Conflits entre associés : décision du 14 septembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/08553

Conflits entre associés : décision du 14 septembre 2022 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/08553

N° RG 21/08553 -N°Portalis DBVX-V-B7F-N64F

Décision du Tribunal de Commerce de VILLEFRANCHE SUR SAONE

Référé du 05 août 2021

RG : 2021r00010

[D]

C/

SA à Conseil d’Administration U10 CORP

S.A.R.L. U-WEB

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 14 Septembre 2022

APPELANT :

Monsieur [N] [J] né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 6] (01), de nationalité française, demeurant [Adresse 4], pris en sa qualité d’associé de la SARL U-WEB

Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

Ayant pour avocat plaidant Me Olivier GARDETTE, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

La société U10 CORP, société anonyme au capital de 17 260 745 €, immatriculée au RCS de [Localité 5] sous le numéro 395 044 415, dont le siège social est [Adresse 1], prise en la personne de ses dirigeants légaux en exercice dûment habilité à cet effet

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

Ayant pour avocats plaidant Mes Nicolas BES et Sébastien SEMOUN, avocat au barreau de LYON

U-WEB, SARL, immatriculée au RCS de [Localité 7]-Tarare sous le n° 534 409 883, dont le siège social est [Adresse 8]) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.

Représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1983

Ayant pour avocat plaidant Me Jérôme NOVEL, avocat au barreau de LYON

******

Date de clôture de l’instruction : 07 Juin 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Juin 2022

Date de mise à disposition : 14 Septembre 2022

Audience tenue par Karen STELLA, président, et Véronique MASSON-BESSOU, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l’audience, Véronique MASSON-BESSOU a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Christine SAUNIER-RUELLAN, président

– Karen STELLA, conseiller

– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Véronique MASSON-BESSOU, conseiller, en application de l’article 456 du code de procédure civile, le président étant empêché, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

Exposé du litige

Le groupe U 10 est spécialisé dans le secteur de la distribution sur le marché de la décoration et de l’équipement de la maison. La société mère U 10 devenue U 10 Corp est détenue majoritairement par [O] [B].

Le groupe possède plusieurs filiales, notamment la société L3C et la société Fred Olivier qui ont une activité de conception, commercialisation et distribution de produits textiles destinés à la décoration et l’aménagement intérieur de la maison.

La société U-Web, est détenue à 51 % par la société U 10 et à 49 % par [N] [J], qui en était également le gérant. Elle est spécialisée dans la distribution par internet des produits du groupe auprès des consommateurs grand public.

Les relations entre la société U-Web et les sociétés L3C et Fred Olivier, ses fournisseurs exclusifs se sont dégradées, notamment en raison d’un contentieux sur les tarifs pratiqués par ces dernières, à compter du mois de juillet 2015.

Par courrier du 26 septembre 2015, la société L3C a notifié à la société U-Web la rupture de leurs relations contractuelles.

Le 31 mars 2016, la société U 10 Corp a saisi le Président du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare aux fins de désignation d’un mandataire ad’hoc pour convoquer une assemblée générale de la société U-Web avec pour ordre de jour de statuer sur la révocation du gérant [N] [J] et la désignation d’un nouveau gérant.

Par ordonnance de référé du 7 juillet 2016, le président du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, a rejeté la demande de la société U10 Corp et a fait droit à la demande reconventionnelle de [N] [J] et la société U-Web, s’agissant de la désignation d’un mandataire ad’hoc des sociétés U-Web et U10 Corp.

Sur appel de cette décision, la Cour d’appel de Lyon, par arrêt du 18 octobre 2016, a confirmé le rejet de la demande de la société U10 Corp aux fins de désignation d’un mandataire ad’hoc avec mission de convoquer l’assemblée générale de la société U-Web pour révoquer son gérant et désigner un nouveau gérant et a infirmé la décision déférée s’agissant de la désignation d’un mandataire ad’hoc pour la société U 10 Corp.

Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation et, par arrêt du 6 février 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 18 octobre 2016, mais seulement en ce qu’il a confirmé le rejet de de la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc avec mission de convoquer l’assemblée générale de la société U-Web pour révoquer son gérant et désigner un nouveau gérant.

La Cour de cassation a a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel autrement composée.

Par arrêt du 23 janvier 2020, la Cour d’appel de Lyon, statuant sur renvoi, a infirmé l’ordonnance de référé rendue le 7 juillet 2016 qui avait rejeté la demande de la société U 10 Corp de désignation d’un mandataire ad’hoc et a désigné Maître [X] en qualité de mandataire ad’hoc avec pour mission de convoquer une assemblée générale de la société U-Web avec pour ordre du jour :

décision à prendre concernant la révocation éventuelle du mandat de gérant de [N] [J] ;

nomination le cas échéant d’un nouveau gérant et fixation de ses pouvoirs.

Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi qui a été rejeté par la Cour de cassation par arrêt du 15 février 2021.

Maître [M] [X] a procédé à la convocation de l’assemblée générale de la société U-Web qui s’est tenue le 25 septembre 2020.

[N] [J] a été révoqué de ses fonctions de gérant et [O] [B], PDG de la société U 10 Corp, a été désigné comme nouveau gérant de la société U-Web.

Parallèlement, la société U-Web avait, en date des 5 et 19 Avril 2016, assigné devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare les sociétés L3C, Fred Olivier, U 10 Corp, [O] [B] et [Y] [F] aux fins d’obtenir indemnisation du préjudice résultant de l’augmentation soudaine et unilatérale des prix pratiqués.

