui démontre un rôle actif dans la direction de la société, bien au-delà de ses seules fonctions officielles de salarié, qu’en effet, il se conçoit mal qu’un simple associé, sans fonctions de direction ou de gestion, puisse engager des dépenses pour la société ; que si M. [T] a engagé des frais de déplacement en tant qu’associé dans l’intérêt de la société, c’est en raison d’un rôle actif dans la direction de celle-ci,

– qu’il résulte du compte-rendu d’entretien préalable (pièce 8 de l’intimé) que le pouvoir de subordination s’exerçait peu, voire pas du tout, M. [E] ayant déclaré, dans le cadre de l’entretien préalable, qu’il ne venait pas souvent et que M. [T] avait toute latitude,

– que la séparation entre les sociétés est totalement artificielle et n’a d’intérêt que comptable et fiscal, qu’en dirigeant la S.A.S. Premiers Grands Crus, M. [T] dirigeait forcément de fait la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, qu’il n’était pas rémunéré pour la gérance de la S.A.S. Premiers Grands Crus et vivait exclusivement des revenus que lui versait la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, ce qui tend à renforcer le caractère artificiel de la séparation entre les deux sociétés,

– que les quelques courriels produits par M. [T], portant sur une courte période limitée à l’année précédant son licenciement, sont insuffisants à établir que M. [T] recevait des instructions de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et tendent plutôt à démontrer que cette société était co-dirigée, ainsi que le révèle un courriel du 13 janvier 2019 par lequel M. [T] a sollicité l’avis et non l’autorisation de M. [E] pour fixer les prix et conditions de paiement d’un client,

– que l’absence de lien de subordination s’évince également de l’absence de sanction prise en suite du refus de communiquer les codes d’accès au prestataire de service mandaté pour l’optimisation du site internet,

– que M. [T] n’a pas accepté le fait que M. [E] prenait des décisions concernant la gestion commune des deux sociétés qu’il désapprouvait et qu’une telle réaction ne peut s’expliquer que par sa situation de gérant de fait de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet qu’il est impossible de déconnecter de la gérance de droit de la S.A.S. Premiers Grands Crus, qu’en effet, c’est parce qu’il dirigeait de fait la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet comme il dirigeait de droit la S.A.S. Premiers Grands Crus que M. [T] contestait les décisions de M. [E],

– que ce n’est qu’en réaction à un mail du 26 décembre 2019 en appelant à la conclusion du contrat de travail pour le raisonner que M. [T] a commencé à se comporter comme un salarié, sollicitant par exemple l’accord de M. [E] pour une prise de congés payés alors qu’il en avait toujours décidé seul et ne les comptabilisait même pas, en ayant accumulé 62,17 jours sur l’année 2018/2019 (bulletin de paie de février 2020)

– que les autres courriels ne traduisent qu’une nécessaire communication entre deux associés-dirigeants sur les décisions à prendre inhérentes à toute communauté de travail,

– que le courriel adressé par M. [E] à M. [T] après son départ brutal de l’entreprise faisant suite à la découverte du projet d’augmentation du capital social de la S.A.S. Premiers Grands Crus ne formule aucun reproche mais un simple regret,

– que les deux seuls courriels au ton comminatoire sont ceux du dernier trimestre 2019, en pleine crise de rébellion de M. [T] lorsque celui-ci manifestait son désaccord avec les choix stratégiques pris par M. [E], l’accusant d’obérer les finances de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, M. [E] tentant de le raisonner en mettant en avant sa qualité usurpée de salarié pour le contraindre à effectuer les tâches qui lui incombaient, ce qui ne traduit pas l’existence d’un quelconque lien de subordination,

– qu’en effet, même entre associés, il peut y avoir une hiérarchie et les rapports de force peuvent ne pas être strictement égalitaires et une inégalités des rapports ne traduit pas ipso facto un lien de subordination caractéristique d’une véritable relation de travail.

Par conclusions remises et notifiées le 26 septembre 2022, M. [T] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet à lui payer la somme de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés devant le conseil de prud’hommes et celle de 3 000 € au titre des frais exposés en cause d’appel, outre les entiers dépens, en soutenant, en substance :

– que le conflit d’associés qui est réel est cependant sans incidence sur la caractérisation d’un lien de subordination,

– qu’il n’a assumé la gérance de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet que du 10 juin au 17 juillet 2014,

– qu’il a régulièrement acquitté les échéances de paiement du prix d’acquisition des parts sociales de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet jusqu’en mars 2021, date à laquelle il a fait valoir l’exception d’abus de jouissance de l’usufruitier prévue par l’article 618 du code civil,

– qu’un conflit l’oppose effectivement, en sa qualité d’associé des deux sociétés, à M. [E] relativement à diverses opérations de gestion qu’il conteste, ayant justifié l’instauration, à sa demande, d’une expertise judiciaire de gestion à partir de laquelle M. [E] a mis en place une série d’opérations pour l’évincer des droits qu’il avait acquis et pour le licencier,

– qu’il ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel au sein de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet dès lors :

