Conflits entre associés : décision du 19 décembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/06822

Conflits entre associés : décision du 19 décembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 22/06822

1ère Chambre

ARRÊT N°360

N° RG 22/06822

N° Portalis DBVL-V-B7G-TJIO

M. [W] [N]

S.A.R.L. [N]

C/

M. [T] [N]

M. [C] [Y]

S.E.L.A.R.L. LH & ASSOCIES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 6 juin 2023 tenue en double rapporteur sans opposition des parties, par Mme Véronique VEILLARD, présidente de chambre entendue en son rapport, et Mme Caroline BRISSIAUD, conseillère

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 19 décembre 2023 par Mme Véronique VEILLARD substituant la présidente empêchée, par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 19 septembre 2023 à l’issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [W] [N]

né le 24 Décembre 1960 à [Localité 37] (29)

[Adresse 40]

[Localité 37]

Représenté par Me Olivier BICHON de la SELARL ANTELIA CONSEILS, avocat au barreau de NANTES

La société [N], SARL immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Brest sous le n°450.093.422, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 36]

[Localité 37]

Représentée par Me Olivier BICHON de la SELARL ANTELIA CONSEILS, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉS :

Monsieur [T] [N]

né le 29 Mai 1964 à [Localité 34] (29)

[Adresse 40]

[Localité 37]

Représenté par Me Pascal LE FRIANT de la SELARL LE FRIANT AVOCAT CONSEIL & FISCALITE, avocat au barreau de QUIMPER

Monsieur [C] [Y]

né le 09 Mars 1969 à [Localité 34] (29)

[Adresse 35]

[Localité 37]

Représenté par Me Pascal LE FRIANT de la SELARL LE FRIANT AVOCAT CONSEIL & FISCALITE, avocat au barreau de QUIMPER

La S.E.L.A.R.L. LH & ASSOCIES représentée par Me [P] [F] mandataire judiciaire exerçant [Adresse 8], agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire du GAEC DE LA LANDE dont le siège social est [Adresse 36]

Représentée par Me Jacques MORVAN, avocat au barreau de BREST

FAITS ET PROCÉDURE

1. De longue date, la famille [N] exerce diverses activités dans le secteur agricole sur la commune de [Localité 37].

2. Les trois frères [A] [N], [W] [N] et [T] [N] ont constitué entre eux :

– le Gaec de la Lande immatriculé en 1983 regroupant les activités de maraîchage et de production laitière réparties sur trois sites :

– aux lieudits [Localité 33] (maraîchage) et [Localité 39] (lait)

– au lieudit Kerzu (stabulation génisses pour la production laitière)

– au lieudit Kerfraval (maraîchage)

– la sarl [N] constituée en 2003, ayant pour gérant [W] [N], et dont l’objet est le ‘soutien aux cultures’, notamment la collecte de la production laitière du Gaec de la Lande et d’autres producteurs laitiers pour une livraison à la SAS Christian Faure Entreprise qui produit les crêpes ‘WAHOU’.

3. Les activités du Gaec de la Lande ont été conduites :

– historiquement par M. [A] et [W] [N] pour la production laitière,

– par [T] [N] et [C] [Y] pour l’activité légumière.

4. Le Gaec de la Lande a investi de manière conséquente dans l’activité laitière en 2014, notamment par l’acquisition de robots de traite.

5. [A] [N] est décédé le 28 novembre 2015.

6. Le conflit entre [W] [N] et [T] [N] s’est cristallisé.

7. Les héritiers de [A] [N] sont venus aux droits de leur père sans toutefois revendiquer la qualité d’associé et exprimant leur souhait de céder leurs parts sociales.

8. Le Gaec de la Lande a dès lors compté les trois associés suivants : [W] et [T] [N] et [C] [Y].

9. Le capital est réparti de la manière suivante :

– [W] [N] 4100 parts

– [T] [N] 4100 parts

– [C] [Y] 1500 parts

– Indivision successorale 4100 parts

TOTAL 13800 parts

10. Les trois associés ont exercé conjointement les fonctions de gérant.

11. L’instance en rachat des parts sociales du Gaec de la Lande a, à la suite de l’échec de la conciliation menée par M. [H], expert agricole, été initiée le 26 novembre 2020 par l’indivision successorale contre [W] [N] et [T] [N], [C] [Y] et le Gaec de la Lande pour obtenir le prix de 22 € la part, soit la somme de 90.200 € et est en cours.