Par jugement du 8 mars 2018, le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare s’est déclaré incompétent et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon.

Par arrêt du 21 juin 2018, la Cour d’appel de Lyon a réformé le jugement du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare du 8 mars 2018 en toutes ses dispositions, et a déclaré le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare territorialement et matériellement compétent pour trancher le litige au fond.

Un pourvoi en cassation contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 29 janvier 2020.

L’affaire au fond a été plaidée le 23 juillet 2020, puis a fait l’objet d’une réouverture des débats et par jugement du 18 février 2021, le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a :

constaté que [O] [B] était à la fois le gérant de la société demanderesse U-Web et également le représentant légal et le principal actionnaire de la société défenderesse, U10 Corp ;

décidé de surseoir à statuer jusqu’à ce qu’une décision irrévocable ait été rendue concernant la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure jusqu’à son terme.

En parallèle, le 7 février 2020, [N] [J] a assigné la société U10 Corp et la société U-Web devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare en demandant principalement :

d’une part la désignation d’un mandataire ad’hoc avec pour mission de représenter la société U-Web dans la procédure au fond pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare ;

d’autre part la désignation d’un autre mandataire ad’hoc avec pour mission de représenter la société U10 Corp et voter en ses lieux et place et dans le seul intérêt de celle-ci, lors des assemblées de la société U-Web.

Par exploit séparé également délivré le 7 février 2020, [N] [J] a assigné la société U 10 Corp, la société U-Web et Maître [X], ès-qualités de mandataire ad’hoc de la société U-Web devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare aux fins qu’il soit sursis à la tenue de l’assemblée générale ayant vocation à statuer sur la révocation du gérant jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la désignation d’un mandataire ad’hoc de la société U Corp.

Par ordonnance du 23 juillet 2020, le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a prononcé la jonction des deux instances et s’est déclaré matériellement incompétent pour trancher le litige, au profit du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Villefranche sur Saône.

[N] [J] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 20 octobre 2020, la Cour d’appel de Lyon a :

Infirmé l’ordonnance déférée en ce qu’elle avait déclaré matériellement incompétent le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare au profit du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Villefranche-sur-Saône ;

Déclaré compétent le Juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare pour connaître de la demande de désignation d’un administrateur ad’hoc pour la société U10 et de la demande de désignation d’un administrateur ad’hoc pour la société U-Web.

Puis, évoquant l’affaire au fond, La Cour d’appel a :

déclaré irrecevable la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc pour la société U10 Corp, au motif que cette demande avait déjà été tranchée par la Cour d’appel de Lyon selon arrêt du 18 octobre 2016 ;

déclaré recevable la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc pour représenter les intérêts de la société U-Web dans le cadre de la procédure au fond diligentée devant le Tribunal de commerce de Villefrance-Tarare, mais dit n’y avoir lieu à référé sur cette demande, retenant principalement qu’elle s’inscrivait dans le cadre d’un conflit d’associés, n’avait pas pour objet de sauvegarder les intérêts sociaux et que l’existence d’un péril pour la société U-Web n’était pas démontrée.

Cet arrêt a fait l’objet d’un pourvoi, la procédure étant actuellement pendante devant la Cour de cassation.

Par exploits des 8, 11 et 12 janvier 2021, [N] [J] a assigné la société U10 Corp, la société U-Web, le mandataire judiciaire de la société U-Web et le commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, aux fins de :

désigner tout professionnel qualifié en qualité de mandataire ad’hoc avec pour mission en toute indépendance de représenter la société U-Web dans la procédure au fond actuellement pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare jusqu’à son terme ;

dire que le mandataire ad’hoc devra exercer sa mission dans le seul intérêt social de la société U-Web sur la base des fondements juridiques déjà utilisés dans les écritures déposées à ce jour ;

dire que la rémunération du mandataire ad’hoc sera prise en charge par la société U10 Corp et condamner la société U 10 Corp à consigner une provision ad litem de 30 000 € à valoir sur la rémunération de ce mandataire ad’hoc.

Par ordonnance du 5 aout 2021, le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare a :

jugé irrecevable [N] [J] en l’intégralité de ses demandes en ce qu’elles se heurtent à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020 ;

débouté la société U 10 Corp de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

condamné [N] [J] à régler à la société U10 Corp la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de l’instance liquidés à la somme de 74,64 €.

Le juge des référés retient en substance :

qu’il s’agissait des mêmes prétentions présentées sur les mêmes fondements que celles tranchées en dernier lieu par l’arrêt de la cour d’appel du 20 octobre 2020 ;

que la Cour d’appel avait déjà considéré dans cet arrêt que le changement de gérance et la modification éventuelle des choix procéduraux de la société U-Web en découlant ne constituaient pas des motifs permettant de justifier la désignation d’un mandataire ad’hoc ;

que le changement de conseil ne constitue pas un fait nouveau, au sens de l’article 488 du code de procédure civile.