> que les époux [E] s’étaient réservés l’exercice exclusif du droit de vote aux assemblées générales attachées aux parts démembrées (représentant 74,30 % des parts totales),

> qu’il n’en était pas le gérant, ni de droit, ni de fait, fonction constamment exercée par M. [E] ainsi que le confirment tant le certificat de travail établi post-licenciement qui précise que sont exclues de ses fonctions la gestion financière et la gestion du personnel, y compris de direction générale dont M. [E] était seul responsable que de multiples courriels (pièces 28 à 68) qu’il a pu conserver comportant instructions, rappels à l’ordre, demandes d’informations de la part de M. [E] et, réciproquement, demandes d’accord adressées à celui-ci pour diverses opérations, tous éléments exclusifs de la caractérisation d’une gérance de fait,

– que les frais lui ayant été remboursés correspondent à des frais exposés sur trois ans comptabilisés par le gérant lui-même (pièce 16 de l’appelante, extrait du grand livre des comptes généraux),

– qu’aucun élément n’établit qu’il a exercé des pouvoirs excédant ceux qui lui étaient dévolus dans le cadre de son contrat de travail et que s’il s’est opposé à des actions de M. [E], c’est uniquement en sa qualité de gérant de la S.A.S. Premiers Grands Crus lorsque la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet s’est imaginée de lui facturer des prestations de services abusives, captant toute la trésorerie acquise,

– que de même son opposition à l’intervention d’un prestataire extérieur à la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet était motivée par le fait que les actions envisagées par le prestataire et M. [E] portaient sur la gestion commerciale de la S.A.S. Premiers Grands Crus dont il était gérant,

– que sont versés aux débats divers bulletins de salaire (pièces 70 à 74) démontrant que les congés payés étaient bien comptabilisés, étant rappelé que le solde de congés payés a été acquitté lors du licenciement.

MOTIFS

L’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité litigieuse, la relation de travail étant caractérisée par l’exécution d’une prestation, par le versement d’une rémunération en contre partie et par l’existence d’un lien de subordination.

S’il appartient à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence, à l’inverse, en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve.

Aux termes du contrat de travail du 1er octobre 2014, M. [T] a été engagé en qualité d’assistant de direction.

Si le contrat de travail ne précise pas les fonctions du salarié, l’employeur, gérant de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, a indiqué, dans le certificat de travail, que M. [T] était en charge de missions axées sur la gestion commerciale, la gestion des stocks, la gestion administrative, à l’exclusion de la gestion financière, de la gestion du personnel et de la direction générale, ce qui est corroboré :

– tant par l’attestation de Mme [O] [E], responsable communication, (pièce 43 de l’appelante) [S] [T] a quitté à deux reprises son poste de travail en pleine matinée sans préavis me laissant seule maître bord pour terminer le bon déroulement administratif des expéditions ainsi que la responsabilité du standard téléphonique qui ne relèvent pas de mes fonctions, conséquence une nouvelle fois d’une divergence d’opinion avec sa hiérarchie. Je me suis donc retrouvée dans la position très inconfortable d’avoir à réaliser sa mission en plus de mes tâches qui plus est de devoir rester des heures supplémentaires jusqu’à 18 heures pour assurer une présence,

– que par un mail du 7 mai 2019 (pièce 54 de l’intimé) adressé à M. [T] : Faute d’avoir une réponse à ma note budgétaire du 3 février, j’ai sorti un budget 2019/2020, ce qui rentre dans mes responsabilités de patron de PLD/PGCC… Pour le reste ressources humaines, coordination avec la banque, suivi de trésorerie, intervenants extérieurs, c’est aussi de ma totale responsabilité…

Au demeurant la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet conteste, non l’existence même de prestations de travail rémunérées mais celle d’un lien de subordination, exposant en substance que, compte-tenu des intérêts convergents des sociétés Plantevigne-Dubosquet et Premiers Grands Crus, des liens personnels existant entre MM. [E] et [T], pressenti pour succéder à celui-là à la tête de l’entreprise, M. [T] assurait de fait la co-direction de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet.

Il doit être rappelé que le lien de subordination qui constitue le critère essentiel du contrat de travail est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il doit en l’espèce être considéré :

– s’agissant des pouvoirs de M. [T] au sein de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et plus généralement au sein du groupe [E] :

> que M. [T] n’a exercé les fonctions de gérant de la société Plantevigne-Dubosquet que du 10 juin 2014 au 17 juillet 2014,

> que si M. [T] est plein propriétaire de 25,70 % des parts sociales de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et nu-propriétaire (sous l’usufruit des époux [E]) des 74,30 % restants, les époux [E] se sont réservés l’exercice exclusif du droit de vote aux assemblées générales, ordinaires et extraordinaires, attaché à ces parts sociales démembrées, conservant ainsi le contrôle et la direction de la société,