12. La sarl [N] a quant à elle racheté à l’indivision successorale ses parts sociales et a réduit son capital en conséquence suivant délibérations des associés du 19 décembre 2018 de sorte que le capital de la sarl [N] est réparti de la manière suivante :

– [W] [N] 416 parts

– [T] [N] 192 parts

– Total 608 parts

13. Dénonçant des opérations litigieuses au sein de la sarl [N], [T] [N] a obtenu par ordonnance du 15 mai 2019 du président du tribunal de commerce rendue sur le fondement de l’article L. 223-37 du code de commerce, une expertise de gestion de la sarl [N] confiée à [V] [S], expert judiciaire, qui a rendu son rapport le 31 janvier 2020 et a conclu que compte tenu des agissements de [W] [N], la sarl [N] s’était appauvrie notamment au profit de [W] [N].

14. Dénonçant à son tour des avantages consentis par la sarl [N] au Gaec de la Lande, [W] [N] et la sarl [N] ont à leur tour obtenu par ordonnance du 2 novembre 2020 du président du tribunal judiciaire de Brest une expertise confiée au même expert M. [S] qui a rendu son rapport le 16 avril 2021 et a constaté les irrégularités suivantes :

– retraits d’espèces sur le compte du Gaec de la Lande pour des montants supérieurs au fonds dont l’affectation a été établie, l’écart injustifié étant évalué à la somme de 3.845 €,

– financement par la sarl [N] au bénéfice du Gaec de la Lande sans recevoir de contrepartie des investissements extérieurs à son objet, à hauteur d’une somme contestée de 148.108 €,

– utilisation de matériels de la sarl [N] sans paiement d’un loyer,

– absence de facturation par la sarl [N] à son client la sas Christian Faure Entreprises du prix du transport de la production laitière du Gaec de la Lande, de sorte que cette société a servi à ce dernier un prix du lait supérieur de 4 centimes par litre à celui payé par elle à l’ensemble des autres producteurs, ce dont il résulterait un manque à gagner pour la sarl [N] d’un montant de 289.188 € HT.

15. Avec l’assistance du cabinet ORCOM, expert-comptable de la sarl [N], et au regard des pièces comptables communiquées dans le cadre de l’expertise judiciaire, [W] [N] a soutenu avoir décelé de nouvelles anomalies dans la gestion du Gaec et s’être interrogé sur :

– la comptabilisation d’indemnités maladie journalières, devant de son vivant bénéficier à M. [A] [N], au compte courant d’associé de M. [T] [N],

– un partage en la défaveur de [W] [N] de sommes figurant au compte courant commun d’associés,

– une évolution de la main-d”uvre inexpliquée,

– une augmentation significative des retraits d’espèce.

16. Par courriel du 7 avril 2021, les appelants ont sollicité du juge chargé du contrôle des expertises l’extension de la mission de l’expert judiciaire à ces points litigieux, demande à laquelle [T] [N] et [C] [Y] se sont opposés. [W] [N] et la sarl [N] ont été invités à procéder par voie d’assignation nouvelle.

17. Par décision de la collectivité des associés du 4 mai 2021, M. [W] [N] a été révoqué de ses fonctions de gérant du Gaec de la Lande et en a été exclu.

18. Afin de garantir le recouvrement de la somme de 449.714 € qu’elle estimait devoir lui revenir, la sarl [N] a été autorisée par ordonnance du 19 mai 2021 à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires du Gaec de la Lande.

19. Le 8 juin 2021, [W] [N] a assigné à date fixe le Gaec de la Lande et les associés aux fins d’annulation des délibérations de l’assemblée générale du 4 mai 2021 mais s’est désisté de son instance en raison de la liquidation judiciaire.

20. Par ordonnance du 9 juin 2021, la même juridiction a autorisé la sarl [N] à constituer à titre conservatoire une hypothèque provisoire sur un certain nombre de parcelles et autres bâtiments appartenant au Gaec sur les communes de [Localité 37] et [Localité 41] pour garantir le paiement de la somme de 100.000 €.

21. Le 1er juillet 2021, cette hypothèque judiciaire provisoire a été enregistrée au service de la publicité foncière de Brest sous la référence vol. 2021 n° 05712.

