Conflits entre associés : décision du 13 février 2024 Tribunal judiciaire de Marseille RG n° 22/06952

Conflits entre associés : décision du 13 février 2024 Tribunal judiciaire de Marseille RG n° 22/06952

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 13 Février 2024

Enrôlement : N° RG 22/06952 – N° Portalis DBW3-W-B7G-2HVJ

AFFAIRE : M. [U] [Y] – Mme [M] [Y] ( Me Christian BELLAIS)
C/ Mme [L] [E] – S.C.I. THOMELLO (Me Hugo GERVAIS DE LAFOND)

DÉBATS : A l’audience Publique du 12 Décembre 2023

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BERARD Béatrice,

Vu le rapport fait à l’audience

A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 13 Février 2024

Jugement signé par JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente et par BERARD Béatrice, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEURS

Monsieur [U] [Y]
né le [Date naissance 4] 1989 à [Localité 9]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

Madame [M] [Y]
née le [Date naissance 6] 1977 à [Localité 10]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 8]

Tous deux représentés par Me Christian BELLAIS, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDERESSES

Madame [L] [E]
née le [Date naissance 5] 1958 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

S.C.I. THOMELLO, immatriculée au RCS de Marseille sous le n° 433 715 901 prise en la personne de son représentant légal, dont le siège social est sis [Adresse 1]

Tous deux représentées par Me Hugo GERVAIS DE LAFOND, de la SELARL RACINE, substitué à l’audience par Me Albert HINI, avocats au barreau de MARSEILLE

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCI THOMELLO a été créée par [D] [Y], [L] [E], [M] [Y] et [P] [Y] et immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 27 novembre 2000.

Initialement, les parts sociales étaient réparties comme suit :
• [M] [Y] : 100 parts sociales numérotées de 1 à 100 ;
• [P] [Y] : 100 parts sociales numérotées de 101 à 200 ;
• [D] [Y] : 100 parts sociales numérotées de 201 à 300 ;
• [L] [E] : 100 parts sociales numérotées de 301 à 400.

Suite à la conclusion de deux actes de cession de parts sociales en date du 1er août 2012, la répartition du capital social est la suivante :
• [M] [Y] détient 200 parts sociales, numérotées de 1 à 200, représentant 50 % du capital social et des droits de vote de la société ;
• [U] [Y] détient 100 parts sociales, numérotées de 201 à 300, représentant 25% du capital social et des droits de vote de la société ; et
• [L] [E] détient 100 parts sociales, numérotées de 301 à 400, représentant 25 % du capital social et des droits de vote de la société.

Les fonctions de gérant étaient exercées par [M] [Y] jusqu’au 1er août 2012, et depuis cette date, par [L] [E].

Par acte en date du 28 mai 2020, [M] [Y] et [U] [Y] ont fait assigner [L] [E] devant le juge des référés du Tribunal judiciaire de Marseille afin de voir désigner un mandataire ad hoc avec mission de convoquer les associés en assemblée générale.

Par ordonnance en date du 23 septembre 2020, Maître [N] [I] a été désigné en qualité de mandataire ad hoc de la SCI THOMELLO, avec pour mission de : – « établir les comptes sociaux (avec tout sapiteur de son choix si nécessaire) pendant la gérance de Mme [L] [E] en déterminant les loyers perçus par Mme [Y] et en faire rapport, faire toutes déclarations fiscales requises, communiquer l’ensemble des documents relatifs aux comptes sociaux et aux déclarations fiscales, se faire remettre la copie du contrat de location relatif à l’appartement du [Adresse 2] à [Localité 9] outre les avenants éventuels ; convoquer les associés à une assemblée générale avec pour ordre du jour : quitus de la gérance, révocation du gérant en exercice, nomination d’un nouveau gérant et modification corrélative des statuts, cession des actifs immobiliers de la SCI, modification de l’article 23 des statuts et pouvoir en vue des formalités. ».

Par ordonnance en date du 28 février 2023, la juge de la mise en état a invité les parties à assister à une réunion d’information sur la médiation.
Par la suite, les parties ont indiqué qu’elles ne souhaitaient pas entrer en voie de médiation.

Par acte en date du 12 juillet 2022 auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des moyens, [M] [Y] et [U] [Y] ont fait assigner [L] [E] et la SCI THOMELLO devant le Tribunal judiciaire de Marseille afin de voir:
– révoquer Madame [L] [E] de ses fonctions de gérante à compter du prononcé de la décision,
– ordonner à Maître [N] [I], mandataire ad’hoc de la SCI THOMELLO, de convoquer, dans un délai de deux mois à compter du prononcé de la décision, une assemblée générale des associés qui aura pour ordre du jour la nomination d’un nouveau gérant et l’intervention de Monsieur [O] [T], expert-comptable, afin que celui-ci reconstitue la comptabilité de la SCI,
– condamner Madame [L] [E] à payer l’intégralité des honoraires de Maître [N] [I] pour la SCI THOMELLO,
– condamner Madame [L] [E] à payer à chacun des demandeurs une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner Madame [L] [E] aux entiers dépens.