> que si M. [T] était gérant de droit de la S.A.S. Premiers Grands Crus, il n’en détenait que 10 % du capital social et ne disposait, en sa qualité de gérant de la S.A.S. Premiers Grands Crus, au sein du ‘groupe [E]’, que d’une autonomie toute relative ainsi qu’il résulte du mail du 4 avril 2019 (pièce 69 de l’appelant) adressé par M. [E] à partir de son compte mail Premiers Grands Crus : (dans le cadre de mes responsabilités, j’ai décidé de confier la gestion opérationnelle de notre site à la société eBrand Commerce à [Localité 6]. Je vous remercie de noter qu’à compter de ce jour, toutes les questions relatives à la gestion opérationnelle de notre site devront être traitées en liaison avec cette société… [O] [E], responsable marketing et communication de Plantevigne-Dubosquet/Premiers Grands Crus sera responsable opérationnelle et votre interface privilégiée pour toutes les questions relatives à cette gestion opérationnelle. Dans le même temps [S] va se concentrer sur la bonne gestion commerciale du site tout en assurant la coordination interne avec les autres services. Un poste à évolution rapide vers la responsabilité des opérations dans leur ensemble. Pour toutes les questions financières et comptables je continuerai, comme par le passé, à assurer ces fonctions. Je suis sûr que ces nouvelles dispositions Contribueront à dynamiser nos activités réciproques et je vous remercie de votre aide) et encore d’un mail adressé le 4 octobre 2019 de son compte mail Dubosquet (j’opère la facturation que j’entends faire. Je n’ai aucun compte à te rendre sur ces points dont je suis le seul responsable comme dans l’ensemble des sociétés de mon mini-groupe y compris PGC) et en outre d’un mail du 7 mai 2019 (pièce 54) : Faute d’avoir une réponse à ma note budgétaire du 3 février, j’ai sorti un budget 2019/2020, ce qui rentre dans mes responsabilités de patron de PLD/PGCC… Pour le reste ressources humaines, coordination avec la banque, suivi de trésorerie, intervenants extérieurs, c’est aussi de ma totale responsabilité et je n’ai pas pour le moment à me justifier de prendre telle ou telle décision.

> que les liens personnels entre MM. [E] et [T], le projet de transmission de l’entreprise au profit de M. [T], les fonctions de celui-ci au sein de la S.A.S. Premiers Grands Crus et l’existence d’un conflit entre associés ne sont pas en eux-mêmes exclusifs d’une relation de travail salarié, compte’tenu de l’économie des relations entre MM. [E] et [T] telle que ci-dessus décrite,

– s’agissant de l’exercice effectif de pouvoirs d’instruction, de contrôle et de sanction : que M. [T] verse aux débats (pièces 28 à 69) une quarantaine de mails échangés avec M. [E], sur une période comprise janvier 2015 et avril 2020, établissant l’exercice par M. [E] de prérogatives d’employeur, en termes :

> tant de directives données à M. [T] au sujet de la fixation des tarifs nationaux et internationaux, de ristournes et conditions de règlement spéciales et personnalisées, d’instructions sur la politique commerciale, le packaging et le merchandising, de demandes de communication de factures de fournisseurs,

> que de contrôle et sanction (positive ou négative) de son activité, dont :

* un mail du 12 décembre 2018 adressé à l’expert-comptable et à M. [T] en copie (pièce 53) : Je viens de te mettre en cc d’un mail envoyé pour modification du bulletin de salaire de [S] [T] à compter du 0112/2018. C’est un juste retour et récompense de ses résultats depuis la date de son entrée chez Plantevigne-Dubosquet …

* un mail du 26 décembre 2019 (pièce 29) : dans le cadre de ta position de salarié de PLD dont la filiale à 90 % est PGC, je te remercie de bien vouloir exécuter les instructions que je t’ai données par mail il y a 48h au sujet du stock de PGV. Tout manquement à cet ordre serait considéré comme une faute grave…

* un mail adressé le 12 février 2019 à M. [T] (pièce 49) : je note depuis ce matin 12 février 2019, 11 heures, ton absence sur ton lieu de travail et je note également et je le regrette que tu ne m’aies pas avisé de cette absence non motivée. J’en prends acte. Ce message est envoyé par email et le sera séparément par courrier recommandé.

Il en résulte que M. [T] ne disposait que d’une autonomie – restreinte et contrôlée – limitée aux fonctions visées au contrat de travail et ne peut être considéré comme ayant, pendant tout ou partie de la période litigieuse, exercé des fonctions de (co)dirigeant de fait de la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet, exclusive de la reconnaissance de la qualité de salarié.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu l’existence d’un contrat de travail entre M. [T] et la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet et, subséquemment, la compétence matérielle du conseil de prud’hommes pour statuer sur la rupture de cette relation.

L’équité commande de condamner la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet à payer à M. [T], en application de l’article 700 du C.P.C., la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

La S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet sera condamnée aux entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Saintes en date du 28 mars 2022,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

– Condamne la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet à payer à M. [T], en application de l’article 700 du C.P.C., la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par lui exposés en cause d’appel,

– Condamne la S.A.R.L. Plantevigne-Dubosquet aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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