22. Le dépôt de cette inscription hypothécaire a consécutivement été dénoncé au Gaec de la Lande par voie d’huissier le 9 juillet 2021.

23. Enfin par ordonnance du 22 juin 2021, la sarl [N] a été autorisée à faire pratiquer une saisie conservatoire sur la totalité du cheptel bovin et sur d’autres biens corporels appartenant au Gaec, pour garantir le paiement de la somme de 449.714 €. Cette mesure a été exécutée le 5 juillet et dénoncée au Gaec de la Lande le 7 juillet 2021.

24. Par acte du 31 juillet 2021, la sarl [N] a assigné le Gaec de la Lande devant le tribunal judiciaire de Brest en paiement de la somme de 449.713,72 €.

25. [T] [N] et [C] [Y] ont déclaré l’état de cessation de paiement du Gaec de la Lande et par jugement du 27 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Brest a constaté cet état de cessation des paiements du Gaec de la Lande, prononcé sa liquidation judiciaire, ordonné la poursuite des activités et désigné la sarl LH et Associés en qualité de mandataire liquidateur.

26. L’instance a toutefois été interrompue à l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire à l’égard du Gaec de la Lande. La sarl [N] a déclaré sa créance le 16 décembre 2021. Le 4 janvier 2022, la sarl [N] a assigné en intervention forcée le mandataire liquidateur du Gaec de la Lande tandis que [T] [N] et [C] [Y] sont intervenus volontairement. L’affaire est pendante devant le juge de la mise en état.

27. Parallèlement, le cabinet Orcom a produit le 30 novembre 2021 son rapport d’audit étayé de diverses pièces concernant les irrégularités comptables observées dans les comptes sociaux du Gaec de la Lande.

28. Sur la base de ces éléments, par actes des 17 mars 2022, [W] [N] et la sarl [N] ont assigné [T] [N], [C] [Y] et la selarl LH et Associés mandataire du Gaec de la Lande aux fins d’expertise judiciaire des anomalies comptables.

29. En parallèle, par jugement du 29 avril 2022, le tribunal judiciaire de Brest a arrêté le plan de cession de la liquidation judiciaire du Gaec de la Lande en :

– écartant l’offre de reprise déposée par [M] [N] et [Z] [N], fils de [T] [N],

– retenant l’offre de reprise déposée par [W] [N] et ses fils [O] et [D] [N] et la sarl [N],

– ordonnant la cession de tous les baux ruraux au profit des repreneurs à l’exception du bail de Mme [J] [X].

30. Et par arrêt du 9 août 2022, la cour d’appel de Rennes a :

– rejeté la jonction de la procédure 22/03936 (rectification d’erreur matérielle du jugement du 29 avril 2022 par suite d’omission de parcelles) à la procédure comme n’ayant pas été demandée,

– déclaré irrecevables les appels interjetés par le Gaec de la Lande, [T] [N], en sa qualité de gérant du Gaec de la Lande, et [C] [Y], [Z] [N] et [M] [N],

– infirmé le jugement en ce qu’il a transféré au profit de [D], [O] et [W] [N] ainsi que la sarl [N] les baux portant sur les terres suivantes :

– commune de [Localité 42] : ‘[Adresse 38]’, Consorts [G], section A [Cadastre 2], [Cadastre 3] A, [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 13], [Cadastre 17], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 29], [Cadastre 30], [Cadastre 31], [Cadastre 32], [Cadastre 21], [Cadastre 6], [Cadastre 7],

– commune de [Localité 37] : [Adresse 1], [L] [K], section C [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12],

– [Localité 39] [Localité 33], [T] [N], section B [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16],

– statuant à nouveau

– attribué à [M] et [Z] [N] les baux ruraux portant sur ces terres,

– rejeté les autres demandes des parties,

– dit qu’en application des dispositions des articles L. 642-4 et R. 661-7 du code de commerce, la présente sera notifiée aux parties et au procureur général à la diligence du greffier de la cour dans les huit jours de son prononcé et que les personnes mentionnées au 4° de l’article R. 661-6 du code de commerce en seront informées, et qu’une copie de la présente décision sera transmise dans les huit jours de son prononcé au greffier du tribunal judiciaire de Brest pour l’accomplissement des mesures de publicité prévues par l’article TR 621-8 du code de commerce,

– condamné [Z] et [M] [N] et la sarl [N] aux dépens d’appel à payer à [T] [N], [L] [K] et [U] et [R] [G] la somme globale de 4.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamné [Z] et [M] [N] et la sarl [N] aux dépens d’appel.