Ils soutiennent que Madame [E] n’a jamais rendu compte de sa gestion aux associés, ne leur a adressé aucun rapport écrit annuel depuis sa nomination, et n’a pas tenu la comptabilité de la société; qu’en outre, elle n’a convoqué aucune assemblée générale en près de huit ans; que ces manquements récurrents constituent une cause légitime de révocation.

En défense, dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 mai 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, [L] [E] et la SCI THOMELLO demandent au Tribunal de :
A titre liminaire :
– prononcer d’office l’irrecevabilité des demandes formulées par Madame [M] [Y] et Monsieur [U] [Y] à l’encontre de Maître [I],
A titre principal :
– rejeter la demande de Madame [M] [Y] et Monsieur [U] [Y] de révoquer judiciairement Madame [E],
– rejeter la demande de Madame [M] [Y] et Monsieur [U] [Y] de condamner Madame [E] au paiement de l’intégralité des honoraires de Maître [I] pour la SCI THOMELLO,
A titre reconventionnel :
A titre principal :
– prononcer la dissolution judiciaire de la SCI THOMELLO pour justes motifs,
A titre subsidiaire :
– ordonner le retrait judiciaire de Madame [E] de la SCI THOMELLO pour justes motifs,
– désigner un expert avec pour mission de déterminer la valeur des droits sociaux de Madame [L] [E] dans le cadre de son retrait judiciaire de la SCI THOMELLO,
En tout état de cause :
– condamner solidairement Madame [M] [Y] et Monsieur [U] [Y] à payer à chacun des défendeurs une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Madame [M] [Y] et Monsieur [U] [Y] aux entiers dépens de l’instance.

Elles rappellent qu’[M] [Y] et [P] [Y] sont les enfants de [J] [Y] et de [X] [Y], et que [U] [Y] est le fils de [L] [E] et de [J] [Y], qui se sont séparés en septembre 2002.
Elles indiquent qu’au cours de son mandat social, [M] [Y] n’a jamais convoqué aucune assemblée générale des associés, à l’exception de l’assemblée générale extraordinaire du 1er août 2012 ayant notamment pour ordre du jour de constater sa démission de ses fonctions de gérante et la nomination de [L] [E] pour la remplacer, qu’elle n’a jamais rendu compte de sa gestion à ses associés, ne leur a adressé aucun rapport écrit annuel au cours de son mandat social de gérante et n’a tenu aucune comptabilité de la société du 27 novembre 2000 au 1er août 2012; qu’[M] [Y] n’occupe plus, à titre de résidence principale, l’appartement situé [Adresse 2], et cet appartement fait l’objet d’un contrat de location meublée depuis le 1er septembre 2013 conclu et signé unilatéralement par [M] [Y] sans l’autorisation de la gérante [L] [E]; qu’un nouveau contrat de bail a été signé en son nom personnel par [M] [Y] le 1er avril 2020.
Elles ajoutent que la communication d’informations et la transmission de documents entre les associés de la société sont rendues impossibles, depuis de nombreuses années, en raison des relations extrêmement conflictuelles existant entre les associés, mais également entre [L] [E] et son ancien concubin [J] [Y]; que le désintérêt total de ses associés pour la gestion de la société explique l’impossibilité de [L] [E] d’assurer pleinement son mandat de gérant de la société et la difficulté de poursuivre toute relation avec ses associés; que le dialogue entre les associés est totalement rompu; que le 14 février 2020, [L] [E] a proposé à ses associés sa démission de ses fonctions de gérant et le rachat de sa participation à hauteur de 25 % du capital social de la société, proposition restée sans réponse; que depuis sa nomination, Maître [I] n’a pu établir les comptes de la société en raison de l’absence de communication des éléments utiles antérieurs à 2012 par [M] [Y].
Elles rappellent que pendant plus de 20 ans, les associés de la SCI THOMELLO ne se sont jamais plaints de l’absence de tenue d’une comptabilité ou d’assemblée générale, et que c’est en réalité le refus catégorique des demandeurs et de leur père [J] [Y] de faire droit à la demande de retrait de Madame [E] et de procéder au rachat de ses parts sociales qui explique et fonde la demande de révocation judiciaire de Madame [E]; que les manquements reprochés à Madame [E] ne peuvent pas valablement être qualifiés de «cause légitime» de révocation, en ce qu’ils s’inscrivent dans un contexte de conflit entre associés et entre ex-concubins.
A titre reconventionnel, elles sollicitent la dissolution de la société en raison de l’impossibilité de trouver un accord sur le rachat des parts sociales de Madame [E] depuis plusieurs années, de l’impossibilité d’établir les comptes annuels en raison de l’absence de communication des documents comptables par la partie adverse, malgré la désignation d’un mandataire ad hoc, et de la mésentente entre les associés et de la perte totale de l’affectio societatis paralysant le fonctionnement de la société.
A titre subsidiaire, elles sollicitent le retrait de Madame [E] de la société compte tenu de la disparition de l’affectio societatis.