Par déclaration régularisée par RPVA le 30 novembre 2021, [N] [J] a interjeté appel de l’intégralité des dispositions de cette ordonnance, à l’exception de celle rejetant la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société U 10 Corp à son encontre.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 2 juin 2022, [N] [J] demande à la Cour, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, de :

Rejeter la demande de sursis à statuer dans l’attente du résultat du pourvoi formé le 28 octobre 2020 contre l’arrêt de cette chambre du 20 octobre 2020 comme n’obéissant pas à une bonne administration de la justice ;

Réformer l’ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Villefranche-Tarare du 5 août 2021 en toutes ses dispositions et en ce qu’elle a Dit et jugé irrecevable [N] [J] en l’intégralité de ses demandes en ce qu’elles se heurtent à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020, condamné [N] [J] à régler à la société U10 Corp la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamné en outre [N] [J] au paiement des entiers dépens de l’instance liquidés en ce qui concerne la présente ordonnance à la somme de 74,64 €.

Statuant à nouveau :

Désigner tout professionnel qualifié en qualité de mandataire ad’hoc, avec pour mission en toute indépendance et sans recevoir d’instruction du dirigeant légal de U-Web de représenter la société U-Web dans la procédure actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare sous le n°2016J00044, et devant toute autre juridiction qui viendrait à être saisie d’une procédure qui en serait la suite et/ou la conséquence, et de la conduire jusqu’à son terme ;

Dire que le mandataire ad’hoc devra exercer sa mission dans le seul intérêt social de la personne morale U-Web sur la base des fondements juridiques d’ores et déjà utilisés dans les écritures déposées à ce jour, validés/consacrés par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 janvier 2020 ;

Fixer la durée de la mission du mandataire ad’hoc jusqu’à l’issue définitive de la procédure en cours engagée devant le tribunal de commerce de Villefranche Tarare et de toute autre procédure qui en serait la suite et/ou la conséquence, terminées par une décision irrévocable ;

Dire que la rémunération du mandataire ad’hoc sera prise en charge par la société U-10 Corp ;

Condamner la société U-10 Corp à consigner une provision ad litem de 30 000 € à valoir sur la rémunération future du mandataire ad’hoc dans les quinze jours de la signification de l’arrêt et dire qu’à défaut il sera procédé au recouvrement de cette somme conformément aux articles 695 et suivants du code de procédure civile ;

Rejeter la demande dommages et intérêts de la société U-10 Corp et la débouter de son appel incident ;

La condamner à lui payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 10 000 € pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel et aux dépens.

[N] [J] s’oppose en premier lieu à tout sursis à statuer, faisant valoir :

que dans le cadre de la présente instance, la Cour doit statuer sur les circonstances nouvelles que sont la révocation de [N] [J] en sa qualité de gérant de la société U-Web et la nomination de [O] [B] comme gérant de la société U-Web, l’éviction des avocats historiques de la société U-Web, et la procédure au fond interrompue par le jugement de sursis à statuer du 18 février 2021 ;

que la décision qui sera rendue par la Cour de cassation sur le pourvoi interjeté contre l’arrêt de la Cour d’appel du 20 octobre 2020 importe peu puisque d’une part, si la Cour de cassation rejette le pourvoi, elle aura statué au regard des circonstances de fait de l’époque, d’autre part, si elle casse l’arrêt du 20 octobre 2020, elle ne donnera pas pour autant une solution définitive au litige puisqu’elle devra renvoyer la cause et les parties devant une Cour d’appel qui décidera ou non de la désignation d’un mandataire ad’hoc pour représenter la société U-Web ;

que le pourvoi n’est pas un élément nouveau puisqu’il a été formé dès le prononcé de l’arrêt du 20 octobre 2020, c’est à dire avant le lancement de la nouvelle procédure de référé pour circonstances et faits nouveaux.

L’appelant soutient en second lieu que sa demande de désignation d’un administrateur ad’hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre de la procédure au fond est totalement justifiée, tant au visa de l’article 872 que de l’article 873 alinéa 1 du code de procédure civile, en ce que :

La désignation d’un mandataire ad’hoc ne doit pas être confondue avec la possibilité qu’a par ailleurs le président du Tribunal de commerce de désigner un administrateur provisoire, qui convient uniquement au cas de remplacement des dirigeants, l’administrateur étant alors doté d’un mandat judiciaire général d’administration courante, la mission de mandataire ad’hoc ne concernant qu’an à elle qu’une mission ponctuelle, sans que les dirigeants soient relevés de leurs fonctions d’administration courante ;

Si, en matière d’administrateur provisoire, la jurisprudence considère qu’une telle désignation est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent, il n’en est pas de même s’agissant du mandataire ad’hoc, dont les missions sont, par hypothèse, sensiblement plus réduites, voire affectées à une action particulière où il faut que la personne morale puisse agir en demande ou en défense, indépendamment des intérêts de ses associés ;

Ainsi, pour que la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc soit accueillie par le juge des référés, il suffit de démontrer les conditions énoncées à l’article 873 du code de procédure civile, à savoir soit un dommage imminent, soit un trouble manifestement illicite, voire l’existence d’un différend justifiant cette mesure, au sens de l’article 872 du code de procédure civile ;

Il en résulte que, contrairement à la désignation d’un administrateur provisoire, la désignation d’un mandataire ad’hoc chargé de représenter la société dans une procédure déterminée n’est pas soumise à l’existence d’une paralysie ou d’un fonctionnement anormal de la société ;

En l’espèce, dans le cadre de l’instance au fond, la société U 10 Corp a écrit dans ses conclusions n’avoir jamais caché sa volonté de faire révoquer [N] [J] de son mandat de gérant, ce qui visait, notamment, selon ses termes, ‘à mettre un terme à la mascarade que constituait la présente instance’ ;

Il y a donc là un dommage imminent qu’il faut prévenir mais aussi un trouble manifestement illicite qu’il faut faire cesser, la défense de la société U-Web dans la procédure au fond pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare étant maintenant confisquée par la partie adverse et confiée à un avocat à ses ordres ;

La mission du mandataire est une mission ponctuelle qui a pour objet la sauvegarde de l’intérêt social, puisqu’il s’agit de défendre au mieux les intérêts de la société U-Web dans une instance en cours, et de lui permettre, de faire valoir ses droits.