31. Statuant sur les mérites de l’assignation du 17 mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Brest a, par ordonnance du 31 octobre 2022 :

– rejeté l’exception d’incompétence du juge des référés soulevée par [T] [N] et [C] [Y],

– déclaré irrecevable la demande d’expertise de [W] [N] et de la sarl [N],

– condamné [W] [N] et la sarl [N] à payer à [T] [N] et à [C] [Y], respectivement, les sommes de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– condamné [W] [N] et la sarl [N] aux dépens, recouvrés par la selarl Le Friant Avocat Conseil et Fiscalité.

32. [W] [N] et la sarl [N] ont interjeté appel par déclaration du 23 novembre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

33. [W] [N] et la sarl [N] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 28 avril 2023 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance ayant retenu la compétence du juge des référés du tribunal judiciaire de Brest pour statuer sur leurs demandes,
– infirmer l’ordonnance en ce qu’elle :

– a déclaré irrecevable leur demande d’expertise,

– les a condamnés à payer à MM. [N] et [Y] la somme de 1.500 € chacun au titre des frais irrépétibles,

– les a condamnés aux dépens.

– statuant à nouveau,

– juger que le principe de concentration des moyens n’a pas vocation à s’appliquer à l’égard de leurs demandes,

– en conséquence,

– les déclarer recevables en leurs demandes,

– désigner tel expert judiciaire qu’il lui plaira avec pour mission de :

1. convoquer les parties,

2. se rendre en tous lieux, siège sociaux ou locaux d’exploitation, y compris les domiciles des personnes ou seraient détenus les biens ou les documents du Gaec de la Lande,

3. se faire communiquer tous documents échangés entre les personnes précitées entre elles ou avec des tiers,

4. se faire communiquer ou examiner les comptes sociaux, les documents comptables, les pièces justificatives, le secrétariat juridique, les contrats de travail et registres de personnel, ainsi que toutes pièces permettant de déterminer les conditions des opérations de gestion et anomalies identifiées dans le rapport du cabinet d’expertise comptable ORCOM du 30/11/2021,

5. dire si des fautes ont été commises et par qui,

6. fixer le préjudice subi par M. [W] [N], par la sarl [N] et/ou par le Gaec de la Lande,

7. entendre les parties en leurs explications ainsi que tous sachants,

8. dire que les constatations et avis de l’expert seront consignés dans un rapport qui sera déposé au greffe du tribunal judiciaire de Brest dans un délai de six mois de sa saisine,

9. fixer la provision à consigner au greffe à titre d’avance sur les honoraires de l’expert dans tel délai de l’ordonnance à venir,

– réserver les dépens.

34. MM. [T] [N] et [C] [Y] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 28 avril 2023 aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

– réformer l’ordonnance en ce qu’elle rejeté leur exception d’incompétence,

– débouter M. [W] [N] et la sarl [N] de leurs demandes,

– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a :

– déclaré irrecevable la demande d’expertise,

– condamné [W] [N] et la sarl [N] à leur payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné les mêmes aux dépens recouvrés par la recouvrés par la selarl Le Friant Avocat Conseil et Fiscalité,

– y additant,

– condamner solidairement M. [W] [N] et la sarl [N] à leur payer chacun la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner solidairement aux dépens recouvrés par la selarl Le Friant Avocat Conseil et Fiscalité.

35. La selarl LH & Associés, mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire du Gaec de la Lande expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 2 février 2023 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

– confirmer l’ordonnance ayant retenu la compétence du juge des référés,

– l’infirmer pour le surplus,

– statuant à nouveau,

– écarter la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance de référé du 2 novembre 2020,

– déclarer recevable la demande d’expertise formée par M. [W] [N] et la sarl [N],

– lui décerner acte de ce qu’elle n’a pas de moyen opposant à cette demande d’expertise avec désignation d’un expert et détermination de la mission sollicitée par les appelants dans leurs conclusions,

– réserver les dépens.