La procédure a été clôturée à la date du 14 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[M] [Y] et [U] [Y] sollicitent la révocation judiciaire de [L] [E] de ses fonctions de gérante; cette dernière conclut au rejet de cette demande et réclame à titre reconventionnel la dissolution judiciaire de la SCI THOMELLO pour justes motifs.

Aux termes de l’article 1851 du Code civil : « Sauf disposition contraire des statuts le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages-intérêts.
Le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
Sauf clause contraire, la révocation d’un gérant, qu’il soit associé ou non, n’entraîne pas la dissolution de la société. Si le gérant révoqué est un associé, il peut, à moins qu’il n’en soit autrement convenu dans les statuts, ou que les autres associés ne décident la dissolution anticipée de la société, se retirer de celle-ci dans les conditions prévues à l’article 1869 (2e alinéa). ».

[M] [Y] et [U] [Y] reprochent à [L] [E] de ne pas avoir rendu compte de sa gestion aux associés, de ne pas avoir tenu de comptabilité de la société et de n’avoir convoqué aucune assemblée générale, ce qui constituent à leurs yeux une cause légitime de révocation.

Il ressort des pièces versées aux débats que depuis la constitution de la société, aucune des gérantes successives n’a rempli ses obligations.

Ainsi, [M] [Y], qui exerçait les fonctions de gérante de la SCI THOMELLO du 27 novembre 2000 au 1er août 2012, n’a jamais rendu compte de sa gestion à ses associés, ne leur a adressé aucun rapport écrit annuel et n’a jamais tenu aucune comptabilité de la société.

La SCI THOMELLO a fonctionné de cette façon et les associés de la SCI ne se sont jamais plaints de l’absence de tenue d’une comptabilité ou d’assemblée générale.

A partir du moment où les relations familiales se sont tendues et se sont révélées très conflictuelles, et où Madame [E] a fait part de sa volonté de se retirer de la société, les associés ont reproché à la gérante un certain nombre de manquements.

Madame [E] produit ainsi un courrier daté du 31 octobre 2021 dans lequel [J] [Y], père des demandeurs, lui écrit : « Nous répondrons par un refus de ton retrait, par l’entame de poursuites au pénal de tes fautes de gestion et en réclamant ta révocation ».

Il apparaît encore que Maître [N] [I], désigné par ordonnance en date du 23 septembre 2020, en qualité de mandataire ad hoc de la SCI THOMELLO pour établir les comptes sociaux, ne parvient manifestement pas à accomplir sa mission, notamment en raison de l’absence d’information comptable relative au bien loué par [M] [Y] sis [Adresse 2], à [Localité 9].

Au vu de ces éléments, la demande de révocation de Madame [E] n’est pas fondée, les demandeurs ne démontrant pas une cause légitime de révocation.

Il n’y a donc pas lieu d’ordonner à Maître [N] [I] de convoquer une assemblée générale des associés pour la nomination d’un nouveau gérant , ni de condamner [L] [E] à payer l’intégralité des honoraires de Maître [N] [I].

Compte tenu de la mésentente entre associés qui empêche à la société de fonctionner correctement, il y a lieu de prononcer la dissolution de la société conformément à l’article 1844-7 5° du Code civil qui prévoit que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

En effet, l’impossibilité pour Maître [I] d’accomplir sa mission traduit la paralysie affectant le fonctionnement de la société, dû à la mésentente entre les associés.
Cette mésentente compromet le fonctionnement normal de la société et paralyse son activité sociale.

Succombant, [M] [Y] et [U] [Y] seront condamnés in solidum aux dépens.

L’équité ne commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la dissolution de la SCI THOMELLO;

Déboute [M] [Y] et [U] [Y] de l’intégralité de leurs demandes,

Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum [M] [Y] et [U] [Y] aux dépens.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 13 FEVRIER 2024.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

 


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