En troisième lieu, l’appelant expose justifier de circonstances nouvelles permettant que la première décision soit rapportée, en ce que :

Est considérée comme une circonstance nouvelle aux yeux de la jurisprudence tout changement intervenu dans les éléments de fait ou de droit ayant motivé la décision ;

En l’espèce, la situation doit être appréciée par rapport à ce qu’elle était lorsque la Cour d’appel de Lyon a clos les débats qui ont précédé son arrêt du 20 octobre 2020, et plus précisément à la date de la clôture de la procédure, laquelle fige les éléments et événements que la cour doit apprécier et connaître pour statuer ;

Au moment de la clôture des débats devant la Cour, [N] [J] était toujours gérant et les avocats de la société U-Web toujours en place, alors qu’aujourd’hui [N] [J] a été révoqué de ses fonctions de gérant, [O] [B] a été désigné gérant de la société U-Web, ce dernier ayant évincé le cabinet Lamy Lexel, avocats historiques de la société U-Web qui conduisent depuis l’origine le procès au fond devant le Tribunal de commerce de Villefranche et ayant en lieu et place désigné son cabinet d’avocats historique Alicya Conseil en la personne de [K] [P], étant en outre observé que devant la Cour de cassation, c’est désormais le même avocat qui représente les deux sociétés.

Il ajoute que la société U-Web n’a plus de défense autonome puisqu’elle est maintenant entre les mains de l’ensemble de ses adversaires directement et indirectement et que la seule mesure pleinement efficace et conforme à l’intérêt social est la désignation d’un mandataire ad’hoc dont la mission sera limitée à la représentation de la société U-Web dans cadre de l’instance actuellement pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, et de toute instance qui en serait la suite ou la conséquence.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 30 mai 2022, la société U 10 Corp demande à la Cour de :

In limine litis :

Surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt à intervenir de la Cour de cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020,

A défaut :

Déclarer irrecevables les prétendues demandes visées dans le dispositif des conclusions

d’appel de [N] [J] de ‘Donner acte, Dire et juger que, Juger que, Constater que.’

Sur le fond du référé :

A titre principal

Confirmer l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal de commerce de Villefranche Tarare le 5 août 2021 en ce qu’elle a : ‘ Dit et jugé irrecevable [N] [J] en l’intégralité de ses demandes en ce qu’elles se heurtent à l’autorité de la chose jugée attachée à l’Arrêt de Cour d’Appel de Lyon du 20 octobre 2020, Condamné [N] [J] à régler à la Société U-10 Corp la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ‘ ;

Infirmer ladite ordonnance en ce qu’elle a débouté la société U-10 Corp de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, et statuant à nouveau sur ce seul point ;

Condamner [N] [J] à payer à la société U10 Corp la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

A titre subsidiaire et en tout état de cause :

Dire irrecevable [N] [J] en l’intégralité de ses demandes en ce qu’elles heurtent l’autorité de la chose jugée des dispositions des arrêts de la Cour d’Appel de Lyon du 18 octobre 2016 et du 20 octobre 2020.

Et, à titre subsidiaire sur le fond :

Débouter [N] [J] de l’intégralité de ses demandes, et en ce qu’elles tendent à la désignation d’un mandataire ad’hoc de la société U-Web pour quelque mission que ce soit.

En tout état de cause :

Condamner [N] [J] à payer à la société U10 Corp la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamner [N] [J] à payer à la société U10 Corp la somme de 20 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société U10 Corp fait valoir en premier lieu qu’il y a lieu de surseoir à statuer dans l’attente de l’arrêt de l’arrêt de la Cour de cassation sur le pourvoi formé par [N] [J] et la société U-Web à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020, la Cour suprême devant examiner ce pourvoi le 14 juin prochain et rendre sa décision aux alentours du 15 juillet 2022, les moyens avancés pour remettre en cause l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020 étant quasiment identiques à ceux développés devant la Cour de céans.

En second lieu, elle soutient que la décision déférée doit être confirmée, en ce que :

[N] [J] demande de statuer sur les mêmes prétentions et sur les mêmes fondements que ce qui a déjà été soumis au juge des référés, et en dernier lieu tranché, par la Cour d’appel de Lyon tant à l’occasion de l’instance ayant donné lieu à son premier arrêt en date du 18 octobre 2016 qu’à l’occasion de son dernier arrêt du 20 octobre 2020 ;

il n’existe depuis les décisions de la Cour d’appel de Lyon du 18 octobre 2016 et du 20 octobre 2020, aucun fait nouveau puisque la Cour d’appel de Lyon a déjà tranché la demande de [N] [J] en ayant connaissance du changement de gérance à intervenir dans la société U-Web et des changements d’orientation procédurale que cela pourrait entraîner pour cette-dernière, ces événements ayant déjà été pris en considération par la Cour d’appel dans son arrêt du 20 octobre 2020 ;

le changement de conseil juridique intervenu dans la défense de la société U-Web en suite de la révocation de [N] [J] ne constitue pas plus un élément nouveau, celui-ci n’étant pas une partie au procès ;

le sursis à statuer prononcé par la juridiction saisie du fond n’est pas plus un élément nouveau, alors que [N] [J] n’explique pas en quoi une décision de sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour pourrait constituer un « fait nouveau » au sens de l’article 488 du code de procédure civile.