36. L’instruction de l’affaire a été déclarée close le 2 mai 2023.

37. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE L’ARRÊT

1) Sur la compétence du juge des référés

38. L’article 789 du code de procédure civile dispose que ‘Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

[‘]

5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction [‘].’

39. L’article 145 du même code dispose que ‘S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.’

40. La notion d’avant tout procès suppose que le juge du fond doit être saisi du procès en vertu duquel l’expertise a été sollicitée.

41. En l’espèce, il est constant que suivant acte d’huissier de justice du 8 juin 2021, [W] [N] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Brest, [T] [N], [C] [Y] et le Gaec de la Lande aux fins de voir annuler la 4ème résolution des délibérations de l’assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2021 du Gaec de la Lande portant exclusion de [W] [N] en sa qualité d’associé ainsi que la 8ème résolution portant révocation de [W] [N] en sa qualité de gérant du Gaec de la Lande. L’instance est à ce jour pendante et la mise en état est en cours.

42. Si toutes les procédures concernant le Gaec de la Lande, la sarl [N] et leurs associés procèdent d’un même conflit entre associés, spécialement entre [W] [N] et [T] [N], il n’y a toutefois pas d’identité de parties ni de cause entre cette affaire en annulation de délibérations prises par les instances dirigeantes et la présente affaire ayant trait à la recherche de fautes de gestion reprochées à [T] [N] dans le cadre de sa cogérance du Gaec de la Lande.

43. S’agissant de l’assignation du 31 juillet 2021, la sarl [N] a assigné le Gaec de la Lande devant le tribunal judiciaire de Brest en paiement de la somme de 449.713,72 €, ayant préalablement fait constituer des sûretés sur les comptes bancaires et sur le cheptel du Gaec de la Lande.

44. Là encore, il n’y a pas d’identité de parties ni de cause entre cette affaire visant à l’obtention par la sarl [N] d’un titre exécutoire actant du principe et de l’exigibilité de sa créance, nécessaire à la conversion des sûretés conservatoires en sûretés définitives, et celle ayant trait à la recherche de fautes de gestion reprochées à [T] [N] dans le cadre de sa cogérance du Gaec de la Lande.

45. Aucune assignation en responsabilité pour fautes de gestion n’était délivrée à la date de la demande de complément d’expertise qui seule aurait été de nature à entraîner la compétence du juge de la mise en état saisi de l’affaire.

46. En conséquence, c’est à juste titre que l’ordonnance a rejeté l’exception d’incompétence du juge des référés.

47. Elle sera confirmée sur ce point.

2) Sur la recevabilité de la demande

48. Alléguant avoir découvert à la faveur des opérations d’expertise de nouvelles anomalies dans la gestion du Gaec de la Lande, [W] [N] et la sarl [N] ont sollicité le 7 avril 2021 du juge chargé du contrôle des expertises une extension de la mission confiée à M. [S] par ordonnance antérieure du 2 novembre 2020, lequel, en l’absence de décision d’extension, a rendu son rapport le 16 avril 2021 en constatant les irrégularités ci-dessus énoncées.

49. [W] [N] et la sarl [N] soutiennent que le principe de la concentration des moyens ne s’applique pas dès lors qu’ils n’ont eu connaissance des documents comptables qu’au cours des opérations d’expertise et n’ont pu les faire exploiter utilement qu’après le dépôt du rapport.

50. [T] [N] et [C] [Y] soutiennent que les documents qui fondent les allégations de [W] [N] étaient connus d’eux avant l’ordonnance du 2 novembre 2020, que celui-ci était cogérant et les a communiqués à l’expert et que la mission de l’expert concernait en tout état de cause sans exception tous les documents comptables, documents sociaux, pièces justificatives, de sorte que la demande se heurte au principe de la concentration des moyens.

51. De fait, il résulte des constatations de l’expert que le cabinet Cogedis, expert-comptable de la sarl [N], a communiqué à l’expert par courriel du 24 octobre 2019 d’une part, les liasses fiscales du Gaec de la Lande pour les exercices clos du 30 juin 2012 au 30 juin 2018 et d’autre part, un état des immobilisations du Gaec de la Lande pour la même période. Il lui a également communiqué par courriels des 12 et 13 novembre 2019 les grands livres du Gaec de la Lande pour les mêmes exercices.