La société U 10 Corp relève par ailleurs qu’il n’existe, sur le fond du référé, aucun trouble manifestement illicite ou péril imminent, alors que :

aucune juridiction n’a examiné le fond du litige qui oppose la société U-Web aux sociétés de son propre groupe et son associé majoritaire, il n’y a donc aucune urgence, aucun dommage imminent ni trouble manifestement illicite ;

il n’y a aucun dysfonctionnement social et en réalité la demande tend seulement à servir les intérêts personnels de [N] [J] alors qu’un conflit entre associés ne peut justifier la désignation d’un mandataire ad’hoc ;

aucun changement procédural n’est intervenu depuis le changement de gérance de la société U-Web, puisqu’au contraire, lors de l’audience de réouverture des débats qui s’est tenue le 14 janvier 2021 devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, la société U-Web a confirmé ne pas se désister de son instance et a demandé au Tribunal de rendre sa décision.

La société U 10 Corp indique par ailleurs qu’il est justifié de condamner [N] [J] à des dommages et intérêts pour procédure abusive, alors que rien ne justifie, en droit, la désignation d’un administrateur ad’hoc pour exercer des fonctions qui relèvent des organes statutaires alors qu’il n’y a aucun dysfonctionnement social et qu’en réalité la demande tend seulement à servir les intérêts personnels de [N] [J].

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 24 mars 2022, la société U-Web demande à la Cour de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice.

Elle relève toutefois :

que la désignation d’un mandataire ad’hoc trouve son origine dans la loi, et ce dans des cas très particuliers et que parallèlement, quelques jurisprudences sporadiques de la première et de la troisième chambre civile de la Cour de cassation ont admis la possibilité -dans les sociétés civiles- qu’un mandataire ad’hoc soit nommé -en dehors des cas légalement indiqués- pour accomplir une mission déterminée, dans un délai défini, en cas de mésentente des dirigeants et ce, sans que soit imposée la démonstration d’un péril ou d’une paralysie de la société ;

que de son côté, la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire nécessite que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un dommage imminent ;

qu’il existe à ce jour une analyse différente entre les chambres commerciales et civiles de la Cour de cassation, la Chambre Commerciale imposant la nécessité d’une paralysie de la société pour nommer un administrateur provisoire, et les chambres civiles admettant qu’un mandataire ad’hoc puisse être nommé sans que soit démontrée l’existence d’une paralysie de la société pour une mission déterminée dans son objet et sa durée ;

qu’en l’espèce, si le dommage imminent est la révocation de [N] [J] es qualité de dirigeant de la société U-Web, celle-ci est déjà intervenue et ne peut donc plus être considérée comme imminente ;

que si le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite est le désistement d’action de la société U-Web devant le Tribunal de Commerce de Villefranche sur Saône, celui-ci n’a pas lieu d’être, puisque la société U-Web a fait savoir à la juridiction saisie qu’elle attendait l’issue du délibéré, sans intervenir en amont ;

que si le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite est la violation par le conseil de la société U-Web de ses obligations ordinales, il appartient à [N] [J] de saisir le Bâtonnier de l’ordre des avocats ;

qu’enfin, [N] [J] se contredit en indiquant souhaiter que le mandataire désigné soit indépendant, mais en reprenant exclusivement les moyens qu’il avait soulevés lorsqu’il était encore dirigeant de la société U-Web.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il n’y a pas lieu de déclarer irrecevables les demandes de [N] [J] figurant au dispositif de ses conclusions relatives à des ‘donner acte, dire et juger, juger, constater’, de telles mentions ne figurant pas au dispositif des conclusions de [N] [J].

I : Sur la demande de sursis à statuer

Aux termes de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis à statuer suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.

En l’espèce, la société U10 Corp demande qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt à intervenir de la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 20 octobre 2020, étant rappelé que l’arrêt susvisé a rejeté la demande présentée par [N] [J], en sa qualité d’associé et de gérant de la société U-Web visant à voir désigner un administrateur ad’hoc de la société U-Web aux fins de la représenter dans l’instance au fond actuellement en cours devant le Tribunal de commerce de Villefranche sur saône en considérant qu’il n’y avait lieu à référé sur cette demande.

Dans le cadre de la présente instance, la Cour est appelée à statuer sur l’appel de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare du 5 août 2021, lequel a déclaré [N] [J] irrecevable en sa demande de désignation d’un mandataire ad’hoc de la société U-Web aux fins de la représenter dans l’instance au fond actuellement en cours devant le Tribunal de commerce de Villefranche sur saône, considérant que cette demande se heurtait à l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020.

La demande de sursis à statuer se situant hors cas où cette mesure est prévue expressément par la loi, il convient de déterminer si, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, cette demande est opportune.

Or, à supposé que le pourvoi en cassation soit rejeté, pour autant cela serait sans incidence sur la demande dont la Cour est actuellement saisie, puisqu’il est fait état d’éléments nouveaux qui justifieraient qu’il soit fait droit à la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc, ce qu’il appartient à la Cour d’apprécier dans le cadre de l’appel dont elle est saisie.

Par ailleurs, dans le cas où la Cour de cassation casserait l’arrêt litigieux, c’est la Cour de renvoi qui devra se prononcer sur une telle demande et dès lors, l’arrêt que la Cour de cassation est appelée à rendre n’aura pas pour autant pour conséquence de permettre à la Cour, présentement saisie, de statuer une fois l’arrêt de la Cour de cassation rendu.

Ces éléments démontrent qu’il n’est pas de l’intérêt d’une bonne administration de la justice de faire droit à la demande de sursis à statuer, demande que la Cour en conséquence rejette.

II : Sur la demande d’infirmation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare du 5 août 2021

1) Sur l’existence de circonstances nouvelles

Le premier juge a déclaré irrecevable la demande de [N] [J] visant à voir désigner d’un administrateur ad’hoc de la société U-Web en ce qu’elle se heurtait à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020.

Il a retenu notamment qu’il s’agissait des mêmes prétentions, présentées sur le même fondement et que la Cour avait déjà pris en compte dans sa décision le changement de gérance et les modifications éventuelles des choix procéduraux de la société U-Web en découlant.

Le premier juge a également retenu que le changement de conseil de la société U-Web ne constituait pas un fait nouveau dans la mesure où une partie est libre de choisir son conseil et d’en changer.

L’article 488 du code de procédure civile dispose : ‘L’ordonnance de référé n’a pas au principal l’autorité de la chose jugée. elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu’en cas de circonstances nouvelles’.

La Cour observe au préalable, au regard des dispositions précitées, que si la demande de [N] [J] pouvait être déclarée irrecevable, ce n’était pas parce qu’elle se heurtait à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020, dont la décision s’agissant d’une procédure de référé, n’avait pas l’autorité de la chose jugée au principal, mais parce qu’il n’était pas justifié de circonstances nouvelles autorisant que cette décision soit modifiée ou rapportée.

La Cour observe également que l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon de 2016 auquel la société U10 Corp fait référence a rejeté la demande de désignation d’un administrateur ad’hoc pour représenter la société U 10 Corp en votant à sa place aux assemblées générales de la société U-Web, ce qui est sans rapport avec l’affaire actuellement pendante devant la Cour.

Reste à déterminer si l’appelant justifie de circonstances nouvelles permettant que soit modifié ou rapporté l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 20 octobre 2020 qui a statué par voie d’évocation, étant rappelé que ces circonstances, au sens de l’article 488 du code de procédure civile précité, se caractérisent par tout changement intervenu dans les éléments de fait et de droit ayant motivé la décision, éléments qui, s’ils avaient été connus du premier juge, auraient pu modifier son opinion.

A ce titre, les circonstances nouvelles dont l’appelant fait état sont :

la décision de sursis à statuer rendu par le Tribunal de commerce de Villefranche Tarare, saisi de l’affaire au fond ;

sa révocation de sa fonction de gérant de la société U-Web ;

la désignation de [O] [B], dirigeant de la société U10 Corp, en qualité de gérant de la société U-Web ;

l’éviction du cabinet Lamy Lexel, avocats historiques de la société U-Web qui conduisent depuis l’origine le procès au fond, remplacés par l’un des avocats de [O] [B] et du groupe U-10, ce dont il résulterait un conflit d’intérêt.

S’agissant de la décision de sursis à statuer rendue par la juridiction saisie du fond de l’affaire, elle ne peut caractériser une circonstance nouvelle, susceptible de justifier une modification éventuelle de la décision de rejet de désignation d’un mandataire ad’hoc, le Tribunal de commerce s’étant limité à surseoir à statuer au fond jusqu’à ce que soit rendue une décision irrévocable concernant la demande de désignation d’un administrateur ad’hoc pour représenter la société U-Web.

Pour le surplus, la Cour relève que l’arrêt de la Cour d’appel du 20 octobre 2020, pour écarter la demande de désignation d’un administrateur ad’hoc, a évoqué :

la désignation de Maître [X] comme mandataire ad’hoc chargé de convoquer l’assemblée générale de la société U-Web en vue de prendre une décision concernant la révocation éventuelle du gérant et désigner en ce cas un nouveau gérant, ce qui constituait un fait certain ;

le fait que la société U 10 Corp envisageait de désigner son propre gérant, [O] [B], comme gérant de la société U-Web en lieu et place de [N] [J], gérant alors en place, ce qui ne constituait qu’une éventualité ;

le fait que la nomination envisagée pouvait avoir une influence sur les choix procéduraux de la société U-Web et plus précisément sur son choix de ne pas poursuivre la procédure contre la société U 10 Corp et ses filiales, ce qui ne constituait là encore qu’une simple éventualité.

Force est de constater :

qu’au 15 septembre 2020, date des débats devant la Cour, [N] [J] était toujours gérant de la société U-Web, [O] [B] n’avait pas été désigné comme gérant, le choix de ne pas poursuivre la procédure au fond n’étant par ailleurs aucunement concrétisé ;

que dans le cadre de la présente instance, [N] [J] a bien été révoqué de ses fonctions de gérant, [O] [B] désigné en ses lieu et place, la société U-Web, désormais dirigée par [O] [B] ayant expressément indiqué dans le cadre de la procédure au fond à l’occasion de l’audience de réouverture des débats qu’elle n’entendait pas se désister de l’instance en cours.