52. Néanmoins, par courrier et courriel du 7 avril 2021, le conseil des appelants a sollicité du juge chargé du contrôle des expertises une extension de la mission de l’expert aux anomalies dernièrement mises en évidence, expliquant que [W] [N] n’avait pas un accès direct aux factures et à la comptabilité du Gaec qui se trouvaient sur le site de Kerfraval où il n’était pas le bienvenu.

53. Il y était dénoncé :

– une anomalie quant à la comptabilisation des indemnités journalières de [A] [N] qui n’étaient plus inscrites dans son compte-courant d’associé à compter de mai 2015,

– un partage de sommes du compte courant commun en défaveur de [W] [N],

– une augmentation inexpliquée des retraits en espèces et une augmentation du recours à des saisonniers.

54. Il était également formé une demande de report du dépôt du rapport définitif d’expertise judiciaire.

55. Le conseil des appelants avait du reste adressé un dire à l’expert le 6 avril 2021 en sollicitant l’expertise de ces anomalies, qui lui était refusée par l’expert qui, à juste titre, indiquait qu’il était nécessaire de s’en remettre à la décision du président du tribunal judiciaire sur ce point.

56. A la suite d’une réunion du 20 septembre 2021 dont il n’est pas contesté qu’elle s’est tenue devant le juge chargé du contrôle des expertises et a été organisée en vue de conférer de la question de l’extension de la mission de l’expert, il a été demandé à [W] [N] et à la sarl [N] une analyse comptable des nouvelles anomalies, ce qui a été fait par le cabinet Orcom qui a rendu un rapport d’audit le 30 novembre 2021 confirmant ces nouvelles anomalies.

57. Il s’évince de ces observations qu’il n’apparaît pas que la demande d’extension d’expertise formée dès le 7 avril 2021 ait donné lieu à une ordonnance de rejet. Il n’apparaît pas non plus, quand bien même cette demande pouvait être incomplète, qu’ait été examinée l’éventualité d’un différé du dépôt du rapport de M. [S] après le dépôt de l’analyse du cabinet d’expertise-comptable.

58. Le rapport définitif d’expertise judiciaire de M. [S] a de fait été clôturé le 16 avril 2021 sans que ces anomalies aient pu être expertisées ‘ ni du reste que les réponses aux questions aient été apportées par [T] [N] ‘, à tout le moins qu’une décision ait été prise quant au sort à leur réserver.

59. Ces faits étaient pourtant bien dénoncés dès le 7 avril 2021 au juge chargé du contrôle des expertises, c’est-à-dire dans le cadre de l’expertise initiale et avant que le rapport définitif ne soit déposé.

60. Cette demande d’extension d’expertise n’a pas fait l’objet d’une décision de rejet tandis que l’analyse par un expert-comptable, telle que sollicitée à l’issue de la réunion du 20 septembre 2021, a bien été diligentée et a donné lieu à un rapport déposé le 30 novembre 2021.

61. Il s’évince de ces observations que le reproche du défaut de concentration des moyens ne saurait en conséquence être retenu à l’égard d’une demande présentée en temps utile avant la clôture des opérations d’expertise et restée sans réponse.

62. La demande de [W] [N] et de la sarl [N] est recevable.

63. L’ordonnance sera infirmée sur ce point.

3) Sur la prescription

64. Les intimés soutiennent que l’assignation ayant été délivrée le 25 avril 2022, les faits antérieurs au 25 avril 2017 ne peuvent justifier une demande d’expertise.

65. L’article 2224 du code civil énonce que ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.’

66. En application de ce texte, le point de départ de la prescription est la date de connaissance des faits permettant d’exercer un droit.

67. En l’espèce, l’accès aux documents comptables n’équivaut pas à la connaissance des anomalies ou fautes de gestion alléguées. Du reste, [T] [N] et [C] [Y], eux-mêmes cogérants du Gaec de la Lande, échouent à démontrer que [W] [N] et la sarl [N] avaient connaissance dès l’établissement des documents comptables qu’ils pouvaient receler en eux-mêmes des preuves de fautes de gestion, étant ajouté qu’il est improbable que l’expert-comptable les dénonce lui-même

68. L’accès à ces documents, découlant de la qualité de cogérant, ne permet pas plus de retenir, au stade d’une demande d’expertise, que [W] [N] et la sarl [N] auraient dû connaître les fautes de gestion puisque précisément, seule l’expertise judiciaire a permis de mettre en évidence dans le cadre d’une cogérance à trois têtes un premier ensemble de fautes conduisant à suspecter de nouvelles anomalies, le tout sans préjudice des éventuels propres manquements de chacun des gérants notamment dans les processus de convocation des assemblées générales.