Si l’éventuelle révocation de [N] [J] et son remplacement par [O] [B] ont bien été pris en compte par la première Cour, pour autant ils ne constituaient à ce stade qu’une simple éventualité, désormais réelle et se traduisant à ce jour par un contexte procédural particulier dans la mesure où d’une part, la société U-Web n’entend pas se désister de l’instance au fond, hypothèse que le premier arrêt n’a pas évoqué et ne pouvait au demeurant envisager puisque cette décision est intervenue après que la première Cour ait rendu son délibéré, et ou d’autre part il n’est pas contesté par la société U 10 Corp que dès sa désignation comme nouveau gérant de la société U-Web, [O] [B] a évincé les avocats dits ‘historiques’ de celle-ci et a procédé à leur remplacement au profit d’un cabinet d’avocat dont [N] [J] indique qu’il est le cabinet ‘historique’ du groupe U 10 et de [O] [B].

Sans qu’il soit nécessaire de rentrer dans un débat déontologique, la Cour constate ainsi que la procédure au fond pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, dans le cadre de laquelle la société U-Web sollicite que la société U 10 Corp l’indemnise à hauteur de 10 millions d’euros, oppose en demande d’une part, la société U-Web, dont le gérant est désormais [O] [B], d’autre part, en défense et notamment, la société U 10 Corp, dont le dirigeant est également [O] [B], et que c’est donc ce dernier qui a en charge, en sa qualité de gérant, la défense des intérêts de la société U-Web dans une action indemnitaire pour un montant extrêmement conséquent diligentée à l’encontre de la société U-10 Corp, dont il assure par ailleurs la direction et la défense des intérêts.

Or, la situation ainsi décrite s’est réalisée bien après les débats devant la Cour d’appel de Lyon ayant abouti à l’arrêt du 20 octobre 2020, cette Cour n’en ayant par voie de conséquence aucunement connaissance et il doit être considéré, au regard de la nature même de cette situation, que ces circonstances nouvelles étaient de nature à modifier l’opinion de la juridiction qui a statué.

En conséquence et au vu de l’ensemble des éléments précédemment développés, la Cour dit que [N] [J] justifie, au sens de l’article 488 du code de procédure civile, de circonstances nouvelles autorisant que soit modifié ou rapporté l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon rendu le 20 octobre 2020 et déclare en conséquence [N] [J] recevable en sa demande de désignation d’un administrateur ad’hoc de la société U-Web et de ce fait infirme la décision déférée qui a déclaré sa demande irrecevable de ce chef.

2) Sur le bien fondé de la demande de désignation d’un mandataire ad’hoc

[N] [J] fonde sa demande tant sur les dispositions de l’article 872 que sur celles de l’article 873 du code de procédure civile.

Aux termes du premier de ces textes, dans tous les cas d’urgence, le président du Tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

L’urgence est un préalable à l’application de ces dispositions, étant rappelé qu’au sens de ce texte, il y a urgence dès lors qu’un retard dans la décision qui doit être prise est de nature à compromettre les intérêts légitimes du demandeur.

La Cour ne peut que constater qu’en l’espèce, l’urgence est à l’évidence caractérisée,

alors que :

la société U-Web a initié son action indemnitaire devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare au mois d’avril 2016, ses intérêts étant confiés depuis cette date au même cabinet d’avocat ;

à la suite de sa désignation comme gérant de la société U-Web le 25 septembre 2020, [O] [B] a évincé le cabinet d’avocat en charge des intérêts de la société U-Web depuis plus de 4 ans et assure désormais la direction de la gestion de la défense des intérêts de la société U-Web qu’il a confié à un autre cabinet d’avocat ;

[O] [B], en sa qualité de dirigeant de la société U10-Corp, assure également la défense des intérêts de cette société dans une instance à vocation indemnitaire dans le cadre de laquelle la société U-Web réclame sa condamnation à lui payer une somme de plus de 10 millions d’euros en indemnisation de son préjudice ;

au regard de ce qu’il a considéré comme un conflit d’intérêt, le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, appelé à connaître de l’action au fond, a prononcé au début de l’année 2021, un sursis à statuer.

Il s’ensuit, au regard des éléments précédemment exposés, que, dès lors que la préservation des intérêts de la société U-Web est susceptible d’être compromise en ce qui concerne sa représentation dans le cadre d’une action au fond actuellement en cours et faisant l’objet d’un sursis à statuer, l’urgence requise par les dispositions précitées doit être considérée comme caractérisée.

Reste à déterminer si l’existence d’un différend, au sens de l’article 872 du code de procédure civile, commande de de préserver les droits de la société U-Web en désignant un mandataire ad’hoc chargé de la représenter en toute indépendance dans la procédure au fond actuellement pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare.

Sur ce point, la Cour rappelle :

que [O] [B] est désormais en charge, depuis la fin de l’année 2020, en sa qualité de nouveau gérant de la société U-Web de la défense des intérêts de la société U-Web dans le cadre de la procédure au fond qu’elle a diligentée à l’encontre de la société U10-Corp et de ses filiales, initiée au cours de l’année 2016 ;

que [O] [B] est également gérant de la société U10-Corp et en charge en cette qualité de la défense des intérêts de la société U10-Corp dans le cadre de cette même procédure au fond, étant observé qu’il est également partie en défense à titre individuel à cette procédure et que, dès sa désignation comme gérant de la société U-Web, il a évincé les avocats qui assuraient la défense des intérêts de la société U-Web depuis plus de quatre ans.