69. Sous le bénéfice de ces observations, l’action n’est pas prescrite.

4) Sur l’intérêt à agir

70. [W] [N] et la sarl [N], demandeurs à l’expertise, font état d’irrégularités dans l’affectation d’indemnités journalières maladie de [A] [N].

71. [T] [N] et [C] [Y] estiment qu’ils n’ont pas d’intérêt à agir s’agissant d’indemnités journalières ne les concernant pas, que sur le fond, [T] [N] conteste avoir bénéficié d’indemnités journalières destinées à être versées à son frère, aujourd’hui décédé, que l’affectation desdites indemnités journalières au crédit du compte courant d’associé de [A] [N] ou de [T] [N] n’affecte en rien les droits de M. [W] [N] et de la sarl [N], que l’erreur d’affectation, si elle existe, n’aggrave en rien le passif du Gaec de la Lande. [A] [N] et [T] [N] étant tous les deux créanciers chirographaires du Gaec de la Lande.

72. Or, [W] [N] est associé du Gaec de la Lande. En cette qualité, il est bien fondé à connaître le fonctionnement des comptes courants de chacun des associés, dont celui de [A] [N] et de [T] [N]. Par ailleurs, la sarl [N] est créancière du Gaec de la Lande et elle est pareillement intéressée à connaître les flux financiers opérés pour le compte dudit Gaec comme de chacun de ses associés, sans discrimination des écritures qui serait prématurée à ce stade des investigations.

73. La fin de non-recevoir sera rejetée.

5) Sur le bien-fondé de la demande d’expertise

74. Il n’est pas contesté que les comptes du Gaec de la Lande ne sont plus approuvés depuis plusieurs années.

75. Par ailleurs, la selarl LH et Associés, désignée en qualité de liquidateur judiciaire du Gaec de la Lande aux termes d’un jugement du tribunal judiciaire de Brest du 27 septembre 2022, indique que le passif provisoire déclaré s’élève à la somme de 1.412.270,07 € à titre définitif et à la somme de 2.558.450,98 € en prenant en compte le passif non définitif, que l’offre de [W] [N] et ses fils [D] et [O] [N] et la sarl [N] qui a été retenue s’élève à la somme de 968.700 €, que l’insuffisance d’actif, sans prise en compte des frais de justice, pourrait s’établir dans une fourchette de 443.570 € à 1.589.750 € au préjudice des créanciers de la procédure, sous réserve de la vérification du passif.

76. Il y a donc un intérêt légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, à ce que l’expertise complémentaire sollicitée puisse avoir lieu pour que les documents comptables, juridiques ou sociaux ayant justifié les mouvements financiers entre la sarl [N] et le Gaec de la Lande soient produits et que les anomalies relevées dans le rapport Orcom du 30 novembre 2021 soient analysées afin d’en permettre la qualification juridique, et que les préjudices subis par la sarl [N] et/ou par le Gaec de la Lande soient fixés et les responsabilités déterminées.

77. L’ordonnance sera réformée sur point, l’expertise étant ordonnée dans les termes du dispositif du présent arrêt.

6) Sur dépens et les frais irrépétibles

78. Succombant, [T] [N] et [C] [Y] supporteront les dépens d’appel. L’ordonnance sera infirmée s’agissant des dépens de première instance, qui seront pareillement mis à leur charge.

79. Enfin, eu égard aux circonstances de l’affaire, il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais exposés tant en appel qu’en première instance et qui ne sont pas compris dans les dépens.