Or à l’évidence, il ressort de ce simple constat que le différend qui oppose les parties justifie que soient préservés les droits de la société U-Web au regard du conflit d’intérêt précédemment explicité et que soient prises les mesures nécessaires afin de permettre au différend au fond d’être réglé sereinement, en assurant à la société U-Web une garantie d’indépendance dans le cadre de la gestion de ses intérêts, lesquels doivent être défendus dans le seul intérêt social de cette société.

Cette exigence est d’autant plus primordiale que la société U 10 Corp ne conteste pas que dans le cadre du pourvoi en cassation actuellement en cours relatif à l’arrêt de la Cour d’appel du 20 octobre 2020, [O] [B] a désigné pour représenter la société U-Web le propre avocat de la société U 10 Corp, les deux sociétés dont les intérêts s’opposent étant ainsi représentées par le même avocat.

Dès lors, la désignation d’un mandataire ad’hoc ayant pour mission d’assurer, avec l’indépendance qui s’impose et dans le seul intérêt social de la société U-Web, la prise en charge des intérêts de la société U-Web dans le cadre de la procédure au fond pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare est une mesure propre à répondre à ces objectifs, au regard du différend qui oppose les parties.

La Cour en conséquence, sans qu’il soit nécessaire d’analyser la demande au visa de l’article 873 du code de procédure civile, désigne Maître [U] [R], administrateur judiciaire, [Adresse 2], afin d’assurer cette mission, étant précisé qu’il appartiendra à lui seul de déterminer dans le cadre de sa mission, avec l’aide de l’avocat qu’il désignera pour l’assister et représenter la société U-Web à la procédure au fond, ce qui est conforme à l’intérêt social de la société U-Web et qu’il ne saurait à ce titre être lié à compter de sa désignation par les écritures qu’a précédemment déposées la société U-Web.

La mission du mandataire ad’hoc désigné et sa durée seront limitées à la procédure au fond pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare, aux incidents ayant trait à ladite procédure et aux voies de recours appelées éventuellement à être diligentées concernant cette décision.

Enfin, la désignation du mandataire ad’hoc intervenant dans le seul intérêt de la société U-Web, sa rémunération ne saurait être prise en charge par la société U10 Corp son adversaire, au surplus sous la forme d’une provision ad litem, comme le sollicite [N] [J], cette demande étant sérieusement contestable au sens de l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile.

Il appartiendra à [N] [J], qui sollicite cette mesure, ce aux fins d’en assurer l’efficacité, d’assurer l’avance de la rémunération du mandataire ad’hoc, la société U-Web devant assurer in fine la charge définitive de cette mesure puisqu’elle est ordonnée dans son seul intérêt.

III : Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Dans la mesure où il est fait droit à la demande de [N] [J], la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la société U 10-Corp sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile ne peut prospérer.

La Cour, mais pour les motifs précédemment exposés, confirme en conséquence la décision déférée qui a débouté la société U 10-Corp de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

IV : Sur les demandes accessoires

Le premier juge a condamné [N] [J] à régler à la société U10 Corp la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de l’instance liquidés à la somme de 74,64 €.

La société U10 Corp succombant, la Cour infirme la décision déférée de ces chefs et statuant à nouveau condamne la société U10 Corp aux dépens de la procédure de première instance et rejette la demande présentée en première instance par la société U10 Corp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour condamne la société U10 Corp, partie perdante, aux dépens à hauteur d’appel et à payer à [N] [J] la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, justifiée en équité.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Rejette la demande de sursis à statuer présentée par la société U 10 Corp ;

Confirme la décision déférée en ce qu’elle a débouté la société U 10 Corp de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Déclare [N] [J] recevable en sa demande de désignation d’un mandataire administrateur ad’hoc de la société U-Web ;

Désigne Maître [U] [R], administrateur judiciaire, [Adresse 2] en qualité de mandataire ad’hoc de la société U-Web avec pour mission :

de représenter la société U-Web dans le cadre de la procédure au fond pendante devant le Tribunal de commerce de Villefranche-Tarare enregistrée sous le numéro de RG 2016/J00044, et d’organiser la défense des intérêts de la société U-Web, conformément à l’intérêt social.

Dit que la mission du mandataire ad’hoc sera étendue aux incidents ayant trait à ladite procédure et aux voies de recours appelées à être diligentées à l’encontre du jugement au fond qui sera rendu par le Tribunal de commerce de Villefranche Tarare et qu’elle prendra fin dès lors qu’une décision irrévocable aura été rendue ;

Dit que [N] [J] assurera l’avance de la rémunération du mandataire ad’hoc, laquelle sera prise en charge in fine par la société U-Web ;

Dit que le présent arrêt sera notifié par le greffe à Maître [U] [R] qui devra faire connaître sans délai à la Cour son acceptation et qu’en cas de refus ou d’empêchement légitime, il sera pourvu à son remplacement ;

Infirme la décision déférée en ce qu’elle a condamné [N] [J] au paiement des entiers dépens de la procédure de première instance, liquidés à la somme de 74,64 € et à régler à la société U10 Corp la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance, et,

Statuant à nouveau :

Condamne la société U10 Corp aux dépens de la procédure de première instance et rejette la demande présentée en première instance par la société U10 Corp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à l’encontre de [N] [J] ;

Condamne la société U10 Corp aux dépens à hauteur d’appel ;

Condamne la société U 10 Corp à payer à [N] [J] la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ,

Véronique MASSON-BESSOU, CONSEILLER

 


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