80. L’ordonnance sera infirmée s’agissant des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l’ordonnance du 31 octobre 2022 du juge des référés du tribunal judiciaire de Brest en ce qu’il a rejeté l’exception tirée de l’incompétence du juge des référés,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette les fins de non-recevoir tirées du défaut d’intérêt à agir et de la prescription de l’action,

Ordonne une expertise judiciaire,

Désigne pour y procéder :

M. [V] [S],

Expert judiciaire près la cour d’appel de Rennes,

[Adresse 18]

[Adresse 18]

[Localité 9]

Avec pour mission de :

– connaissance prise du rapport d’audit du 30 novembre 2021 établi par [E] [B], expert-comptable du cabinet Orcom Sobrecoma, et des 3 anomalies qui y sont relevées, à savoir :

– affectation d’indemnités journalières de [A] [N] dans le compte courant d’associé de [T] [N],

– partage de sommes issues du compte-courant commun en défaveur de [W] [N],

– augmentation inexpliquée des retraits en espèces à compter de 2017,

– convoquer les parties, les entendre en leurs explications ainsi que tous sachants,

– se rendre en tous lieux, sièges sociaux ou locaux d’exploitation, y compris les domiciles des personnes ou seraient détenus les biens ou les documents du Gaec de la Lande,

– se faire communiquer tous documents échangés entre les personnes précitées et les fournisseurs du Gaec de la Lande,

– se faire communiquer ou examiner les comptes sociaux, les documents comptables, les pièces justificatives, le secrétariat juridique ainsi que toutes pièces permettant de déterminer les conditions des opérations de gestion contestées,

– si nécessaire, auditionner M. [E] [B],

– dire si des fautes ont été commises et, dans l’affirmative, par qui,

– le cas échéant, fixer le préjudice subi par [W] [N] et/ou le Gaec de la Lande,

– d’une manière générale, donner tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer les responsabilités encourues par les parties,

– fournir tous éléments de fait nécessaires à la solution du litige,

Dit que l’expert commis pourra se faire assister par la personne de son choix qui interviendra sous son contrôle et sa responsabilité et dont il assurera l’avance de la rémunération et qu’il précisera en son rapport l’identité et la qualité de la personne concernée, ainsi que la nature des actes dont il lui aura confié l’exécution,

Dit qu’après la première réunion d’expertise, ou en tout état de cause dans les plus brefs délais, l’expert devra donner son avis sur la nécessité éventuelle d’appeler en cause tous intervenants dont la responsabilité serait susceptible d’être engagée dans la survenance des fautes constatés,

Dit que l’expert devra établir un pré-rapport qui sera adressé aux parties, lesquelles disposeront d’un mois pour formuler des observations, et que passé ce délai, l’expert ne sera pas tenu de prendre en compte les remarques tardives sauf cause grave à l’appréciation du magistrat chargé du contrôle des expertises,

Dit que l’expert devra dresser un rapport écrit de ses travaux comprenant toutes annexes explicatives utiles et les réponses aux dires, à déposer au greffe du tribunal judiciaire de Brest pour le 30 avril 2024, sauf prorogation demandée au juge chargé du contrôle des expertises (le président du tribunal),

Dit qu’en cas de refus ou d’empêchement de l’expert commis, il sera pourvu à son remplacement, d’office ou sur simple requête de la partie la plus diligente, par ordonnance du magistrat chargé du contrôle des expertises (le président du tribunal),

Fixe à la somme de 5.800 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert à consigner à la régie du tribunal judiciaire de Brest par M. [W] [N] dans le délai maximum d’un mois à compter de la date du présent arrêt à peine de caducité de la désignation de l’expert, à moins que le magistrat chargé du contrôle des expertises du tribunal judiciaire de Brest, à la demande d’une partie se prévalant d’un motif légitime, ne décide une prorogation ou un relevé de caducité,

Dit que s’il estime insuffisante la provision initiale ainsi fixée, l’expert judiciaire devra lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, dresser un programme de ses investigations et évaluer d’une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et de ses débours,

Dit que les opérations d’expertise se dérouleront conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile,

Dit que le dépôt par l’expert désigné de son rapport sera accompagné de sa demande de rémunération dont il adressera aux parties un exemplaire par tout moyen permettant d’en établir la réception en les avisant de ce qu’elles disposent d’un délai de 15 jours pour faire part à l’expert et au juge chargé du contrôle des expertises de leurs observations écrites sur cette demande de rémunération,

Condamne [T] [N] et [C] [Y] aux dépens de première instance et d’appel,

Rejette le surplus des demandes,

Dit que les opérations d’expertise se dérouleront sous le contrôle du juge chargé du contrôle des mesures d’instruction dudit tribunal.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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